RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 05 NOVEMBRE 2020
(n° 2020/ , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00858 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBIR6
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 28 Novembre 2019 -Juge de la mise en état de CRETEIL - RG n° 18/07178
APPELANTES
SA BGFI BANK RDC, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au Registre du commerce et du crédit mobilier sous le numéro CD/KIN/RCCM/14-B-4061
[Adresse 1]
[Adresse 5]
[Localité 10]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, avocat postulant
Assistée de Me Benjamin VAN GAVER de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438, avocat plaidant
SA BGFI HOLDING CORPORATION prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Enregistrée au RCCM de Libreville sous le numéro 2001 B 00771-NIF 790 738 M
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 8] (GABON)
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, avocat postulant
Assistée de Me Benjamin VAN GAVER de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438, avocat plaidant
INTIMÉ
Monsieur [R] [T] [X]
né le [Date naissance 2] 1986 à [Localité 7] (RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO)
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me William BOURDON de l'AARPI BOURDON & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R143, avocat postulant
Assistée de Me Henri THULLIEZ, avocat au barreau de PARIS, avocat au barreau de PARIS, toque C0967, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 Septembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Cathy CESARO-PAUTROT, présidente
Madame Patricia LEFEVRE, conseillère
Madame Laurence CHAINTRON, conseillère
qui en ont délibéré,
un rapport a été présenté à l'audience par Mme [J] dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Madame Laure POUPET
ARRÊT : Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Cathy CESARO-PAUTROT, présidente et par Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.
********
Vu l'ordonnance en date du 28 novembre 2019 par laquelle le juge de la mise en état au tribunal de grande instance de Créteil a :
- rejeté la demande de décision d'incompétence ;
- dit le tribunal de grande instance de Créteil compétent pour statuer sur le litige ;
- débouté la S.A. BGFIBank RDC et la S.A. BGFI Holding Corporation de l'ensemble de leurs demandes ;
- renvoyé l'affaire à la mise en état électronique du 7 mai 2020 à 9h30 avec injonction, pour la S.A. BGFIBank RDC et la S.A. BGFI Holding Corporation de régulariser leurs conclusions au fond ;
- condamné in solidum la S.A. BGFI Bank RDC et la S.A. BGFI Holding Corporation aux dépens de l'incident ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
Vu l'appel relevé le 15 janvier 2020 par la société BGFI Holding Corporation SA et la société BGFIBank RDC SA ;
Vu l'autorisation d'assigner à jour fixe ;
Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 31 juillet 2020 par lesquelles la société BGFI Holding Corporation SA et la société BGFIBank RDC SA demandent à la cour de :
Vu l'article 130 du code de l'organisation et de la compétence judiciaires de la République démocratique du Congo,
Vu l'article 397 alinéa 1 du code de procédure civile gabonais,
Vu l'article 14 du code civil,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Vu la Convention de Genève du 28 juillet 1951,
- infirmer l'ordonnance rendue le 28 novembre 2019 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Créteil ;
- déclarer les juridictions françaises incompétentes pour connaître de ce litige au profit des juridictions congolaises ou gabonaises ;
- condamner M. [R] [T] à leur payer la somme de 15.000 euros, chacune, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 mars 2020 par lesquelles M. [R] [T] [X] demande à la cour de :
Vu l'article 14 du code civil,
Vu le principe du déni de justice,
Vu l'article 700 du code de procédure civile
Vu la Convention de Genève du 28 juillet 1951,
- confirmer l'ordonnance rendue le 28 novembre 2019 par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Créteil ;
- débouter les appelantes de l'ensemble de leurs demandes ;
- condamner les appelantes à lui payer la somme de 5.000 euros in solidum au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
SUR CE, LA COUR
Considérant que la BGFI Holding Corporation SA, fondée en 1971 à Libreville au Gabon, détient des filiales dans plusieurs pays d'afrique, dont la BGFIBank RDC SA située à [Localité 7] en République démocratique du Congo ; que le capital de cette dernière a été détenu à hauteur de 60 % % par la holding et à hauteur de 40 % par Mme [H] [C], s'ur du président de la République démocratique du Congo ; qu'un ami d'enfance de celui-ci, M.[B] [W] [P], a été administrateur-directeur général de la banque durant neuf ans ;
Que M. [R] [T] [X], ressortisssant de la République démocratique du Congo, a été embauché en qualité d'analyste rattaché au Département Engagement Affaires Juridiques et Fiscales par la S.A. BGFIBank RDC à compter du 15 octobre 2012 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée signé par M. [B] [W] [P], représentant la banque, puis il a été nommé le 12 février 2016 chef du Département des Engagements chargé de superviser, d'analyser et de présenter des dossiers de crédit ; qu'après avoir dénoncé des malversations commises au sein de la banque, il a fui la République démocratique du Congo au mois de juin 2016 pour venir s'installer en France ; qu'il a démissionné de son poste, le 13 octobre 2016, pour faute lourde de son employeur et harcèlement de sa direction générale concernant le dossier de mise en place du crédit de la Commission Electorale Indépendante ; que son contrat de travail a été résilié, le 16 novembre 2016, par la société BGFIBank RDC SA pour faute lourde suite au non-respect de ses obligations contractuelles, le courrier précisant notamment qu'il avait abandonné son poste de travail, dérobé des documents de la banque et publié des informations confidentielles ;
Que le 16 janvier 2017, M. [R] [T] [X] a obtenu le statut de réfugié en France ;
Que par acte d'huissier du 26 juillet 2018, il a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Créteil les sociétés BGFI en responsabilité et indemnisation de divers préjudices ;
Qu'entre-temps,M. [B] [W] [P] a quitté ses fonctions de directeur général de la société BGFIBank RDC SA et a été remplacé par son adjoint M. [M] [Z] [Y] ;
Que les sociétés BGFI ont déposé des conclusions d'incident à l'effet que le tribunal se déclare incompétent au profit des juridictions congolaises ou gabonaises ;
Que pour retenir la compétence du tribunal de grande instance de Créteil, le juge de la mise en état a, dans les motifs de sa décision, retenu que M. [R] [T] [X] est fondé à se prévaloir des dispositions de l'article 14 du code civil, qu'il existe, d'une part, une incertitude importante quant à l'impartialité et à l'indépendance de la justice congolaise et gabonaise, s'agissant d'un litige opposant le demandeur à des institutions bancaires entretenant des liens étroits avec les autorités politiques de ces pays, et d'autre part, un lien de rattachement effectif et suffisant de M. [T] [X] avec la France, tant en raison de son statut de réfugié que du fait de sa résidence effective et régulière en France, dans le ressort du tribunal ;
Considérant que les sociétés BGFI Holding Corporation SA et BGFIBank RDC SA rappellent qu'elles n'ont pas à désigner les juridictions compétentes au sein des pays compétents pour connaître du litige pour que l'exception d'incompétence soit recevable et que l'indication de l'Etat où se trouve la juridiction compétente suffit à satisfaire aux exigences de l'article 75 du code de procédure civile ;
Qu'en l'espèce, les sociétés appelantes désignent les juridictions congolaises ou gabonaises pour connaître du litige ;
Considérant que les sociétés BGFI Holding Corporation SA et BGFI Bank RDC SA soutiennent, en premier lieu, qu'aucun déni de justice n'est démontré et, notamment, que M. [T] serait dans l'impossibilité d'accéder aux juges congolais ou gabonais 'naturellement' compétents pour se prononcer sur ses prétentions, alors qu'il a la possibilité de saisir plusieurs juridictions étatiques 'naturellement' compétentes, quels que soient les défauts réels ou supposés qu'il leur prête et dont il ne doit pas être tenu compte ; qu'elles rappellent les notions d'impossibilité de fait et de droit telles qu'elles sont définies par la jurisprudence et la doctrine ; qu'elles font valoir que dès lors qu'une juridiction étrangère a été saisie du litige, l'impossibilité d'accéder au juge ne peut plus être établie, que celui qui invoque le déni de justice pour se prévaloir de la compétence exceptionnelle du juge français doit rapporter la preuve de sa tentative de saisir le juge 'naturellement' compétent, et que ce n'est que si cette saisine s'avère impossible que le déni de justice est encouru ; qu'elles expliquent que la règle de compétence fondée sur le déni de justice est d'interprétation stricte et présente un caractère exceptionnel et, que dérogeant aux règles de rattachement traditionnelles du conflit de juridictions, la compétence française ne doit subsister que dans des hypothèses exceptionnelles ; qu'elles avancent que le tribunal judiciaire de Créteil ne peut se reconnaître compétent, outre l'exigence de rattachement du litige à la France, qu'à la condition qu'aucune action à l'étranger ne soit possible, ce qui n'est pas le cas, puisque les tribunaux de la République démocratique du Congo de même que les tribunaux du Gabon peuvent être saisis ; qu'elles invoquent l'article 130 du code de l'organisation et de la compétence judiciaire de la République démocratique du Congo selon lequel Le juge du domicile ou de la résidence du défendeur est seul compétent pour connaître de la cause, sauf les exceptions établies par des dispositions spéciales. S'il y a plusieurs défendeurs, la cause est portée au choix du demandeur, devant le juge du domicile ou de la résidence de l'un d'eux, et l'article 397 alinéa 1 du code de procédure civile gabonais qui dispose que le tribunal territorialement compétent est sauf disposition contraire celui du lieu où demeure le défendeur ; qu'elles allèguent de la jurisprudence de la Cour de cassation et de celle de la Cour européenne des droits de l'homme pour en déduire qu'aucune attention n'est prêtée aux qualités du juge étranger compétent et développent des arguments qui s'opposent à un raisonnement inverse ; qu'elles ajoutent que les Etats signataires la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ne sont pas tenus de rechercher si un procès conduit dans un Etat tiers serait compatible avec chacune des conditions de l'article 6§1 de la Convention ; qu'elles arguent que la société BGFI RDC n'a aucun lien, ni familial, ni amical, ni capitalistique avec MM. [W] et [I] et leurs familles respectives, précisant que la banque est détenue à 99,9% par BGFI Holding, que M. [I] n'est plus président de la République démocratique du Congo depuis le 24 janvier 2019 et qu'il a été remplacé à ce poste par l'opposant M. [O] [L], lequel s'est engagé à garantir l'indépendance et l'impartialité de la justice congolaise ; qu'elles estiment que les articles de presse datant de 2016 et 2017 sont devenus sans objet ; qu'elles soutiennent que les liens capitalistiques entre le Gabon et BGFI Holding sont résiduels et ajoutent que M. [W] a été écarté du groupe ; qu'elles déduisent de l'ensemble de ces éléments que l'impossibilité de saisir un tribunal congolais ou gabonais n'est pas établie ; qu'elles avancent ensuite que le statut de réfugié de M. [T] ne constitue pas un lien de rattachement suffisant du litige avec la France, alors que le litige l'oppose, en tant que ressortissant congolais, à deux sociétés congolaise et gabonaise et est relatif à des préjudices prétendument subis en République démocratique du Congo dans le cadre de l'exécution d'un contrat de travail de droit congolais ; qu'elles rappellent la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme selon laquelle Une compétence universelle, au sens civil, risquerait de créer des difficultés pratiques considérables pour les tribunaux, notamment à cause de l'administration des preuves et l'exécution de telles décisions judiciaires. La Cour n'exclut pas non plus que l'acceptation d'une compétence universelle puisse provoquer des immiscions indésirables d'un pays dans les affaires internes d'un autre.
Que les sociétés BGFI Holding Corporation SA et BGFI Bank RDC SA soutiennent, en second lieu, que le statut de réfugié de M. [T] est sans incidence sur sa possibilité de saisir la juridiction congolaise, qu'assimiler une décision étrangère consacrant une injustice manifeste à un déni de justice supposerait que cette injustice soit établie de façon absolument certaine pour que le juge retienne in fine sa compétence, preuve qui fait défaut, et que le tribunal judiciaire de Créteil s'est borné à constater que le changement de régime politique en République démocratique du Congo n'est intervenu qu'en 2019, sans en tirer de conséquence sur la possibilité pour le juge congolais de connaître du présent litige ; qu'elles soutiennent que l'article 14 du code civil ne peut fonder la compétence des tribunaux français, dans la mesure où ces dispositions constituent un privilège de juridiction accordé aux ressortissants français, et que si l'article 16 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 pose une règle de traitement égal entre réfugiés et nationaux, il n'impose pas aux Etats contractants d'assimiler réfugiés et nationaux dans les règles de conflit de juridictions afin de les faire bénéficier du privilège de juridiction de l'article 14 du code civil ; qu'elles développent la différence de rédaction entre la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et sa version antérieure du 28 octobre 1933, laquelle étendait les droits et privilèges des nationaux au profit des réfugiés, alors que la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ne fait plus référence aux privilèges des nationaux ; qu'elles estiment que l'article 14 du code civil reconnaît un privilège de juridiction au seul bénéfice des ressortissants nationaux, à l'exclusion des réfugiés ;
Considérant que M. [T] [X] expose avoir été le témoin de graves malversations, dès le mois de décembre 2015, au sein de la banque BGFI RDC, puis d'irrégularités lors d'opérations de crédit, à compter du 12 février 2016, pendant l'exercice de ses fonctions de chef de département des engagements ; qu'il affirme avoir sollicité des éclaircissements auprès du directeur général, M. [B] [W] [P], frère adoptif du président de la République, et qu'il a été menacé par lui avec une arme à feu au mois d'avril 2016 ; qu'il relate avoir été contraint de valider un dossier de prêt pour la Commission Electorale Nationale Indépendante au mois de mai 2016, malgré l'interdiction de tout prêt bancaire à cet organe, et qu'il a été impliqué, contre sa volonté, dans les affaires illicites de la banque alors que le directeur général (M. [W] [P]) et le directeur général adjoint ( M. [Y]) ont nié l'ordre qui lui avait été donné ; qu'il précise avoir été mis en arrêt maladie le 16 juin 2016 renouvelé les 24 juin, 7 juillet et 4 août 2016, et avoir fui la République démocratique du Congo le 10 juin 2016, soutenant avoir été fiché et surveillé par l'Agence nationale de renseignements ; qu'il indique avoir informé de la situation la SA BGFI Holding au Gabon, sans réponse de la part de celle-ci ; qu'il précise aider des médias internationaux et des organisations non-gouvernementales dans leurs enquêtes sur la corruption et les détournements d'argent public en République démocratique du Congo et invoque son statut de lanceur d'alerte ; qu'il fait valoir rechercher la responsabilité délictuelle des deux sociétés pour les préjudices qu'il a subis à la suite des menaces de mort proférées à son encontre par son ancien employeur et les conséquences sur sa vie ;
Qu'il se prévaut, à titre principal, de l'article 14 du code civil, dont l'application n'est pas exclue par une Convention bilatérale entre la France et la République démocratique du Congo, et de l'article 16 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés qui permet à un étranger de bénéficier du même traitement qu'un ressortissant national ; qu'il allègue des décisions rendues par la cour d'appel de Paris les 27 juin 1957 et 12 décembre 1967 ; qu'il souligne avoir sa résidence habituelle en France, à [Localité 4], depuis le mois de juin 2016 ;
Qu'il invoque, à titre subsidiaire, l'existence d'un risque de déni de justice du fait de l'impossibilité d'accéder un juge indépendant et impartial en violation du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 alinéa 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'il fait valoir que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, l'indépendance du tribunal s'entend de l'indépendance des autres pouvoirs-l'exécutif et le législatif - et de l'existence de garanties suffisantes contre les pressions extérieures ; qu'il avance que le juge européen a le pouvoir d'apprécier la façon avec laquelle la justice est rendue dans des Etats tiers et que la CDEH considère que l'absence d'un tribunal indépendant et impartial à l'étranger entraîne un déni de justice ; qu'il soutient que la force majeure n'est pas le seul motif qui peut être retenu pour fonder la compétence du juge français et que ce dernier a le pouvoir d'apprécier si le demandeur encourt un risque de déni de justice à l'étranger en raison du risque de partialité de la justice ; qu'il rappelle que l'examen de la compétence du juge civil doit se faire au regard des éléments au jour de sa saisine et que le changement de régime politique postérieur à l'assignation, puisque M. [I] n'est plus président de la République, ne peut être pris en compte ; qu'il souligne qu'à l'époque des faits, Mme [C], s'ur de M. [A] [I] était actionnaire à 40 % de la banque, que M. [B] [W] [P], frère adoptif du président de la République, était le directeur général, de sorte que son ancien employeur était directement lié au pouvoir congolais ; qu'il développe la situation politique en République démocratique du Congo et prétend que le clan [I] continue d'exercer une influence sur les institutions politiques et judiciaires dans un climat d'impunité générale ; qu'il soutient avoir reçu des menaces de mort et avoir déposé plainte devant le procureur de la République de Créteil ; qu'il analyse l'actionnariat de BGFI Holding Corporation SA, détenu en partie par des membres de la famille présidentielle, et affirme qu'un procès au Gabon serait étouffé par la justice gabonaise ; qu'il argue enfin du lien de rattachement avec la France puisqu'il a le statut de réfugié, protection internationale, qu'il a fixé sa résidence habituelle à [Localité 4], et que le domicile doit être considéré comme un lien de rattachement avec le for français ; qu'il ajoute qu'il ne peut rentrer dans son pays par crainte des représailles ; qu'il observe que BGFI Holding Corporation SA possède des avoirs dans des comptes bancaires en France au sein de sa filiale BGFI Bank Europe, dont le siège est à [Localité 9], et que l'exécution d'une décision de justice sera possible en France via une saisie-attribution en cas de condamnation in solidum des appelantes ;
Considérant que dans le cadre de son action introduite devant le tribunal de grande instance de Créteil, M. [T] [X] recherche la responsabilité délictuelle des sociétés BGFI Holding Corporation SA et BGFIBank RDC, personnes morales gabonaise et congolaise, pour des faits commis en République démocratique du Congo, et il réclame réparation des préjudices qu'il estime avoir subis ;
Qu'aux termes de l'article 14 du code civil, l'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français ;
Que ces dispositions n'ouvrent au demandeur français qu'une simple faculté et n'édictent pas à son profit une compétence impérative, exclusive de la compétence indirecte d'un tribunal étranger déjà saisi et dont le choix n'est pas frauduleux ;
Qu'elles consacrent une compétence internationale des tribunaux français, non pas fondée sur les droits nés des faits litigieux, mais sur le critère objectif de la nationalité française du demandeur, laquelle s'apprécie au moment de l'introduction de l'instance ;
Qu'elles présentent un caractère subsidiaire ;
Que c'est seulement en vertu de certains règlements européens et traités internationaux qu'un demandeur étranger peut se prévaloir de l'article'14 du code civil ;
Qu'en l'espèce, M. [T] [X] est de nationalité congolaise tandis que les deux sociétés attraites par lui ont respectivement leur siège social en République démocratique du Congo et au Gabon ;
Que l'appelant invoque son statut de réfugié pour justifier la compétence internationale de l'ordre juridictionnel français ;
Que l'article 16 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ratifiée par la France par une loi n°54-290 du 17 mars 1954, énonce :
1. Tout réfugié aura, sur le territoire des États Contractants, libre et facile accès devant les tribunaux.
2. Dans l'État Contractant où il a sa résidence habituelle, tout réfugié jouira du même traitement qu'un ressortissant en ce qui concerne l'accès aux tribunaux, y compris l'assistance judiciaire et l'exemption de la caution judicatum solvi.
Que l'égalité de traitement susmentionnée, relative à l'accès aux tribunaux, vise les règles de jouissance des droits et non les règles de compétence judiciaire ; qu'elle ne saurait conduire à étendre la compétence du juge français au détriment du juge étranger compétent par application des règles de conflit de juridictions et à reconnaître à tout réfugié un privilège de juridiction ;
Que par suite, il ne convient pas d'accorder à M. [T] [X] le bénéfice de l'exercice du droit exceptionnel de l'article'14 du code civil ;
Que l'ordonnance sera infirmée de ce chef ;
Considérant que l'impossibilité pour une partie d'accéder au juge chargé de se prononcer sur sa prétention et d'exercer un droit qui relève de l'ordre public international constitue un déni de justice fondant la compétence de la juridiction française lorsqu'il existe un rattachement avec la France ; qu'il s'ensuit que doivent être caractérisés cumulativement l'impossibilité de saisir une juridiction étrangère et un rattachement avec la France ;
Que l'impossibilité est de fait en raison d'un événement de force majeure qui empêche le demandeur de se déplacer et d'avoir accès à la justice étrangère et de droit lorsque le juge étranger s'est déclaré incompétent ou lorsqu'il n'est pas susceptible de retenir sa compétence ;
Qu'en l'espèce, il est constant que M. [T] [X] n'a pas saisi les juridictions judiciaires congolaises ou gabonaises, alors que des dispositions sont prévues pour déterminer la compétence territoriale, ainsi qu'il résulte de l'article 130 de la loi organique n° 13/001-B du 11 avril 2013 applicable en République démocratique du Congo et de l'article 397 du code de procédure civile applicable au Gabon ;
Que les appelantes relèvent, à juste titre, que la qualité de réfugié de M. [T] est sans incidence sur sa possibilité de saisir les tribunaux, notamment par l'intermédiaire d'un avocat, tant sur le territoire congolais que gabonais ;
Que les articles extraits des médias anciens ou en langue anglaise produits par M. [T] [X] ne sauraient constituer la preuve de son impossibilité de saisir la justice congolaise, et encore davantage la justice gabonaise, et il ne peut en être déduit la démonstration concrète aux faits de la cause d'un manque d'indépendance et d'impartialité certain et avéré pour connaître du litige civil allégué par l'intimé ;
Que la suite réservée à la plainte déposée le 27 avril 2018 par M. [T] [X] auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Créteil à l'encontre de MM. [B] [W] [P] et [U] [G] du chef de menaces n'est pas renseignée ;
Qu'à la date de l'exploit introductif d'instance, le 26 juillet 2018, M. [W] [P] avait cessé ses fonctions au sein de la SA BGFIBank RDC depuis le 2 mai 2018 ; que les statuts mis à jour par l'assemblée générale mixte ordinaire et extraordinaire du 20 novembre 2018 révèlent que BGFI Holding Corporation SA détient 99,99 % du capital et [V] [D] [F] 0,01 % ; qu'en outre, la présidence de la République n'est plus exercée par M. [A] [I] auquel a succédé M. [L] ;
Que l'intimé ne démontre pas le maintien de M.[B] [W] [P] au sein du groupe BGFI Bank et l'extrait du registre du commerce et du crédit mobilier obtenu le 28 janvier 2019 auprès du greffe de commerce du tribunal de première instance de Libreville/Gabon ne fait pas apparaître les personnes mises en cause par M. [T] [X] comme dirigeants sociaux ou administrateurs ;
Que dès lors que la première condition du déni de justice relative à l'impossibilité d'accéder à une juridiction étrangère fait défaut, il n'y a pas lieu d'examiner la seconde condition relative au rattachement avec la France ;
Qu'aucune atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme n'est caractérisée en l'espèce ;
Qu'en conséquence des développements qui précèdent, l'ordonnance du juge de la mise en état sera infirmée en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la S.A. BGFIBank RDC et la S.A. BGFI Holding Corporation et dit que le tribunal de grande instance de Créteil est compétent pour statuer sur le litige ; que conformément à l'article 96 du code de procédure civile, les parties seront renvoyées à mieux se pourvoir ;
Considérant qu'aucune considération d'équité ne commande l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Considérant que M. [T] [X] sera condamné aux dépens de l'incident en premier instance et aux dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition de la décision au greffe,
Infirme l'ordonnance prononcée par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Créteil en date du 28 novembre 2019 ;
Déclare le tribunal de grande instance de Créteil incompétent pour connaître du litige opposant M. [T] [X] à la SA BGFI Holding Corporation et la SA BGFIBank RDC ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne M. [R] [T] [X] aux dépens de l'incident en première instance et aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE