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28/05/2020 | FRANCE | N°18/09947

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 28 mai 2020, 18/09947


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRÊT DU 28 MAI 2020



(n° 2020 - 107 , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/09947 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5WVW



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Janvier 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/12479





APPELANTS



Monsieur [T] [N]

Né le [Date naissance 3] 1946 à [Localité 8]

[A

dresse 5]

[Adresse 5]





ET





Madame [V] [X] épouse [N]

Née le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 6]

[Adresse 5]

[Adresse 5]



Assistés à l'audience de Me Charlyne HURTEVENT, avocat au barr...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2

ARRÊT DU 28 MAI 2020

(n° 2020 - 107 , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/09947 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5WVW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Janvier 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/12479

APPELANTS

Monsieur [T] [N]

Né le [Date naissance 3] 1946 à [Localité 8]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

ET

Madame [V] [X] épouse [N]

Née le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 6]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Assistés à l'audience de Me Charlyne HURTEVENT, avocat au barreau de PARIS, toque D1079, substituant Me Laurence JEGOUZO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1079

INTIMÉES

La SAS TERRES D'AVENTURE, agissant en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 305 691 149 00143

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée et assistée à l'audience de Me Sonia ANGLIVIEL DE LA BEAUMELLE, avocat au barreau de PARIS, toque : B1046

La SARL ESPRIT LIBRE VOYAGE, prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Défaillante, régulièrement avisée par procès-verbal le 07 août 2018 de remise à étude

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 06 Février 2020, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Cathy CESARO-PAUTROT, présidente de chambre

Madame Patricia LEFEVRE, conseillère

Madame Laurence CHAINTRON, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Cathy CESARO-PAUTROT présidente de chambre

Greffière, lors des débats : Madame Fatima-Zohra AMARA

ARRÊT :

- rendu par défaut

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Cathy CESARO-PAUTROT, présidente de chambre et par Madame Fatima-Zohra AMARA, greffière présente lors du prononcé.

**************

Selon facture du 7 octobre 2015 , M. [T] [N] et Mme [V] [X] épouse [N] ont acquis auprès de la société Esprit Libre Voyages un forfait touristique en Antarctique intitulé Aux confins de l'Antarctique': la terre de Graham organisé par la société Terres d'aventure exerçant sous la marque Grand Nord Grand Large qui devait se dérouler du 5 janvier 2016 au 18 janvier 2016. Le prix de la prestation pour deux personnes d'un montant de 19 200 euros comprenait les vols, les taxes aéroports et le forfait par personne.

Cent quatorze personnes se sont inscrites sur cette croisière, dont cinquante clients de la société Terres d'aventure et quatre de la société Voyageurs du monde.

L'embarquement à Ushuaia programmé le 7 janvier 2016 en milieu d'après-midi a été reporté au lendemain matin, compte tenu des contraintes météorologiques défavorables. Les passagers ont embarqué le 8 janvier au matin. Le même jour, à la fin de la première conférence organisée sur le bateau, deux personnes, dont une passagère d'un âge très avancé, Mme [L], et un membre de l'équipage ont fait une chute. Compte tenu de leurs blessures, le capitaine du bateau Plancius a décidé de faire demi-tour et de ramener les deux blessées à Ushuaia afin qu'elles soient hospitalisées.

Une fois de retour au port, les conditions météorologiques se sont considérablement dégradées et le passage du Drake était devenu dangereux rendant la navigation vers l'Antarctique difficilement réalisable.

Le 9 janvier 2016, la société Terres d'aventure a annulé le voyage en Antarctique et a proposé à l'ensemble des voyageurs présents sur le bateau un voyage alternatif aux îles Malouines et une remise de 50% sur le montant du voyage Aux confins de l'Antarctique pour un départ prévu en 2017 ou 2018. Neuf passagers du bateau n'ont pas accepté cette proposition et ont débarqué pour rentrer chez eux ou faire une autre croisière.

Les époux [N] ont effectué la croisière aux îles Malouines.

Par courrier électronique du 16 janvier 2016, un groupe de voyageurs, parmi lesquels les époux [N], a adressé une réclamation au directeur de Terres d'aventure afin de solliciter le remboursement de près de 80% du prix de leur voyage ou une remise d'un même pourcentage sur l'un des programmes du catalogue, et ce, sans limite de temps.

Selon courrier recommandé du 28 janvier 2016, les époux [N] ont manifesté leur mécontentement et leur refus de signer le protocole transactionnel.

Selon courrier du 15 février 2016, la société Terres d'aventure a étendu sa proposition de remise de 50% au choix d'un voyage sur une liste de 30 croisières, valable 5 ans.

Le 23 mars 2016, la société Terres d'aventure a adressé un courrier recommandé explicatif à UFC Que Choisir qui avait formulé pour le compte de ses adhérents des demande d'indemnisation.

Entre les mois de février 2016 et d'avril 2016, la société Grand Nord Grand large a signé avec 17 personnes un protocole transactionnel.

Par ailleurs, le médiateur du tourisme a été saisi.

Suivant actes d'huissier en date du 29 juillet 2016 et 2 août 2016, les époux [N] ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris la société Terres d'aventure et la société Esprit Libre Voyages aux fins de mise en 'uvre de sa responsabilité et d'indemnisation de leurs préjudices.

Par jugement en date du 30 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Paris a débouté les époux [N] de leurs prétentions, les a condamnés à payer à la société Terres d'aventure la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure et à supporter les dépens.

La juridiction a notamment considéré qu'il n'y a pas lieu de statuer sur l'existence ou non d'une force majeure puisque les voyageurs ont accepté la croisière de remplacement proposée par l'agent de voyage, que les demandeurs n'établissent pas que cette solution leur a été imposée ni qu'ils aient dû se décider sans réflexion et dans l'urgence, et que dès lors, aucun des voyageurs n'a été contraint d'effectuer une croisière qu'il ne souhaitait pas faire. Elle a également indiqué que l'appréciation de l'intérêt des paysages des Iles Malouines est subjective, et que lorsqu'ils ont accepté d'aller aux Iles Malouines, les demandeurs savaient pertinemment que le voyage serait différent quant aux paysages qu'ils allaient rencontrer. Elle a ajouté les deux croisières avaient la même durée, le bateau était le même avec le même coût de fonctionnement en carburant, personnel, prestations de service, conférence, alimentation des passagers. Les frais de fonctionnement étaient donc identiques. La différence de prix entre les deux croisières n'est pas établie, le voyagiste ayant dû faire face à des frais supplémentaires...L'agence de voyage a rempli ses obligations en proposant à l'acheteur des prestations qu'il a acceptées en remplacement de celles qui n'ont pas été fournies et les demandeurs n'indiquent pas quelle autre possibilité était offerte au voyagiste, sauf en cas de refus des passagers, d'assurer le rapatriement des intéressés, ce qui n'a pas été demandé. Les demandeurs, qui n'établissent pas la faute de l'agence de voyage dans le cadre de la solution alternative proposée, ne peuvent qu'être déboutés de leurs prétentions.

Le 22 mai 2018, les époux [N] ont relevé appel de la décision.

Dans leurs dernières écritures notifiées par voie électronique le 2 août 2018, M. et Mme [N] demandent, au visa des articles L.211-1 et suivants du code du tourisme, à la cour de':

- infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 30 janvier 2018,

A titre principal':

- débouter la société Terres d'aventure de l'ensemble de ses demandes,

- dire que la société Terres d'aventure a commis une faute et engage sa responsabilité concernant l'annulation du voyage Aux confins de l'Antartique,

- dire que la force majeure n'est pas caractérisée aussi bien pour l'accident d'une des participantes du voyage que pour les conditions météorologiques.

- dire que la société Terres d'aventure doit les indemniser du préjudice subi du fait de l'annulation de la croisière Aux confins de l'Antartique,

- condamner la société Terres d'aventure à leur payer la somme de 13 397 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice matériel subi et la somme de 2 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi lors de ce séjour,

A titre subsidiaire':

- dire que la société Terres d'aventure n'a pas proposé une prestation équivalente à celle qui était prévue,

- condamner la société Terres d'aventure à rembourser la différence de prix entre les prestations prévues et fournies,

- condamner la société Terres d'aventure à leur payer la somme de 13 397 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice matériel subi et la somme de 2 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi lors de ce séjour,

En tout état de cause,

- condamner la société Terres d'aventure à leur payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Terres d'aventure aux entiers dépens.

Suivant acte huissier du 7 août 2018 établi dans les formes de l'article 658 du code de procédure civile, les époux [N] ont fait signifier leur déclaration d'appel à la SARL Esprit libre voyage.

Dans ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 31 octobre 2018, la société Terres d'aventure demande, au visa de l'article 1134 ancien du code civil et de l'article

L 211-15 du code du tourisme, à la cour de':

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 30 janvier 2018,

En conséquence,

- débouter M. et Mme [N] de toutes leurs demandes,

- les condamner solidairement à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code procédure civile,

Y ajoutant,

- les condamner solidairement à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code procédure civile en cause d'appel,

- les condamner solidairement aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Sonia Angliviel de La Beaumelle.

SUR CE, LA COUR

Les époux [N] invoquent, à titre principal, la responsabilité de la société Terres d'aventure dès lors que le voyage en Antarctique a été annulé du fait de l'agence de voyages en l'absence de cas de force majeure et que les passagers ont été contraints d'accepter un voyage de substitution.

Ils relatent que le premier retard subi à l'embarquement à Ushuaia était prévisible, alors que le vent soufflait au maximum à 45 n'uds, au-dessous du seuil des tempêtes, et relevait d'une situation fréquemment rencontrée dans cette partie du monde. Ils invoquent l'absence de mesure de sécurité et d'information sur le bateau au moment de l'accident pour inviter les passagers à rester dans leur cabine et exposent que, tout au contraire, la société Terres d'Aventure GNGL a maintenu la conférence prévue au lieu de l'annuler, obligeant ainsi les passagers à se déplacer.

Ils s'opposent à l'argumentation développée concernant la force majeure car les critères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité ne sont pas démontrés en ce qui concerne :

- la chute d'une personne de 90 ans, laquelle voyageait seule et avait déjà chuté sur la passerelle lors de l'embarquement et des exercices de sécurité peu après le départ. Ils font valoir que l'inscription de cette passagère n'a pas été effectuée avec toute la rigueur nécessaire et que le voyagiste n'a pas pris les précautions qui s'imposaient au moment de l'accident, d'autant que le bateau était instable depuis plusieurs heures, avec un tangage et un roulis significatifs ;

- les conditions météorologiques parfaitement connues de la société Terres d'aventure ainsi que cela ressort de la brochure du voyage, de la fermeture du port le 7 janvier, des prévisions annoncées et des relevés météorologiques.

Ils allèguent du non-respect des dispositions du code de tourisme dans les conditions de l'acceptation de la croisière de substitution aux îles Malouines et arguent d'une manipulation. Ils soutiennent que la société Terres d'Aventure GNGL a fait croire aux passagers que la force majeure était l'unique cause de l'annulation de la croisière, et qu'en réponse à leurs interrogations sur les conditions d'un débarquement, il leur a été indiqué qu'ils pouvaient quitter le bateau "à leurs risques et périls", sans la moindre information sur leur rapatriement. Ils soulignent que le délai excessivement court ne leur a pas permis de prendre le recul nécessaire, qu'ils ne sont pas parvenus à obtenir une réponse claire sur la possibilité d'un remboursement même partiel en lieu et place de la remise accordée par le voyagiste ainsi qu'une information sur les conditions de leur débarquement s'ils refusaient la proposition. Ils prétendent qu'ils n'ont pas eu d'autre choix que d'accepter la croisière alternative et rappellent que le prétexte de la force majeure excluait de facto tout espoir d'obtenir un remboursement intégral ou même partiel du voyage s'ils décidaient de débarquer puisque le voyagiste s'exonérait par-là de toute responsabilité. Ils observent que le groupe anglophone a mené ses propres négociations et que l'unique personne du groupe francophone ayant débarqué avait déjà réalisé un voyage aux Malouines et disposait de temps afin d'attendre à Ushuaia un prochain départ pour l'Antarctique. Ils critiquent l'attestation de M. [P] [A] qui est, selon eux, mensongère. Ils font valoir que la société Terres d'aventure ne peut justifier la modification essentielle du contrat et qu'elle a modifié la destination du voyage puis le programme.

La société Terres d'aventure conteste la mise en 'uvre de sa responsabilité et tout manquement à ses obligations. Elle estime que le débat sur la force majeure est sans objet et que le litige porte sur la bonne application de l'article L. 211-15 du code du tourisme.

Elle affirme qu'elle n'avait aucune raison de refuser l'inscription de Mme [L], qui était en bonne santé physique, malgré une opération à l'épaule l'année précédente, et qui ne présentait aucune contre-indication nonobstant son âge ainsi qu'en attestent le formulaire médical et le témoignage du fils de l'intéressée. Elle soutient que la personne présente avec une canne était Mme [D] et que Mme [L] n'est pas tombée en raison d'un manque de vigilance de la part du voyagiste mais parce que la météo s'est vite dégradée et que le bateau a commencé à être malmené et secoué par le vent et les vagues, précisant que la mer a commencé à se former à la fin de la conférence tandis que les appelants ne peuvent tirer argument des photographies qu'ils produisent.

Elle fait valoir que le changement de destination de la croisière a été mis en place conformément aux dispositions de l'article L. 211-15 du code du tourisme en raison des conditions météorologiques défavorables et de la nécessité de veiller à la sécurité des voyageurs. Elle nie avoir imposé la croisière de substitution dans la précipitation, sous la contrainte, et sans information. Elle soutient que la proposition du voyage de substitution a été présentée oralement dans la salle de conférence du bateau et a même été accueillie par des applaudissements, que les passagers ont accepté après réflexion et des échanges téléphoniques avec Terres d'aventure en France. Elle rappelle que neuf passagers, parmi lesquels M. [H], ont débarqué, qu'il n'était pas question d'abandonner les voyageurs en Argentine, et ajoute que Mme [C] [O], responsable croisière GNGL était chargée de s'occuper des éventuels rapatriements. Elle prétend que les voyageurs étaient parfaitement et préalablement informés que les conditions météorologiques étaient aléatoires et susceptibles d'entraîner des modifications du voyage et que cet aléa a été accepté par eux. Elle affirme qu'elle n'avait pas l'obligation de proposer le rapatriement puisque les époux [N] avaient accepté la croisière alternative et que ce n'est qu'en cas de refus qu'elle aurait dû prendre en charge leur rapatriement sans frais. Elle avance qu'à la lecture attentive de l'article L. 211-15 du code du tourisme, lorsque après le départ, l'un des éléments essentiels du contrat ne peut être exécuté, il est imposé aux agents de voyage de proposer aux voyageurs des prestations en remplacement, que ce n'est qu'en cas de refus "si l'acheteur n'accepte pas la modification proposée" que l'agent de voyage a l'obligation de lui procurer des titres de transport nécessaires à son retour, et ajoute que le code du tourisme ne dit pas que l'agent de voyages doit proposer un voyage de substitution ou un retour sans frais mais l'un puis l'autre s'il n'est pas possible de proposer une alternative (article R. 211-11 du code du tourisme). Elle soutient, en outre, avoir proposé le rapatriement ainsi qu'en atteste M. [A] alors même qu'elle n'était pas obligée de le faire avant d'avoir un refus des voyageurs sur le voyage de substitution.

Aux termes de l'article L. 211-15 du code du tourisme, dans sa version applicable jusqu'aux contrats conclus avant le 1er juillet 2018, lorsque, après le départ, un des éléments essentiels du contrat ne peut être exécuté, le vendeur doit, sauf impossibilité dûment justifiée, proposer à l'acheteur des prestations en remplacement de celles qui ne sont pas fournies. Le vendeur prend à sa charge les suppléments de prix qui en résultent ou rembourse la différence de prix entre les prestations prévues et fournies. Si l'acheteur n'accepte pas la modification proposée, le vendeur doit lui procurer les titres de transport nécessaires à son retour, sans préjudice des dommages et intérêts auxquels l'acheteur pourrait prétendre.

L'article R. 211-11 (cité par l'intimée) dispose que lorsque, après le départ de l'acheteur, le vendeur se trouve dans l'impossibilité de fournir une part prépondérante des services prévus au contrat représentant un pourcentage non négligeable du prix honoré par l'acheteur, le vendeur doit immédiatement prendre les dispositions suivantes sans préjuger des recours en réparation pour dommages éventuellement subis :

-soit proposer des prestations en remplacement des prestations prévues en supportant éventuellement tout supplément de prix et, si les prestations acceptées par l'acheteur sont de qualité inférieure, le vendeur doit lui rembourser, dès son retour, la différence de prix

-soit, s'il ne peut proposer aucune prestation de remplacement ou si celles-ci sont refusées par l'acheteur pour des motifs valables, fournir à l'acheteur, sans supplément de prix, des titres de transport pour assurer son retour dans des conditions pouvant être jugées équivalentes vers le lieu de départ ou vers un autre lieu accepté par les deux parties.

Il s'ensuit que le contrat de vente est, selon que l'acquéreur accepte ou non les prestations de remplacement, modifié et se poursuit selon la nouvelle convention des parties ou résilié et le voyagiste a alors l'obligation de rapatrier son cocontractant, à ses frais.

Il convient de relever que les appelants ne recherchent pas la responsabilité de plein droit de l'agence de voyages prévue par l'article L. 211-16 du code du tourisme, lequel rappelle le caractère exonératoire de la force majeure, mais prétendent que les faits qui les ont amenés à accepter les prestations de remplacement sont fautifs et engagent la responsabilité de leur cocontractante.

Comme le report de l'embarquement du 7 au 8 janvier 2016 consécutif à la détérioration des conditions météorologiques, la chute d'une passagère âgée, déséquilibrée par la houle lors de la traversée d'un passage réputé pour ses vents violents ou des conditions météorologiques dégradées, qui sont d'ailleurs décrites en page 4 du programme de présentation de la croisière, ne peuvent pas constituer un cas de force majeure. Cette chute, comme celle d'ailleurs d'un membre de l'équipage qui a également dû être ramené à terre pour être hospitalisé, ne suffit pas à caractériser une faute de l'agence de voyages. Par ailleurs, aucun élément ne permet d'avancer comme le font les appelants, que lors de la conclusion du contrat, les capacités physiques de Mme [L] dont atteste au demeurant son fils, ne lui permettaient pas de participer à la croisière ou compromettaient ses déplacements sur le bateau. De même, les griefs relatifs à l'absence de consignes, à la conférence qui aurait dû être annulée et à l'insuffisance de mesures afin "d'escorter" Mme [L] ne permettent pas de caractériser une faute de l'agence de voyages.

En revanche, dans la mesure où ainsi que le prévoit la loi, la modification des prestations doit être acceptée par l'acquéreur, le vendeur professionnel est tenu à son égard à une obligation d'information sur les conséquences de son éventuel refus tant sur les conditions de son rapatriement que sur les conséquences de la résiliation du contrat alors qu'en vertu de l'article R. 211-11, les recours en responsabilité du client sont préservés.

En l'espèce, la société Terres d'aventure a été confrontée à des événements extérieurs qui se sont imposés à elle, en l'occurrence la nécessité d'un retour au port de départ pour débarquer une passagère et un membre de l'équipage blessés afin qu'ils soient hospitalisés et des conditions météorologiques rendant périlleuse voire impossible la traversée du passage du Drake qui sépare l'Argentine de l'Antarctique.

La société Terres d'aventure a alors proposé de remplacer par une croisière aux Malouines le cabotage le long de la Terre de Graham "sur les traces du commandant Charcot", destination de la croisière et qui à ce titre, constituait la part prépondérante des prestations, ainsi qu'il ressort de l'intitulé de la croisière Aux confins de l'Antarctique, de la reproduction de la seule péninsule antarctique sur le programme de présentation, et des termes laudatifs de ce programme lorsqu'il vante les paysages, le relief digne des montagnes européennes avec des sommets de plus de 3 000 mètres, la dérive des icebergs, le spectacle son et lumière des pans de glace qui se détachent, et la faune ( observation des pétrels géants, des manchots papou, à jugulaire et Adélie, des baleines et orques).

La société Terres d'aventure ne peut, pas comme elle le fait désormais, prétendre qu'il s'agirait d'une modification d'itinéraire acceptée par avance par les passagers eu égard aux stipulations du programme sous le titre IMPORTANT ITINÉRAIRE (page 2 du programme) alors qu'elle modifie la destination de la croisière et non l'itinéraire de celle-ci.

Cette proposition s'est matérialisée par un courriel adressé par GNGL aux participants, le 9 janvier à 15 heures. Il est écrit : ces deux cas de force majeure (l'accident d'une passagère et les conditions climatiques) nous poussent donc à vous proposer une alternative au voyage initialement prévu. En voici le détail (suit la description de la nouvelle croisière). En complément de ce voyage alternatif, nous nous engageons à vous faire bénéficier d'une réduction de 50% sur le montant du voyage, Aux confins de l'antarctique si vous décidez de vous inscrire sur nos départs de 2017 ou 2018. Nous vous remercions de votre compréhension face à ce cas de force majeure et nous vous souhaitons une bonne fin de voyages en Amérique du sud.

Il n'est aucunement fait allusion dans ce courriel à un rapatriement en cas de refus et à ses conditions, et la société Terres d'aventure insiste à deux reprises sur le fait qu'elle est confrontée à un cas de force majeure, qualification dont elle ne pouvait ignorer qu'elle ne pouvait s'appliquer à la chute d'une passagère, âgée, déséquilibrée par la houle lors de la traversée d'un passage réputé pour ses vents violents et à des conditions météorologiques dégradées, ainsi qu'il a été dit.

Les époux [N] rappellent dans leurs écritures, sans être contredits, le message adressé par le voyagiste le 10 février 2016 à M.[U] en ces termes Nous vous présentons toutes nos excuses pour le stress occasionné mais il était nécessaire d'agir vite, nous ne disposions que de deux heures car les autorités portuaires menaçaient de fermer à nouveau le port pour des raisons de sécurité.

Dans son courrier du 23 mars 2016 adressé à l'association UFC Que choisir, la société Terres d'aventure GNGL explique que la modification de 4 jours de voyage est due à une succession d'événements indépendants de sa volonté, que l'alternative de voyage proposée correspond à "l'esprit du séjour" sans supplément de prix, et que des réductions ont été offertes à titre de geste commercial. Nonobstant son exposé du déroulement des faits et ses développements pour tenter de justifier sa position, elle ne mentionne pas l'information donnée aux passagers quant à la possibilité et les conditions d'un rapatriement.

Le membre du personnel de bord, M. [S], qui témoigne en faveur de la société Terres d'aventure, fait état uniquement de la proposition d'une alternative à la croisière initialement prévue et à des échanges téléphoniques de certains clients avec un dirigeant de Terres d'aventure. Comme M. [W], il n'évoque pas une information sur les conditions d'un rapatriement, et encore moins le rapatriement avec remboursement intégral de la croisière dont atteste M. [P] [A], proposition que l'intimée ne reprend pas, du reste, dans ses écritures. De surcroît, il ne résulte pas de l'attestation de ce témoin une proposition à l'ensemble des passagers au regard du paragraphe qui commence par Mon épouse et moi. En d'autres termes, M. [A] n'atteste que des propositions qui lui ont été faites, ainsi qu'à son épouse, sans qu'il puisse en être déduit qu'elles ont été faites à d'autres passagers et notamment aux appelants.

Ainsi, contrairement à l'appréciation des premiers juges, ces attestations sont insuffisantes à rapporter la preuve que l'intimée a loyalement exécuté ses obligations, notamment en ce qui concerne la délivrance d'une information exhaustive sur les obligations qui étaient les siennes en raison de l'annulation de la croisière en Antarctique.

Il s'ensuit que la société Terres d'aventure ne démontre pas avoir informé ses cocontractants sur les conséquences de leur refus des prestations de remplacement et sur les conditions d'un éventuel rapatriement, d'autant qu'elle excipait de la force majeure dans un contexte de précipitation.

Son analyse des obligations de l'agent de voyage prévues à l'article L. 211-15 du code du tourisme vient conforter le constat de sa carence puisqu'elle estime que le code du tourisme ne dit pas que l'agent de voyages doit proposer un voyage de substitution ou un retour sans frais mais l'un puis l'autre s'il n'est pas possible de proposer une alternative. Elle ne peut raisonnablement prétendre qu'elle n'était pas obligée de proposer un rapatriement avant d'avoir un refus des voyageurs sur le voyage de substitution.

Il résulte des développements qui précédent que les époux [N] sont fondés à contester les conditions de leur acceptation de la croisière alternative, manifestée dans l'urgence et un climat de stress, au vu de leur situation d'isolement dans une région éloignée du monde, à bord d'un bateau dans un port qui menaçait de fermer, et en l'absence d'information dûment caractérisée sur une solution de rapatriement et le cas échéant de dédommagement après leur débarquement.

En conséquence, il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a écarté la responsabilité de l'agence de voyages.

Les époux [N] demandent réparation de leur préjudice compte tenu de la contrainte subie pour accepter le voyage aux îles Malouines en l'absence d'information sur une autre solution et de l'intérêt très limité du voyage de substitution. Ils rappellent que l'attractivité du voyage en Antarctique tenait principalement à la découverte de ce continent presque inaccessible et aux décors de glaces grandioses, que le programme aux îles Malouines déjà très inférieur à celui prévu pour l'Antarctique n'a pas été respecté et a été ponctué de visites sans grand intérêt, avec une faune équivalente à celle qui pouvait être observée dans des sites beaucoup plus proches d'Ushuaia. Ils ajoutent qu'ils n'auraient jamais déboursé la somme de 19 200 euros pour une croisière de ce type.

Ils sollicitent, en premier lieu, la somme de 13 397 euros de dommages et intérêts au titre de leur préjudice matériel, par comparaison des prix entre le voyage en Antarctique et le voyage aux îles Malouines, et évaluent une journée sur site en Antarctique à 1 925 euros contre 1 139 euros pour une journée sur site aux îles Malouines. Ils demandent le remboursement de la somme de 10 844 euros, soit 5 422 euros par personne, ainsi que le remboursement de 75 % des frais de transport, soit 1 276,5 euros par personne.

Ils sollicitent, en second lieu, la somme de 1 000 euros, chacun, au titre de leur préjudice moral. Ils font valoir qu'ils avaient rêvé pendant des années du voyage en Antarctique et l'avait préparé pendant des mois, et qu'ils ont en réalité vécu des journées de navigation mouvementées et inutiles au vu du voyage alternatif de peu d'intérêt, dans un stress important avec des changements de programme constants.

A titre subsidiaire, ils formulent les mêmes demandes financières en remboursement de la différence de prix entre les prestations prévues et fournies.

En réponse, la société Terres d'aventure se prévaut de la qualité du voyage de substitution et de plusieurs témoignages de satisfaction, dont celui de M. [A], mais aussi de certains propos tenus par MM. [J] et [M] qui faisaient partie du collectif des plaignants. Elle souligne que les passagers savaient au moment d'accepter la croisière de substitution que les paysages ne seraient pas les mêmes et qu'ils ne verraient pas de glace comme en Antarctique, et que c'est pour cette raison, pour atténuer leur déception, qu'elle a effectué une offre de réduction significative sur une prochaine croisière.

Elle qualifie les demandes financières de "totalement extravagantes" et fait valoir que le calcul de la différence de prix d'une journée de voyage est incompréhensible et erroné. Elle objecte qu'on ne peut déduire le coût d'une croisière à partir du coût d'une autre croisière lorsque la durée n'est pas la même, que les appelants ne tiennent compte que des jours de visite en faisant abstraction des jours de navigation au cours desquels avaient lieu notamment les conférences, et que chaque jour à bord du bateau représente un coût (personnel, fonctionnement, prestations de services, médecin, alimentation, carburant... ). Elle soutient qu'il n'y a pas d'écart de prix entre la croisière initiale et la croisière de substitution et qu'elle a même dû faire face à des frais supplémentaires tels que la location de 4x4 pour certaines excursions. Elle conteste le remboursement de 75 % du prix des billets d'avion puisque les appelants ont utilisé les titres de transport et conclut au rejet de la demande au titre d'un prétendu préjudice moral au regard de sa proposition de 50 % sur un prochain voyage dans la limite de 5 ans.

Il s'infère des documents versés aux débats que le programme voyage Aux confins de l'Antarctique était le suivant :

- jour 1: départ de [Localité 7]

- jour 2 : Buenos Aires

- jour 3 : embarquement à Ushuaia

- jour 4 et jour 5 : en mer

- jour 6 à jour 9 : cabotage le long de la terre de Graham

- jour 10 et 11 : en mer

- jour 12 : Ushuaia

- jour 13 : départ de Buenos Aires.

Les appelants rappellent que cette croisière s'étend sur un peu moins de neuf jours pour quatre jours sur sites. En raison des circonstances ci-dessus rappelées, ils n'ont pu effectuer le cabotage le long de la terre de Graham prévu pendant quatre jours, qui constituait l'élément essentiel du contrat, et ont réalisé en remplacement une croisière aux îles Malouines, alors que le voyagiste a failli partiellement à ses obligations contractuelles au moment de l'acceptation de la croisière de substitution. Les passagers, privés d'un choix éclairé, ont subi de ce fait un préjudice dans le déroulement de leur voyage, qui justifie l'octroi de dommages et intérêts. Le jugement sera donc infirmé sur le rejet de la demande d'indemnisation.

Les époux [N] indiquent avoir payé la somme de 7 700 euros par personne, hors vols et taxes. Il est constant qu'ils ont voyagé sur le même bateau et ont bénéficié des prestations hôtelières et services ainsi que de l'accompagnement prévus.

Le calcul qu'ils proposent à titre de dédommagement ne saurait être validé, à défaut d'être fondé sur des éléments pertinents, puisqu'il se fonde essentiellement sur une comparaison avec la croisière "Grande boucle australe" dont la durée est de 19 jours dont 10 jours de visites sur site.

Pour autant, la société Terres d'aventure ne dément pas que ses tarifs de vente prennent en compte l'attractivité de la destination que représente l'Antarctique avec ses paysages de glace et sa faune. Elle indique, de plus, dans son courrier adressé à l'UFC que choisir que le voyage de remplacement réalisé n'est pas proposé à la vente et a été organisé sur mesure pour répondre aux circonstances. Dès lors, l'absence d'écart de coût entre les deux croisières qu'elle met en exergue constitue une simple affirmation non étayée par des pièces probantes. Il convient, en outre, d'observer que les extraits du journal de voyage aux îles Malouines montrent des différences avec le programme tel qu'annoncé dans le courriel du 9 janvier 2016 et la société Terres d'aventure invoque vainement que les programmes sont donnés à titre indicatif.

De même, l'intimée, qui écrit dans ses conclusions qu'il est faux de soutenir qu'elle n'aurait fait aucune proposition d'indemnisation, ne saurait utilement se retrancher derrière sa proposition commerciale sur le prix d'un autre voyage, alors que les appelants font valoir, à juste titre, le problème des moyens financiers nécessaires pour repartir une seconde fois malgré la remise accordée.

En considération de ces éléments, du prix du voyage payé par les époux [N] et du nombre de jours affectés par la croisière alternative en remplacement du cabotage initial, il y a lieu de fixer leur préjudice financier à la somme de 2 500 euros par personne.

En revanche, leur demande tendant au remboursement partiel des frais de transport correspondant à des prestations qui ont été exécutées ne saurait être accueillie.

Par ailleurs, ils ne démontrent pas la réalité d'un préjudice moral de nature à être indemnisé distinctement en sorte que la demande de ce chef sera rejetée.

L'équité commande d'allouer aux appelants la somme de 1 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par décision rendue par défaut et mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement prononcé par le tribunal de grande instance de Paris le 30 janvier 2018;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Terres d'aventure à verser à M. [T] [N] et Mme [V] [X] épouse [N], chacun, la somme de 2 500 euros à titre de dommages- intérêts en réparation de leur préjudice ;

Condamne la société Terres d'aventure à verser à M. [T] [N] et Mme Mme [V] [X] épouse [N] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la société Terres d'aventure aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 18/09947
Date de la décision : 28/05/2020

Références :

Cour d'appel de Paris C2, arrêt n°18/09947 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-05-28;18.09947 ?
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