Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 21 OCTOBRE 2020
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/08549 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3SXV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Mai 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 15/00966
APPELANTE
Madame [G] [P]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
présente lors de l'audience, représentée par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS, toque : T10
INTIMÉE
SA GAUTIER + CONQUET
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Cyprien PIALOUX de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Septembre 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie GUENIER-LEFEVRE, Présidente de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente de chambre
Monsieur Benoît DEVIGNOT, conseiller
Madame Corinne JACQUEMIN, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile
- signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Par contrat du 21 juillet 2008, à effet du 1er septembre suivant, Mme [G] [P] était engagée en qualité de paysagiste, chef de projet, coefficient 450, niveau IV, position 1, par la société Gautier + Conquet, société d'architectes et de paysagistes, employant 34 salariés répartis dans deux établissements, l'un à [Localité 8] et l'autre à [Localité 6] .
La convention collective des cabinets d'architectes est applicable à la relation de travail.
La salariée était victime d'accidents du travail les 8 mars 2011 et 26 octobre suivant, et était placée en arrêt de travail du 8 au 22 novembre 2013, prolongé jusqu'au 14 septembre 2014.
Après une première visite de reprise, le médecin du travail rendait un avis d'aptitude sous réserve d'examens complémentaires et avis des délégués du personnel lors du deuxième examen du 30 septembre suivant.
Sur recours de Mme [P], l'Inspection du travail, après avis du médecin inspecteur, l'a déclarée inapte le 26 janvier 2015.
Le 30 janvier suivant, la salariée saisissait le conseil de prud'hommes de Paris afin d'obtenir le prononcé de la résiliation de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur, sollicitant également des dommages-intérêts pour harcèlement moral et en rappel d'heures supplémentaires.
Par ailleurs, elle faisait l'objet d'un nouvel arrêt de travail du 6 mars au 17 avril 2015.
Convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour le 23 mars suivant, Mme [P] était licenciée le 26 mars 2015 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Au dernier état de l'emploi, la rémunération mensuelle était de 3 600 euros brut.
Par jugement du 22 mai 2017, la section encadrement du conseil de prud'hommes de Paris a débouté Mme [P] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.
Le 16 juin suivant, l'intéressée a interjeté appel.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe par voie électronique le 21 avril 2020, elle demande à la cour:
- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
et statuant à nouveau,
- de constater que la société GAUTIER +CONQUET refuse de verser aux débats le registre d'entrée et de sortie du personnel qu'il lui a été fait sommation de communiquer,
- de juger que ce refus empêche la Cour d'appel de vérifier l'absence de poste compatible avec les préconisations du médecin du travail,
En conséquence,
- de juger que la société ne démontre pas s'être acquittée de son obligation de reclassement à l'égard de Madame [P],
- à titre principal sur la résiliation judiciaire,
- de constater l'existence d'un harcèlement moral,
- de constater que la rupture du contrat de travail découle de l'existence d'un harcèlement moral ;
- de constater l'existence de manquements suffisamment graves empêchant la poursuite du contrat de travail ;
- de juger la demande de résiliation judiciaire bien-fondée ;
- de juger que la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul ;
- de condamner la Société GAUTIER+CONQUET au paiement de la somme de 60 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul ;
- A titre subsidiaire,
- de juger que la demande de résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
- de condamner la Société GAUTIER+CONQUET au paiement de la somme de 60 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- à titre subsidiaire sur le licenciement,
- de juger que la Société a manqué à son obligation de recherche de poste de reclassement ;
En conséquence,
- de juger le licenciement pour inaptitude sans cause réelle et sérieuse ;
- de condmaner la Société GAUTIER+CONQUET au paiement de la somme de 60 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- en tout état de cause sur les autres demandes,
- de constater l'existence d'un harcèlement moral caractérisé,
- de condamner la Société GAUTIER+CONQUET au paiement de la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
- de condamner la société à GAUTIER + CONQUET payer à Madame [P] la somme de 12.398, 21 euros au titres des heures supplémentaires ainsi que la somme de 1 239, 82 euros à titre de congés payés y afférents ;
- de condamner la société à payer à Madame [P] une indemnité pour travail dissimulé à hauteur de 6 mois de salaires soit la somme de 21 600€ ;
- de condamner la société GAUTIER + CONQUET à la somme de
5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
- de juger que les condamnations porteront intérêt aux taux légal à compter de la saisine ;
- d'ordonner la capitalisation des intérêts.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe par voie électronique le 8 janvier 2019, la SA GAUTIER+CONQUET demande au contraire à la cour:
- de confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris en date du 22 mai 2017 en toutes ses dispositions ;
- de constater que Gautier+Conquet n'a commis aucun manquement de nature à justifier que soit prononcée la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [P],
- de dire et juger que la demande de résiliation judiciaire de Madame [P] est totalement infondée,
- de dire et juger que Madame [P] n'a pas été victime de faits de harcèlement moral,
- de rejeter la demande de nullité du licenciement de Madame [P],
- de dire et juger que le licenciement pour inaptitude non professionnelle et impossibilité de reclassement de Madame [P] est parfaitement justifié,
En conséquence,
- de débouter Madame [P] de toutes ses demandes, fin et conclusions ;
- de condamner Madame [P] à verser à la société Gautier+Conquet 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner Madame [P] aux entiers dépens de la présente instance et de ses suites.
Pour plus de précisions quant aux prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter aux conclusions susvisées.
Par ordonnance de clôture du 23 juin 2020, le conseiller chargé de la mise en état a prononcé la fin de l'instruction et a renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 8 septembre 2020.
MOTIFS
I- sur l'exécution du contrat de travail
A- sur les heures supplémentaires
1) sur la prescription,
En vertu des dispositions de l'article L 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'article 21 de la loi N° 2013-504 du 14 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédent la rupture du contrat.
Ces dispositions s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la promulgation de la loi, soit le 17 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, et ce, en application de l'article 2222 du code civil.
Précédemment, l'action en paiement des salaires se prescrivait par cinq ans.
Mme [P] souligne qu'elle a sollicité de son employeur le 29 janvier 2014, le paiement d'un rappel de salaire de 12 398,21 euros pour les années 2009, 2010 et 2011, et sollicite en cause d'appel la condamnation de la société à lui verser cette somme et 1 239,82 euros au titre des congés payés afférents
La salariée a saisi le conseil des prud'hommes le 30 janvier 2015 d'une demande en paiement d'heures supplémentaires à hauteur de 12 398,21 euros, identique au montant réclamé en janvier 2014.
L'envoi d'une lettre recommandée est sans effet sur l'interruption de la prescription.
En considération de la date de saisine de la juridiction, et dès lors que Mme [P] sollicite des rappels de salaires échus antérieurement au 17 juin 2013 pour lesquels elle a commencé à prescrire dans les conditions antérieures à cette loi, l'action de la salariée est recevable dans les limites des sommes dues postérieurement au 30 janvier 2010.
2) sur les heures supplémentaires
En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'article L. 3171-4 du code du travail, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
Le contrat de travail stipule en son article intitulé 'rémunération et horaires', une durée hebdomadaire de travail de 37 heures
La salariée verse aux débats le relevé journalier de ses heures de travail jusqu'en janvier 2013 dont il résulte que sa durée de travail effectif dépassait pour certaines semaines, la durée contractuelle de 37 heures, et se réfère à des attestations de collègues évoquant des pauses déjeuners raccourcies (Mme C. Pièce N° 80) ou une grande implication dans le travail (M. B. Pièce N° 73).
Les relevés horaires versés aux débats, sont suffisamment précis pour mettre l'employeur en mesure de justifier d'horaires de travail effectif distincts de ceux invoqués, le fait que les horaires de travail soient exprimés en décimales ne compromettant pas cette possibilité.
Pour ce faire, la société Gautier+Conquet fait référence à l'utilisation d'un logiciel de temps à partir duquel étaient calculées les éventuelles heures supplémentaires, dont Mme [P] ne nie pas l'existence, mais dont elle soutient qu'il était rempli par des tiers ignorant le détail de ses horaires de travail effectif.
Si cette affirmation ne peut être retenue s'agissant de la période de janvier à avril 2012, le courriel du 30 avril 2012 versé à l'appui de ces affirmations (pièce N° 86) démontrant au contraire que, la salariée a été appelée à compléter les rubriques du logiciel de temps et à vérifier les mentions portées, la cour ne peut néanmoins considérer que l'employeur justifie des horaires de travail effectif de Mme [P] alors que les relevés du logiciel de temps ne sont pas produits aux débats.
Alors que la somme réclamée en cause d'appel est strictement identique à celle objet de la mise en demeure par lettre recommandée du 30 janvier 2014, dont la salariée affirme qu'elle concernait une période courant de 2009 à 2011, dont une partie est donc couverte par la prescription, les éléments versés aux débats mettent la cour en mesure de fixer à la somme de 8 065 euros le montant alloué au titre du rappel de salaire pour heures supplémentaires et 806,50 euros au titre des congés payés afférents.
B- sur le harcèlement moral
Le harcèlement moral s'entend aux termes de l'article L 1152-1 du Code du Travail, d'agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Par ailleurs, aux termes de l'article 1154-1 du Code du Travail, dans sa rédaction applicable à l'espèce, lorsque survient un litige au cours duquel le salarié évoque une situation de harcèlement moral, celui-ci doit établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, l'employeur devant prouver que ces agissements n'en sont pas constitutifs et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
A l'appui de sa demande, Mme [P] fait état :
- d'une surcharge très importante de travail à partir du moment où son employeur lui a confié d'autres chantiers que celui afférent au suivi du chantier du tramway dit T2, en particulier s'agissant de chantiers sis au [Localité 5], à [Localité 7], et à [Localité 9],
- d'un allongement de son temps de trajet lié à l'obligation qui lui a été faite de s'installer sur le chantier 'T2" dans des cabanes sises à [Localité 3] jusqu'en 2010 puis à [Localité 4], alors que l'agence à laquelle elle était rattachée était à [Localité 8] et n'ouvrait qu'à 9 heures.
- de l'inadaptation de ces cabanes de chantier,
- d'une sous évaluation systématique de sa charge de travail et d'un dénigrement de son travail,
- d'accidents du travail liés à sa surcharge de travail,
- d'une dégradation concomitante de son état de santé,
- de l'obligation de travailler pendant ses arrêts de travail,
- du refus de payer ses heures supplémentaires,
- d'une inégalité de traitement tenant au non paiement d'une prime de chantier,
- d'une tentative d'exclusion de la société par la proposition d'une rupture conventionnelle,
- de reproches injustifiés s'agissant de la non défense de l'entreprise,
- d'un retard de versement des compléments de salaire pour avril et mai 2014.
L'installation non temporaire de la salariée dans des cabanes de chantier 'in situ' n'est pas contestée par l'employeur qui reconnaît que cela était nécessité par la nature même des fonctions de Mme [P] à laquelle une connexion-réseau était mise à disposition et par la multiplicité des chantiers qui lui étaient confiés.
L'inadaptation de ces installations doit également être considérée comme établie dès lors qu'est versé aux débats le courriel de M. C., responsable du chantier 'T2" évoquant une absence d'alimentation en eau potable que les déclarations de M. B., responsable d'équipe du même chantier viennent conforter puisque ce dernier évoque un environnement problématique relativement aux poussières, au bruit et aux risques d'agression. .(pièce N° 77 de l'appelante),
L'allongement du temps de trajet entre le domicile de la salariée et le chantier 'T2" résulte de la localisation de ce dernier.
De même le fait que la salariée ait été en même temps à la tête de quatre projets différents éloignés géographiquement est repris par l'employeur (P. 14 des conclusions) et résulte du détail d'heures versé en pièce N° 21 par ce dernier.
Le refus injustifié de paiement d'heures supplémentaires réclamées par lettre recommandée de 2014 résulte de ce qui précède.
La réalité des deux accidents du travail n'est pas remise en cause, et la dégradation de l'état de santé physique et psychologique est établie par les nombreux certificats médicaux et notamment celui du 16 décembre 2014 dont il résulte que Mme [P] souffrait depuis novembre 2013 d'un syndrome anxio-dépressif ayant nécessité des arrêts de travail, la souffrance psychique de la salariée ayant été amplement relevée par des praticiens spécialisés en pathologie professionnelle en février 2015 (pièces N° 61 et 94 de la salariée).
La concomitance entre les arrêts de travail pour syndrome anxio-dépressif et les faits ci-dessus établis apparait à l'analyse chronologique des événements
La réalité de l'envoi d'un courriel de nature professionnelle pendant un de ses arrêts de travail résulte de la production de l'échange en cause, peu important sur l'établissement de ce fait que ce soit Mme [P] qui en ait été à l'initiative.
De même, le fait qu'à l'occasion d'une évaluation réalisée le 31 octobre 2013, ait été stigmatisé le 'peu de valeur ajoutée [ de la salariée] sur les chantiers' peut être retenu à la lecture de la fiche établie et communiquée en pièce N° 68 de la salariée, l'évocation sur cette fiche d'une éventuelle rupture conventionnelle démontrant la réalité de l'éventualité à ce stade d'un départ envisagé, le désaccord de l'intéressée sur les appréciations portées étant également établi par ce document.
Quant au retard de versement des compléments de salaire, ils résultent du courrier versé en pièce N° 42 de la salariée, aux termes duquel l'employeur déclare lui régler un arriéré de cinq mois à ce titre.
Sont donc établis parmi les nombreux faits invoqués par Mme [P], des éléments qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, dès lors qu'une dégradation concomitante de l'état de santé résulte des documents médicaux ci-dessus rappelés.
Or, la société Gautier+Conquet n'apporte pas la preuve que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement moral et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En effet, si le contrat de travail de la salariée spécifie que ses fonctions exercées en principe [Adresse 2], peuvent la conduire à 'effectuer des déplacements temporaires', il n'est pas justifié que cette clause permette à l'employeur d'installer sa salariée autrement que temporairement, sur les lieux des chantiers eux mêmes, comme le courriel du 18 mars 2013 versé en pièce N° 89 de la salariée) démontre qu'elle l'a fait, qui plus est dans des cabanes de chantier dont rien ne permet de constater la suffisance des équipements, généraux d'une part (manque d'eau, gel de l'eau dans les tuyaux) mais également informatiques, la défaillance de ces derniers étant révélée par les nombreux courriels de Mme [P] signalant ses difficultés d'impression de documents (pièce N°109, 110 de l'appelante).
Sur ce point, la société Gautier+Conquet ne met pas la cour en mesure de considérer que le travail effectué par Mme [P] ne pouvait se faire majoritairement au sein de l'agence, au sein de laquelle n'est pas au demeurant établi que lui était réservé un bureau, le plan figurant en pièce 22 de l'employeur étant insuffisant sur ce point.
La surcharge de travail liée à la multiplication des chantiers confiés ne peut être écartée à la seule lecture des affirmations d'un des supérieurs hiérarchiques fixant 'à 20% au plus' le temps à affecter au chantier dit 'T2" à compter de mars 2011 ou à raison d'affirmations non autrement étayées selon lesquelles elle ne fournissait aucune production sur le chantier du [Localité 5] ou que les chantiers n'étaient pas au même stade de réalisation.
De même, l'appréciation faite en 2013 sur le 'peu de valeur ajoutée' de la salariée n'est pas autrement circonstanciée, alors que la formulation du grief est particulièrement claire, et il doit être relevé que l'employeur ne justifie d'aucune réponse, même négative, apportée à sa réclamation par lettre recommandée relative aux heures supplémentaires.
Enfin, le fait que le retard de paiement des compléments de salaire en avril et mai 2014 soit imputable à un retard de transmission de document n'est encore que le résultat d'une affirmation contenue dans le courrier de régularisation de l'employeur.
La dégradation des conditions de travail et parallèlement de l'état de santé de la salariée résulte des éléments médicaux ci-dessus rappelés.
Au regard de la durée des faits subis, (plus de quatre ans) et de leurs conséquences telles qu'elles résultent des précédents développements, le préjudice de Mme [P] doit être indemnisé à hauteur de 8 000 euros.
II- sur la rupture du contrat de travail
A- sur la résiliation du contrat de travail
Par application combinées des articles 1217, 1224, 1227 et 1228 du Code civil, tout salarié reprochant à son employeur des manquements graves à l'exécution de son obligation de nature à empêcher la poursuite du contrat peut obtenir le prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur.
Si les manquements invoqués par le salarié à l'appui de sa demande sont établis et d'une gravité suffisante, la résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement nul si les conditions en sont réunies.
Dans l'hypothèse où le salarié a été licencié, le juge doit préalablement rechercher si la demande de résiliation était justifiée et s'il l'estime non fondée il doit alors statuer sur le licenciement.
De ce qui précède il résulte que l'employeur a manqué gravement à ses obligations.
Ces manquements et leurs conséquences ont perduré plus de trois ans ainsi que le révèle l'analyse de l'avis d'inaptitude rendu par l'inspection du travail le 26 janvier 2015 aux termes duquel, 'à la date de la visite [ c'est à dire le 30 septembre 2015 ] Mme [P] est inapte à son poste de chef de projet paysagiste. Son état de santé actuel ne permet pas de proposer de reclassement dans l'entreprise', étant en arrêt de travail de presque un an initié en octobre 2013 pour syndrome anxio dépressif en lien avec la situation de harcèlement vécue depuis 2011.
Dès lors quand bien même certains faits retenus ont-il commencé plus de trois ans avant la saisine du conseil des prud'hommes en résiliation du contrat de travail, il ne peut être considéré que l'ancienneté de ces faits puisse atténuer leur gravité ainsi que leur lien avec la dégradation de l'état de santé, et exclure de ce fait le prononcé de la résiliation judiciaire.
Le jugement entrepris est donc infirmé de ce chef et la résiliation du contrat de travail de Mme [P] prononcée aux torts de l'employeur.
B- sur les conséquences de la résiliation
En application de l'article L. 1152-3 du Code du Travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, tout acte contraire est nul.
En conséquence, toute rupture du contrat ayant pour origine le harcèlement moral dont le salarié a été victime est nulle.
Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.
En application de l'article 1184 devenu 1225 du code civil, en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce, dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date et que le salarié était resté à la disposition de son employeur.
De ce qui précède il résulte que la résiliation du contrat de travail est prononcée à raison des faits de harcèlement donc Mme [P] a été reconnue victime.
La rupture a donc les effets d'un licenciement nul, et ce, à compter du 26 mars 2015 date à laquelle le licenciement pour inaptitude a été prononcé.
Madame [P] avait plus de sept ans d'ancienneté et était âgée de 50 ans à la date de la rupture de son contrat de travail.
Elle a été prise en charge au titre de l'Aide au Retour à l'Emploi jusqu'en janvier 2017 inclus puis a reçu l'aide spécifique de Solidarité (ASS).
L'ensemble de ces éléments justifie l'octroi d'une somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts.
III- sur le travail dissimulé
Des articles L 8221-3, 8221-5 et 8223-1 du Code du Travail, il résulte qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en mentionnant intentionnellement sur un bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
De ce qui précède, il résulte que l'employeur n'a pas porté sur les bulletins de salaire le nombre exact d'heures travaillées par Mme [P].
Cependant, le caractère intentionnel de la dissimulation ne résulte pas de la seule mention sur les bulletins de salaire d'un nombre insuffisant d'heures de travail effectif et ne peut donc être considéré comme établi en l'espèce.
IV- sur les autres demandes
Les intérêts échus sur les sommes allouées, dûs au moins pour une année entière, produiront intérêt, en application de l'article 1343-2 nouveau du code civil ,
L'examen éventuel du registre d'entrée et de sortie du personnel n'ayant vocation à intervenir que dans le cadre de l'analyse du bien fondé du licenciement, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande relative au refus de communication de la pièce, laquelle en toute hypothèse ne constitue pas une exception de procédure devant être examinée avant toute défense au fond.
En raison des circonstances de l'espèce, il apparaît équitable d'allouer à Mme [P] une indemnité en réparation de tout ou partie de ses frais irrépétibles dont le montant sera fixé au dispositif.
DÉCISION
Par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement en ce qu'il a rejeté la demande formée au titre du travail dissimulé,
INFIRME pour le surplus,
et statuant à nouveau,
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail unissant Mme [P] à la société Gautier+Conquet, et ce, à effet du 26 mars 2015 et aux torts de la société Gautier+Conquet,
CONDAMNE la société Gautier+Conquet à verser à Mme [G] [P] les sommes de :
-8 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié au harcèlement moral,
- 40 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice tenant à la résiliation du contrat de travail,
- 8 065 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires effectuées postérieurement au 30 janvier 2010,
- 806,50 euros au titre des congés payés afférents,
- 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en cause d'appel,
DIT que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
DIT que les intérêts échus sur les sommes allouées , dus au moins pour une année entière, produiront intérêt, en application de l'article 1343-2 nouveau du code civil ;
DEBOUTE les parties de leurs autres demandes.
CONDAMNE la société Gautier+Conquet aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE