Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 6
ARRÊT DU 28 FÉVRIER 2020
(n° /2020 , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/00640 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4FK7
Décision déférée à la Cour : Décision du 5 septembre 2017 - Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS - RG n° 211/288982
Demanderesse
Madame [E] [V] [L]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Vincent COHEN STEINER, avocat au barreau de PARIS, toque : C0087
Défenderesse
Maître [H] [J]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Comparante en personne, assistée de Me Hélène POIVEY LECLERCQ, avocate au barreau de PARIS, toque : C0676
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 novembre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Mme Nathalie BRET, Conseillère
M. Jacques BICHARD, Magistrat Honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par M. BICHARD, Magistrat honoraire, dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffière lors des débats : Mme Sarah-Lisa GILBERT
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre et par Mme Sarah-Lisa GILBERT, greffière présente lors de la mise à disposition.
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EXPOSE DU LITIGE
Selon convention du 30 mai 2013, Mme [H] [J] a été chargée d'une mission de conseil, d'assistance et de représentation amiable et judiciaire de Mme [E] [V] [L] dans le cadre de l'ensemble des procédures en cours ou à venir l'opposant à des tiers et/ou à l'ensemble des ayants droit de son père [S] [L], moyennant une rémunération mensuelle et forfaitaire de 10 000 € HT, portée à 15 000 € HT par avenant du 30 juin 2014.
Le forfait mensuel couvrait l'ensemble des diligences effectuées et incluait l'intégralité des frais inhérents à l'exploitation du cabinet sous réserve des frais, débours et dépens prévus à l'article 4 et devant être facturés en sus de l'honoraire mensuel payé le 30 de chaque mois.
Il était, par ailleurs, prévu que :
- le dossier intitulé 'Les Russes' était exclu de la convention au regard de sa prise en charge par un autre conseil,
- les dossiers exceptionnels visant des dossiers particulièrement importants qualifiés comme tels entre les parties devaient faire l'objet d'une convention distincte et les honoraires y afférents l'objet d'une facturation complémentaire séparée convenue préalablement entre la cliente et l'avocate.
Mme [V] [L] a notifié à Mme [J] la fin de sa mission le 18 janvier 2016.
Après mise en demeure infructueuse du 12 avril 2016, Mme [J], par lettre reçue le 9 janvier 2017, a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris d'une demande en fixation de ses honoraires pour un montant de 247 200 € HT et frais pour un montant de 225 €, lesquels correspondaient aux forfaits mensuels et frais des mois de décembre 2015 et janvier 2016 et aux honoraires relatifs à deux dossiers exceptionnels concernant l'un la création de la Fondation [E] [L] et l'autre M. [N], dossier dit 'des Russes'.
Par décision du 5 septembre 2017, le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris a :
fixé à la somme de 247 200 € HT le montant total des honoraires dus à Mme [H] [J] par Mme [E] [V] [L], sous déduction d'un règlement de 30 000 € HT,
dit en conséquence que Mme [E] [V] [L] devra verser à Mme [H] [J] la somme de 217 200 € HT, outre la TVA au taux de 20 %, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 avril 2016 et supporter les frais d'huissier de justice, en cas de signification de la décision,
débouté les parties de toute autre demande.
Mme [V] [L] a régulièrement formé un recours devant le premier président de la cour contre cette ordonnance qui lui a été notifiée le 14 septembre 2017.
Aux termes de ses écritures soutenues oralement lors de l'audience, Mme [V] [L] demande à la présente juridiction de :
à titre principal,
déclarer prescrite l'action de Mme [J],
à titre subsidiaire,
infirmer la décision en toutes ses dispositions,
débouter Mme [J] de toutes ses demandes,
la condamner à lui payer la somme de 10 000 € HT sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [J] demande, oralement à l'audience, à la cour de rejeter la fin de non recevoir et confirmer la décision entreprise.
SUR CE,
1. sur la fin de non recevoir tiré de la prescription
Mme [V] [L] soulève la prescription de l'action de Mme [J], sur le fondement de l'article L 218-2 du code de la consommation prévoyant un délai de prescription biennal au motif que la quasi totalité des prestations alléguées, hormis celle accomplie le 23 juillet 2015, portent sur les années 2013 et 2014.
Toutefois, le point de départ du délai de prescription biennal de l'action en fixation des honoraires d'avocat se situe au jour de la fin du mandat laquelle est intervenue le 18 janvier 2016.
La saisine du bâtonnier datant du 9 janvier 2017, l'action de Mme [J] n'est pas prescrite et est déclarée recevable.
2. sur le paiement des honoraires forfaitaires mensuels
L'article 6 de la convention de mission et de rémunération forfaitaire mensuelle signée le 30 mai 2013 prévoit en son article 6 intitulé 'dessaisissement de l'avocat en cours de mission' que 'les parties sont d'ores et déjà convenues qu'en cas de dessaisissement dans le cours d'un ou plusieurs dossiers avant la fin de la mission de l'avocat, le client devra lui payer, outre les frais et honoraires prévus à l'article 2, les honoraires dus jusqu'à la fin du mois débuté et lui rembourser les frais, débours et dépens engagés'.
Il s'en déduit que la demande de Mme [J] tendant à obtenir le paiement tant du forfait mensuel de décembre 2015 que de celui du mois de janvier 2016 débuté, est fondée en son principe.
L'article 2 prévoit que les honoraires mensuels forfaitaires couvrent l'ensemble des diligences de l'avocat dans l'ensemble des dossiers hors dossiers exceptionnels et qu'ils incluent l'intégralité des frais inhérents à l'exploitation du cabinet sous les réserves des frais, débours et dépens prévus à l'article 4.
Mme [V] [L] conteste l'existence d'une quelconque prestation pour la période considérée.
Toutefois, outre le fait qu'une facturation au forfait n'exige pas la mention des diligences accomplies et que les attestations produites par Mme [J] rapportent la preuve de sa très grande disponibilité vis à vis de sa cliente au détriment de sa vie professionnelle, la réalité de l'existence de diligences est justifiée par la production de ses agendas des mois concernés confirmant l'existence de rendez-vous, réunions et autres audiences concernant '[E]', notamment début janvier 2016 et par la lettre de Mme [J] envoyée à sa cliente le 15 janvier 2016 faisant état d'un rendez-vous ayant eu lieu le 9 décembre 2015 et de la signification le jour même de conclusions dans un litige l'opposant à la société Welcome et aux indivisaires.
La décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a taxé les honoraires dus à ce titre à la somme de 20 000 € HT.
3. sur la facture du 12 avril 2016 d'un montant de 157 280 € HT relative à la création de la fondation [E] [L]
Mme [V] [L] soutient que la preuve de la signature d'une convention distincte pour un dossier exceptionnel et d'un accord sur la fixation des honoraires facturés selon un taux horaire de 400 € HT n'est pas établie, que les heures de travail alléguées ne sont pas démontrées et que si quelques heures doivent être comptabilisées, elles entrent dans le forfait mensuel.
Mme [J] répond qu'aucun accord écrit n'a été signé en raison des relations de confiance qui l'unissait à sa cliente pour la création de cette fondation décidée en juin 2013 mais que celle-ci a payé sans contestation les factures complémentaires du forfait présentées à ce titre.
Conformément aux dispositions de l'article 1-c de la convention du 30 mai 2013, il appartient à Mme [J] de rapporter la preuve d'un accord distinct passé avec Mme [V] [L] sur la qualification de 'dossier exceptionnel' donnée au dossier relatif à la création de ladite fondation et sur les honoraires y afférents.
Elle produit deux factures :
- la première n° 2013-74 datée du 28 septembre 2013 porte la référence [E] [L]-Fondation [E] [L] sans plus de précision et mentionne un montant de 10 000 € HT mais son paiement n'est pas justifié,
- la seconde n° 2013-90 datée du 20 novembre 2013 mentionne la même référence et la facturation d'un 'montant HT' de 10 000 € et 11 960 € TTC pour 'des diligences effectuées depuis le 28 septembre 2013- dossier exceptionnel hors convention'; y est agrafée une copie d'une facture d'honoraires datée du même jour dont la partie relative au numéro de facture, aux diligences et à la mention 'dossier exceptionnel' est masquée par la photocopie d'un chèque de Mme [V] [L] du 13 décembre 2013 d'un montant de 11 960 € TTC.
Or, la cour observe que si cette photocopie de facture d'honoraires porte la même date, elle ne correspond pas à la facture dont Mme [J] se prévaut puisque celle-ci fait apparaître à la suite de la mention ' N.REF' à moitié masquée, la mention ' du 31 mai 2013" qui n'y figure pas, que la liste des diligences n'est pas la même et surtout que sont facturés des 'honoraires forfaitaires mensuels novembre (partie masquée)... article 2 et des frais -Article 4" .
Dès lors, Mme [J] n'apporte pas la preuve de la qualification de dossier exceptionnel et la rémunération des diligences effectuées à ce titre de septembre 2013 à juillet 2015 entrent dans le forfait mensuel réglé. Elle sera donc déboutée de sa demande en paiement d'honoraires supplémentaires à ce titre.
4. sur la facture du 12 avril 2016 d'un montant de 81 360 € HT dans l'affaire [N]
Cette facture concerne l'affaire Konowaloff- Morosoff- Chtchoukine ' correspondant à celle dite 'des Russes' et expressément exclue de la convention du 30 mai 2013 au motif qu'elle était déjà confiée à un autre avocat. Elle porte sur des diligences effectuées depuis le 28 décembre 2013 et jusqu'en 2015.
Mme [V] [L] estime que Mme [J] ne peut solliciter aucun honoraire supplémentaire aux motifs que cette affaire a été exclue de la convention, qu'elle était suivie par l'avocat de l'indivision [L], que Mme [J] ne s'est constituée que le 24 novembre 2015 pour un désistement d'instance lequel sera régularisé par un autre conseil un an plus tard et que l'expertise était clôturée à la date de son intervention. Elle soutient que Mme [J] ne justifie pas de ses prétendues 194 heures de travail dont 160 heures pour l'examen d'une procédure terminée, que Mme [J] s'est abstenue de l'informer des modalités de détermination de ses honoraires et que, si quelques heures ont été passées à 'simplement conserver' ce dossier, elles relèvent du forfait mensuel.
Contrairement à ces allégations, il est justifié que le 26 décembre 2013, Mme [J] à écrit à M. [R], conseil de Mme [V] [L] dans ce dossier, que celle-ci lui confiait le dossier concernant M. [N] ayant donné lieu à un arrêt défavorable de la cour d'appel de Paris le 18 décembre précédent, la cour ayant admis que les droits de reproduction afférents à des tableaux de [C] et à un tableau de [L] intitulé ' les deux saltimbanques ' ou '[X] et sa compagne' collectés par les ayants droit depuis le 30 août 1972 devaient revenir à M. [N] et ordonné une expertise avant dire doit sur le montant des sommes dues.
Un pourvoi a été intenté à l'encontre de cet arrêt par le conseil des héritiers [C] mais également par les trois conseils représentant M [O] [L] , d'une part, Mme [U] [L] et M. [F] [L] à titre personnel et pris en qualités d'administrateur de l'indivision sur le droit moral et de gérant de l'EURL [L] Administration gérant le droit de reproduction sur l'oeuvre de [S] [L], d'autre part et Mme [E] [V] [L], enfin, lesquels ont choisi le même avocat au conseil pour représenter leurs clients.
La Cour de cassation a été saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité laquelle a été rejetée par le Conseil constitutionnel.
Mme [J], ainsi qu'il est justifié par les pièces produites, s'est entretenue avec l'avocat au conseil, comme avec les autres avocats des indivisaires afin de défendre une position commune, a assisté aux réunions d'expertise dont elle a fait un compte rendu précis à sa cliente et participé à la rédaction du protocole d'accord signé en mars 2015 lequel a mis fin au litige, M. [N] renonçant à se prévaloir de l'arrêt de la cour d'appel et se désistant de toute action moyennant le versement par l'indivision [L] d'une somme de 25 000 €.
Mme [J] produit une facture n° 2014-103 datée du 4 mars 2014 intitulée 'N.REF MAYA [L]/[N] - dossier exceptionnel hors convention d'honoraires' mentionnant une liste de diligences correspondant à un temps passé de 38 heures et réclamant un honoraire de 10 000 € HT soit 18 000 € TTC et un chèque du même montant du 11 mars 2014 photocopié sur la même facture. Mme [V] [L] ne conteste pas avoir réglé ladite facture au moyen de ce chèque.
Il s'en déduit que Mme [V] [L] a accepté de reconnaître le caractère exceptionnel de ce dossier qu'elle avait décidé de confier à Mme [J] en remplacement d'un avocat précédent et de lui payer des honoraires complémentaires à ce titre.
A défaut, de convention d'honoraires distincte pour ce dossier, les honoraires de l'avocat sont fixés par référence aux seuls critères de l'article 10, alinéa 2, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.
Mme [J] établit le temps passé à la lecture de la procédure jusqu'à l'arrêt de la cour d'appel du 18 décembre 2013 à 100 heures, l'étude de l'opportunité d'un pourvoi en cassation à 10 h et celle de l'opportunité de la QPC à laquelle elle n'a fait que se rallier sans en être la rédactrice à 10 h et enfin celle du mémoire de l'avocat au conseil à 6 h alors qu'elle n'a émis strictement aucune observation, ce qui paraît largement excessif et sera réduit à 50 heures.
De même elle fait état, sans aucun justificatif, de 10 rendez-vous avec Mme [V] [L] évalués à 40 h, soit 4 heures en moyenne par rendez-vous, ce qui paraît également exagéré et sera réduit à 20 heures.
Le temps passé au titre de l'expertise est raisonnablement estimé à 13 heures, tout comme le temps de discussion et de relecture du protocole transactionnel qu'elle n'a pas rédigé comptabilisé pour 6 heures.
Ainsi, ces diligences, outre celle de moindre importance mentionnées, justifient un travail de 100 heures.
Le taux horaire de 380 € HT accepté par Mme [V] [L] dans un autre dossier CPS & Pelham qualifié d'exceptionnel et correspondant à des diligences jusqu'en novembre 2015 sera retenu.
En conséquence, les honoraires relatifs au dossier [N] sont fixés à la somme de 38 000 € HT, dont il convient de déduire la somme de 10 000 € HT payée au titre de la facture n° 2014-103 du 4 mars 2014 comme l'a fait Mme [J] dans sa facture récapitulative du 12 avril 2016.
En définitive, les honoraires réclamés sont fixés à la somme de 58 000 € HT, somme de 10 000 € HT non déduite et Mme [V] [L] sera condamnée à payer le solde de 48 000 € HT restant dû avec intérêts au taux légal à compter de ce jour.
Mme [V] [L] succombant devra supporter les dépens de première instance et de la présente instance de recours.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant en dernier ressort, publiquement, contradictoirement et par mise à disposition de la décision au greffe,
Déclare l'action de Mme [J] recevable,
Infirme la décision entreprise et, statuant à nouveau,
Fixe le montant des honoraires dus par Mme [E] [V] [L] à Mme [H] [J] à la somme de 58 000 € HT,
Condamne Mme [E] [V] [L] à payer à Mme [H] [J] la somme de 48 000 € HT, déduction faite du règlement de 10 000 € HT, majorée de la TVA au taux de 20 %, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,
Dit que les dépens de première instance et de la présente instance de recours sont à la charge de Mme [E] [V] [L],
Dit qu'en application de l'article 177 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, la présente décision sera notifiée aux parties par le greffe de la cour suivant lettre recommandée avec accusé de réception.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE