La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/06/2020 | FRANCE | N°18/22377

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 3 - chambre 1, 10 juin 2020, 18/22377


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 3 - Chambre 1



ARRÊT DU 10 JUIN 2020



(n° , 15 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/22377 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6RL4



Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Septembre 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/09817





APPELANT



Monsieur [V] [R] [J] [L]

Né le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 11] (64)
<

br>[Adresse 5]

[Localité 9]



représenté et ayant pour avocat plaidant Me Laurent BERNET de la SELAS BCW & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0490





INTIMÉE



Madame [K] [L] épouse ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 1

ARRÊT DU 10 JUIN 2020

(n° , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/22377 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6RL4

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Septembre 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/09817

APPELANT

Monsieur [V] [R] [J] [L]

Né le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 11] (64)

[Adresse 5]

[Localité 9]

représenté et ayant pour avocat plaidant Me Laurent BERNET de la SELAS BCW & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0490

INTIMÉE

Madame [K] [L] épouse [O]

Née le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 14] (95)

[Adresse 10]

[Localité 8]

représentée et ayant pour avocat plaidant Me Anne DELDALLE, avocat au barreau de PARIS, toque : D701

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 mars 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Dorothée DARD, Président

Mme Madeleine HUBERTY, Conseiller

Mme Catherine GONZALEZ, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame HUBERTY Madeleine dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffiers :

- lors des débats : Mme Cynthia GESTY

- lors du délibéré : Mme Emilie POMPON

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, la date initialement annoncée aux parties ayant dû être reportée en raison de l'état d'urgence sanitaire, ce dont, pour le même motif, les parties n'ont pu être avisées par le greffe que par un message RPVA du 13 mai 2020.

- signé par Mme Dorothée DARD, Président et par Mme Emilie POMPON Greffier, présente lors de la mise à disposition.

***

PRÉTENTIONS DES PARTIES ET PROCÉDURE

[Y] [L] est décédé le [Date décès 4] 2003, en laissant pour lui succéder :

- [I] [A] épouse [L] son épouse survivante commune en biens en l'absence de contrat de mariage;

- sa fille Madame [K] [L] épouse [O],

- et son fils Monsieur [V] [L].

Dans un acte en date du 25 septembre 2003, [I] [L] a opté pour l'usufruit de l'universalité des biens et droits composant la succession de son époux.

Par jugement en date du 24 mai 2011, sur la base de l'examen pratiqué le 18 janvier 2011, par un médecin expert, préconisant l'instauration d'une mesure de tutelle, [I] [L] a été placée sous le régime de la curatelle renforcée, son fils étant désigné curateur aux biens, tandis que sa fille a été désignée curatrice à la personne.

Sur l'appel interjeté par Madame [K] [O], le placement sous curatelle renforcée a été confirmé par un arrêt en date du 2 avril 2012, mais la mesure a alors été confiée à un tiers.

Par jugement en date du 10 janvier 2013, la mesure de curatelle renforcée a été transformée en tutelle.

[I] [L] est décédée le [Date décès 3] 2013 laissant ses deux enfants [K] et [V] [L] pour lui succéder.

Selon un testament rédigé le 30 novembre 2010, la défunte a désigné sa fille légataire de la quotité disponible.

Monsieur [V] [L] a contesté la validité du testament olographe.

Par acte en date du 24 juin 2014, Madame [K] [L] épouse [O] a assigné son frère devant le tribunal de grande instance de PARIS, afin notamment de dire et juger valable le testament en litige et ordonner l'ouverture des opérations de comptes liquidation et partage des successions des époux [L]/[A].

Par jugement mixte avant dire droit rendu le 18 décembre 2015, le tribunal de grande instance de PARIS a ordonné une expertise afin de déterminer si l'évolution de la pathologie Alzheimer de Madame [I] [L] avait pu lui laisser suffisamment de lucidité pour tester valablement en 2010.

L'expert a déposé son rapport le 23 janvier 2017 et a estimé que la défunte n'était plus en état d'exprimer une volonté saine à la date de rédaction du testament.

Dans son jugement rendu le 14 septembre 2018, le tribunal de grande instance de PARIS a statué en ces termes :

- Déboute Madame [K] [L] de sa demande visant à écarter des débats la lettre datée du 2 juillet 2006, pièce n°22 versée par Monsieur [V] [L];

- Prononce l'annulation du testament du 10 novembre 2010 à raison de l'insanité d'esprit d'[I] [A] lors de sa rédaction;

- Déboute Monsieur [V] [L] de sa demande de condamnation de Madame [K] [L] à lui verser des dommages intérêts au titre du dol et du recel;

- Déboute Monsieur [V] [L] de sa demande d'application de la peine du recel successoral à l'égard de Madame [K] [L];

- Condamne Monsieur [V] [L] à rapporter la somme de 49 959€ pour moitié à la succession de [Y] [L] et pour moitié à la succession d'[I] [A] au titre de l'avantage indirect constitué par l'occupation du bien immobilier situé [Adresse 6] pour la période allant du 1er septembre 1974 au 31 décembre 1982;

- Déboute Madame [K] [L] de sa fin de non recevoir opposée à la demande de Monsieur [V] [L] visant à condamner Madame [K] [L] à rapporter la somme de 71740F au titre de l'acquisition de l'appartement situé [Adresse 7];

- Déboute Monsieur [V] [L] de sa demande visant à la condamnation de Madame [K] [L] à rapporter la somme de 71740F au titre de l'acquisition de l'appartement situé [Adresse 7];

- Déboute Madame [K] [L] de sa demande relative aux comptes de tutelle;

- Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage;

- Ne fait pas droit à l'exécution provisoire;

- Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Monsieur [V] [L] a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du 16 octobre 2018.

*******************

Dans ses conclusions régularisées le 24 février 2020, Monsieur [V] [L] formule les prétentions suivantes :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

' prononcé l'annulation du testament du 30 novembre 2010 à raison de l'insanité d'esprit d'[I] [A] lors de sa rédaction;

' débouté Madame [K] [O] de sa fin de non recevoir opposée à la demande de Monsieur [V] [L] visant à la condamner à rapporter la somme de 71740F au titre de l'acquisition del'appartement situé [Adresse 7];

' débouté Madame [K] [O] de sa demande relative aux comptes de tutelle;

Pour le surplus, infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau,

- Condamner Madame [K] [O] à lui payer la somme de 25 000€ à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice moral subi au titre des manoeuvres dolosives;

- Dire que Madame [K] [O] sera privée au titre du recel successoral de tous droits dans les effets recélés et ne pourra prétendre dans les successions de ses parents [I] et [Y] [L] qu'à sa seule part d'héritière réservataire, étant privée de ses droits au titre de la quotité disponible;

- Condamner Madame [K] [O] à lui payer la somme de 25 000€ à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice moral subi au titre du recel successoral;

Sans préjudice de la demande de Monsieur [V] [L] que Madame [K] [O] soit privée de tous droits dans les effets recélés, Ordonner le rapport aux successions d'[I] et [Y] [L] de la donation de la somme de 71 740F dont a bénéficié Madame [K] [O] afin de financer l'achat le 10 juin 1974 d'un appartement sis [Adresse 7], ceci en considération de la valeur du bien qui lui a été subrogé, à savoir l'appartement du [Adresse 10];

- Dire que le rapport aux successions d'[I] et [Y] [L] concernant l'occupation par Monsieur [V] [L] de l'appartement sis [Adresse 6] se fera à hauteur de la somme de 18734€, comme fixée par l'expert [F] [C] dans son pré-rapport du 6 mai 2016;

- A titre subsidiaire, et par application de l'article 236 du code de procédure civile, Commettre Madame [F] [C] aux fins de compléter son rapport du 6 mai 2016 du chef de l'évaluation de l'indemnité d'occupation afférente à l'occupation par Monsieur [V] [L] de l'appartement sis [Adresse 6], de 1974 à 1982;

- En outre, condamner Madame [K] [O] à verser à Monsieur [V] [L] l'euro symbolique de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral infligé à Monsieur [V] [L] à raison des calomnies et injures graves proférées par Madame [K] [O] à son encontre devant la cour d'appel de céans;

Sur l'appel incident de Madame [K] [O],

- Dire irrecevables en cause d'appel les demandes nouvelles de Madame [K] [O] à savoir ses demandes :

' que l'avantage indirect consenti par les époux [I] et [Y] [L] à Madame [G] [P] au titre de l'occupation d'un appartement sis [Adresse 6] soit imputé sur la quotité disponible de chacune de leurs successions;

' que la demande de Monsieur [V] [L] du remboursement par l'indivision successorale de ses avances à cette dernière soit déclarée prescrite;

' Monsieur [V] [L] soit condamné à lui payer un euro symbolique en réparation de son préjudice moral;

- Débouter Madame [K] [O] de son appel incident comme de l'ensemble de ses demandes;

A titre subsidiaire, et dans l'hypothèse où la cour d'appel de PARIS entendrait ordonner que Monsieur [V] [L] remette des comptes de curatelle pour la période allant du 1er janvier au 2 avril 2012, dire que Madame [K] [O] devra fournir au titre de la période considérée la copie des talons de chèques et relevés bancaires des comptes indivis au CREDIT AGRICOLE 435 466 64 001C, 602 711 29 397C et 602 711 30 470T;

- Condamner Madame [K] [O] à lui payer une somme de 45 000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, en ce inclus le coût des expertises, avec distraction.

Monsieur [V] [L] fait valoir que :

' l'annulation du testament olographe, rédigé le 30 novembre 2010 par [I] [L], doit être confirmée car il résulte du rapport d'expertise médicale du docteur [T] [U] en date du 23 janvier 2017 que la testatrice ne disposait plus des facultés mentales nécessaires à la rédaction de ce testament. Le contenu du testament impliquait l'existence d'une pensée complexe et abstraite qu'elle n'avait plus.

' ce sont les manoeuvres dolosives de Madame [K] [O], qui ont permis la rédaction du testament et sa remise au notaire le 30 novembre 2010. [I] [L] n'avait pas la capacité de prendre l'initiative de la rédaction d'un testament et de son dépôt chez le notaire. Son autonomie était alors extrêmement réduite et elle a, d'ailleurs, été accompagnée par Madame [K] [O] chez le notaire, parce que sa démarche ayant pour but de tester en faveur de sa fille n'était aucunement spontanée. Cette démarche a, en outre, été accomplie à son insu. Le même jour que le testament, la défunte lui a écrit pour l'informer qu'elle voulait vendre la maison de [Localité 13] pour faire face à ses besoins financiers et le décharger de la gestion de son portefeuille titres, alors même qu'elle était incapable d'apprécier sa situation financière. Madame [K] [O] a toujours cherché à rétablir une soit disant égalité entre lui et elle au prétexte d'un avantage dont il aurait bénéficié en raison de la jouissance d'un appartement [Adresse 6]. Cet avantage qui a fait l'objet d'une estimation en cours de procédure est sans commune mesure avec le legs de la quotité disponible de la succession de leur mère. Dans tous les cas, il suffisait de solliciter un rapport à la succession pour assurer l'égalité entre les héritiers. Cette préoccupation était constante chez Madame [K] [O] puisqu'antérieurement au testament, elle avait évoqué la possibilité d'une donation effectuée par sa mère à son profit et organisé le 8 juillet 2010 un rendez-vous à ce sujet avec son frère chez Maître [W] notaire. Il avait estimé qu'une telle donation était impossible à réaliser compte tenu de l'état de santé de leur mère et que le principe même d'une telle donation n'était pas justifié. En réalité, pour se faire justice, Madame [K] [O] a contourné l'opposition de son frère en amenant sa mère quelques mois plus tard, chez son ami notaire, pour y remettre le testament en litige. Sa présence quotidienne auprès de la défunte lui permettait d'exercer une véritable emprise et elle s'était même déclarée médecin traitant de sa mère.

' Madame [K] [O] a commis un recel successoral car le testament ne pouvait pas être établi et remis au notaire sans son intervention, alors qu'elle n'ignorait pas l'état de santé de sa mère en sa qualité de médecin. Ce testament a été sciemment dissimulé à son frère, parce qu'il a été rédigé sous emprise et grâce à des manoeuvres frauduleuses afin de léser le cohéritier. Elle devra donc être privée de tous droits dans la quotité disponible et condamnée à payer à son frère une somme de 25000€ à titre de dommages intérêts complémentaires.

' le rapport qu'il doit à la succession doit être limité à la somme de 18734€ comme il avait été fixé par Madame [C] dans son pré-rapport d'expertise.

' Madame [K] [O] a bénéficié d'une somme de 71740F apportée par ses parents lorsqu'elle a acquis un appartement [Adresse 7]. Cette somme doit être rapportée à la succession pour son montant revalorisé en fonction du prix de vente de cet appartement.

' la défunte a été placée sous curatelle renforcée le 24 mai 2011 et il a été désigné curateur aux biens tandis que sa soeur a été désignée curatrice à la personne. Il a communiqué au juge des tutelles le compte rendu de gestion afférent à l'année 2011 avant qu'un curateur tiers ne soit désigné par la cour le 2 avril 2012. Compte tenu du faible laps de temps écoulé entre janvier et avril 2012, il n'y a pas lieu d'établir des comptes pour cette période et le juge des tutelles ne l'a d'ailleurs pas demandé.

' les prétentions de l'intimé afférentes à l'imputation de l'avantage indirect fourni à Madame [P] sur la quotité disponible sont irrecevables car elles n'ont pas été présentées dans les premières conclusions de l'intimée. En tout état de cause le rapport des libéralités ne concerne que les héritiers.

' les propos calomnieux tenus à son encontre justifient la condamnation de l'intimée à lui payer un euro symbolique.

***********************

Dans ses conclusions régularisées le 13 février 2020, Madame [K] [O] formule les prétentions suivantes :

- Infirmer partiellement le jugement en ce qu'il a :

' prononcé la nullité du testament du 30 novembre 2010 de Madame [I] [L],

' débouté Madame [O] de sa demande relative aux comptes de tutelle;

En conséquence,

- Dire et juger valable le testament olographe rédigé par Madame [I] [L] le 30 novembre 2010 désignant Madame [K] [O] en qualité de légataire de la quotité disponible de sa succession;

Y ajoutant,

- Dire et juger que les époux [L] ont consenti un avantage indirect au profit de Madame [G] [P] ex-épouse [L], au titre de l'occupation des biens sis [Adresse 6] pour la période du :

. 1er janvier 1983 au [Date décès 4] 2003 pour moitié des fruits par chacun de [Y] et [I] [L],

. du 13 mars 2003 au 12 décembre 2005 pour la moitié des fruits par [I] [L] devenue usufruitière;

- Dire qu'il entrera dans la mission du notaire commis de calculer l'avantage total en résultant et la quotité disponible de chacune des successions;

- Dire et juger que le notaire pourra si besoin pour y procéder adjoindre l'avis complémentaire de Madame [F] [C] expert ou de tout autre expert de son choix;

- Dire et juger que le notaire établira les comptes d'administration des parties au titre des avances consenties aux indivisions successorales en précisant que toute avance consentie aux défunts de leur vivant sera écartée comme étant prescrite depuis l'ouverture des successions;

- Dire et juger que le notaire commis s'adjoindra le concours d'agences immobilières ou à défaut d'un expert foncier de son choix pour l'évaluation du patrimoine immobilier;

- Condamner Monsieur [V] [L] à une astreinte de 50€ par jour de retard à compter du décès de Madame [I] [L] survenu le [Date décès 3] 2013 jusqu'à la remise de ses comptes de curatelle pour la période allant du 1er janvier au 2 avril 2012 à Madame [O];

- Réserver la liquidation de l'astreinte au juge commis de la 2ème chambre civile du tribunal de grande instance de PARIS;

- Condamner Monsieur [V] [L] à payer un euro à Madame [K] [O] en réparation de son préjudice moral;

En tout état de cause,

- Débouter Monsieur [V] [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions;

- Condamner Monsieur [V] [L] à lui payer une somme de 8500€ par application de l'article 700 du code de procédure civile;

- Le condamner à supporter les frais d'expertise médicale et d'expertise en évaluations immobilières;

- Ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage en ce compris les frais d'expertise.

Madame [K] [L] épouse [O] fait valoir que :

' il n'est pas démontré, qu'à la date du testament, la défunte ne disposait pas des facultés mentales nécessaires pour rédiger cet acte. Il a été médicalement constaté que l'évolution de sa maladie d'Alzheimer avait été lente. Peu de temps après la rédaction du testament, le médecin gériatre qui la suivait a estimé qu'elle gardait un discours cohérent et informatif. Le professeur [Z] [D] expert et neurologue à la Pitié-Salpétrière a indiqué qu'en dépit de son affection, elle était susceptible d'exprimer une volonté saine. Ce n'est qu'un an et demi après la rédaction du testament qu'[I] [L] a été admise en maison de retraite.

' elle n'a aucunement dicté le testament à sa mère qui a été reçue par le notaire en dehors de sa présence. Aucun recel ne peut lui être imputé. Maître [W] n'était pas son notaire mais le notaire de la famille, qu'elle n'a rencontré que lors de la succession de son père. C'est en raison des problèmes de trésorerie évoqués par Monsieur [V] [L] auprès de sa mère que celle-ci envisageait de vendre sa maison de [Localité 13] qui était un bien propre. Son frère cherchait à garder intact le patrimoine de ses parents, même s'il fallait limiter les dépenses liées aux conditions de vie de sa mère.

' Monsieur [V] [L] a instrumentalisé la mise sous protection judiciaire de sa mère, afin de préserver ses droits successoraux futurs et d'éviter en particulier la vente de la propriété de [Localité 13]. [I] [L] a vraisemblablement été très perturbée lorsqu'elle a rencontré le docteur [TZ] pour la procédure de tutelle. Elle ne sortait jamais avec son fils qui ne lui rendait que de très brèves visites. A cette époque, elle vivait encore seule à son domicile avec l'appui d'aides à domicile à temps partiel.

' contrairement à ce qui est prétendu, elle ne s'est jamais déclarée médecin traitant de sa mère et elle ne savait pas que celle-ci avait rédigé un testament en sa faveur. Elle n'a pratiqué aucune manoeuvre au détriment de sa mère. Elle n'a eu de cesse de se battre contre son frère pour que sa mère bénéficie des conditions de vie les plus confortables possible. La défunte a sans doute cherché à rétablir un équilibre entre ses deux enfants compte tenu de la jouissance d'un appartement de 112m² dont Monsieur [V] [L] avait profité pendant de nombreuses années. Elle a également pu vouloir gratifier la personne qui était la plus présente et la plus affectueuse après le décès de son époux.

' elle n'a jamais cherché à se faire consentir une donation par sa mère. C'est Monsieur [V] [L] qui souhaitait se faire attribuer le bien de [Localité 13], dès avant le rendez-vous chez le notaire du 8 juillet 2010.

' pour avoir eu la jouissance de l'appartement de ses parents du 1er septembre 1974 au 31 décembre 1982, Monsieur [V] [L] doit rapporter la somme de 49959€ pour moitié à la succession de chacun de ses parents. Il n'y a pas lieu de tenir compte d'un abattement pour précarité dès lors que l'occupation des lieux par son épouse et ses enfants a duré jusqu'en 2005. L'avantage dont les parents [L] ont voulu gratifier leur belle-fille, en n'exigeant pas le paiement d'un loyer, a une incidence sur la quotité disponible. Dans le cadre du partage, la libéralité de ces fruits ayant profité à Madame [P] devra être prise en compte pour calculer la quotité disponible.

' il n'existe aucun élément permettant de retenir que ses parents lui auraient remis des fonds pour acquérir son premier appartement et que cette remise aurait correspondu à une intention libérale de leur part. En évoquant des sommes prêtées, Monsieur [V] [L] exclut toute intention libérale.

' Monsieur [V] [O] n'a pas rendu les comptes de sa gestion en tant que curateur pour la période du 1er janvier 2012 au 2 avril 2012, alors que le jugement mixte du 18 décembre 2015 lui avait ordonné de remettre ces comptes à sa soeur. Il devra être condamné sous astreinte à procéder à cette remise.

' Monsieur [V] [O] est désormais prescrit pour invoquer une créance contre la succession. Seules les avances consenties au profit des indivisions successorales peuvent être prises en compte.

' son frère n'a jamais agi que dans le seul dessein de lui nuire en tentant de faire croire que Maître [W] aurait été son ami et qu'elle se serait déclarée médecin traitant de sa mère. Il n'a eu en tête que les aspects purement patrimoniaux de cette affaire et il a multiplié les procédures à des fins destructrices ce qui justifie sa condamnation à un euro à titre de dommages intérêts pour action abusive.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de la procédure a été prononcée le mardi 25 février 2020.

CELA ETANT EXPOSE, LA COUR,

Sur la nullité du testament rédigé le 30 novembre 2010 pour insanité d'esprit

Par application de l'article 901 du code civil, un testament n'est valable que si son auteur était sain d'esprit au moment où il l'a rédigé. L'insanité d'esprit ne se présume pas, il appartient donc à celui qui la revendique de la prouver.

[I] [L] avait 91 ans lorsqu'elle a rédigé son testament et l'a déposé, le même jour, chez Maître [W], notaire.

Il résulte d'un compte rendu d'hospitalisation à l'hôpital [12] ([Localité 15]) en date du 11 avril 2005 qu'[I] [L] a fait l'objet d'un bilan pour syndrome confusionnel et qu'il a été noté un début de maladie d'Alzheimer en novembre 2004 (pièce 4 appelant). Le bilan effectué a permis de relever un fonctionnement cognitif déficitaire lié notamment à une atteinte de la mémoire épisodique avec un contrôle exécutif (planification) très perturbé. Le docteur [M] a, toutefois, pris le soin de noter dans le paragraphe 'évolution dans le service', qu'en cours de séjour, il n'y avait pas eu de troubles manifestes du comportement et qu'une interrogation subsistait sur un éventuel surdosage médicamenteux.

A la suite de ce compte rendu effectué en avril 2005, aucun nouveau bilan ne semble avoir été organisé avant le début de l'année 2011 et la demande de mise en oeuvre d'une mesure de protection par Monsieur [V] [L]. Il n'existe donc aucune donnée médicale pendant plus de cinq ans, le traitement de la maladie d'Alzheimer préconisé en avril 2005 (ARICEPT) ayant été maintenu jusqu'en octobre 2011 (pièce 22-5 intimée).

Il est établi, qu'au cours de ce laps de temps, un bien immobilier, sis [Adresse 6] appartenant à la défunte pour moitié en pleine propriété et pour moitié en usufruit, évalué 500 000€ dans la déclaration de succession de son époux [Y] [L] (décédé en mars 2003 - pièce 5 intimée) a été vendu en septembre 2006 (pièce 7 intimée), sans que la question des capacités mentales d'[I] [L] ait alors été posée par l'un ou l'autre de ses deux enfants. Ainsi qu'il est indiqué par Monsieur [V] [L] dans un courrier en date du 4 mai 2011 adressé au juge des Tutelles du tribunal d'instance de PARIS 5ème (pièce 7 intimée), l'essentiel du produit de la vente a été déposé sur un compte indivis ouvert auprès du CREDIT AGRICOLE et affecté à l'achat de valeurs mobilières. Ni l'appelant, ni l'intimée n'ont suggéré qu'[I] [L] ait pu, à un quelconque moment, depuis 2006, participer directement à la gestion de ce compte, ni qu'ils l'aient invitée à donner son avis sur ses modalités de gestion ou même la possibilité d'un partage amiable. En réalité, il est clair que la défunte a été déchargée de la gestion de ces intérêts importants, dès l'année 2006, ce qui pouvait se justifier, dans un cadre familial, au regard de son âge et de l'absence d'activité professionnelle antérieure. Dans son rapport d'expertise (page 15), Madame [T] [U], médecin expert (pièce 36 appelant), prend acte du fait qu'[I] [L] ne gérait plus ses finances dès 2004.

Dès 2007, Monsieur [V] [L] a souligné que les dépenses de sa mère étaient supérieures à ses revenus courants et a préconisé une gestion 'dynamique' (au sens bancaire du terme) du produit de la vente, en opposition avec la gestion sécuritaire de sa soeur, étant observé que les intérêts d'[I] [L] et de ses deux enfants, qui n'étaient pas nécessairement les mêmes, étaient réunis sur le même compte indivis.

Dans son rapport en date du 8 février 2011, rédigé suite à l'examen d'[I] [L], pratiqué le 18 janvier 2011 à l'hôpital ROTHSCHILD sur la demande de son fils (pièce 37 appelant), le docteur [H] [TZ] note l'existence des 'critères d'une maladie démentielle de type Alzheimer' avec de gros troubles du jugement et préconise une mesure de tutelle, tout en notant qu'[I] [L] 'semble cependant en mesure d'exercer son droit de vote'. Il déplore l'absence de données médicales permettant d'effectuer une évaluation plus fine et constate 'une baisse patente de l'acuité auditive'. Il précise qu'en cas d'audition par le juge 'Mme [A] est en mesure de s'exprimer mais la volonté qu'elle exprimera sera fortement altérée par la réduction des capacités de raisonnement et de jugement'.

Ce certificat n'ayant été établi qu'en vue de la mise en oeuvre d'une mesure de protection, le médecin ne donne évidemment aucun avis sur l'état mental de la défunte à la date du 30 novembre 2010 (date du testament).

Il doit être noté que, ni l'auxiliaire de vie ayant été au service d'[I] [L] de mars 2004 à son entrée en maison de retraite en mai 2012 (pièce 31 intimée), ni les rapports du Docteur [B] au cours de l'année 2011, ni le dossier médical présenté pour l'admission en maison de retraite (pièce 22-5 intimée) ne font état de problèmes d'audition.

Les bilans qui ont été pratiqués par le Docteur [B] les 24 janvier 2011 et 3 août 2011 (MMS et ADAS-cog) font état d'un stade 'modéré' et d'une évolution très lente de la maladie (pièces 22-3 et 22-4 intimée). Contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges 'les tests réalisés par le docteur [B] sont sévèrement déficitaires, la plupart étant à 0 sur cinq , le test dit MMS étant à 17/30 et le ADAS-Cog à 22/70...', des scores de 0 sur cinq au test ADAS-Cog (les examens se faisant par tranches de 5 points sur un total de 70 points) ne signifient pas que le sujet est complètement inapte mais, au contraire, qu'il ne présente aucune défaillance, un score de 70/70 signifiant au contraire une altération totale des fonctions cognitives. Lorsque, dans son rapport du 3 mars 2011 (pièce 22-3 intimée), le docteur [B] indique qu'[I] [L] est affectée par 'des difficultés en orientation, en dénomination, ainsi qu'en rappel des mots et reconnaissance des mots. Par contre le reste : intelligibilité du langage oral, la compréhension, l'exécution d'ordres, les rappels de consignes et praxies idéatoires et constructives sont relativement bien préservées', ce diagnostic est parfaitement conforme aux données du test ADAS Cog Score Global qu'elle a pratiqué. Cette appréciation est également conforme au certificat établi par le docteur [S] (SOS MEDECINS) qui est intervenu en urgence auprès d'[I] [L] après une crise d'angoisse. Il indique 'à mon arrivée - calme- claire dans son discours - laissée à son domicile avec une prescription de Xanax'.

Madame [T] [U], médecin expert judiciaire, a conclu dans son rapport en date du 23 janvier 2017, qu'à la date du testament, [I] [L] ne pouvait pas avoir la pensée complexe et abstraite décrite dans le testament litigieux (pièce 36- page 18). Il résulte toutefois des éléments qui ont été pris en considération, dans la partie discussion du rapport d'expertise, qu'elle a retenu qu'en 2004-2005 le tableau clinique présenté par la défunte 'révélait une altération de l'ensemble des fonctions cognitives, sans exception, dès le début de la maladie'. Ce constat, sévère, ne prend pas en compte les réserves énoncées dans le compte rendu d'hospitalisation d'avril 2005, ni l'aspect langage décrit dans l'examen neuro-psychologique comme étant complètement normal (pièce 4 appelant). Plus grave, elle conclut en page 17 que le test ADAS-cog effectué en janvier 2011 pour un score de 22/70 est 'sévèrement déficitaire', alors que cette interprétation résulte d'une lecture inversée du score. Pour expliquer la contradiction apparente avec les observations du Docteur [B], elle en déduit que les observations de ce médecin sur 'le discours informatif et cohérent' de la patiente n'ont qu'une portée très relative.

Madame [T] [U], médecin expert judiciaire, note également qu'[I] [L] ne pouvait pas dire le montant de ses revenus, même de façon approximative, lorsque le Docteur [TZ] a eu un entretien avec elle, au mois de janvier 2011. Elle n'indique pas cependant qu'elle a pris en compte les conséquences de la prise en charge financière totale mise en place par les enfants depuis plusieurs années. Elle ne s'interroge pas non plus sur les conditions de mise en oeuvre de cet examen à l'hôpital ROTHSCHILD par le fils d'[I] [L], alors qu'elle dispose de l'attestation de l'auxiliaire de vie (pièce 31 intimée), qui souligne que Monsieur [V] [L] avait peu de rapports affectifs avec sa mère (il est qualifié de 'courant d'air') et que le moment choisi pour l'examen du médecin correspondait habituellement à la sieste de la défunte 'ce qui a dû être très pénible pour elle car elle avait besoin d'être prévenue et rassurée, et de faire les choses à son rythme...'.

Si Madame [T] [U] conclut à juste titre, compte tenu de l'évolution lente de la maladie, que l'état clinique d'[I] [L], constaté en février 2011, correspondait à son état clinique deux mois plus tôt, à l'époque du testament, elle se réfère pour l'essentiel au rapport établi par le docteur [TZ] préconisant l'instauration d'une tutelle (avec maintien de l'exercice du droit de vote), et aux tests évoqués, pour estimer qu'il existait alors de gros troubles du jugement et l'absence de conscience par [I] [L] de ses propres troubles.

Il doit être ajouté que la grille d'évaluation de l'autonomie d'[I] [L] établie en octobre 2011 dans la perspective de son entrée en maison de retraite fait encore état d'une cohérence partielle en précisant que l'entrée en maison de retraite se fait conformément au souhait de l'intéressée 'qui ne veut plus rester seule' (pièce 22-5 intimée), ce qui ne peut être considéré comme une décision incohérente ou un jugement déraisonnable. La retranscription des messages téléphoniques du 7 au 13 janvier 2012 produite par Monsieur [V] [L] tend également à révéler qu'[I] [L] pouvait encore prendre l'initiative de téléphoner à ses proches à de multiples reprises et qu'elle souffrait de solitude, de manière récurrente, ce qui ne suffit pas à caractériser un comportement incohérent (pièce 33 appelant).

Dans ces conditions, l'altération des facultés mentales d'[I] [L] au 30 novembre 2010 ne peut pas être considérée comme ayant été majeure, dès cette époque. S'il existait une maladie d'Alzheimer, ce qui n'est contesté par personne, il ne peut se déduire des éléments ci-dessus évoqués que cette maladie empêchait, de façon habituelle, l'expression d'une volonté valable. Ainsi qu'il a été relevé par Madame [O], sa mère a pu rester à son domicile, avec l'assistance d'aides à domicile, jusqu'au mois de mai 2012. Si l'attestation de Madame [X] [YA], employée à domicile de 2004 à 2012, fait état d'une aide qui s'alourdit au fil du temps, c'est en raison de la moindre capacité physique d'[I] [L] et non en raison d'une attitude incohérente dans la vie quotidienne (ce qui est en conformité avec les tests), ce qui a sans doute été pris en compte par le juge pour mettre en place une curatelle au lieu d'une tutelle 'parce qu'une représentation continue serait disproportionnée' (pièce 5 appelant).

Ces éléments sont confortés par les rapports médicaux des docteurs [Z] [D] et [N] [OS] qui ont été établis sur pièces (comme le rapport d'expertise du Docteur [T] [U]), sur la seule initiative, cette fois, de Madame [K] [O]. Le Docteur [Z] [D] souligne que le Docteur [TZ] n'a procédé à aucune mesure neuropsychologique contrairement au Docteur [B]. Il note que, selon les données du bilan cognitif de janvier 2011 'les troubles affectaient essentiellement la mémoire épisodique. En revanche, point essentiel, la compréhension du langage était préservée et le discours restait cohérent et adapté'. Il en déduit qu'il n'existe pas d'élément objectif permettant d'affirmer qu'[I] [L] n'était pas lucide au moment de la rédaction du testament (pièce 37 intimée). Le docteur [OS] estime qu'il n'existe pas d'élément démontrant une altération, qui aurait empêché [I] [L] de faire des choix en connaissance de cause (pièce 38 intimée).

Au regard de l'ensemble de ces éléments et circonstances, malgré le diagnostic de maladie d'Alzheimer posé dès novembre 2004 et la mise en place d'une mesure de protection (curatelle) en mai 2011, il ne peut être considéré comme démontré qu'[I] [L] n'aurait pas disposé du discernement requis pour rédiger son testament le 30 novembre 2010, peu important à cet égard qu'elle ait dû être accompagnée par sa fille chez le notaire pour des raisons d'organisation liées au déplacement. Le fait qu'elle ait été manifestement fragile (91 ans et se plaignant ouvertement de solitude), ne saurait pas plus suffire à retenir qu'elle se serait trouvée sous l'emprise totale d'un membre de son entourage.

L'examen du testament (pièce 1 intimée) - qui a pu être rédigé sur la base d'un modèle après discussion avec le notaire - révèle une écriture régulière et énergique qui n'est aucunement démentie par l'erreur d'orthographe affectant le nom (écrit en phonétique) de la rue du domicile de la rédactrice.

Le courrier adressé le même jour par [I] [L] à Monsieur [V] [L], pour indiquer, notamment, qu'elle a décidé de vendre la maison de [Localité 13], est rédigé de la même écriture régulière et énergique (pièce 35 intimée). Si ce courrier est en rapport avec le conflit opposant les enfants sur la gestion des biens d'[I] [L], il ne comporte aucun élément permettant de considérer que la défunte n'en aurait pas à la fois accepté et compris la portée. Elle fait état de ses difficultés financières, ce qui est conforme à la situation de déficit de trésorerie qui a été mise en avant par Monsieur [V] [L] devant le juge des Tutelles. Elle indique qu'elle ne veut dépendre de personne ce qui peut être rapproché des messages téléphoniques retranscrits par Monsieur [V] [L] dans lesquels on trouve la déclaration suivante '...je ne veux pas appartenir à aucune, à personne....' (Pièce 33 appelant). Le fait qu'elle ait pu éventuellement être aidée par Madame [K] [O] pour la rédaction de ce courrier ne peut avoir aucune incidence, dès lors qu'elle a pu accepter cette aide en connaissance de cause.

En l'absence de démonstration d'une insanité mentale lors de la rédaction du testament, la demande de nullité du testament doit être rejetée, le jugement étant donc infirmé de ce chef.

Sur l'existence de manoeuvres dolosives imputables à Madame [K] [O]

Il s'agit de manoeuvres qui auraient consisté à convaincre [I] [L], dépourvue de discernement, de tester en faveur de sa fille. Dans la mesure où il n'a pas été démontré qu'[I] [L] aurait été affaiblie ou malade au point de ne pouvoir exprimer de volonté valable, ces manoeuvres ne sont pas caractérisées. Dans tous les cas, le fait qu'il ait existé une divergence de vues entre Madame [K] [O] et Monsieur [V] [L], tant sur la gestion des biens de leur mère, que sur les modalités futures de la succession, ne suffit pas à démontrer que le testament en litige ne représenterait que la volonté de son bénéficiaire et non de la testatrice. [I] [L] a pu librement prendre en compte l'attitude des uns et des autres pour faire ce qui lui convenait.

Monsieur [V] [L] doit donc être débouté de ces prétentions, le jugement étant confirmé de ce chef.

Sur l'existence d'un recel successoral

Le testament étant valable, il ne peut être retenu que Madame [K] [O] aurait agi délibérément pour léser les intérêts successoraux de son frère.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté l'existence d'un recel successoral ainsi que les prétentions indemnitaires afférentes.

Sur le rapport des fonds qui auraient été versés par les parents de Madame [K] [O] pour l'acquisition d'un appartement sis [Adresse 7] en 1974

Par application de l'article 843 du code civil 'tout héritier...venant à une succession doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt par donation entre vifs directement ou indirectement...'.

Monsieur [V] [L] soutient qu'à l'occasion de l'achat d'un appartement sis [Adresse 7], ses parents ont donné à sa soeur une somme de 71 740F, représentant 25% du prix d'achat, qui doit donc être rapportée à la succession, selon la valeur du bien lors de son aliénation et avec les incidences de son remploi dans un autre appartement.

Madame [K] [O] conteste toute remise de fonds et toute intention libérale.

Pour justifier du don par ses parents à sa soeur d'une somme de 71 740F, Monsieur [V] [L] produit deux pièces manuscrites faisant effectivement état de l'acquisition d'un appartement [Adresse 7] au cours de l'année 2014. La première pièce n'est pas datée et émane d'un auteur inconnu (pièce 26 appelant). La seconde pièce est un courrier du 30 mars 1974, dont l'auteur n'est pas identifié, qui est à peine lisible, et qui évoque des prévisions d'apports de fonds (pièce 26b appelant).

Ces documents ne permettent de démontrer ni une remise effective de fonds ni une intention libérale de [Y] et [I] [L] en faveur de leur fille Madame [K] [O].

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [V] [L] de cette demande au motif que les documents produits ne la justifiaient pas.

Sur la demande de prise en compte de l'avantage consenti par les parents [L] à leur belle-fille pour la jouissance de l'appartement sis [Adresse 6]

Madame [K] [O] demande que le notaire calcule cet avantage pour déterminer le solde de la quotité disponible dans chacune des successions de ses parents.

Il sera rappelé que l'appartement sis [Adresse 6], propriété des parents [L], a constitué le domicile conjugal de Monsieur [V] [L] et de son épouse Madame [P] à compter de l'année 1974 jusqu'au départ de Monsieur [V] [L] à la date du 1er janvier 1983. A la suite de cette séparation, la belle-fille de [Y] et [I] [L] a continué à habiter dans cet appartement, avec ses deux enfants jusqu'en décembre 2005. Son expulsion a été ordonnée par un jugement rendu le 8 novembre 2005 par le tribunal de grande instance de PARIS sur la demande d'[I] [L] et de ses deux enfants (pièce 25 appelant). Contrairement à ce qui était soutenu par Madame [G] [P] divorcée [L], il a été considéré que celle-ci ne pouvait se prévaloir d'un droit d'usage et d'habitation sur l'appartement, sur le fondement du jugement de divorce prononcé le 13 novembre 1991 sur demande conjointe, qui prévoyait (dans la convention définitive) que 'les époux disent n'y avoir lieu au versement d'une prestation compensatoire. En effet Madame [L] qui fait l'objet d'une disparité entre ses ressources et celles de son mari, bénéficie par ses beaux parents, Monsieur et Madame [L], d'un avantage en nature, à savoir l'occupation gratuite de l'appartement [Adresse 6], et ce depuis 1974, date de l'entrée du couple dans cet appartement et après décembre 1982 date du départ de Monsieur [L]' (pièce 23 appelant).

Si cette prétention peut être considérée comme complémentaire aux prétentions initiales portant sur le rapport de l'avantage conféré par cet appartement pour la période de 1974 à 1982 ayant justifié la mise en oeuvre d'une expertise judiciaire confiée à Madame [F] [C] (pièce 35 appelant), elle n'a, en revanche, pas été mentionnée dans les premières conclusions d'intimée et elle est donc irrecevable.

Sur la demande de rapport de l'avantage conféré par ses parents à Monsieur [V] [L] au titre de la jouissance gratuite de l'appartement pour la période 1974-1982

Madame [F] [C], expert judiciaire, a proposé d'évaluer cet avantage à la somme de 49959€ (pièce 35 appelant), ce qui a été retenu par le jugement dont appel, qui a décidé que la moitié de cette somme devait donc être rapportée par Monsieur [V] [L] à chacune des successions de ses parents.

Monsieur [V] [L] considère d'abord que l'avantage ne devrait être rapporté que pour moitié 'du fait de sa qualité d'héritier réservataire à égalité avec sa soeur'. Cette demande n'est pas fondée car elle omet de prendre en compte le fait que pour la période 1974-1982, l'appelant n'avait aucun droit sur le bien immobilier, qui appartenait à ses parents mariés sous le régime de la communauté. Les droits inhérents à la qualité d'héritier ne peuvent être pris en compte antérieurement au décès.

Monsieur [V] [L] revendique, par ailleurs, l'application d'un abattement pour précarité de son occupation sur la période 1974-1982, comme il est d'usage en cas d'occupation d'un bien indivis. Ainsi qu'il a été relevé par les premiers juges, la précarité invoquée par l'appelant ne résultait pas d'une indivision, mais d'un avantage concédé par les parents [L], situation ne justifiant aucun abattement pour déterminer le montant du rapport.

Le jugement doit donc être confirmé en ce que Monsieur [V] [L] doit rapporter la moitié de la somme de 49 959€ à la succession de chacun de ses parents, sans qu'il y ait lieu de mettre en oeuvre une expertise complémentaire pour déterminer la valeur de l'avantage par rapport à la notion d'indemnités d'occupation et non plus de la de valeur locative.

Sur la reddition des comptes de la curatelle

Madame [K] [O] indique que son frère n'a pas justifié de sa gestion de curateur aux biens pour la période du 1er janvier 2012 au 2 avril 2012, date à laquelle Madame [E] a été désignée comme mandataire judiciaire d'[I] [L] par la cour d'appel de PARIS (pièce 8 appelant) pour prévenir les effets néfastes de la mésentente entre le frère et la soeur à l'égard de la majeure protégée.

L'article 514al2 du code civil (applicable à la curatelle renforcée) dispose que 'Lorsque sa mission prend fin pour quelque cause que ce soit, le tuteur établit un compte de gestion des opérations intervenues depuis l'établissement du dernier compte et le soumet à la vérification et à l'approbation prévues aux articles 511 à 513-1. En outre, dans les trois mois qui suivent la fin de sa mission, le tuteur ...remet une copie des cinq derniers comptes de gestion et du compte mentionné au premier alinéa du présent article, selon le cas, à la personne devenue capable si elle n'en a pas déjà été destinataire, à la personne nouvelle chargée de la mesure de gestion ou aux héritiers de la personne protégée'.

En vertu de ces dispositions, il incombait à Monsieur [V] [L] de justifier de ses opérations de gestion auprès de Madame [E] désignée en ses lieu et place pour gérer les biens de la majeure protégée et non auprès de sa soeur, puisque la succession n'était pas ouverte.

Madame [K] [O] n'indique pas avoir relevé la moindre anomalie entre le compte de gestion arrêté le 31 décembre 2011, communiqué par Monsieur [V] [L] au juge des tutelles le 17 février 2012 (pièce 7 appelant) et le compte de fin de gestion qui a dû être remis par Madame [E] lors du décès d'[I] [L] le [Date décès 3] 2013, alors qu'il s'est écoulé huit ans depuis la fin des fonctions de Monsieur [V] [L]. Il résulte par ailleurs de la motivation du jugement dont appel que cette demande n'a été formulée en première instance qu'en raison d'une créance de 38 765,44€ invoquée par Monsieur [V] [L] sur la succession.

Si cette créance dépend des comptes de gestion sur la période des trois premiers mois de l'année 2012 et si ces comptes ne sont pas produits, son existence ne pourra pas être retenue.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur l'irrecevabilité pour prescription des avances consenties par Monsieur [V] [L] du vivant d'[I] [L]

Dans un tableau des comptes indivis (entre [I] [L] et ses deux enfants) arrêté à la fin de l'année 2011, Monsieur [V] [L] fait apparaître un solde de 38 765,44€ qu'il considère comme étant une créance à son profit sur l'indivision (pièce 42 appelant). L'origine et le calcul de cette créance supposée (sur la défunte ou sur l'indivision) ne sont pas explicités. Cette somme n'apparaît pas ou n'a pas été signalée sur le compte de gestion de la personne protégée arrêté au 31 décembre 2011 (pièce 7 appelant).

Dans ses dernières conclusions Madame [K] [O] demande que les créances susceptibles d'être invoquées par Monsieur [V] [L] sur les successions soient déclarées prescrites depuis l'ouverture des successions.

Cette prétention, spécifique par son objet, ne figure pas dans les premières conclusions d'intimée.

Elle doit donc être déclarée irrecevable dans le cadre de cette instance d'appel.

Sur la demande de condamnation à un euro symbolique contre Madame [K] [O] pour les calomnies et injures graves proférées contre son frère

Monsieur [V] [L] souligne que sa soeur n'a cessé de le dénigrer en le présentant comme un mauvais fils, joueur et alcoolique, alors même que sa mère n'avait pas la moindre prévention contre lui, puisqu'elle avait accepté devant le juge des tutelles qu'il soit son curateur aux biens et qu'elle ne lui avait pas fait de reproches sur sa gestion. Ce faisant, Monsieur [V] [L] admet que sa mère n'était pas dépourvue de toute faculté de jugement au début de l'année 2011.

Monsieur [V] [L] ajoute que c'est sa soeur qui a tenté de procéder à une captation d'héritage en commettant un abus de faiblesse sur sa mère (conclusions page 42).

La demande de condamnation symbolique qui est sollicitée s'inscrit parfaitement dans la mésentente avérée opposant les deux héritiers. C'est ainsi que dès le 9 janvier 2012, Monsieur [V] [L] indiquait à sa soeur qu'elle oubliait toutes les suites légales qu'il pouvait lui réserver ainsi qu'à son notaire si elle maintenait son appel du jugement de tutelle (pièce 16 appelant). Les reproches, parfois très anciens, qui ont été formulés par Madame [K] [O] sont à l'image des relations conflictuelles animant les parties depuis de nombreuses années. Dans ce cadre, le préjudice invoqué ne peut être considéré comme caractérisé, étant rappelé que ces reproches n'ont pas été déterminants du règlement du litige.

Cette demande doit donc être rejetée.

Sur la demande de Madame [K] [O] de condamnation de son frère au paiement d'un euro symbolique pour réparation du préjudice moral subi

Madame [K] [O] soutient que son frère a agi à des fins destructrices à son encontre en ayant exclusivement en tête des préoccupations purement patrimoniales.

Toutefois, il résulte de l'ensemble des éléments médicaux évoqués et des circonstances (intérêts patrimoniaux opposés des deux enfants) que Monsieur [V] [L] pouvait légitimement s'inquiéter des conditions dans lesquelles sa mère avait pris ses dispositions testamentaires, étant rappelé que deux médecins ont conclu que ses facultés de jugement étaient gravement altérées dans une époque contemporaine du testament, ce qui a conduit le tribunal à décider une annulation du testament.

Il ne peut être considéré que les prétentions de Monsieur [V] [L] auraient été gouvernées par des motifs purement malicieux.

Cette demande doit donc être rejetée.

Sur les prétentions accessoires

Dans la mesure où le contexte familial et médical prêtait objectivement à litige, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de Madame [K] [O] les frais exposés à l'occasion de cette instance et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a prononcé l'annulation du testament olographe en date du 30 novembre 2010;

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant

DEBOUTE Monsieur [V] [L] de sa demande d'annulation du testament, tant pour insanité d'esprit, que pour manoeuvres dolosives;

DECLARE Madame [K] [O] irrecevable en ses prétentions tendant à calculer l'avantage total consenti à Madame [G] [P] pour l'occupation de l'appartement sis [Adresse 6] et définir ses incidences sur la quotité disponible des successions de [Y] et [I] [L];

DECLARE Madame [K] [O] irrecevable en ses prétentions tendant à constater l'acquisition de la prescription pour les créances susceptibles d'être invoquées par Monsieur [V] [L] sur les successions de ses parents;

DEBOUTE Madame [K] [O] et Monsieur [V] [L] de leurs prétentions respectives en condamnation de l'autre au paiement d'une somme symbolique de 1€ à titre de dommages intérêts;

REJETTE toutes prétentions fondées sur l'article 700 du code de procédure civile;

CONDAMNE Monsieur [V] [L] aux dépens, en ce non compris les frais d'expertise (expertises diligentées par Madame [T] [U] et Madame [F] [C])qui incomberont à Monsieur [V] [L] et à Madame [K] [O], chacun pour moitié.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 3 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 18/22377
Date de la décision : 10/06/2020

Références :

Cour d'appel de Paris E1, arrêt n°18/22377 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-06-10;18.22377 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award