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21/10/2020 | FRANCE | N°17/00637H

France | France, Cour d'appel de Paris, C6, 21 octobre 2020, 17/00637H


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 6

ORDONNANCE DU 21 OCTOBRE 2020
Contestations d'Honoraires d'Avocat
(No /2020, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 17/00637 - No Portalis 35L7-V-B7B-B4FK2

NOUS, Agnès TAPIN, Présidente de chambre à la Cour d'Appel de PARIS, agissant par délégation de Monsieur le Premier Président de cette Cour, assistée de Karolyn MOUSTIN, Greffière lors des débats et de Vanessa ALCINDOR, Greffiè

re lors de la mise à disposition de l'ordonnance.

Vu le recours formé par :

Monsieur P... N... ayant p...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 6

ORDONNANCE DU 21 OCTOBRE 2020
Contestations d'Honoraires d'Avocat
(No /2020, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 17/00637 - No Portalis 35L7-V-B7B-B4FK2

NOUS, Agnès TAPIN, Présidente de chambre à la Cour d'Appel de PARIS, agissant par délégation de Monsieur le Premier Président de cette Cour, assistée de Karolyn MOUSTIN, Greffière lors des débats et de Vanessa ALCINDOR, Greffière lors de la mise à disposition de l'ordonnance.

Vu le recours formé par :

Monsieur P... N... ayant pour curatrice Mme Y... Q...
[...]
[...]
Représenté par Me Denis RATTAIRE substitué par Me Aurélie JACOBERGER, avocat au barreau de NANCY

Demandeur au recours,

contre une décision du Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS dans un litige l'opposant à :

Maître K... B...
[...]
[...]
Non comparante, non représentée,

Défenderesse au recours,

Par décision réputée contradictoire, statuant publiquement, et après avoir entendu Maître Aurélie JACOBERGER présente à notre audience du 15 Juin 2020 et pris connaissance des pièces déposées au Greffe,

L'affaire a été mise en délibéré au 21 Septembre 2020 puis prorogée au 21 octobre 2020 :

Vu les articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991 ;

Monsieur P... X... N..., majeur placé sous curatelle renforcée par le juge des tutelles du tribunal d'instance de Paris 10 ème depuis un jugement en date du 15 novembre 2011 renouvelée par jugement du 15 novembre 2016, a acquis en décembre 2015 un studio donné en location en 2010 par le précédent propriétaire, et situé [...] .
En mars 2016, il a consulté Maître K... B... pour qu'elle l'aide juridiquement à reprendre cet appartement pour sa propre habitation.
Aucune convention d'honoraires n'a été signée par les parties.
Entre fin mars 2016 et novembre 2016, 12 factures ont été émises d'un montant total de 21.160 € TTC.

C'est dans ces conditions que Madame Y... Q..., es qualité de curatrice de Monsieur N..., a saisi par lettre RAR du 19 janvier 2017 le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris d'une contestation des honoraires payés à Maître B....

Par décision réputée contradictoire en date du 30 août 2017, la déléguée du bâtonnier a :
- reçu Monsieur N... représenté par Madame Q... es qualité de curatrice en sa contestation,
- l'a déclaré partiellement fondé,
- fixé à la somme de 6.800 € le montant des honoraires dus à Maître B... par Monsieur N...,
- en conséquence, dit que Maître B... devra restituer à Monsieur N... la somme de 11.360 €,
- débouté les parties de toutes autres demandes,
- dit que les frais de signification de la décision s'il y a lieu seront à la charge de Maître B....

Cette décision a été notifiée par lettres RAR du 30 août 2017 aux trois parties. Monsieur N... et Maître B... ont signé leur AR le 1er septembre suivant et Madame Q... le 2 septembre.

Le 29 septembre 2017, Maître B... a exercé un recours contre la décision au greffe de la chambre 2-6 de la cour d'appel.
Il a été enregistré sous le no 17/00638 du répertoire général, dit RG.

Par lettre RAR du 3 octobre 2017, le cachet de la Poste faisant foi, Monsieur N... et sa curatrice Madame Q... ont exercé un recours contre la décision.
Il a été enregistré sous le no 17/00637 du RG.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 12 février 2020 par lettres RAR du 20 décembre 2019. A celle-ci les deux dossiers ont été joints sous le seul numéro 17/00637 du RG, et renvoyés pour motifs « grève des avocats » à l'audience du 15 juin 2020, étant précisé par le magistrat que le dossier ne fera l'objet d'aucun autre renvoi.

A l'audience du 15 juin 2020, Maître B... était ni présente ni représentée, mais a écrit par courrier daté du 24 mai 2020, reçu le 29 mai 2020, qu'étant malade depuis le 30 avril 2020, elle ne peut pas se déplacer, qu'elle demande le renvoi de l'affaire, et nous « transmet ses écritures et ses pièces au cas où si jamais je ne peux pas me présenter même si je préfèrerai vous expliquer cette affaire injuste de vive voix lors d'un renvoi. »

Dans ses écritures, que l'avocate de Monsieur N... et de Madame Q... reconnaît avoir reçues, Maître B... demande de :
« A titre principal,
- dire qu'elle a fait de son mieux afin de satisfaire la volonté de son client en l'absence de jugement de curatelle applicable instituant Madame Q... au moment de son intervention,
- dire que Madame Q... ne rapporte pas la preuve d'avoir réglé les factures d'honoraires qui toutes ont été réglées par Madame W... R..., mère de Monsieur N..., exceptée la première facture de 600 €,
- dire qu'aucune preuve de mesure de protection à l'égard de Madame R... n'est rapportée, pas plus qu'un mandat de représentation à son égard,
En conséquence,
- débouté Monsieur N..., Madame Q... de l'ensemble de leurs demandes,
- dire que Madame Q... a porté atteinte de façon abusive et ingrate à l'honneur et à la réputation de Maître B... et l'y condamner,
- dire que Madame Q... a commis un abus de droit et l'y condamner,
- condamner Madame Q... représentant Monsieur N... à la somme de 1.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Madame Q... représentant Monsieur N... aux entiers dépens,
- prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
A titre subsidiaire,
- confirmer la décision du bâtonnier. »

Monsieur N..., assisté de sa curatrice Madame Q..., a demandé oralement et dans ses dernières écritures, adressées à Madame Q..., de :
- infirmer la décision du bâtonnier,
- dire que Maître B... n'a accompli aucune diligence justifiant une facturation,
En conséquence,
- dire que Maître B... devra restituer à Monsieur N... la somme de 18.160 €,
- condamner Maître B... à lui payer la somme de 2.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

SUR CE

Maître B... justifiant par un relevé de l'assurance maladie avoir consulté en urgence un médecin le 30 avril 2020 en plein confinement, ordonné en raison de la pandémie provoquée par le virus Covid 19, il convient de faire droit à sa demande susbsidiaire d'être dispensée d'assister à l'audience du 15 juin 2020, le présent dossier ayant déjà été renvoyé une fois en début d'année 2020.

Le recours de Maître B... qui a été effectué dans le délai d'un mois prévu par l'article 176 du décret no 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié, est recevable.

Sur les honoraires

Maître B... fait valoir à l'appui de ses demandes :
- qu'elle a rencontré Monsieur N... le 7 octobre 2015 en consultation gratuite, que le 25 mai 2016, il l'a contactée via le site internet de son cabinet pour lui demander d'intervenir pour récupérer l'appartement dont il est propriétaire afin d'y habiter ;
- qu'elle lui a répondu par mail du 29 mars 2016 et lui a demandé de lui adresser un certain nombre de pièces, lui indiquant que son taux horaire était de 200 € TTC, et que Monsieur N... et sa curatrice Madame Q... ont clairement accepté ce taux horaire par retour de mail ;
- qu'elle n'a obtenu communication du jugement de curatelle de Monsieur N... que le 28 novembre 2016 ;
- qu'elle a « fait de son mieux pour aider Monsieur N... avec les éléments qu'elle avait et en respect de la volonté de ce dernier » ; qu'elle a toujours demandé, avant d'engager une procédure, l'aval et l'accord préalable de la curatrice Madame Q... qui y a toujours consenti sans jamais se manifester contre, sauf la veille de l'audience une fois que l'avocate avait réalisé tout le travail et que le dossier était prêt à être plaidé ;
- que la présente contestation d'honoraires ne vient pas de Monsieur N... qui a toujours été pleinement satisfait du travail de son avocate et de sa facturation, mais de Madame Q... qui, alors qu'elle n'a payé qu'une somme de 600 € correspondant à la première note d'honoraires, demande le remboursement des 11 factures suivantes, toutes payées par la mère de Monsieur N..., Madame W... R..., en accord avec Monsieur N... et Madame Q... ;
- que tous les actes et les diligences sont détaillés et précisés dans chaque note d'honoraires, et avec le taux horaire convenu, raisonnable et non excessif.

Maître B... conclut à :
- l'irrecevabilité de l'action intentée par Madame Q..., représentante de Monsieur N..., aux motifs que Madame Q... n'a payé qu'une seule note d'honoraires, qu'elle ne rapporte pas la preuve que Madame W... R..., la mère de Monsieur N..., serait placée sous un régime de protection, et que donc ni Monsieur N... ni Madame Q... ne sont fondés à demander le remboursement de sommes qu'ils n'ont pas payées;
- et la pleine capacité de Monsieur N... d'exprimer sa volonté, Maître B... expliquant qu'elle « a l'habitude d'être au côté des plus fragiles depuis plus de 15 ans, et que Monsieur N... ne lui est pas apparu comme une personne fragile puisqu'il avait toutes les ressources nécessaires pour régler les frais d'avocat
»

Monsieur N..., assisté de sa curatrice Madame Q..., répond :
- que sur le fond, les conseils de Maître B... se sont révelés inappropriés et la procédure hasardeuse puisqu'elle a conseillé de procéder par assignation aux fins d'expulsion avant le terme du bail ;
- que sur la forme, Maître B... a abusé de la situation de faiblesse de Monsieur N..., une plainte ayant été d'ailleurs déposée à ce titre auprès du bâtonnier ;
- que Maître B... a profité de la faiblesse de Monsieur N... pour lui demander de payer des honoraires totalement disproportionnés au regard de la procédure et de ses prestations, sur une période de 8 mois, soit la somme totale de 21.160 €, la première facture ayant été payée par Madame Q..., et toutes les autres, c'est à dire 11, par la mère de Monsieur N..., également majeure protégée ;
- que quand Madame Q... a découvert « l'étendue des dégats », elle a immédiatement déchargé Maître B... du dossier et a fait réaliser une consultation par un autre avocat qui a obtenu la radiation du dossier ouvert par Maître B..., puis a fait réassigner le locataire à l'issue du bail.

Monsieur N..., assisté de Madame Q..., reproche à Maître B... de :
- avoir contourné sa mesure de protection alors qu'elle avait parfaitement connaissance du fait qu'il était sous curatelle renforcée puisqu'elle produit elle même le jugement de curatelle, et qu'elle n'a pourtant pas hésité à encaisser les chèques que lui remettait sa mère tout en ayant connaissance que celle-ci était également placée sous curatelle ;
- ne pas avoir proposé de convention d'honoraires ce qui ne lui a pas permis d'estimer le coût de la procédure, alors que la loi du 6 août 2015 oblige à signer une telle convention;
- ne pas avoir transmis à Madame Q... ses notes d'honoraires, ni ne l'avoir informée de celles-ci à l'exception de la première ;
- réclamer un taux horaire excessif au regard des différents critères : - Maître B... ne justifie d'aucune spécialité particulière, a une expérience relative de 10 années de barreau, - l'affaire ne présentait aucune difficulté particulière, - et Monsieur N... était peu fortuné puisque ses seuls revenus sont ceux que lui procure l'allocation d'adulte handicapé ;
- des diligences largement surévaluées avec un temps passé excessif au regard du travail effectivement réalisé, Monsieur N... assisté de Madame Q... critiquant longuement chacune des 12 factures l'une après l'autre sur 8 pages de ses écritures, ainsi que les 12 h retenues par la déléguée du bâtonnier du temps passé pour les RDV, les entretiens téléphoniques et la rédaction et le traitement des courriers.

Monsieur N..., assisté de Madame Q..., demande finalement de fixer les honoraires de Maître B... à une somme raisonnable au regard des diligences réellement effectuées et de la situation de Monsieur N..., étant précisé que celui-ci a dépensé l'intégralité de ses économies pour payer l'avocate de sorte qu'aujourd'hui, il n'a plus aucune épargne.

***

Avant d'examiner le fond du litige, il convient de rappeler que les griefs de Monsieur N... et de sa curatrice Madame Q... sur le suivi de son affaire par Maître B... qui renvoient à la responsabilité de l'avocat dans l'accomplissement de sa mission ne relèvent pas de l'appréciation du bâtonnier, ni du Premier président statuant dans le cadre des articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991, mais de la compétence exclusive du juge de droit commun. En effet, la procédure de contestation des honoraires d'un avocat prévue par ces articles présente un caractère spécifique et n'a vocation qu'à fixer les honoraires éventuellement dus par un client à son avocat en exécution de la mission qu'il lui a confiée à l'exclusion de tout autre contentieux.

1 – Sur le mandat confié à Maître B...

1 - Monsieur N... a été placé sous curatelle renforcée par le juge des tutelles du tribunal d'instance de Paris 10ème par jugement en date du 15 novembre 2011 pour une durée de 60 mois, uniquement pour l'assister et le contrôler dans la gestion de ses biens, « l'exercice de la protection de sa personne relevant de son libre arbitre ... »
La mesure de protection a été renouvelée par jugement du 15 novembre 2016 pour une durée de 60 mois (cf pièce 28 de Maitre B...), et a autorisé Monsieur N... à utiliser seul une carte bancaire de retrait sur un compte bancaire ouvert à son nom, sans possibilité de découvert, et qui sera alimenté par sa curatrice.
Par ordonnance du 17 septembre 2012, l'UDAF désignée comme curateur de Monsieur N... par jugement du 15 novembre 2011, a été déchargée de ses fonctions, et Madame Q... a été désignée en remplacement, et maintenue dans ses fonctions par le jugement du 15 novembre 2016.

2 - Suivant l'article 1984 du code civil, « Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom.
Le contrat ne se forme que par l'acceptation du mandataire. »

Certes il n'existe aucune convention d'honoraires signée par les parties, mais il résulte sans équivoque du mail du 25 mars 2016 envoyé par Monsieur N... à Maître B... qu'il a confié, lui même, une mission, dénommée mandat, à cette dernière de l'assister pour « récupérer son appartement ».
Il y écrit « faire appel à ses services juridiques », et plus précisément lui demande « s'il est possible de faire expulser légalement le locataire pour vice de forme sur le contrat de location de trois ans signé en octobre 2010 et reconduit une fois » parce que le vrai nom du locataire n'est pas écrit sur le contrat de bail.
Il ajoute dans ce mail qu'il est « prêt à la payer malgré qu'il soit sous curatelle renforcée, avec l'accord de sa curatrice et tante Q... Y... » et qu'il est titulaire de l'allocation d'adulte handicapé. Il demande à l'avocat de « lui expliquer ses tarifs et ses garanties ».

Maître B... a répondu à Monsieur N... par mail du 29 mars 2016 en lui demandant de lui envoyer « les documents nécessaires : bail, titre de séjour du locataire, jugemnt de curatelle, courriers échangés ... » pour pouvoir faire sa consultation juridique, puis l'a informé que concernant ses honoraires, son taux horaire est de 200 € TTC et qu'elle s'adapatera à sa situation particulière.

L'avocate lui a proposé par retour de mail du même jour de reprendre la procédure dès le départ, c'est à dire d'adresser une mise en demeure au locataire d'avoir à quitter les lieux pour reprise personnelle du logement et que si cela ne fonctionne pas, il faudra envisager la voie de l'assignation en justice avec sommation de communiquer l'intégralité du bail pour une reprise personnelle du logement.

Ainsi, contrairement à ce que soutient l'avocate, Monsieur N... était placé sous curatelle renforcée au moment où elle a accepté son mandat et était au courant de cette mesure de protection. Elle l'a d'ailleurs écrit dans son projet d'assignation portant mention de la curatrice de Monsieur N... (cf pièce 19 de celui-ci).

3 - Selon l'alinéa 3 de l'article 468 du code civil, applicable en l'espèce, la personne en curatelle ne peut, sans l'assistance du curateur introduire une action en justice ou y défendre.

Le concours du curateur est obligatoire tout au long de la procédure.

Il ressort des mails échangés entre les parties :
- d'une part que Monsieur N... a informé immédiatement Maître B... qu'il était placé sous curatelle renforcée avec comme curatrice sa tante, Madame Q..., et il lui a adressé les jugements le concernant (cf notamment pièce 28) ;
- et d'autre part, que Maître B... qui reconnaît encore dans ses écritures avoir eu connaissance de la mesure de protection de Monsieur N..., l'a indiquée dans son projet d'assignation, a correspondu avec la curatrice Madame Q... (cf pièce 6 de Maître B...) qui a payé elle-même la première facture de l'avocate du 29 mars 2016, et qui a elle-même mis fin au mandat de Maître B... (cf pièce 27 de Monsieur N...).

4 - En effet, par lettre du 22 novembre 2016, que Maitre B... ne conteste pas avoir reçue, (cf pièce 27 bis de Maitre B...) Madame Q... lui a demandé de « restituer à Monsieur N... les sommes perçues et toutes les pièces du dossier
sous quarante huit heures sans restitution des sommes et documents dans ce délai » elle dit qu'elle saisira « la justice et le bâtonnier de Paris de cet abus manifeste de faiblesse ». Madame Q... a en effet écrit que « depuis mars jusqu'à ce jour », ils ont « réglé pour l'affaire N.../L... la somme de 18.460 €, somme sans rapport avec l'affaire en cours et surtout avec le travail effectué puisque nous découvrons qu'en réalité vous n'avez même pas placé l'assignation au tribunal et que la procédure n'a pas débuté ». Elle a ajouté « Monsieur N... et sa mère Madame R... sont tous les deux des personnes fragiles sous curatelle ce dont vous avez manifestement profité alors que je vous en ai avertie ».

Ce courrier RAR du 22 novembre 2016 (cf pièce 27 bis de Maître B...) auquel Maître B... a répondu par mail le 28 novembre suivant, constitue clairement son dessaisissement du dossier de Monsieur N..., si bien que le mandat de l'avocate a duré 8 mois (depuis le mail de ce dernier du 25 mars 2016) qui comprennent notamment le mois d'août au cours duquel l'avocate avait fermé son cabinet comme elle l'avait annoncé à Monsieur N... en juillet 2016.
Madame Q... a confirmé par mail du 29 novembre 2016 à Maître B... qu'elle l'avait dessaisie du dossier de Monsieur N... (cf pièce 29 de Maître B...).

5 - Enfin, contrairement à ce que prétend Maître B..., dès lors qu'il est établi en l'espèce que le mandat confié à l'avocate a bien été donné par Monsieur N..., régulièrement représenté par sa curatrice Madame Q..., au courant de cette mission, et y ayant acquiescé, et que les 11 notes d'honoraires (examinées ci-dessous) ont toutes été dressées au seul nom de Monsieur N..., il est indifférent que ces honoraires ont été payés par la mère de Monsieur N... et/ ou sa curatrice. Les paiements ont été faits en exécution de ce mandat. Il appartiendra à Monsieur N..., à sa mère et à Madame Q... de régler entre eux la répartition des éventuelles condamnations prononcées au profit du premier en exécution du dit mandat.

2 – Sur les honoraires

1 - En l'absence de convention d'honoraires signée par les parties, et dès lors que le début du mandat confié par Monsieur N... à Maître B... date du 25 mars 2016, il convient de faire application de l'article 10 de la loi no 71-1130 du 31 décembre 1971 modifié par l'article 51 V de la loi no 2015-990 du 6 août 2015 qui dit que :
« Les honoraires de postulation, de consultation, d'assistance, de conseil, de rédaction d'actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client ...
Sauf en cas d'urgence ou de force majeure ou lorsqu'il intervient au titre de l'aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, l'avocat conclut par écrit avec son client une convention d'honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés.
Les honoraires tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci ... »

Il est acquis qu'en l'absence de signature et/ou de conclusion d'une convention d'honoraires, ces derniers doivent être examinés et fixés en tenant compte « selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci. »

Tel est le cas en l'espèce puisque malgré l'article 10 précité aucune convention d'honoraires n'a été signée.

2 - Ce ne sont finalement que 11 factures sur 12, émises entre le 29 mars 2016 et le 14 novembre 2016 dont Maître B... réclame le paiement, la dernière facture no F2016-0036 du 14 novembre 2016 et d'un montant de 2.700 € TTC (avec 0,0 % de TVA) n'étant pas comprise dans sa demande puisqu'elle est mentionnée annulée.

Les 11 factures dont le paiement est réclamé, et établis au seul nom de Monsieur N..., sont les suivantes :

- Facture noF2016-0017 du 29 mars 2016 d'un montant de 600 € HT, avec 0,0 % de TVA, soit 600 € TTC, et portant la description suivante des diligences : « mise en demeure AR de quitter les lieux pour reprise personnelle » ;

- Facture noF2016-0019 du 12 avril 2016 d'un montant de 600 € HT, avec 0,0 % de TVA, soit 600 € TTC, et portant la description suivante des diligences : « sommation de communiquer le bail d'habitation » ;

- Facture noF2016-0020 du 25 avril 2016 d'un montant de 600 € HT, avec 0,0 % de TVA, soit 600 € TTC, et portant la description suivante des diligences : « - démarches huissier de justice - sommation de communiquer : 400 € HT ; - consultation juridique : 200 € HT »;

- Facture noF2016-0021 du 29 avril 2016 d'un montant de 600 € HT, avec 0,0 % de TVA, soit 600 € TTC, et portant la description suivante des diligences : « sommation de communiquer notaire » ;

- Facture noF2016-0022 du 6 mai 2016 d'un montant de 800 € HT, avec 0,0 % de TVA, soit 800 € TTC, et portant la description suivante des diligences : « consultations juridiques »;

- Facture noF2016-0023 du 12 mai 2016 d'un montant de 2.000 € HT, avec 0,0 % de TVA, soit 2.000 € TTC, et portant la description suivante des diligences : « assignation en résolution de bail » ;

- Facture noF2016-0025 du 9 juin 2016 d'un montant de 2.200 € HT, avec 0,0 % de TVA, soit 2.200 € TTC, et portant la description suivante des diligences : « - frais de délivrance et d'enrôlement de l'assignation en justice : 600 € HT, - frais de communication de pièces : 600 € HT, - constitution du dossier de plaidoirie : 1.000 € HT » ;

- Facture noF2016-0026 du 21 juin 2016 d'un montant de 2. 300 € HT, soit 2.460 € TTC, et portant la description suivante des diligences : « - démarches palais de justice – date d'audience : 900 € HT, - correspondances huissier et juridiction compétente : 600 € HT, - préparation et transmission du dossier et des pièces afférentes : 800 € HT avec TVA à 20% » ;

- Facture noF2016-0027 du 10 juillet 2016 d'un montant de 3.200 € HT, avec 0,0 % de TVA, soit 3.200 € TTC, et portant la description suivante des diligences : « - audience devant le TI de Paris 10ème : 2.600 € HT, - démarches palais : 600 € HT » ;

- Facture noF2016-0029 du 6 septembre 2016 d'un montant de 2.700 € HT, avec 0,0 % de TVA, soit 2.700 € TTC, et portant la description suivante des diligences : « - courrier déontologique partie adverse : 600 € HT, - frais de justice démarches palais de justice et frais d'huissier : 600 € HT, - dossier de plaidoirie : 1.500 € HT » ;

- Facture noF2016-0032 du 30 septembre 2016 d'un montant de 2.700 € HT, avec 0,0 % de TVA, soit 2.700 € TTC, et portant la description suivante des diligences : « Etude dossiers, pièces complémentaires : 900 € HT, bordereau de communication de pièces et pièces complémentaires : 850 € HT, - mise à jour du dossier de plaidoirie : 950 € HT ».

L'examen des pièces des dossiers des parties permet de statuer de la manière suivante au regard des critères énumérés par l'article 10 précité.

3 - Les frais justifiés par Maître B... sont :
- d'une part les frais d'huissier figurant dans la facture de celui-ci du 2 décembre 2016 qui concerne la délivrance d'une assignation et la copie de la mise au rôle, d'un montant total de 105,60 € TTC (cf pièce 26 de Monsieur N...) ;
- ainsi que des lettres RAR envoyées au locataire de Monsieur N..., Monsieur L..., le 12 avril 2016, et à l'agence immobilière Immo City, qui seront chiffrées forfaitairement toutes deux à 20 € (cf dossier de Maître B...).

Dans ces conditions le montant des frais exposés par Maître B... s'élève à 125,60€ TTC qui sera le seul retenu à l'exclusion de tout autre figurant dans les factures de Maître B... qui sont examinées ci-dessous.

4 - Les parties justifient que Maître B... a effectué les diligences écrites suivantes:
- la mise en demeure par lettre RAR adressée à Monsieur L..., le locataire de Monsieur N..., de quitter les lieux pour reprise personnelle par ce dernier, en date du 12 avril 2016 et de deux pages (cf pièce 5 de Maître B...) ;
- la sommation de communiquer l'intégralité du contrat de bail de Monsieur L..., adressée par lettre RAR, à l'agence immobilière Immo City en avril 2016 et d'une page (cf pièce 6 de Maître B...) ;
- un mail adressé en avril 2016 à l'huissier de justice pour le prévenir de l'envoi prochain d'une assignation ;
- une sommation de communiquer le contrat de bail de Monsieur L... du 1er octobre 2010, adressé en mai 2016 au notaire qui a réalisé l'achat du studio par Monsieur N... (cf pièce 9 de Maître B...) ;
- l'envoi par Monsieur N... à Maître B... d'une question sur l'incidence de l'absence ou non d'assurance d'habitation souscrite par le locataire dans la demande de résiliation du bail, et réponse de Maître B... par une consultation dans un mail du 5 mai 2016 de deux pages après qu'elle ait effectué des recherches juridiques (cf pièces 11 et 13 de Maître B...) ;
- le projet d'assignation devant le tribunal d'instance de résiliation du bail de quatre pages avec un bordereau de communication de 9 pièces (cf pièce 6 de Maître B...) ;
- la communication des 9 pièces à l'adversaire, et la constitution du dossier de plaidoiries;
- un mail envoyé au greffe du tribunal d'instance pour connaître les dates d'audience, et préparation du dossier transmis à l'huissier ;
- rédaction et envoi d'un courrier « déontologique » à Monsieur L... en date du 30 septembre 2016 pour l'informer de la procédure en cours, de huit lignes (cf pièce 17 de Monsieur N...) ;
- mise à jour du bordereau de communication de pièces, de l'assignation et du dossier de plaidoiries après l'ajout d'une 10 ème pièce (cf pièce 26 de Maître B...).

Toutes les diligences suivantes énumérées dans les factures sus décrites ne sont pas justifiées par Maître B... :
- facture noF2016-0020 : la sommation de communiquer ;
- facture noF2016-0025 : les frais de délivrance et d'enrôlement de l'assignation
qui n'ont été faites finalement que fin novembre 2016 ;
- facture noF2016-0027 : aucune justification d'une audience publique en juillet 2016, aucune preuve des démarches effectuées au tribunal ;
- facture noF2016-0029 : aucune justification des frais de justice, démarches palais de justice et frais d'huissier, ni de nouvelles diligences pour le dossier de plaidoiries déjà faites précédemment.

Eu égard à la difficulté relative de l'affaire confiée à Maître B... qui était d'engager une procédure judiciaire pour obtenir une décision de « congé pour habiter » d'un appartement par son propriétaire, il est justifié de retenir que le temps passé pour effectuer l'ensemble des diligences sus décrites est de 16 h 30.

A ces écrits, s'ajoutent tous les mails reçus par Maître B... et qu'elle a envoyés (cf les dossiers des parties).
Elle a en effet reçu, et donc lu, seize mails de Monsieur N... et un de sa curatrice qui l'interrogeait le 10 mai 2016 sur l'avancée du dossier de Monsieur N....
Elle a envoyé vingt sept mails à Monsieur N... et trois à Madame Q....
Il est justifié de retenir un total de 5 h pour la lecture des mails reçus par Maître B... ainsi que la rédaction et l'envoi de tous ses mails à son client et à sa curatrice.

Il n'est enfin pas sérieusement contesté que Maître B... a reçu des appels téléphoniques et en a passé elle-même, non seulement à Monsieur N... et/ou à Madame Q..., mais également à l'huissier de justice et au greffe du tribunal d'instance. Un temps passé de 3 h sera donc retenu pour tous ces appels.

C'est finalement un temps passé total de 24 h 30 qui est fixé pour le traitement du dossier de Monsieur N... par Maître B... entre le 25 mars 2016 et le 22 novembre 2016.

5 - La notoriété de Maître B... n'est justifiée par aucune pièce qu'elle produit.
Elle dit être inscrite au barreau depuis plus de 10 ans, et n'établit pas l'être dans une spécialité particulière.
Cependant, le taux horaire de 200 € TTC qu'elle a facturé à Monsieur N..., assisté de Madame Q..., qu'ils n'ont ni l'un ni l'autre contesté pendant les 8 mois de sa mission, apparaît raisonnable et non excessif pour une avocate inscrite au barreau de Paris depuis une dizaine d'année.
Il convient dans ces conditions de retenir ce taux horaire, contrairement à ce qu'a décidé le bâtonnier.

6 - La situation de fortune de Monsieur N... est modeste, même s'il est propriétaire d'un studio (objet du litige dont Maître B... a été missionnée) situé en rez de chaussée d'un immeuble.
Monsieur N... démontre percevoir chaque mois l'allocation d'adulte handicapé qui lui a été renouvelée par la MDPH75 le 22 septembre 2015 jusqu'au 30 mars 2018, et avoir suivi de mai à juillet 2016 une formation « passerelle Handi multimétiers – forma poste » dispensée par l'association « pour le développement de l'insertion professionnelle », et avoir effectué un stage à la Poste

7 - Au vu de l'ensemble de ces éléments, et selon les critères fixés par l'article 10 précité de la loi no 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée, il est justifié de fixer les honoraires et frais de Maître B... dus par Monsieur N..., représenté et assisté par sa curatrice Madame Q..., à la somme totale de de 5.025,60 € TTC, pour le mandat exécuté entre le 25 mars et le 22 novembre 2016 (4.900 € TTC d'honoraires (c'est à dire 24 h 30 x 200 € TTC) + 125,60 € de frais).

En conclusion, dès lors que Monsieur N..., représenté par Madame Q..., a payé (par l'intermédiaire de cette dernière et de sa mère), la somme totale de 18.160 € TTC, ce que reconnaît Maître B... qui a réclamé dans ses écritures la confirmation de la décision déférée ayant tenu compte de ce paiement total des notes d'honoraires, il convient de condamner l'avocate à restituer à Monsieur N..., représenté par Madame Q..., le trop perçu d'un montant de 13.134,40 € TTC (18.160 € – 5.025,60 € TTC).

La décision rendue par la déléguée du bâtonnier est donc infirmée.

Sur les autres demandes

Dès lors que Maître B... qui a demandé de « dire que Madame Q... a porté atteinte de façon abusive et ingrate à l'honneur et à la réputation de Maître B... et l'y condamner, et de dire que Madame Q... a commis un abus de droit et l'y condamner », n'a présenté aucune demande de dommages et intérêts ou de réparation quelconque dirigée contre Madame Q..., il n'y a pas lieu de statuer sur ces demandes indéterminées et donc irrecevables. Il convient d'ailleurs de rappeler que Madame Q... n'intervient pas à titre personnel dans la présente instance, mais comme personne assistant Monsieur N.... Pour ce motif, nous n'avons pas à connaître de ces demandes, n'étant compétente que pour statuer sur les contestations d'honoraires des avocats, selon la loi, d'ordre public, du 31 décembre 1971.

Maître B... qui succombe à titre principal dans la présente instance, est condamnée aux dépens.

Il paraît inéquitable de laisser à la charge de Monsieur N..., représenté par Madame Q..., les frais irrépétibles qu'il a exposés dans l'instance. Maître B... est dans ces conditions condamnée à lui payer la somme de 1.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
En revanche, Maître B... est déboutée de sa demande faite de ce chef.

Enfin, le pourvoi en cassation n'ayant pas d'effet suspensif, il convient de rejeter la demande aux fins d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par ordonnance CONTRADICTOIRE, en dernier ressort, après débats publics et par mise à disposition de la présente décision,

Dispensons Maître K... B... de sa présence à l'audience du 15 juin 2020,

Infirmant la décision rendue le 30 août 2017 par le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris,

Fixons à la somme de 5.025,60 € TTC le montant des honoraires et frais dus à Maître K... B... par Monsieur P... X... N..., représentée par Madame Y... Q..., pour le mandat exercé entre le 25 février et le 22 novembre 2016 au profit de Monsieur N...,

Constatant que Maître B... a déjà perçu la somme totale de 18.160 € TTC,

Condamnons Maître K... B... à rembourser à Monsieur P... X... N..., représentée par Madame Y... Q..., la somme de 13.134,40 € TTC représentant le trop perçu d'honoraires,

Condamnons Maître K... B... aux dépens, et à payer à Monsieur P... X... N..., représentée par Madame Y... Q..., la somme de 1.000 € TTC par application de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejetons toutes autres demandes.

Disons qu'en application de l'article 177 du décret no 91-1197 du 27 novembre 1991, l'arrêt sera notifié aux parties par le Greffe de la Cour suivant lettre recommandée avec accusé de réception.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : C6
Numéro d'arrêt : 17/00637H
Date de la décision : 21/10/2020
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2020-10-21;17.00637h ?
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