Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 19 MAI 2020
(n° / 2020 , 16 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/22863 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4U2A
Décision déférée à la cour : Jugement du 21 Novembre 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/03187
APPELANTS
Monsieur [E] [L]
Né le [Date naissance 2] 1969 à [Localité 24] MAROC
Demeurant [Adresse 7]
[Localité 21]
Madame [D] [L]
Née le [Date naissance 12] 1971 à [Localité 22] MAROC
Demeurant [Adresse 7]
[Localité 21]
Monsieur [Y] [L]
Né le [Date naissance 11] 1970 à [Localité 24] MAROC
Demeurant [Adresse 16]
[Localité 21]
Madame [O] [L]
Née le [Date naissance 9] 1975 à [Localité 22] MAROC
Demeurant [Adresse 16]
[Localité 21]
Monsieur [S] [L]
Né le [Date naissance 1] 1937 à [Localité 24] MAROC
Demeurant [Adresse 13]
[Localité 21]
Représentés par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753
Assistés de Me Georges-David BENAYOUN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0135
INTIMÉS
Madame [F] [X] veuve [L]
Née le [Date naissance 3] 1960 à [Localité 22] (Maroc)
Demeurant [Adresse 18]
[Localité 17]
Madame [P] [L]
Née le [Date naissance 6] 1986 à [Localité 23]
Demeurant [Adresse 15]
[Localité 17]
Madame [C] [L]
Née le [Date naissance 5] 1988 à [Localité 20]
Demeurant [Adresse 14]
[Localité 17]
Monsieur [Z] [L]
né le [Date naissance 4] 1991 à [Localité 20]
Demeurant [Adresse 18]
[Localité 17]
Mademoiselle [I] [L]
Née le [Date naissance 10] 1999 à [Localité 23]
Demeurant [Adresse 18]
[Localité 17]
Représentés et assistés par Me Christophe BOUCHEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : C1468
Monsieur [N] [L], représenté par sa mère Madame [A] [R],
[Adresse 19]
[Localité 20]
Non constitué
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Mai 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant la cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre
Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Anne-Sophie TEXIER dans les conditions de l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
- par défaut
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL greffière présente lors de la mise à disposition.
***
FAITS ET PROCÉDURE:
Par acte sous seing privé du 28 février 2001, M. [S] [L], trois de ses enfants, [U] [B], [Y] et [E], et les épouses de ces derniers, [F], [O] et [D], ont cédé 6 000 actions de la SA Sarjel, par l'intermédiaire de laquelle sont gérés des magasins sous l'enseigne Franprix, à la SAS Asinco, filiale du groupe Casino, moyennant un prix de 62,5 millions de francs (9 528 063 euros), dont 50 millions (7 622 450 euros) payés le jour même, le solde devant être versé le 31 mai 2001 au plus tard.
[U] [L] a cédé 3 003 actions, MM. [Y] et [E] [L] 1 250 actions chacun, M. [S] [L] 470 actions et Mmes [F], [O] et [D] [L] 9 actions chacune, l'ensemble représentant 60 % du capital et des droits de vote de la SA Sargel.
L'acte a été signé, pour les membres de la famille [L], par [U] [L], et stipulait que ce dernier, auquel le prix de cession serait versé, ferait son affaire de sa répartition entre les cédants.
MM. [Y] et [E] [L] ont chacun laissé une somme d'1 million d'euros à la disposition de [U] [L] en lui consentant un prêt verbal qui, le 6 juin 2013, a donné lieu à la signature d'un « acte de régularisation d'un prêt ».
[U] [L] est décédé le [Date décès 8] 2015, laissant pour lui succéder sa veuve, [F] [X], et leurs quatre enfants [P], [C], [Z] et [I] ainsi qu'un enfant né d'une autre relation, [N].
Invoquant la découverte, le 16 octobre 2015, d'une différence entre le prix de cession des actions annoncé oralement par [U] [L] au moment de la cession et celui indiqué dans l'acte de cession du 28 février 2001, MM. [S], [Y] et [E] [L] et Mmes [D] et [O] [L] (les consorts [L]) ont, les 27 janvier et 8 février 2016, assigné en responsabilité Mmes [F], [P], [C] et [I] [L] et M. [Z] [L] (les consorts [X]-[L]) ainsi que [N] [L].
Par jugement du 21 novembre 2017, le tribunal de grande instance de Paris a dit que les demandes de dommages et intérêts formées par les consorts [L] sur le fondement tant délictuel, en application de l'article 1116 ancien du code civil, que contractuel, en application de l'article 1142 du code civil, étaient irrecevables comme prescrites, condamné in solidum les consorts [L] à payer aux consorts [X]-[L] la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi qu'à l'ensemble des défendeurs une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les consorts [L] ont relevé appel de ce jugement selon déclaration du 13 décembre 2017.
Suivant conclusions n° 3 déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 30 avril 2019, les consorts [L] demandent à la cour :
- de déclarer recevables les conclusions signifiées les 22 février, 11 avril 2019 et 30 avril 2019 ainsi que les demandes formées dans ces écritures ;
- d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau :
- de déclarer recevable comme non prescrite l'action engagée les 27 janvier et 8 février 2016 et, à titre subsidiaire, à tout le moins, l'action en responsabilité contractuelle engagée par Mmes [O] et [D] [L] et M. [S] [L] relative au différentiel entre les prix annoncé et encaissé ;
- de condamner conjointement les intimés à payer :
. à MM. [E] et [Y] [L] les sommes de, respectivement, 2 181 100 euros et 2 298 363 euros en réparation de leur préjudice financier au 1er juin 2013, outre les intérêts au taux de 1,25 % l'an à compter de cette date, celle de 4 175 942 euros à chacun en réparation de la « perte de chance perdue » et celle de 50 000 euros à chacun en réparation de leur préjudice moral,
. à M. [S] [L] et Mmes [O] et [D] [L], les sommes de, respectivement, 1 320 520,30 euros, 31 646,57 euros et 31 646,57 euros et, subsidiairement, si leur action était jugée prescrite pour une quote-part du prix de cession, celles de 500 428,57 euros, 15 942,85 euros et 15 942,85 euros, ainsi que, à chacun, celle de 50 000 euros au titre de leur préjudice moral ;
- en tout état de cause, de rejeter les demandes des intimés et de les condamner conjointement à payer à chacun d'eux la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Suivant conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 2 mai 2019, les consorts [X]-[L] demandent à la cour :
- de déclarer irrecevables les prétentions des appelants formulées dans leurs conclusions signifiées les 22 février, 11 avril et 30 avril 2019, comme étant nouvelles en appel ;
- de déclarer irrecevables les conclusions signifiées par les appelants les 22 février, 11 avril et 30 avril 2019 ou, à tout le moins, leurs nouvelles prétentions formulées pour la première fois dans ces écritures, et non dans leurs premières conclusions signifiées le 9 mars 2018;
- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions « non contraires au présent dispositif » ;
- de déclarer les appelants irrecevables en leurs demandes en raison de la prescription ;
- subsidiairement, de rejeter leurs demandes ;
- plus subsidiairement, de déclarer irrecevables les nouvelles prétentions des appelants fondées sur la responsabilité contractuelle de [U] [L] en qualité de mandataire en application du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ;
- à titre infiniment subsidiaire, de rejeter les prétentions des appelants et, en toute hypothèse, de juger que les intimés ne peuvent être tenus, en qualité d'héritiers de [U] [L], qu'à concurrence de leurs droits et obligations dans sa succession ;
- reconventionnellement, de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné les appelants à leur payer 3 000 euros de dommages et intérêts et, y ajoutant, de les condamner in solidum à leur payer 200 000 euros de dommages et intérêts complémentaires ;
- en tout état de cause, de condamner les appelants, in solidum, à leur payer une somme de 50 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens dont distraction au profit de Maître Christophe Bouchez, avocat au barreau de Paris, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
M. [N] [L], auquel la déclaration d'appel et les conclusions d'appelant ont été signifiées par remise des actes à étude les 19 mars 2018, 26 février 2019 et 23 avril 2019, n'a pas constitué avocat.
SUR CE,
- Sur la fin de non-recevoir prise du caractère nouveau des demandes formées à hauteur d'appel
Les consorts [X]-[L] soutiennent que les prétentions formées par les consorts [L] à hauteur d'appel dans leurs conclusions signifiées les 22 février, 11 avril et 30 avril 2019 sont irrecevables comme étant nouvelles, en application de l'article 564 du code de procédure civile.
L'article 564 du code de procédure civile dispose que « Les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».
Devant le tribunal de grande instance, les consorts [L] ont sollicité la condamnation des défendeurs à leur payer des dommages et intérêts en arguant que [U] [L] avait engagé sa responsabilité délictuelle pour dol à l'égard de MM. [E] et [Y] [L], sur le fondement de l'article 1116 ancien du code civil, en leur dissimulant une partie du prix de cession et en se faisant consentir un prêt d'un montant inférieur aux sommes perçues, et sa responsabilité contractuelle à l'égard de M. [S] [L] et Mmes [O] et [D] [L], en application de l'article 1142 ancien du même code, en ne leur reversant pas, en tout ou partie, la partie du prix de cession qui leur revenait.
A hauteur d'appel, ils demandent des dommages et intérêts portant sur des montants identiques mais en soutenant que [U] [L] a engagé sa responsabilité en qualité de mandataire des autres cédants en contrevenant à son obligation de reddition de comptes et de remise des fonds encaissés pour le compte de ces derniers.
En première instance comme en appel, les demandes des consorts [L] tendent à obtenir réparation du préjudice subi à raison d'une prétendue absence de remise, totale ou partielle, par [U] [L], du prix des actions de la SA Sargel cédées le 28 février 2001. Seul le fondement juridique a évolué, les appelants sollicitant désormais une indemnisation reposant sur un manquement de [U] [L] à ses obligations de mandataire et non plus, selon le cas, pour dol ou inexécution d'une obligation de faire.
Il s'ensuit que, comme le soulignent à juste titre les consorts [L], seuls les moyens invoqués par ces derniers sont nouveaux en cause d'appel, et non leurs demandes.
Or, les moyens nouveaux sont autorisés par l'article 563 du code de procédure civile.
La fin de non-recevoir tirée de l'interdiction des demandes nouvelles en cause d'appel sera donc rejetée.
- Sur la fin de non-recevoir fondée sur l'obligation de concentration des prétentions, la violation du principe de loyauté procédurale et l'absence d'énoncé des chefs de jugement critiqués
Les consorts [X]-[L] soutiennent que les appelants ont déposé deux jeux d'écritures avant, les 22 février, 11 avril et 30 avril 2019, de signifier des conclusions dont les « principales prétentions » étaient nouvelles, en violation de l'article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile. Ils prétendent également que cette modification tardive de l'objet du litige les a placés dans une situation de net désavantage en les empêchant de répliquer sérieusement, en méconnaissance des articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 15 et 16 du code de procédure civile. Enfin, ils font valoir qu'à défaut d'énoncer les chefs de jugement critiqués, les conclusions en cause méconnaissent les prescriptions de l'article 954, alinéa 2, du code de procédure civile.
L'article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile énonce :
« A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures. ».
Comme il a été dit, les consorts [L] se sont bornés à présenter des moyens nouveaux, de sorte que l'obligation édictée par les dispositions précitées, qui concernent les prétentions, n'est pas applicable.
Après avoir reçu notification des écritures litigieuses le 21 février 2019 (et non le 22), les consorts [X]-[L] ont conclu pour la première fois le 15 avril 2019. Ils ont donc bénéficié d'un délai de 7 semaines pour répondre aux moyens nouveaux des consorts [L], développés sur une vingtaine de pages et non accompagnés d'une production de pièces supplémentaires.
Dans ces conditions, il apparaît que les consorts [X]-[L] ont disposé d'un délai suffisant pour répondre et, partant, qu'aucune violation des articles 15 et 16 du code de procédure civile, ni net désavantage au profit de la partie adverse constitutif d'une rupture de l'égalité des armes ne sont caractérisés.
Enfin, le non-respect des règles de présentation des conclusions prévues par l'article 954, alinéa 2, du code de procédure civile, aux termes duquel « les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions », n'est pas sanctionné par l'irrecevabilité des conclusions, de sorte que le moyen est inopérant.
La fin de non-recevoir doit donc être rejetée.
- Sur la fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui
Pour soutenir que les consorts [L] se contredisent en se prévalant désormais du mandat confié à [U] [L] dans le cadre de la cession des actions de la société Sarjel à Asinco, les consorts [X]-[L] invoquent les paragraphes suivants des précédentes écritures des intéressés :
- conclusions n° 3 déposées en première instance (p. 9) : « Monsieur [U] [B] [L] a signé l'acte pour le compte de la totalité des cédants. / Toutefois, contrairement, à ce que prétendent les défendeurs, aucun contrat de mandat n'a été signé entre les Parties. D'ailleurs, les demandeurs en ont fait la demande auprès de l'avocat rédacteur le 21 décembre 2015 afin d'en vérifier les signatures. L'avocat n'a trouvé aucun document (Pièce n°21). / Les défendeurs qui gèrent la société (et donc détiennent l'ensemble du juridique) ne peuvent invoquer l'existence d'un contrat de mandat sans le communiquer ! »
- conclusions n° 2 du 11 septembre 2018 (p. 26) déposées devant le cour : « Les intimés se fondent sur l'existence d'un prétendu contrat de mandat qui aurait été signé par les appelants au profit de Monsieur [U] [B] [L] afin de justifier que ce dernier aurait signé et encaissé la part du prix leur revenant suite à la cession de leurs actions le 28 février 2001. / Or, aucun contrat n'a jamais été signé entre les Parties et les intimés le savent très bien puisqu'ils sont incapables de verser une copie dudit mandat qu'ils invoquent ou bien le moindre commencement de preuve d'un mandat oral comprenant un prix de cession différencié. »
Les consorts [L] ont soutenu, de manière invariable, que [U] [L] avait signé l'acte de cession pour leur compte, sans jamais prétendre que cette signature était intervenue à leur insu. Les consorts [X]-[L] ont d'ailleurs eux-mêmes indiqué, dans leurs conclusions d'intimés du 11 juin 2018, soit avant que les appelants ne modifient le fondement de leurs demandes, que ces derniers « ne vont pas jusqu'à prétendre que [B] [L] aurait cédé leurs actions à Asinco à leur insu et contre leur gré ».
Dans ce contexte, les paragraphes des conclusions des consorts [L] cités ci-avant doivent être compris comme contestant l'existence, non pas d'un mandat, mais d'un mandat écrit (les extraits litigieux font d'ailleurs référence à l'absence de mandat « signé ») et d'un mandat, même verbal, prévoyant la perception par chacun des cédants d'un prix de cession par action différencié (cf extrait des conclusions du 11 septembre 2018 indiquant que les intimés « sont incapables de verser une copie dudit mandat qu'ils invoquent ou bien le moindre commencement de preuve d'un mandat oral comprenant un prix de cession différencié »).
Il s'ensuit que les consorts [L] soutiennent à juste titre que la fin de non-recevoir soulevée manque en fait. Il convient donc de la rejeter.
- Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
Pour conclure à l'acquisition de la prescription le 19 juin 2013, soit cinq ans à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les consorts [X]-[L] font valoir qu'en application de l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de cette loi, le point de départ du délai de prescription de cinq ans se situe au jour où le titulaire d'un droit aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, à savoir, en l'espèce, le 28 février 2001 ou, à tout le moins, le 31 mai 2001, date de versement du solde du prix de cession par Asinco, puisque les consorts [L] pouvaient aisément se procurer l'acte de cession et/ou connaître le prix de cession. Ils soutiennent également que [U] [L] a rendu compte de sa gestion et que son mandat a pris fin au plus tard le 31 mai 2001.
Les consorts [L] répliquent que la prescription commence à courir à compter d'une reddition de comptes exacte de la part du mandataire, qui n'a pas eu lieu en l'espèce, et que ce point de départ ne peut être antérieur à la découverte des mensonges et détournements, à savoir le 16 octobre 2015, ou, à tout le moins, au décès de [U] [L] le [Date décès 8] 2015, qui a marqué la fin du mandat.
L'action des consorts [L] tend à voir indemniser le préjudice subi à raison de l'inexécution, par [U] [L], de ses obligations de mandataire.
Avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, le délai de prescription applicable aux actions en responsabilité contractuelle était de trente ans (article 2262 ancien du code civil) et courait à compter de la découverte du dommage par la victime s'il était établi qu'elle n'en avait pas précédemment connaissance.
En l'espèce, le délai n'a pas pu commencer à courir avant le 28 février 2001, date à laquelle le prix de cession a été versé à [U] [L] à hauteur de 50 millions de francs, de sorte que la prescription n'était pas acquise le 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 réformant la prescription.
Cette loi a réduit le délai de prescription applicable, l'article 2224 du code civil disposant désormais que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».
Conformément à l'article 26 de la même loi, la réduction de la durée de la prescription à cinq ans s'est appliquée à compter du 19 juin 2008.
Il reste à déterminer le point de départ du délai de prescription, à savoir la date à laquelle les consorts [L] ont connu ou auraient dû connaître les faits leur permettant d'exercer une action en responsabilité contractuelle contre [U] [L], en tant que mandataire chargé de signer la cession et d'encaisser le prix de cession en leur nom et pour leur compte.
Les consorts [L] soutiennent que [U] [L], après la signature de l'acte de cession, a annoncé « aux autres membres de la famille » concernés que le prix de cession était, pour MM. [Y] et [E] [L], d'1 million d'euros chacun (6 559 570 francs), pour M. [S] [L], de 376 000 euros (2 466 398,32 francs) et, pour Mmes [O] et [D] [L], de 7 200 euros (47 228,90 francs) chacune.
La date de cette annonce n'est pas précisée par les appelants mais les actes de régularisation des prêts du 6 juin 2013 rappellent que les actions ont été cédées à Asinco le 28 février 2001 et que le versement du prix directement entre les mains de [U] [L] a été constitutif des prêts consentis « à cette date » par MM. [E] et [Y] [L].
Il s'en déduit que l'annonce du prix par [U] [L] est intervenue le 28 février 2001.
Ainsi, les consorts [L] ont connu les faits leur permettant de solliciter la restitution du prix, à hauteur du montant qu'ils prétendent leur avoir été annoncé, dès le 28 février 2001.
Or, si l'action en responsabilité contractuelle engagée par MM. [Y] et [E] [L] porte sur la partie du prix dont ils soutiennent ne pas avoir eu connaissance, celle de M. [S] [L] et Mmes [O] et [D] [L] concerne la totalité du prix leur revenant tel que stipulé par l'acte de cession.
L'instance ayant été introduite les 27 janvier et 8 février 2016, l'action de M. [S] [L] et Mmes [O] et [D] [L] relative à la quote-part du prix qu'ils indiquent leur avoir été annoncée, est atteinte par la prescription, acquise cinq ans après le 19 juin 2008, soit le 19 juin 2013.
S'agissant de la quote-part du prix dont il est soutenu qu'elle n'a pas été annoncée par [U] [L], les consorts [L] arguent n'avoir pris connaissance du contenu de l'acte de cession du 28 février 2001 et, notamment, du prix de cession stipulé, que le 16 octobre 2015, date à laquelle ils justifient avoir obtenu une copie de l'acte, à leur demande, par l'avocat rédacteur.
Leurs allégations sont corroborées par une attestation du 29 septembre 2016 de l'ancien directeur de l'enseigne Franprix (M. [H]), qui déclare qu'interrogé par M. [E] [L], le 13 octobre 2015, sur la manière dont il pouvait se procurer l'acte de cession des actions Sarjel de 2001, il l'avait dirigé vers des personnes ayant participé à l'opération et avait compris lors de leur échange que ce dernier ne connaissait pas le montant de la transaction.
Il convient également de relever que l'avocat rédacteur a indiqué ne pas avoir retrouvé le procès-verbal du conseil d'administration de la société Sarjel ayant agréé la société Asinco en qualité de nouvel actionnaire, mentionné par l'acte du 28 février 2001 comme étant joint en annexe, et que la société Sarjel a refusé, par courrier du 10 novembre 2016, de le communiquer au conseil des consorts [L]. Il n'est dès lors pas établi que MM. [E] et [Y] [L], qui ont été membres du conseil d'administration de la société Sarjel à compter du mois de mai ou de juin 2000 et, selon leurs déclarations, jusqu'au mois d'avril 2001, ont eu, en cette qualité, connaissance du prix de cession.
Les consorts [X]-[L] ne produisent pour leur part aucune pièce établissant, ou tendant à démontrer, que l'acte de cession a été communiqué aux consorts [L] avant le 16 octobre 2015 ou, plus largement, que ces derniers ont été, avant cette date, informés de l'exact prix de cession par [U] [L] ou par toute autre personne.
Ils arguent toutefois que l'acte de cession pouvait être obtenu auprès de [U] [L], de l'avocat rédacteur ou de la recette des impôts, où l'acte a été enregistré le 19 avril 2001, ou encore que le prix de cession figurait dans les comptes sociaux d'Asinco de l'exercice clos le 31 décembre 2001 publiés au greffe et, partant, que les consorts [L] auraient dû connaître les faits leur permettant d'exercer leur action.
Le mandat verbal dont [U] [L] a été investi par les consorts [L] a été conclu entre membres d'une même famille dont il n'est pas soutenu qu'ils étaient en conflit à l'époque. Force est de constater, en outre, que MM. [E] et [Y] [L] ont chacun consenti à [U] [L], à la suite de la cession, un prêt verbal d'un million d'euros dont la formalisation n'est intervenue que 12 ans plus tard, le 6 juin 2013, circonstance qui révèle l'existence de relations informelles fondées sur la confiance, même en cas d'enjeux financiers importants.
Enfin, les fonctions d'administrateur de la société Sargel de MM. [E] et [Y] [L], exercées de surcroît depuis moins d'un an à la date de la cession, n'impliquent pas qu'ils auraient dû connaître la valeur de cette société et, partant, celle des actions cédées ou même le caractère insuffisant du prix de 800 euros par action qui aurait été annoncé par [U] [L]. Au demeurant, les consorts [X]-[L] soutiennent, attestation à l'appui, que [U] [L] « présidait seul à la destinée de l'entreprise » et que son père et ses deux frères n'étaient que des collaborateurs salariés non chargés de fonctions exécutives. Il n'est pas non plus fait état de précédentes transactions susceptibles de fournir des points de comparaison, la dernière cession évoquée étant l'acquisition par MM. [E] et [Y] [L], en 1998, de 75 parts de la société Sarjel (ayant, à l'époque, la forme d'une SARL) pour un prix de 150 000 francs, soit 2 000 francs la part (300 euros), montant très éloigné de celui convenu avec Asinco ou prétendument annoncé par [U] [L].
Dans ces conditions, il n'est pas établi que les consorts [L] ont connu ou auraient dû connaître le différentiel allégué entre les prix annoncé et encaissé avant le 16 octobre 2015, date à laquelle ils ont obtenu la copie de l'acte de cession.
Cette dernière date marquant le point de départ de la prescription de l'action, celle-ci n'était donc pas acquise, s'agissant du différentiel de prix allégué, lorsque les consorts [L] ont introduit l'instance les 27 janvier et 8 février 2016.
La fin de non-recevoir tirée de la prescription sera donc rejetée en ce qui concerne les demandes se rapportant à la part du prix de cession qui n'aurait pas été annoncée aux consorts [L] par [U] [L]
- Sur l'examen du bien fondé de l'action des consorts [L]
- Les inexécutions contractuelles reprochées
Il n'est pas discuté que les consorts [L] ont donné à [U] [L], qui l'a accepté, le pouvoir de négocier la cession avec Asinco, de signer l'acte de cession et d'encaisser le prix pour leur compte et en leur nom et, partant, qu'un contrat de mandat a été conclu entre eux.
Les consorts [L] soutiennent que [U] [L] a manqué à ses obligations de mandataire en leur rendant compte d'un prix de cession inexact (1 million d'euros chacun pour MM. [Y] et [E] [L], 376 000 euros pour M. [S] [L] et 7 200 euros chacune pour [O] et [D] [L]) et en s'abstenant de leur remettre la partie du prix non laissée à sa disposition sous forme de prêt ou d'avance.
Les consorts [X]-[L] relèvent que les montants en francs indiqués par les consorts [L] comme ayant été annoncés par [U] [L] ont varié en première instance. Ils font également valoir que le prix à percevoir par les cédants n'était pas proportionnel au nombre d'actions cédées, compte tenu de la décote de minorité et d'illiquidité appliquée aux participations minoritaires et du rôle joué par [U] [L], qui s'était beaucoup plus investi que les autres dans le développement de la société Sarjel et apportait une assistance financière à M. [S] [L]. Ils soutiennent à cet égard que le prix mentionné dans les actes de régularisation des prêts du 6 juin 2013 correspond à la valeur convenue entre eux et constitue une reconnaissance de celle-ci. Enfin, ils estiment que la tromperie alléguée est invraisemblable eu égard à la facilité avec laquelle l'acte de cession du 28 février 2001 pouvait être obtenu.
Aux termes de l'article 1993 du code civil, « tout mandataire est tenu de rendre compte
de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu'il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu'il aurait reçu n'eût point été dû au mandant ».
En l'espèce, il convient de déterminer si [U] [L] a rendu compte du prix stipulé dans l'acte de cession et, le cas échéant, a restitué la part de ce prix revenant à ses mandants.
L'acte de cession du 28 février 2001 mentionne, en son article 4.6, que « le premier acompte sur le prix et le solde du prix seront versés par le cédant à M. [B] [L], [c]e dernier faisant son affaire de leur répartition entre les parties collectivement désignées le cédant ».
Il en résulte que [U] [L] a encaissé l'intégralité du prix de cession pour le compte de l'ensemble des cédants, fait qui n'est au demeurant pas discuté.
Le même acte stipule, en son article 4.7, que le prix global de cession des 6 000 actions de 62,5 millions de francs (9 528 064 euros) est « réparti entre les cédants proportionnellement aux nombre d'actions cédées par eux, ainsi que le montre le tableau ci-dessous », tableau qui détaille, par cédant, le nombre d'actions cédées et la répartition du prix comme suit :
- M. [B] [L] : 3 003 actions ; 31 281 250 francs (en euros, 4 768 796)
- M. [S] [L] : 470 actions ; 4 895 833 francs (en euros, 746 364)
- M. [E] [L] : 1 250 actions ; 13 020 833 francs (en euros, 1 985 013)
- M. [Y] [L] : 1 250 actions ; 13 020 833 francs (en euros, 1 985 013)
- Mme [F] [L] : 9 actions ; 93 750 francs (en euros, 14 292)
- Mme [O] [L] : 9 actions ; 93 750 francs (en euros, 14 292)
- Mme [D] [L] : 9 actions ; 93 750 francs (en euros, 14 292)
L'« acte de régularisation d'un prêt » signé le 6 juin 2013 entre M. [Y] [L], « Prêteur », d'une part, M. [U] [L] et Mme [F] [L], désignés collectivement comme étant l'« Emprunteur », d'autre part, en présence de la Holding HDR et d'autres membres de la famille [L], mentionne, en introduction et à titre de rappel, que « le 28 février 2001, le Prêteur a cédé à la société Asinco 1 250 actions de la société Sarjel [...] pour un prix de 1 000 000 euros (le 'Prix') », que « ce Prix a été versé par Asinco directement à l'Emprunteur, le Prêteur ayant ainsi consenti à cette date un prêt à l'Emprunteur d'un montant égal au Prix, (le 'Prêt ') », que ce « Prêt n'a fait l'objet d'aucune formalisation par écrit » et qu'« afin de régulariser la situation existant depuis 2001 entre les Parties et formaliser les termes et conditions du Prêt sur lesquelles le Prêteur et l'Emprunteur s'étaient [accordés] oralement, les Parties se sont mises d'accord pour conclure le présent acte de régularisation ».
Un acte intitulé et formulé dans des termes identiques à ceux précités a été signé le même jour entre M. [E] [L], « Prêteur », d'une part, M. [U] [L] et Mme [F] [L], désignés collectivement comme étant l'« Emprunteur », d'autre part, en présence de la Holding HDR et d'autres membres de la famille [L].
Contrairement aux allégations des consorts [X]-[L], les stipulations précitées ne peuvent être comprises comme une reconnaissance, par MM. [Y] et [E] [L], de la part du prix leur revenant selon une répartition convenue entre les cédants, alors que, loin d'évoquer un tel accord, elles se réfèrent aux aspects de la transaction du 28 février 2001 concernant Asinco et, selon le cas, MM. [Y] ou [E] [L] en indiquant le nombre (1 250) et le prix (1 million d'euros) des actions cédées par eux à Asinco et en rappelant le versement « par Asinco » de ce prix directement à [U] [L].
En outre, les explications avancées par les consorts [X]-[L] pour justifier une répartition du prix non proportionnelle au nombre d'actions cédées (décote de minorité et d'illiquidité, rôle joué par [U] [L]) sont inopérantes, dès lors que le prix revenant à chaque cédant mentionné dans l'acte du 28 février 2001 est bien calculé en fonction du nombre d'actions cédées et qu'il n'est produit aucune pièce attestant de l'acceptation par les cédants d'un prix différencié.
Par ailleurs, s'il est exact que les prix en francs dont les consorts [L] ont indiqué qu'ils leur avaient été annoncés par [U] [L] ont évolué entre l'acte introductif d'instance et les conclusions par la suite déposées en première instance, ceux mentionnés comme étant leurs équivalents en euros n'ont pas varié.
Dès lors, il résulte bien des actes de régularisation de prêt du 6 juin 2013 que le prix annoncé par [U] [L] à ses frères [E] et [Y] pour la cession de leurs 1 250 actions a été d'1 million d'euros, au lieu de 1 985 013 euros.
En rendant compte à MM. [E] et [Y] [L], ses mandants, de la perception d'un prix inférieur de 985 013 euros à celui réellement encaissé pour le compte de chacun d'eux et en s'abstenant de leur remettre le reliquat, [U] [L] a manqué à ses obligations de mandataire.
S'agissant de M. [S] [L] et de Mmes [D] et [O] [L], il n'est produit aucune pièce justifiant d'une reddition de compte par [U] [L] et d'une remise du prix de cession leur revenant, hormis la somme de 150 000 euros, dont M. [S] [L] reconnaît qu'elle lui a été reversée. Il est en outre cohérent que les prix annoncés au père et épouses de MM. [Y] et [E] [L] aient été calculés à partir d'une valeur unitaire identique à celle retenue pour ces derniers.
[U] [L] a donc également manqué à ses obligations contractuelles de mandataire à l'égard de M. [S] [L] et de Mmes [D] et [O] [L], ses mandants, en leur rendant compte de la perception d'un prix de cession leur revenant de 376 000 euros, au lieu de 746 364 euros, pour le premier et de 7 200 euros, au lieu de 14 292 pour les deux autres, et en ne leur remettant pas l'excédent.
Il n'y a pas lieu d'examiner l'action en responsabilité concernant l'absence de remise des prix de cession annoncés à M. [S] [L] (376 000 euros) et à Mmes [D] et [O] [L] (7 200 euros), dont il a été dit qu'elle était prescrite.
- Les demandes de dommages et intérêts des consorts [L]
Le préjudice financier allégué par MM. [E] et [Y] [L]
MM. [E] et [Y] [L] considèrent avoir subi un préjudice financier de, respectivement, 2 181 100 euros et 2 298 363 euros avec intérêts au taux de 1,25 % l'an à compter du 1er juin 2013, outre une perte de chance représentant 4 175 942 euros.
Les sommes réclamées se décomposent comme suit :
- 985 013 euros chacun, représentant la quote-part du prix non reversée (1 985 013 - 1 000 000) ;
- les intérêts produits par la somme de 985 013 euros calculés en appliquant une règle de proportionnalité aux intérêts retenus dans chacun des actes de régularisation des prêts du 6 juin 2013 pour la période allant de 2001 à juin 2013, soit 1 196 087 euros pour M. [E] [L] et 1 313 350 euros pour M. [Y] [L] ;
- les intérêts prévus dans les actes de régularisation des prêts du 6 juin 2013, à savoir un taux de 1,25 % l'an à compter du 1er juin 2013 et ce, sur la somme totale due à chacun d'eux (985 013 + 1 196 087 = 2 181 100 euros pour M. [E] [L] et 985 013 + 1 313 350 = 2 298 363 euros pour M. [Y] [L]),
- la perte de chance d'apporter les fonds non restitués à la société Sarjel Immo et, ainsi, de détenir, non pas, chacun, 1,68 % du capital de cette société, mais 12,5 %, soit une perte de valeur de 4 175 942 euros chacun en se fondant sur la valorisation actualisée retenue lors de l'opération d'apport des titres de la société Sarjel Immo à la société HDR du 14 décembre 2010, déduction faite de la somme d'1 million d'euros prêtée à [U] [L].
MM. [Y] et [E] [L] sont fondés à solliciter l'allocation d'une somme de 985 013 euros chacun, correspondant à la différence entre le prix de cession leur revenant en exécution de l'acte du 28 février 2001 (1 985 013 euros) et la part de ce prix laissée par eux à la disposition de [U] [L] sous forme de prêt (2 x 1 million d'euros).
En revanche, les stipulations d'intérêt prévues par les actes de régularisation du 6 juin 2013, qui rémunèrent uniquement les prêts de 2 x 1 million d'euros consentis par MM. [E] et [Y] [L] en 2001, ne sont pas applicables à la somme de 985 013 euros, non incluse dans les fonds prêtés. Au demeurant, la conservation de cette somme par [U] [L] à l'insu de ses frères exclut qu'elle ait été mise à disposition par ces derniers sous forme de prêt.
L'article 1996 du code civil dispose que « Le mandataire doit l'intérêt des sommes qu'il a employées à son usage, à dater de cet emploi ; et de celles dont il est reliquataire, à compter du jour qu'il est mis en demeure ».
Les consorts [X]-[L] soutenant eux-mêmes que la somme de 2 x 985 013 euros revenait à [U] [L] à raison d'un accord sur la perception d'un prix par action différencié, il est établi que le premier, dont il n'est pas contesté qu'il a encaissé cette somme, a employé celle-ci à son usage et ce, à compter du 31 mai 2001, date ultime de versement du solde du prix par Asinco.
Il y a donc lieu d'assortir la somme de 985 013 euros due à MM. [Y] et [E] [L] des intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2001.
L'article 1153, alinéa 4, du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, dispose que « le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance ».
C'est à l'aune de ces dispositions qu'il convient d'apprécier la perte de chance d'investir dans la société Sarjel Immo invoquée par MM. [E] et [Y] [L].
La mauvaise foi de [U] [L], qui a conservé à l'insu de MM. [E] et [Y] [L] une partie du prix de cession leur revenant, est établie.
MM. [E] et [Y] [L] font valoir que la privation de la somme de 985 013 euros les a empêchés d'acquérir un plus grand nombre d'actions de la SAS Sarjel Immo.
Force est de constater, toutefois, à la lecture des statuts d'origine de la société Sarjel Immo que cette dernière a été constituée par [U] [L] et son épouse, [F], et qu'à la date à laquelle ses titres ont été apportés à la société Holding HDR, MM. [E] et [Y] [L] ne détenaient, chacun, que 1,68 % du capital, le surplus étant réparti entre [U] [L] (66,99 %), l'épouse de ce dernier (2,35 %) et leurs quatre enfants (6,83 % chacun).
Ainsi, le capital de la société Sarjel Immo n'a, depuis l'origine et jusqu'à l'apport des titres à la société Holding HDR, été ouvert que de manière marginale à des personnes autres que [U] [L] lui-même et son entourage familial le plus proche (son épouse et leurs quatre enfants).
Dans ces conditions, et en l'absence de tout élément tendant à démontrer que [U] [L] et son épouse auraient été prêts à accepter une participation au capital plus importante de MM. [Y] et [E] [L], la perte de chance invoquée apparaît inexistante.
Le préjudice financier allégué par M. [S] [L] et Mmes [D] et [O] [L]
M. [S] [L] et Mmes [D] et [O] [L] estiment que, dans l'hypothèse où leur action serait considérée comme prescrite pour la partie du prix annoncée par [U] [L], leur préjudice financier serait le suivant :
- M. [S] [L] : 226 000 euros, représentant la quote-part du prix lui revenant non annoncée (376 000 euros) diminuée du remboursement effectué par [U] [L] (150 000 euros), outre « 276 428,57 euros » [lire 274 428,57] au titre des intérêts, calculés en appliquant une règle de proportionnalité aux intérêts stipulés dans l'acte de régularisation du prêt conclu avec M. [E] [L], soit un total de 500 428,57 euros ;
- Mmes [D] et [O] [L] : 7 200 euros, représentant la quote-part du prix non annoncée leur revenant à chacune, outre 8 742,86 euros au titre des intérêts, calculés en appliquant une règle de proportionnalité aux intérêts stipulés dans l'acte de régularisation du prêt conclu avec M. [E] [L], soit un total de 15 942,85 euros chacune.
Le prix non annoncé à M. [S] [L] correspond à la différence entre le prix stipulé par l'acte de cession lui revenant et le prix annoncé (746 364 - 376 000), soit 370 364 euros (et non 376 000 euros). Il n'y a pas lieu de déduire de ce dernier montant, indûment conservé par [U] [L], le remboursement de 150 000 euros, qui s'est imputé sur le prix annoncé. Toutefois, le montant alloué doit être ramené à 226 000 euros, conformément à la demande.
S'agissant de Mmes [D] et [O] [L], le prix non annoncé s'élève à 7 092 euros (14 292 - 7 200), et non à 7 200 euros.
Le raisonnement exposé plus haut au sujet des intérêts réclamés par MM. [E] et [Y] [L] est transposable à ceux demandés par M. [S] [L] et Mmes [D] et [O] [L].
Les sommes allouées à M. [S] [L] (226 000 euros) et à Mmes [O] et [D] [L] (2 x 7 092 euros) seront donc assorties des intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2001.
Le préjudice moral allégué par MM. [E], [Y] et [S] [L] et par Mmes [O] et [D] [L]
Pour solliciter 50 000 euros de dommages et intérêts chacun au titre de leur préjudice moral, les consorts [L] font valoir que [U] [L] leur a menti pendant des années, alors qu'étant un membre de la famille, ils lui faisaient confiance pour gérer leurs affaires, et que la découverte de cette trahison les a « profondément meurtris ».
Si les circonstances invoquées caractérisent effectivement un préjudice moral, il doit être tenu compte, pour l'évaluer, de ce que [U] [L] a signé des actes de régularisation de prêt le 6 juin 2013 prévoyant, au profit de MM. [E] et [Y] [L], des intérêts substantiels pour la période écoulée entre 2001 et juin 2013 (représentant, au bénéfice du premier, 850 000 euros pour une somme non remboursée de 700 000 euros, soit un taux d'intérêt annuel de plus de 10 %, et, au bénéfice du second, 1 million d'euros pour une somme non remboursée de 750 000 euros, soit un taux d'intérêt annuel de plus de 11 %), alors qu'aucun écrit, nécessaire à la validité de la stipulation d'un intérêt, n'existait à cette date. Quant à M. [S] [L] et à Mmes [D] et [O] [L], force est de constater que l'absence de restitution, en tout ou partie, de la partie du prix qui leur avait été annoncée n'a suscité aucune réaction de leur part pendant près de 15 ans, attestant de leur désintérêt.
Dès lors, il sera alloué à chacun des consorts [L] une somme de 2 000 euros en réparation de leur préjudice moral.
Les condamnations
Selon l'attestation notariée du 7 octobre 2015 versée aux débats, Mme [F] [L], est la conjointe survivante de [U] [L] et bénéficiaire légale du quart en toute propriété de l'universalité des biens et droits composant la succession et Mmes [P], [C] et [I] [L] ainsi que MM. [Z] et [N] [L] sont habiles à se porter héritiers de [U] [L].
Il y a donc lieu de les condamner, chacun pour leur part successorale en application de l'article 873 du code civil, à payer :
- à M. [E] [L], d'une part, et à M. [Y] [L], d'autre part, une somme de 985 013 euros avec intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2001 au titre de leur préjudice financier ainsi que celle de 2 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;
- à M. [S] [L], une somme de 226 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2001 au titre de son préjudice financier ainsi que celle de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- à Mme [D] [L], d'une part, et à Mme [O] [L], d'autre part, une somme de 7 092 euros avec intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2001 au titre de leur préjudice financier ainsi que celle de 2 000 euros en réparation de leur préjudice moral.
- La demande de dommages et intérêts des consorts [X]-[L] pour procédure abusive
Les consorts [L], dont l'essentiel des prétentions ont été accueillies, n'ont pas abusé de leur droit d'agir en justice.
La demande de dommages et intérêts pour procédure abusive des consorts [X]-[L] sera donc rejetée, le jugement étant infirmé de ce chef.
- Les dépens et frais irrépétibles
Les consorts [L] obtenant en grande partie gain de cause, les chefs de dispositif du jugement dont appel qui les condamnent aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile seront infirmés.
Les intimés seront tenus aux dépens et condamnés à payer à chacun des appelants la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Rejette les moyens tendant à voir déclarer irrecevables les conclusions signifiées par les appelants les 22 février, 11 avril et 30 avril 2019 ou les prétentions présentées dans ces écritures,
Infirme le jugement, sauf ce qu'en déclarant irrecevables comme prescrites les demandes de dommages et intérêts de MM. [Y], [E] et [S] [L] et de Mmes [D] et [O] [L], il a jugé irrecevables celles des trois derniers relatives au prix de cession des actions de la société Sarjel leur revenant à concurrence de, respectivement, 376 000 euros, 7 200 euros et 7 200 euros,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare non atteintes par la prescription et, partant, recevables les demandes de dommages et intérêts de MM. [Y] et [E] [L] ainsi que, pour M. [S] [L] et Mmes [D] et [O] [L], celles relatives à la quote-part du prix de cession des actions de la société Sarjel leur revenant non annoncée par [U] [L], à savoir excédant, respectivement, 376 000 euros, 7 200 euros et 7 200 euros,
Condamne Mme [F] [X] veuve [L], Mmes [P], [C] et [I] [L] ainsi que MM. [Z] et [N] [L], chacun pour leur part dans la succession de [U] [L], à payer :
- à M. [E] [L] la somme de 985 013 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2001 et celle de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- à M. [Y] [L] la somme de 985 013 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2001, et celle de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- à M. [S] [L], la somme de 226 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2001, et celle de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- à Mme [D] [L], la somme de 7 092 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2001, et celle de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- à Mme [O] [L], la somme de 7 092 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2001, et celle de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
Rejette la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par Mme [F] [X] veuve [L], Mmes [P], [C] et [I] [L] et MM. [Z]
[L],
Condamne Mme [F] [X] veuve [L] Mmes [P], [C] et [I] [L] et MM. [Z] et [N] [L] à payer à chacun des appelants, à savoir MM. [Y], [E] et [S] [L] et Mmes [D] et [O] [L], la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [F] [X] veuve [L] Mmes [P], [C] et [I] [L] et MM. [Z] et [N] [L] aux dépens.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La Présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT