REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 16
ARRÊT DU 03 JUIN 2020
SUR RENVOI APRES CASSATION
RECOURS EN ANNULATION
(n° 25 /2020, 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/03588 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7KIR
Décision déférée à la Cour :
Sentence arbitrale rendue à Paris le 15 Décembre 2014 par le Tribunal arbitral composé de M. Le professeur Eduardo Grebler, Président, et de M. Guido Santiago Tawil et M. Rodrigo Oreamuno, arbitres sous l'égide de la cour permanente d'arbitrage (caso CPA n° 2013-3) et sur cassation le 13 février 2019 de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 avril 2017 (RG n°15/01040 1-1).
DEMANDERESSE :
République Bolivarienne du Venezuela
Domiciliée: [...] )
Représentée par le Procurador General de la República, ayant ses bureaux: [...] . [...] )
Représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018 ; ayant pour avocat plaidant Me Alfredo DE JESUS O., avocat au barreau de PARIS,
DEFENDEURS:
Monsieur M... O... S...
Demeurant: [...] )
&
Madame U... O... G...
Demeurant: [...] )
Représenté.e.s par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477 ; ayant pour avocats plaidants Me Shaparak SALEH de la SELAS TEYNIER PIC, avocat au barreau de PARIS, Me Christophe SERAGLINI, avocat au barreau de PARIS, toque : J007et Me Hermann PRODEL, avocat au barreau de PARIS,
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Janvier 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Anne BEAUVOIS, Présidente
Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Fabienne SCHALLER dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Clémentine GLEMET
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, initialement prévue le 31 mars 2020 puis reportée au 03 juin 2020, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Anne BEAUVOIS, Présidente et par Clémentine GLEMET, Greffière présent lors du prononcé.
I. FAITS ET PROCÉDURE :
1. M. O... S... M... et sa fille Mme O... G... U... (ci-après « les consorts O...»), ont acquis en 2001 et 2006 des parts sociales dans deux sociétés vénézuéliennes du secteur alimentaire, les sociétés Transporte Dole et Alimentos Frisa.
2. En 2010, les autorités administratives vénézuéliennes ont opéré des contrôles sur ces sociétés au regard de la réglementation applicable à ce secteur d'activité et ont pris des mesures de sanction à leur égard.
3. Se prévalant du Traité bilatéral de protection des investissements hispano-vénézuéliens du 2 novembre 1995 (ci après dénommé " le TBI" ou 'APPRI'), les consorts O... ont engagé début octobre 2012 une procédure arbitrale soumise au règlement d'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International du 15 décembre 1976 (CNUDCI) enregistrée auprès de la Cour Permanente d'Arbitrage de la Haye.
4. Ils faisaient valoir qu'à la suite des mesures de confiscation et de rétention prises par les autorités vénézuéliennes à l'encontre des deux sociétés dans lesquelles ils avaient fait des investissements, ils avaient subi un préjudice dont ils demandaient l'indemnisation en application du TBI dont ils invoquaient la protection en leur qualité de ressortissants espagnols.
5. La République Bolivarienne du Venezuela (ci-après 'le Venezuela') a soulevé l'incompétence du tribunal arbitral au motif que les consorts O... ne pouvaient bénéficier de la protection du TBI, celui-ci étant inapplicable tant au regard de la bi-nationalité des consorts O... que de leur acquisition tardive de la nationalité espagnole.
6. Le 15 décembre 2014, le tribunal arbitral composé de Rodrigo Oreamuno Blanco, GuidoS. Tawil et Eduardo Grebler, président, a décidé aux termes d'une sentence rendue à Paris :
- que les Demandeurs sont des 'investisseurs' et les investissements réalisés par ces derniers sont des investissements selon les termes de l'article I du Traité,
- de rejeter les objections sur la compétence présentées par la République bolivarienne du Venezuela,
- de déclarer que ce Tribunal est compétent pour traiter cette procédure et régler le différend qui existe entre les Parties, conformément au Règlement d'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le Droit commercial international (CNUDCI) du 15 décembre 1976 et à l'Accord entre le Royaume d'Espagne et la République du Venezuela pour la Promotion et la protection réciproque des investissements (APPRI).
7. Le 14 janvier 2015, le Venezuela a formé un recours en annulation contre cette sentence.
8. Le 25 avril 2017, la cour d'appel de Paris a annulé partiellement la sentence sur le fondement de l'article 1520, 1° du code de procédure civile, 'seulement en tant qu'elle décide que les actifs litigieux sont des investissements au sens du Traité, sans considération de la nationalité des investisseurs à la date où ils ont procédé à leurs investissements». Pour le surplus, la cour d'appel a revêtu la sentence de l'exequatur.
9. Saisie d'un pourvoi formé par le Venezuela le 11 septembre 2017, la Cour de cassation a, par un arrêt du 13 février 2019, cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt d'appel et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris autrement composée.
10. Le 15 février 2019, le Venezuela a saisi la cour d'appel de Paris sur renvoi après cassation.
11. L'affaire a été enregistrée sous le n° RG 19/3588 et redistribuée le 15 mars 2019 à la CCIP-CA, l'audience étant fixée au 28 janvier 2020.
12. La clôture a été prononcée le 7 janvier 2020.
II. PRÉTENTIONS DES PARTIES :
13. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 2 janvier 2020 par RPVA, le Venezuela demande à la cour, au visa des articles 1466, 1519, 1520-1º, 1520-3º, 1520-4º et 1520-5º du Code de procédure civile, de juger son recours recevable, d'écarter les pièces juridiques adverses J98 à J141, d'annuler la sentence entreprise et condamner les consorts O... à lui payer la somme de 200 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
14. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 6 janvier 2020 par RPVA, les consorts O... demandent à la Cour, au visa des articles 1504 et suivants, 699 et 700 du Code de procédure civile, de juger les moyens du Vénézuela irrecevables et à tout le moins mal fondés, débouter le Venezuela de son recours en annulation, conférer l'exequatur à la sentence arbitrale sur la compétence rendue le 15 décembre 2014 et condamner le Venezuela à leur payer la somme de 200.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
15. La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
III. MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande de rejet de pièces :
16. La demande de rejet de pièces formée par le Venezuela figure dans le dispositif de ses conclusions mais n'est plus soutenue dans les motifs des écritures.
17. De plus, le bordereau de pièces communiquées par les consorts O... annexé aux dernières conclusions de ceux-ci contient la référence aux pièces J98 à J141 et celles-ci sont réputées avoir été régulièrement communiquées.
18. Il y a lieu par conséquent de rejeter cette demande.
Sur le moyen principal d'annulation tiré de l'incompétence du tribunal arbitral (article 1520, 1° du code de procédure civile) :
19. A titre principal, le Venezuela sollicite l'annulation dans son ensemble de la Sentence sur la compétence. Il soutient que le tribunal arbitral était incompétent ratione materiae à raison de l'absence de justification de la titularité de la nationalité espagnole des Consorts O... au moment de l'investissement prétendument réalisé.
Sur les fins de non-recevoir invoquées par les consorts O... :
20. En premier lieu, les Consorts O... soutiennent qu'ils ont renoncé à leurs demandes relatives aux investissements réalisés à des dates auxquelles il est contesté qu'ils avaient la nationalité espagnole, que le tribunal arbitral était sans aucun doute compétent ratione materiae pour les investissements réalisés après qu'ils ont obtenu la nationalité espagnole, que le tribunal arbitral n'a mis en 'uvre sa compétence dans la sentence finale qu'à l'égard de ceux-ci et ne les a indemnisés que pour les mesures prises contre ces investissements ; la demande principale du Venezuela qui fait grief aux arbitres d'avoir reconnu leur compétence ratione materiae alors que cette compétence faisait prétendument défaut, est devenue sans objet, faute d'intérêt à agir, et doit donc être déclarée irrecevable ou rejetée comme étant mal fondée.
21. Le Venezuela soutient en réponse que son moyen d'incompétence ratione materiae soutenu devant le tribunal arbitral est recevable, son intérêt à former un recours devant s'apprécier à la date de ce recours, donc avant la renonciation des consorts O... à une partie de leurs demandes, qu'il a toujours intérêt à obtenir l'annulation de la sentence sur la compétence dont la cour est saisie et qui demeure inchangée, les consorts O... n'y ayant pas renoncé, le tribunal arbitral étant dessaisi de cette question sur la compétence.
Sur ce,
22. En premier lieu, l'intérêt d'une partie à former un recours en annulation d'une sentence arbitrale doit être apprécié au jour de ce recours dont la recevabilité ne peut dépendre de circonstances postérieures qui l'auraient rendu sans objet.
23. Or, au jour de l'introduction du recours en annulation, le 14 janvier 2015, le Venezuela disposait d'un intérêt à agir qui n'avait pas et n'a jamais été contesté.
24. Le fait pour les consorts O... d'avoir renoncé le 8 septembre 2017 aux demandes portant sur les investissements réalisés alors qu'ils n'avaient pas la nationalité espagnole, est dès lors sans effet sur l'appréciation de l'intérêt du Venezuela à poursuivre l'annulation de la sentence sur la compétence, en invoquant notamment le grief visé par l'article 1520,1° du code de procédure civile.
25. En second lieu, l'abandon par les consorts O... d'une partie de leurs prétentions devant le tribunal arbitral postérieurement à l'arrêt de cassation, laisse persister dans l'ordonnancement juridique la sentence sur la compétence, ainsi que le tribunal arbitral l'a lui-même admis dans sa sentence finale, notamment aux paragraphes 228 et 435, refusant de statuer à nouveau sur sa compétence, contrairement aux demandes des consorts O....
26. En troisième lieu, le Venezuela conserve un intérêt à invoquer l'incompétence ratione materiae du tribunal arbitral, sans qu'il ait à ce stade à justifier des conditions du succès de sa prétention de ce chef, pour solliciter l'annulation dans son ensemble de la sentence partielle sur la compétence, ce que le recourant demande à la cour de juger, susceptible d'entraîner par voie de conséquence l'annulation de la sentence finale, mettant ainsi à néant les condamnations prononcées à son encontre au profit des consorts O... et obligeant les parties à faire trancher le litige par la voie d'un nouvel arbitrage.
27. Il y a lieu en conséquence de rejeter les fins de non-recevoir invoquées par les consorts O....
Sur les fins de non-recevoir invoquées par le Venezuela :
28. Le Venezuela conclut que les moyens des Consorts O... tendant à faire juger que la nationalité de l'investisseur doit s'apprécier, pour déterminer l'existence d'un investissement au sens du TBI, à la date où sont intervenues les mesures et à la date de présentation de la demande d'arbitrage, sont irrecevables.
29. Il soutient que la cour d'appel de renvoi ne peut prononcer que l'annulation totale de la sentence sur la compétence conformément à l'arrêt de cassation, étant désormais acquis que la nationalité du prétendu investisseur au moment de la réalisation de son investissement fait partie intégrante de la définition de l'investissement et que la cour ne peut admettre la compétence du tribunal arbitral à l'égard de certains investissements comme le voudraient les consorts O....
30. Il ajoute que la solution, admise par la Cour de cassation aux termes de son arrêt ayant conduit à la saisine de la cour d'appel de renvoi ne peut plus être remise en question à ce stade par les consorts O... qui ont renoncé à contester la solution admise par la cour d'appel, que les Consorts O..., en reprenant leur argumentation visant à faire juger que la nationalité du prétendu investisseur doit s'apprécier à la date des mesures contestées par ce dernier et de la présentation de la demande fondée sur le TBI, se contredisent au détriment du Venezuela, ce qui constitue une déloyauté procédurale qualifiée d'estoppel qui leur est opposable.
Sur ce,
31. En premier lieu, la Cour de cassation ayant cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt du 25 avril 2017 et remis en conséquence "la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt", il s'ensuit que cette décision de cassation ne laisse rien subsister de l'arrêt ainsi cassé et que la cour de renvoi est tenue d'examiner tous les moyens soulevés devant elle par les parties, quel qu'ait été le moyen qui a entraîné la cassation.
32. Les consorts O... peuvent en conséquence opposer au recours en annulation tous les moyens, même ceux déjà soumis à la cour d'appel et que celle-ci avait écartés dans l'arrêt du 25 avril 2017.
33. En second lieu, la déloyauté procédurale qualifiée d'estoppel doit être établie et avoir pour conséquence d'induire son adversaire en erreur sur ses intentions, se contredisant soi-même au détriment d'autrui, pour pouvoir prospérer.
34. Or, le fait pour les consorts O... d'avoir abandonné une partie de leurs demandes en paiement et de n'avoir pas formé de pourvoi incident, pour se conformer à l'arrêt d'appel et protéger l'intégrité de la sentence finale à venir après l'arrêt de cassation du 25 avril 2017, n'emporte pas renonciation expresse à faire valoir que la sentence sur la compétence était parfaitement justifiée et à contester devant la cour d'appel de renvoi que la nationalité de l'investisseur à la date de réalisation de l'investissement constitue un critère de compétence des arbitres au vu du TBI et à contredire l'ensemble des moyens soulevés par le Venezuela. Cette renonciation des consorts O... ne révèle aucune déloyauté procédurale au détriment du Venezuela.
35. Il y a lieu en conséquence de rejeter les fins de non-recevoir invoquées par le Venezuela.
Au fond :
36. Le Venezuela soutient que le TBI impose une condition de nationalité au moment de l'investissement, que la nationalité de l'investisseur au moment de la réalisation de son investissement fait partie intégrante de la définition de l'investissement, qu'en l'espèce les investissements des consorts O... faits en 2001 ne sont pas des investissements protégés au sens du TBI, car à cette date les consorts O... n'avaient pas la nationalité espagnole, que par extension, les augmentations de capital de 2006 ne constituent pas plus des investissements protégés, ces investissements étant en outre frauduleux.
37. Le Venezuela fait encore valoir que le TBI s'applique aux "investissements directs étrangers", tel qu'ils ressortent de l'article 5 de l'Accord économique entre l'Espagne et le Venezuela, qui fait partie intégrante du Traité d'amitié applicable sur le fondement de l'Article XI.4.c du TBI, que cette notion est purement économique et que le centre des liens personnels, économiques, politiques et juridiques des consorts O... étant tous au Venezuela, ils ne peuvent revendiquer un "investissement direct étranger". Le Venezuela soutient également que le tribunal arbitral a violé l'Article XI.4.b du TBI pour ne pas avoir appliqué les règles et principes de droit international et le droit vénézuélien, notamment en ne prenant pas en compte le fait que les investissements des consorts O... n'apparaissent pas dans le Registre des Investissements Etrangers établi par la Superintendencia de Inversiones Extranjeras de Venezuela, ce qui démontrerait qu'ils ne se sont eux-mêmes jamais considérés comme des investisseurs étrangers.
38. Il conteste tout paiement des actions et soutient que les augmentations de capital postérieures ne peuvent pas constituer des investissements au sens du TBI. Il soutient que ce moyen est recevable dès lors que les consorts O... ne s'étaient jamais prévalu de ce que les augmentations de capital constitueraient des investissements à part entière, avant l'annulation partielle de la sentence par la cour d'appel.
39. Enfin, le Venezuela soutient que la cour saisie du recours en annulation ne peut pas déclarer le Tribunal arbitral compétent pour une partie des investissements et pas pour les autres, la sentence ne faisant aucune distinction.
40. En réponse, les consorts O... soutiennent que le TBI n'impose pas de condition de nationalité au moment de l'investissement, que le TBI renvoie à la notion d'investisseur, sans la limiter à un différend relatif à un investissement, que la notion d'investissement du TBI est très large, la date pertinente pour apprécier la nationalité des investisseurs n'étant pas la date des investissements, mais la date de la violation du Traité et la date d'introduction de l'arbitrage, que la cour ne peut rajouter un critère de temporalité qui n'est pas prévu par le Traité.
41. Ils exposent qu'ils avaient bien des investissements sur le territoire du Venezuela et qu'ils avaient la nationalité espagnole au moment de la violation du Traité en 2010 et de l'introduction de la requête en 2012, qu'il suffit en tout état de cause d'avoir la nationalité au moment où une partie des investissements a été réalisée, soit en 2003 pour Mme O... et 2004 pour M. O..., que la compétence du tribunal arbitral ne fait dès lors pas de doute.
42. Ils estiment que l'article XI.4 du TBI ne s'applique pas à la question de la compétence du Tribunal arbitral car il régit uniquement le fond du différend alors que seul le TBI, qui contient l'offre d'arbitrage du Venezuela, est applicable aux fins de déterminer la compétence du Tribunal arbitral, dans la mesure où il prévoit les conditions spécifiques dans lesquelles cette offre existe et peut être acceptée, à savoir les termes combinés des articles I, XI(1) et (2) du TBI. Ils relèvent aussi que le Venezuela admet que les termes du TBI sont clairs. Enfin, les consorts O... relèvent que les sources de droit sur lesquelles se fonde le Venezuela se contredisent entre elles.
43. Ils font valoir la réalité de leurs investissements et contestent l'argumentation du Venezuela selon laquelle les augmentations de capital de 2006 ne constitueraient pas des investissements protégés, ce moyen étant irrecevable pour avoir été soulevé pour la première fois devant la cour de renvoi et étant dénué de fondement. Ils rappellent l'article 1466 du code de procédure civile et, sur le fond, soutiennent que le TBI couvre « tout type d'actifs », qu'il se réfère explicitement, dans la définition de l'investissement, aux « actions », à « toute autre forme de participation en sociétés », ainsi qu'aux « droits provenant de tout type d'apports réalisés dans le but de créer une valeur économique », ce pourquoi il couvrirait aussi les augmentations de capital, dont ils justifient de la réalité, tant par témoignages que par la preuve de compensations financières. Ils soutiennent en tout état de cause que la simple détention d'actions suffit à les faire bénéficier du Traité pour tous leurs investissements postérieurs.
44. Ils demandent à titre subsidiaire que l'annulation, si elle était prononcée, ne porte que sur les investissements antérieurs à 2003.
Sur ce,
45. Il y a lieu de rappeler que le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage. Il n'en va pas différemment lorsque, comme en l'espèce, les arbitres sont saisis sur le fondement des stipulations d'un Traité bilatéral d'investissement.
46. Conformément aux dispositions des articles 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des Traités, un Traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du Traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
47. Lorsqu'il s'agit d'un Traité offrant un arbitrage d'investissement, la compétence du tribunal arbitral tire sa source du consentement de l'Etat à être jugé au niveau international par un tribunal arbitral, sa compétence résultant de l'offre d'arbitrage proposée et étant circonscrite par les stipulations dudit Traité. L'applicabilité de la clause d'arbitrage dépend de la réunion des conditions posées par ce Traité.
48. En l'espèce, les conditions de l'offre d'arbitrage résultent des termes du Traité bilatéral de promotion et de protection réciproques des investissements hispano-vénézuéliens en date du 2'novembre 1995 (le TBI) lequel prévoit :
« article XI. Différends entre une Partie contractante et des investisseurs de l'autre Partie contractante
1. Tout différend survenant entre un investisseur d'une Partie contractante et l'autre Partie contractante concernant l'exécution par celle-ci des obligations établies dans le présent Accord sera notifié par une notification écrite contenant une information détaillée, par l'investisseur à la Partie contractante d'accueil de l'investissement. Dans la mesure du possible, les parties au différend essaieront de régler ces différends au moyen d'un accord amiable.[...]
4. L'arbitrage sera fondé sur :
a) Les dispositions du présent Accord et celles des autres accords conclus entre les Parties contractantes ;
b) Les règles et principes de Droit international ;
c) Le droit national de la Partie contractante sur le territoire de laquelle a été réalisé l'investissement, y compris les règles relatives aux conflits de Loi.»
49. Selon l'article 1 du TBI, pour l'application de cet accord :
« 1. Le terme « investisseurs » désigne :
a) Les personnes physiques qui ont la nationalité d'une des Parties contractantes en vertu de leur loi nationale et qui réalisent des investissements sur le territoire de l'autre Partie contractante. (...)
2. Le terme « investissements » désigne tout type d'actifs, investis par des investisseurs d'une Partie contractante sur le territoire de l'autre Partie contractante [...].'»
50. L'applicabilité de la clause d'arbitrage déduite du Traité dépend de la réalisation de l'ensemble des conditions requises par ce Traité sur la nationalité de l'investisseur et l'existence d'un investissement.
51. Il résulte des termes du TBI suivant leur sens ordinaire, sans qu'il soit nécessaire de les interpréter, que l'investissement protégé par le Traité est un actif investi par un investisseur de l'autre partie contractante, de sorte que l'investissement justifiant la compétence ratione materiae du tribunal arbitral est celui réalisé par un investisseur qui détient la nationalité de l'autre partie contractante, en vertu de sa législation, à la date à laquelle il réalise cet investissement sur le territoire de l'autre partie.
52. Il est avéré qu'en 2001, à la date à laquelle les consorts O... disent avoir réalisé des investissements au Vénézuela pour la protection desquels ils ont engagé la procédure d'arbitrage prévue par le TBI, consistant en l'acquisition de parts sociales dans les entreprises Transporte Dole et Alimentos Frisa, sociétés vénézuéliennes qui appartenaient au groupe familial [...], M. M... O... et sa fille U... O... ne possédaient que la nationalité vénézuélienne et n'étaient pas de nationalité espagnole.
53. Or, le tribunal arbitral a retenu sa compétence au motif qu'il résulte des termes du TBI que 'la nationalité de l'investisseur doit être vérifiée au moment où il accorde son consentement ou au début de l'arbitrage, et non au moment de la réalisation de l'investissement dont la protection est visée'.
54. Il s'est déclaré compétent en écartant toute condition de nationalité à la date de l'investissement, et en estimant que la seule condition pour obtenir la protection du TBI était de détenir la nationalité de l'Etat de l'investisseur à la date à laquelle s'est produite la prétendue violation du Traité ou à la date du début de l'arbitrage.
55. Il a en conséquence décidé que « les Demandeurs sont des « investisseurs » et les investissements réalisés par ces derniers sont des « investissements » selon les termes de l'article I du Traité », rejeté les objections sur la compétence présentées par la République bolivarienne du Venezuela et déclaré que ce Tribunal est compétent pour traiter cette procédure et régler le différend qui existe entre les Parties.
56. Or, les critères de compétence fixés par le TBI étant cumulatifs et indivisibles, le tribunal arbitral qui ne s'est pas livré à l'examen de sa compétence ratione materiae conformément aux termes du Traité et de l'offre d'arbitrage, en ne vérifiant pas que la condition de nationalité des investisseurs était remplie au jour où les investissements étaient réalisés, s'est déclaré à tort compétent pour connaître de toutes les demandes des consorts O....
57. En conséquence, la sentence du 15 décembre 2014 excluant tout élément de temporalité dans la détermination des investissements protégés, sans distinguer selon la date à laquelle ils ont été réalisés, doit être annulée dans son intégralité, sans qu'il y ait lieu pour la cour d'appel saisie du recours en annulation de distinguer selon la date à laquelle les investissements ont été réalisés.
Sur les autres demandes :
58. Les consorts O... succombant, il y a lieu de les condamner aux dépens et à payer au Venezuela une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dans les termes indiqués au dispositif ci-après.
PAR CES MOTIFS,
Statuant à nouveau, sur renvoi après cassation,
1. Rejette la demande tendant à voir écarter les pièces J98 à 141 régulièrement communiquées par les consorts O....
2. Rejette les fins de non-recevoir invoquées par les consorts O....
3. Rejette les fins de non-recevoir invoquées par la République bolivarienne du Venezuela.
4. Annule dans son intégralité la sentence rendue à Paris le 15 décembre 2014 par le tribunal arbitral composé de MM. Tawil, Oramuno Blanco et Grebler.
5. Condamne M. O... S... M... et Mme O... G... U... à payer à la République bolivarienne du Venezuela la somme de 100'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
6. Les condamne aux entiers dépens.
La greffière La présidente
Clémentine GLEMET Anne BEAUVOIS