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23/01/2020 | FRANCE | N°18/17469

France | France, Cour d'appel de Paris, 23 janvier 2020, 18/17469


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS




COUR D'APPEL DE PARIS


Pôle 5 - Chambre 7


ARRÊT DU 23 JANVIER 2020


(no 2, 41 pages)


Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 18/17469 - No Portalis 35L7-V-B7C-B6BI4


Décision déférée à la cour : décision no 11-38-13 rendue le 18 juin 2018 par le Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie




REQUÉRANTES :




Société ENI GA

S & POWER FRANCE S.A.
Inscrite au RCS de Nanterre sous le no 451 225 692
Ayant son siège social au [...]
Élisant domicile au cabinet de Maître BAECHLIN
[...]
[...]

...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 7

ARRÊT DU 23 JANVIER 2020

(no 2, 41 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 18/17469 - No Portalis 35L7-V-B7C-B6BI4

Décision déférée à la cour : décision no 11-38-13 rendue le 18 juin 2018 par le Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie

REQUÉRANTES :

Société ENI GAS & POWER FRANCE S.A.
Inscrite au RCS de Nanterre sous le no 451 225 692
Ayant son siège social au [...]
Élisant domicile au cabinet de Maître BAECHLIN
[...]
[...]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assistée de Me Florent PRUNET de l'AARPI JEANTET, avocat au barreau de PARIS, toque : T04

Société GAZ RÉSEAU DISTRIBUTION FRANCE S.A.
Inscrite au RCS de Paris sous le no 444 786 511
Ayant son siège social au [...]
Élisant domicile au cabinet de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES
[...]
[...]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée de Me Didier THÉOPHILE de l'AARPI DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R170

Société DIRECT ENERGIE
Inscrite au RCS de Paris sous le no448 572 057
Ayant son siège social au [...]
Élisant domicile au cabinet de Maître V...
[...]
[...]

Représentée par Me Nada SALEH-CHERABIEH de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Assistée de Me Olivier FRÉGET de l'AARPI FRÉGET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0261et Me Pierre-Olivier CHARTIER de l'AARPI CBR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R139
EN PRÉSENCE DE :

LA COMMISSION DE RÉGULATION DE L'ÉNERGIE
[...]
[...]

Représentée et assistée de Me Karim HAMRI, du cabinet EARTH AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : A0880

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 juin 2019, en audience publique, devant la cour composée de :

- M. Olivier DOUVRELEUR, président de chambre, président
- M. Philippe MOLLARD, président de chambre
- Mme Sylvie TRÉARD, conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : M. Gérald BRICONGNE

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée.

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

– signé par Sylvie TREARD, Conseillère, signant au lieu et place du président empêché et par Gérald BRICONGNE, greffier à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * *

SOMMAIRE

FAITS ET PROCÉDURE 6

Le marché du gaz et ses acteurs 6

La première phase du différend 7

La décision du CoRDiS du 19 septembre 2014 7

L'arrêt de la cour d'appel du 2 juin 2016 8

Les délibérations de la CRE no 2017-237, 2017-238 et 2018-012 10

La loi no 2017-1839 du 30 décembre 2017 10

La seconde phase du différend 11

La décision attaquée 11

Le présent recours 13

MOTIVATION 13

I. SUR LES DEMANDES EN ANNULATION DE LA DÉCISION ATTAQUÉE 13

A. Sur la demande de la société Direct Energie 13

1. Sur le moyen pris de la violation des « principes applicables en matière de suivi de l'exécution d'un arrêt » 13

2. Sur le moyen pris de la violation du principe du contradictoire 15

3. Sur le moyen pris de l'illégalité de l'avis de la CRE 20

4. Sur le moyen pris de ce qu'en se considérant lié par l'avis de la CRE, le CoRDiS n'a pas exercé sa compétence de manière indépendante 21

5. Sur le moyen pris de « la prétendue applicabilité au litige des pouvoirs obtenus par la CRE postérieurement à l'arrêt du 2 juin 2016 » 22

B. Sur la demande de la société GRDF 23

II. SUR LES DEMANDES EN RÉFORMATION DE LA DÉCISION ATTAQUÉE 25

A. Sur la qualification du fournisseur d' « interlocuteur unique » du client final et de « fournisseur obligé » des prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD 25

1. Dans l'hypothèse où le client a conclu un contrat unique 25

2. Dans l'hypothèse où le client a conclu un contrat de livraison directe 33

B. Sur la rémunération des prestations de gestion de clientèle assurées par les fournisseurs pour le compte du GRD 35

1. Observation liminaire sur les limites temporelles du différend 35

2. Sur la prescription des créances de la société Direct Energie 36

3. Sur le droit de la société ENI Gas à rémunération 36

4. Sur le plafonnement de la rémunération aux coûts évités du GRD
37

5. Sur la fixation des montants de rémunération 39

III. SUR LES DÉPENS ET L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE 40

*
* *

Vu la décision du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie no 11-38-13 du 18 juin 2018 sur le différend qui oppose la société DIRECT ENERGIE et la société ENI GAS & POWER à la société GRDF, dans le cadre de l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 juin 2016 ;

Vu la déclaration de recours de la société ENI Gas & Power France, déposée au greffe de la cour le 18 juillet 2018 et enregistrée sous le numéro RG 2018/17469 ;

Vu la déclaration de recours de la société Direct Energie, déposée au greffe de la cour le 20 juillet 2018 et enregistrée sous le numéro RG 2018/17799 ;

Vu la déclaration de recours de la société Gaz Réseau Distribution de France, déposée au greffe de la cour le 26 juillet 2016 et enregistrée sous le numéro RG 2018/18410 ;

Vu l'ordonnance du délégataire du premier président de la cour d'appel en date du 25 septembre 2018 joignant les trois recours sous le numéro RG 2018/17469 ;

Vu l'exposé complet des moyens et le mémoire en réplique de la société ENI Gas & Power France, déposés au greffe de la cour respectivement les 17 août 2018 et 31 janvier 2019 ;

Vu l'exposé complet des moyens, les observations et les observations récapitulatives de la société Direct Energie, déposés au greffe de la cour respectivement les 20 août 2018 et 31 janvier 2019 ;

Vu l'exposé complet des moyens et les observations de la société Gaz Réseau Distribution de France, déposés au greffe de la cour respectivement les 24 août 2018 et 31 janvier 2019 ;

Vu les observations de la Commission de régulation de l'énergie déposées au greffe de la cour le 6 décembre 2018 ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 13 juin 2019 en leurs observations orales les conseils des sociétés Direct Energie, ENI Gas & Power France et Gaz Réseau Distribution de France, qui ont été mis en mesure de répliquer, ainsi que le représentant de la Commission de régulation de l'énergie ;

Vu la production de pièces par la société ENI Gas & Power France, autorisée par la cour, déposée au greffe le 20 juin 2019 ;

Vu les notes en délibéré de la société Gaz Réseau Distribution de France et de la Commission de régulation de l'énergie, autorisées par la cour, déposées au greffe de la cour le 28 juin 2019.

*
* *

FAITS ET PROCÉDURE

Le marché du gaz et ses acteurs

1.Le marché de la fourniture du gaz est ouvert à la concurrence. Les fournisseurs non historiques, dits alternatifs, sont entrés sur le marché de détail du gaz naturel. Désormais, les consommateurs peuvent choisir entre deux types d'offres :

– les offres de marché dont les prix sont fixés librement par les fournisseurs ;

– les tarifs réglementés de vente (« TRV »), fixés par les pouvoirs publics et proposés par les fournisseurs historiques (Engie et 22 entreprises locales de distribution, ELD).
2.Si le marché de la fourniture a été ouvert à la concurrence, en revanche, la distribution de gaz, c'est-à-dire son acheminement jusqu'au consommateur final, continue d'être assurée sous forme de monopoles par des gestionnaires de réseau de distribution (ci-après les « GRD »). Un GRD a pour mission de concevoir, construire, exploiter et entretenir le réseau de distribution de gaz naturel en garantissant la sécurité des biens et des personnes et la qualité de la desserte. Il assure la distribution du gaz naturel depuis le point d'interface transport/distribution entre le réseau de transport et celui de distribution jusqu'au client final, en garantissant aux fournisseurs présents sur le marché un accès libre et non discriminatoire au réseau de distribution.

3.Il existe plusieurs GRD, chacun ayant le monopole de la distribution dans sa zone de desserte. Le plus important est la société Gaz Réseau Distribution de France (ci-après la « société GRDF »), filiale du groupe Engie, successeur de l'ancien monopole historique Gaz de France.

4.Conformément aux dispositions de l'article L. 452-2 du code de l'énergie, la Commission de régulation de l'énergie (ci-après la « CRE ») fixe les méthodes pour établir les tarifs d'utilisation des réseaux de gaz naturel. Ces tarifs couvrent l'ensemble des coûts supportés par les gestionnaires de ces réseaux, dans la mesure où ces coûts correspondent à ceux d'un gestionnaire de réseau efficace.

5.Ces tarifs sont appelés « tarifs d'accès des tiers aux réseaux de distribution » ou « tarifs ATRD ». Il existe onze tarifs ATRD, applicables en fonction du GRD concerné. Il existe notamment un tarif spécifique à la société GRDF, comprenant plusieurs options tarifaires (T1, T2, T3, T4, TP) appliquées en fonction du type de consommation du client.

6.Ainsi, le tarif ATRD appliqué par la société GRDF, quelle que soit l'option tarifaire retenue, rémunère l'acheminement du gaz sur le réseau qu'elle exploite jusqu'au client final.

7.La présente affaire oppose deux fournisseurs, les sociétés Direct Energie et ENI Gas & Power France (ci-après la « société ENI Gas »), à la société GRDF.

8.L'opération de livraison de gaz à un client final suppose l'établissement de relations contractuelles entre trois protagonistes, le GRD, le fournisseur et le client :

– le fournisseur et le client passent un contrat de fourniture de gaz ;

– le GRD et le client final passent un contrat d'accès au réseau de distribution de gaz, également qualifié de contrat de distribution ;

– le GRD et le fournisseur passent un contrat d'acheminement sur le réseau de distribution de gaz naturel, dit « contrat Acheminement Distribution » (ci-après le « CAD »), qui définit les conditions d'accès du fournisseur au réseau de distribution de gaz. C'est ainsi que, dans l'exercice de son monopole légal, la société GRDF a notamment conclu des CAD avec les sociétés Direct Energie, Poweo, aux droits de laquelle vient la société Direct Energie, et [...].

9.Deux cas de figure peuvent se rencontrer.

10.D'une part, la passation d'un contrat unique : le client final a la faculté de conclure avec le fournisseur un contrat unique, en application de l'article L. 224-8 du code de la consommation, comprenant à la fois les conditions de fourniture de gaz par le fournisseur et les conditions d'accès au réseau de distribution de gaz géré par le GRD, dites « conditions standards de livraison » (ci-après les « CSL »).

11.L'article L. 224-8 du code de la consommation, dans sa version résultant de l'ordonnance no 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation (texte figurant autrefois à l'article L. 121-92 alinéas 1er et 2 du même code), dispose :

« Le fournisseur est tenu d'offrir au client la possibilité de conclure avec lui un contrat unique portant sur la fourniture et la distribution d'électricité ou de gaz naturel. Ce contrat reproduit en annexe les clauses réglant les relations entre le fournisseur et le gestionnaire de réseau, notamment les clauses précisant les responsabilités respectives de ces opérateurs.

Outre la prestation d 'accès aux réseaux, le consommateur peut, dans le cadre du contrat unique, demander à bénéficier de toutes les prestations techniques proposées par le gestionnaire du réseau. Le fournisseur ne peut facturer au consommateur d'autres frais que ceux que le gestionnaire du réseau lui a imputés au titre d'une prestation. »

12.Il est désormais établi que, dans le cadre du contrat unique, le fournisseur agit pour le compte du GRD pour tout ce qui concerne le volet « acheminement ». En d'autres termes, sous l'apparence d'un contrat unique, sont bien passés deux contrats : l'un de fourniture de gaz, entre le fournisseur et le client final, l'autre d'accès au réseau de distribution de gaz, constitué par les CSL arrêtées par le GRD, entre le GRD, représenté par le fournisseur, et le client final.

13.D'autre part, la passation d'un contrat direct : les clients finals dont les sites sont en relève mensuelle ou quotidienne et dont le débit maximum du compteur est supérieur à 100m3/h et/ou qui souhaitent disposer de prestations du GRD relatives à la maintenance ou à la pression du gaz livré souscrivent deux contrats, l'un, de fourniture de gaz avec le fournisseur, l'autre, d'accès au réseau de distribution de gaz directement avec le GRD, appelé « contrat de livraison directe » (ci-après le « CLD »).

La première phase du différend

La décision du CoRDiS du 19 septembre 2014

14.L'analyse des rapports contractuels qui précède n'a pas toujours prévalu.

15.La distribution a longtemps été considérée comme réalisée pour le compte du fournisseur. C'est dans ce cadre que la société GRDF a, pendant une dizaine d'années, imposé contractuellement, sans négociation préalable, aux fournisseurs d'assurer gratuitement les prestations de gestion de clientèle liée aux problématiques de distribution, décrites à l'annexe H « Accord de représentation » du CAD, et de prendre à leur charge les impayés sur la part « acheminement » de la facture, et ce, que le client ait conclu un contrat unique, au sens de l'article L. 121-92 – devenu L. 224-8 – du code de la consommation, ou un CLD.

16.Pendant une dizaine d'année, nul ne s'est interrogé sur les coûts induits par le recours au contrat unique pour le fournisseur.

17.C'est dans ce contexte que la société GRDF a imposé contractuellement, sans négociation préalable, aux fournisseurs d'assurer gratuitement des prestations de gestion de clientèle liée aux problématiques de distribution. Ces prestations étaient décrites à l'annexe H « Accord de représentation » du CAD.

18.De la même façon, la société GRDF a imposé aux fournisseurs de prendre à leur charge les impayés sur la part « acheminement » de la facture.

19.Le 22 juillet 2013, la société Direct Energie, venant également aux droits de la société Poweo, a saisi le le Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie (ci-après le « CoRDiS ») d'une demande de règlement du différend l'opposant à la société GRDF.

20.Par une décision no 11-38-13 du 19 septembre 2014, le CoRDiS a dit que « la mission d'acheminement dévolue au [GRD] s'effectue pour le compte du client final, et non pour le compte de son fournisseur et que dès lors, le gestionnaire du réseau public de distribution ne peut imposer au fournisseur des stipulations dans le [CAD] visant à le rendre redevable en son nom et pour son compte du paiement du tarif ATRD et de toute autre somme non couverte par ce tarif ». Il en a déduit que, « pour reverser au [GRD] les sommes dues au titre de l'utilisation du réseau, le fournisseur doit les avoir préalablement recouvrées auprès du client final ». Par cette décision, le CoRDiS a mis fin à la pratique antérieure, où le fournisseur assumait seul les impayés, y compris sur la part « acheminement » de la facture.

21.N... a en revanche rejeté la demande de la société Direct Energie tendant à voir fixer la rémunération qui lui est due au titre des prestations de gestion de clientèle, également dites de « peines et soins », assurées par elle pour le compte de la société GRDF.

L'arrêt de la cour d'appel du 2 juin 2016

22.La société GRDF a introduit un recours en annulation de cette décision devant la cour d'appel de Paris et la société Direct Energie, un recours en réformation. Quant à la société ENI Gas, qui n'était pas partie au différend, elle est intervenue volontairement dans la procédure engagée et a également sollicité la réformation de la décision du CoRDiS.

23.Par arrêt no RG no 14/26021 prononcé le 2 juin 2016 (ci-après l' « arrêt du 2 juin 2016 »), la cour d'appel a rejeté l'ensemble des prétentions de la société GRDF et a accueilli en partie les demandes des sociétés Direct Energie et ENI Gas en réformation de ladite décision.

24.Dans cet arrêt, la cour d'appel de Paris a, d'une part, jugé que la fonction de mandataire du GRD exercé par le fournisseur vis-à-vis du client final, dans le cadre du contrat unique, n'a ni pour objet ni pour effet de modifier les responsabilités respectives du GRD, du fournisseur et du client, de sorte que le GRD ne peut imposer au fournisseur de supporter le risque d'impayé pour la part « acheminement » du tarif ATRD facturé au client.

25.D'autre part, elle a jugé que c'est à tort que le CoRDiS avait refusé de se prononcer sur la rémunération due par le GRD au fournisseur au titre des prestations de gestion de clientèle liées aux problématiques de distribution (et non de fourniture) réalisées par le second pour le compte du premier.

26.En cas de passation d'un contrat unique, la cour a précisé que le GRD « doit supporter, au moins en partie, les coûts » de ces prestations.

27.En cas de conclusion d'un CLD, la cour a jugé, de même, que les prestations liées aux problématiques de distribution que le fournisseur serait susceptible d'assurer pour le compte du GRD doivent également donner lieu à « proposition d'un tarif équitable ».

28.Dès lors, la cour a :

« – Enjoint à la société GrDF de mettre ses contrats d'acheminement sur le réseau de distribution (CAD) en conformité avec les principes énoncés par la décision, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, en proposant à la société Direct Energie et à la société ENI un avenant à ce contrat d'accès au réseau prévoyant :

– Que sont réputées n'avoir jamais existé entre les parties parce que contraires au code de l'énergie les clauses du contrat d'accès signé entre elles

• subordonnant l'accès à ce contrat à l'acceptation par le fournisseur de la prestation d'intermédiation et qui vont au-delà de ce qu'exige la seule signature des CSL par le client lorsque celui-ci souhaite un contrat unique ;

• imposant au fournisseur de rendre des prestations à la société GrDF dont il ne pouvait à tout le moins négocier le prix ou les conditions de réalisation, notamment, lorsque le client n'est pas en contrat écrit ;

– Une rémunération équitable et proportionnée au regard des coûts évités par elle des prestations accomplies pour son compte auprès des clients ;

– Dit que la société GrDF ne peut conditionner l'accès au réseau de distribution à la réalisation de prestations non rémunérées par un tarif équitable et proportionné au regard des coûts évités par elle, auprès des clients finals ayant conclu un contrat de livraison directe ;

– Dit que ces amendements et l'offre tarifaire afférente devront être proposés dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt et devront être soumis au CoRDiS dans le même délai à compter de la notification du présent arrêt ;

– Enjoint à la société GrDF de verser à la société Direct Energie une rémunération égale à celle qui sera fixée entre elles pour la gestion des clients en contrat unique avec effet à compter du 21 juin 2005 s'agissant du contrat d'accès au réseau public de distribution conclu avec la société Poweo, et à compter du 21 novembre 2008, s'agissant de celui signé avec la société Direct Energie, avec intérêts au taux compter de la date de l'arrêt. »

29.Il doit être souligné que, par cet arrêt, la cour d'appel n'a pas mis fin au différend, renvoyant notamment devant le CoRDiS la question de la détermination de la rémunération.

30.La société GRDF a formé à l'encontre dudit arrêt un pourvoi en cassation, enregistré sous le numéro 16-19.851. Par arrêt du 21 mars 2018, la Cour de cassation, chambre commerciale, a sursis à statuer et saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'un renvoi préjudiciel, enregistré sous le numéro C-236/18, lui soumettant la question suivante : « La directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009, et en particulier son article 41, paragraphe 11, doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils commandent qu'une autorité de régulation, réglant un litige, ait le pouvoir de rendre une décision s'appliquant à l'ensemble de la période couverte par le litige dont elle est saisie, peu important la date de son émergence entre les parties, notamment en tirant les conséquences de la non-conformité d'un contrat aux dispositions de la directive par une décision dont les effets couvrent toute la période contractuelle ? » La Cour de justice n'a pas encore statué, et le pourvoi est donc toujours pendant.

31.Toutes les parties s'accordent pour reconnaître que le CoRDiS était lié par cet arrêt.

Les délibérations de la CRE no 2017-237, 2017-238 et 2018-012

32.À la suite de l'arrêt du 2 juin 2016, la CRE a engagé des travaux sur les coûts de gestion des clients en contrat unique.

33.Elle a ainsi fait réaliser, par un cabinet indépendant, une étude destinée à évaluer les surcoûts induits par la prise en charge des activités de gestion de clientèle par les fournisseurs pour le compte des GRD. Cette étude a débouché sur un rapport dit « rapport PMP », déposé le 5 janvier 2017. La CRE a alors organisé, du 4 mai au 9 juin 2017, une consultation publique relative à la rémunération de la gestion de clientèle effectuée par les fournisseurs pour le compte des GRD de gaz naturel et d'électricité, dans le cadre de laquelle elle a recueilli des contributions de fournisseurs, d'associations de consommateurs, de gestionnaires d'infrastructures, d'autorités organisatrices de la distribution d'énergie, d'organisations syndicales et d'autres acteurs.

34.Sur la base de ce rapport et de ces contributions, la CRE a adopté, le 26 octobre 2017, en vertu du pouvoir réglementaire que lui accordent les articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de l'énergie, les délibérations no 2017-237 portant décision sur la composante d'accès aux réseaux publics de distribution de gaz naturel pour la gestion de clients en contrat unique à compter du 1er janvier 2018 et no 2017-238 portant modification des délibérations de la CRE du 25 avril 2013, du 22 mai 2014 et du 10 mars 2016 portant décision sur les tarifs péréqués d'utilisation des réseaux publics de distribution de gaz naturel, par lesquelles la CRE a défini une composante tarifaire, dite Rf, représentant le montant de la contrepartie versée par le GRD au fournisseur pour la gestion de clientèle qu'il effectue pour son compte, en a fixé le montant à compter du 1er janvier 2018, soit, pour les points de livraisons en offre de marché, un montant annuel de 8,10 euros par point de livraison bénéficiant des options tarifaires T3, T4 ou TP, et de 91 euros par point de livraison bénéficiant des options tarifaires T1, T2 ou ne disposant pas de compteur individuel, et a prévu la couverture de cette composante par les tarifs ATRD.

35.Le 18 janvier 2018, la CRE a adopté la délibération no 2018-012 portant décision sur la composante d'accès aux réseaux publics de distribution de gaz naturel pour la gestion de clients en contrat unique, qui abroge et remplace la délibération no 2017-237. Au demeurant, les montants de la composante d'accès aux réseaux publics de distribution de gaz naturel pour la gestion de clients en contrat unique fixés par la nouvelle délibération sont les mêmes que ceux fixés par la délibération abrogée.

La loi no 2017-1839 du 30 décembre 2017

36.La loi no 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement, a apporté diverses modifications du code de l'énergie.

37.Elle a notamment modifié le 4o de l'article L. 134-2 de ce code, qui est désormais ainsi libellé :

« Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires, la Commission de régulation de l'énergie précise, par décision publiée au Journal officiel de la République française, les règles concernant :

[
]

4o Les conditions d'utilisation des réseaux de transport et de distribution de gaz naturel et des installations de gaz naturel liquéfié, y compris la méthodologie d'établissement des tarifs d'utilisation de ces réseaux et de ces installations et les évolutions tarifaires, ainsi que la rémunération des fournisseurs pour les prestations de gestion de clientèle qu'ils réalisent pour le compte des gestionnaires de réseaux de distribution dans le cadre de l'exécution des contrats portant sur l'accès aux réseaux et la fourniture de gaz naturel ».
38.Par ailleurs, cette loi a créé un article L. 452-3-1 du code de l'énergie, applicable à compter du 1er janvier 2018, dont le I dispose : « Les prestations de gestion de clientèle réalisées par les fournisseurs de gaz naturel pour le compte des gestionnaires de réseaux de distribution dans le cadre de l'exécution des contrats portant sur l'accès aux réseaux et la fourniture de gaz naturel peuvent donner lieu à une rémunération, dont les éléments et le montant sont fixés par la Commission de régulation de l'énergie. »

39.Le III du même article dispose :

« Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les conventions relatives à l'accès aux réseaux conclues entre les [GRD] et les fournisseurs de gaz naturel, en tant qu'elles seraient contestées par le moyen tiré de ce qu'elles imposent aux fournisseurs la gestion de clientèle pour le compte des [GRD] ou laissent à la charge des fournisseurs tout ou partie des coûts supportés par eux pour la gestion de clientèle effectuée pour le compte des [GRD] antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi.

Cette validation n'est pas susceptible de donner lieu à réparation. »

40.Par décision no 2019-776 QPC du 19 avril 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le premier alinéa du II de l'article L. 452-3-1 du code de l'énergie. Cette disposition est le pendant, pour le secteur de la fourniture d'électricité, du premier alinéa du III du même article, applicable quant à lui au secteur de la fourniture de gaz, l'un et l'autre étant rédigés dans les mêmes termes.

La seconde phase du différend

La décision attaquée

41.À la suite du renvoi du différend devant le CoRDiS par l'arrêt du 2 juin 2016, la société GRDF a, le 2 août 2016, soumis au CoRDiS un projet d'avenant aux CAD passés avec les sociétés Direct Energie et ENI Gas, que ces dernières ont contesté comme ne répondant pas aux injonctions de cet arrêt.

42.C'est dans ce contexte que le CoRDiS a décidé de confier au collège de la CRE la mission de « l'assister » dans la détermination de la rémunération adéquate.

43.Celle-ci lui a remis sa délibération no 2017-240 du 26 octobre 2017 portant avis en réponse au CoRDiS sur la rémunération des fournisseurs au titre des prestations qu'ils réalisent pour le compte de GRDF (ci-après l' « avis de la CRE »), adoptée le même jour que les délibérations no 2017-237 et no 2017-238, évoquées au paragraphe A.1 du présent arrêt.

44.En substance, la CRE y a repris les principes sur la base desquels elle avait calculé, notamment dans sa délibération no 2017-237, la composante d'accès aux réseaux publics de distribution de gaz naturel pour la gestion de clients en contrat unique à compter du 1er janvier 2018 :

– elle a considéré que la composante rémunérant l'activité de gestion de clientèle effectuée par le fournisseur pour le compte du GRD ne doit pas conduire à ce que le GRD supporte des coûts supérieurs à ceux qu'il supporterait s'il gérait lui-même la relation contractuelle avec les clients, de sorte qu'elle a pour plafond les « coûts évités » par le GRD ;

– elle a estimé que cette composante doit s'apprécier indépendamment des caractéristiques propres de tel ou tel fournisseur, et doit donc être déterminée en s'appuyant sur les coûts d'un fournisseur normalement efficace ; la CRE a retenu comme référence le niveau d'efficacité d'un fournisseur actif sur le seul marché et disposant d'une part de marché de 10 %;

– elle a considéré qu'il n'y a pas lieu d'opérer de distinction selon que le client conclut un contrat unique ou à la fois un contrat de fourniture et un contrat de livraison directe.

45.En revanche, estimant qu'un fournisseur pouvait avoir déjà répercuté, dans ses tarifs de vente, les surcoûts liés à la gestion de clientèle assurée pour le compte du GRD et qu'il convenait d'éviter un effet d'aubaine, la CRE a proposé, pour la période antérieure au 1er janvier 2018, des montants de rémunération par point de livraison et par an allant de 1,96 euros à 9,10 euros, en fonction de la période considérée et de l'option tarifaire appliquée, soit des montants inférieurs à ceux qu'elle a arrêtés, dans sa délibération no 2017/237, pour la période à compter du 1er janvier 2018, allant de 8,1 euros à 91 euros.

46.La version publique du rapport PMP, dont une partie du contenu a été occultée pour les besoins du respect du secret des affaires, a été versée aux débats devant le CoRDiS.

47.Le 5 avril 2018, la société Direct Energie a soumis au CoRDiS un nouveau projet d'avenant à ses CAD visant à appliquer les délibérations no 2017-237 et no 2017-238 à compter du 1er janvier 2018.

48.Par décision no 11-38-13 du 18 juin 2018 sur le différend qui oppose la société DIRECT ENERGIE et la société ENI GAS & POWER à la société GRDF, dans le cadre de l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 juin 2016 (ci-après la « décision attaquée »), le CoRDiS a écarté des débats l'avenant soumis par la société GRDF le 5 avril 2018 (article 1er) et constaté que le projet d'avenant soumis par cette même société le 2 août 2016 ne satisfaisait pas aux prescriptions de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 juin 2016 (article 2).

49.Il a en conséquence, aux articles 3 et 4 de cette décision, adressée à la société GRDF les injonctions suivantes :

« Article 3. – Il est enjoint à la société GRDF de mettre en conformité ses CAD et la souscription des contrats de livraison directe (CLD) avec les dispositions du code de la consommation et du code de l'énergie, en proposant aux sociétés DIRECT ENERGIE et ENI GAS & POWER, au plus tard le 20 décembre 2018, un nouvel avenant au CAD prévoyant notamment :

– de ne pas transférer, directement ou indirectement, la responsabilité du GRD vers les fournisseurs dans le cadre des prestations de gestion de clientèle qu'ils effectuent pour son compte auprès des consommateurs finals en contrat unique ;

– une rémunération des fournisseurs par la société GRDF conforme à la méthode définie par la présente décision et égale aux montants suivants :

• 91,00 euros par an pour la gestion de chaque point de livraison en offre de marché ayant choisi les options tarifaires T3 ou T4 ou TP ;

• 8,10 euros par an pour la gestion de chaque point de livraison en offre de marché ayant choisi les options tarifaires T1 ou T2 ou ne disposant pas de compteur individuel.

Article 4. – Il est enjoint à la société GRDF de verser à la société DIRECT ENERGIE une rémunération égale aux montants prescrits à l'article 3, pour la gestion des clients en contrat unique, avec effet à compter du 21 juin 2005 s'agissant du contrat d'accès au réseau public de distribution conclu avec la société POWEO, et à compter du 21 novembre 2008, s'agissant de celui signé avec la société DIRECT ENERGIE, avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'arrêt du 2 juin 2016. »

50.Il a rejeté, à l'article 5 de ladite décision, le surplus des demandes des sociétés Direct Energie, ENI Gas et GRDF.

51.En substance, le CoRDiS a fait sienne l'analyse effectuée par la CRE dans son avis, sauf sur un point. Il a en effet considéré, d'une part, qu'il n'était pas compétent pour apprécier si tout ou partie des surcoûts supportés par les fournisseurs au titre des prestations de gestion effectuées pour le compte de la société GRDF ont été répercutés par eux sur les clients finals, refusant donc de se prononcer sur l'existence d'un éventuel effet d'aubaine, d'autre part, que l'arrêt du 2 juin 2016 n'avait pas entendu différencier les montants à appliquer au titre des périodes antérieures et postérieures à son arrêt. Il a donc fixé la rémunération due par la société GRDF aux sociétés Direct Energie et ENI Gas aux montants retenus dans la délibération no 2017/237 puis dans la délibération no 2018/012.

Le présent recours

52.Les sociétés Direct Energie et ENI Gas ont formé chacune un recours en annulation, et subsidiairement, en réformation des articles 3 à 5 de la décision attaquée. En substance, elles soutiennent, d'une part, que les fournisseurs ont la liberté de refuser d'exécuter les prestations de gestion de clientèle pour le compte de GRDF, y compris en cas de passation d'un contrat unique, et, d'autre part, que la rémunération doit correspondre aux coûts supportés individuellement par chacun d'eux, ce qui n'est pas le cas des montants fixés par la décision attaquée, qui ne sont ni équitables ni proportionnés.

53.L a société GRDF a formé un recours en annulation de l'article 4 de la décision susvisée. Elle demande à la cour de juger qu'aucune rémunération n'est due au titre du passé dès lors que les surcoûts ont été répercutés dans le prix des offres des sociétés Direct Energie et ENI Gas au client final.

*
* *

MOTIVATION

I. SUR LES DEMANDES EN ANNULATION DE LA DÉCISION ATTAQUÉE

54.La société Direct Energie demande à la cour d'annuler la décision attaquée, en soulevant plusieurs moyens au soutien de cette demande.

A. Sur la demande de la société Direct Energie

55.La société Direct Energie soulève plusieurs moyens au soutien de sa demande d'annulation de la décision attaquée.

1. Sur le moyen pris de la violation des « principes applicables en matière de suivi de l'exécution d'un arrêt »

56.La société Direct Energie rappelle que, dans son arrêt du 2 juin 2016, la cour d'appel a fait injonction à la société GRDF de proposer à la société Direct Energie des amendements et une offre « dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt » tout en précisant que ces amendements devront « être soumis au CoRDiS dans le même délai ».

57.Elle souligne que ce membre de phrase du dispositif est le seul qui soit relatif au suivi de l'exécution de l'arrêt du 2 juin 2016 par le CoRDiS et constitue la seule justification à l'implication du CoRDiS dans l'affaire après le prononcé de cet arrêt. Dans la mesure où ledit arrêt avait nécessairement dessaisi le CoRDiS du litige, la cour d'appel ne pouvait pas rouvrir devant lui une nouvelle procédure tendant à l'examen, par cette autorité administrative, des questions définitivement tranchées par l'arrêt.

58.Selon la société Direct Energie, la cour d'appel n'a pu, tout au plus, investir le CoRDiS que de la mission de déterminer si l'avenant proposé par la société GRDF correspondait bien à l'arrêt du 2 juin 2016, et donc du seul pouvoir de constater la bonne ou mauvaise exécution de l'arrêt, sans aucune marge de manœuvre par rapport à cet arrêt.

59.Or, selon elle, par la décision attaquée, le CoRDiS a substitué ses propres considérations aux termes clairs et précis de l'arrêt du 2 juin 2016, allant jusqu'à réformer les conditions du délai de l'injonction, qu'elle a allongé de deux à six mois, alors même qu'une telle prérogative n'appartient qu'au premier président de la cour d'appel.

60.La société GRDF répond, d'une part, que le CoRDiS n'a en rien méconnu l'autorité de chose jugée de l'arrêt du 2 juin 2016 et que le moyen soulevé par la société Direct Energie repose sur une lecture erronée de cet arrêt.

61.Elle fait valoir, d'autre part, que l'octroi, par le CoRDiS, d'un délai de six mois à la société GRDF pour présenter un nouvel avenant ne contrevient pas à l'arrêt du 2 juin 2016, dès lors que, ayant jugé non conforme aux prescriptions de cet arrêt l'avenant présenté dans le délai de deux mois imparti par ledit arrêt, le CoRDiS était libre de fixer le délai dans lequel la société GRDF devait présenter un nouvel avenant.

62.La CRE conteste également la lecture de l'arrêt du 2 juin 2016 sur lequel repose le moyen d'annulation de la société Direct Energie et soutient que le CoRDiS a fait, dans la décision attaquée, une application pure et simple de cet arrêt. Quant au délai de six mois que le CoRDiS, après avoir écarté l'avenant présenté par la société GRDF, a accordé à cette société pour présenter un nouvel avenant, il ne méconnaît pas la portée dudit arrêt.

***
Sur ce, la cour

63.En premier lieu, dans le dispositif de l'arrêt du 2 juin 2016, la cour d'appel a « [d]it que [l]es amendements [au CAD que la société GRDF doit proposer aux sociétés Direct Energie et ENI Gas] et l'offre tarifaire afférente devront être proposés dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt attaqué et devront être soumis au CoRDiS dans le même délai à compter de la notification du présent arrêt ».

64.Il résulte sans équivoque de ce chef du dispositif que la cour d'appel, tout en jugeant que la société Direct Energie avait droit d'être rémunérée pour les prestations de gestion de clientèle fournies à la société GRDF et en énonçant les principes selon lesquels la tarification de ces prestations devrait être établie, a renvoyé au CoRDiS la responsabilité de s'assurer que le projet d'avenant et l'offre tarifaire que devait présenter la société GRDF seraient conformes auxdits principes et, le cas échéant, de fixer lui-même la rémunération due.

65.Le renvoi au CoRDiS opéré par la cour d'appel résulte, d'une part, des termes mêmes du membre de phrase invoqué par la société Direct Energie, la société GRDF s'étant vu enjoindre de « soumettre » sa proposition d'avenant et l'offre tarifaire afférente au CoRDiS, et pas seulement d'informer celui-ci de leur contenu. Il se déduit, d'autre part, du fait que la cour d'appel a statué sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que sur les dépens, ce qu'elle n'aurait pas fait si elle avait considéré qu'elle n'avait pas vidé sa saisine et restait saisie du recours.

66.La cour d'appel n'a donc pas chargé le CoRDiS du « suivi d'exécution de l'arrêt du 2 juin 2016 », mais lui a laissé le soin de régler le différend, dans le respect des principes dégagés par son arrêt. La cour constate que le chef du dispositif de l'arrêt du 2 juin 2016 visé au paragraphe 63 du présent arrêt n'a fait l'objet d'aucun pourvoi de la part de la société Direct Energie, laquelle n'est pas recevable à en contester la légalité dans le cadre de la présente instance.
67.En constatant que le projet d'avenant soumis le 2 août 2016 par la société GRDF ne satisfaisait pas aux prescriptions de l'arrêt du 2 juin 2016 et en fixant le montant de la rémunération due à la société Direct Energie au titre de ses prestations de gestion de clientèle, le CoRDiS s'est donc conformé à l'arrêt du 2 juin 2016, en tant que celui-ci le saisissait de cet aspect du différend non tranché par la cour d'appel.

68.Quant à la question de savoir si, dans la décision attaquée, le CoRDiS a méconnu les principes fixés dans l'arrêt du 2 juin 2016, dont nul ne conteste qu'ils s'imposaient à lui, elle ressortit à la légalité interne de cette décision et sera examinée ci-après.

69.La cour souligne néanmoins dès à présent que la question de la rémunération des prestations de gestion de clientèle supposait de trancher un certain nombre de questions techniques qui n'avaient pas fait l'objet d'un débat approfondi devant la cour d'appel et sur lesquelles celle-ci n'était donc pas en mesure de statuer dans son arrêt du 2 juin 2016, de sorte que, sur cette question, l'apport d'éléments nouveaux par la décision attaquée était la conséquence nécessaire du renvoi au CoRDiS du règlement du différend.

70.En second lieu , si, par son arrêt du 2 juin 2016, la cour d'appel a enjoint à la société GRDF de soumettre une proposition d'avenant aux CAD conclu avec les société Direct Energie et ENI Gas, ainsi que l'offre tarifaire afférente, « dans un délai de deux mois à compter de la notification de [cet] arrêt » et de les soumettre au CoRDiS « dans le même délai », elle n'a imparti aucun délai au CoRDiS pour se prononcer sur le bien-fondé des propositions de la société GRDF ni, a fortiori, pour arrêter lui-même une tarification, au cas où il écarterait l'offre tarifaire de la société GRDF, de sorte qu'il était libre de choisir le délai lui paraissant le plus approprié pour inviter la société GRDF à présenter un nouvel avenant.

71.Le moyen doit donc être écarté.

2. Sur le moyen pris de la violation du principe du contradictoire

72.Rappelant que, suivant une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le principe du contradictoire implique que le juge ne peut retenir dans sa décision que des éléments qui ont été débattus contradictoirement, et que ce principe s'applique devant le CoRDiS, la société Direct Energie soutient que la décision attaquée a été prise à l'issue d'une procédure non contradictoire.

73.Elle fait valoir, en premier lieu, qu'en ce qui concerne plus particulièrement les études économiques, la pratique décisionnelle et la jurisprudence considèrent que l'exigence d'un débat contradictoire impose qu'elles soient présentées de façon à rendre les concepts, méthodes et données utilisées et les résultats obtenus pleinement transparents ; que les informations recueillies auprès des organismes sollicités qui sont exploitées dans l'étude doivent être annexées à son rapport ; que les conclusions et pièces produites par une partie doivent avoir été notifiées à l'autre.

74.Elle récuse l'argument selon lequel le rapport PMP n'a pas été ordonné par une autorité assimilable à un juge statuant dans le cadre d'un litige, puisqu'il a été réalisé à la demande du collège de la CRE. Selon elle, cette distinction est purement artificielle, dès lors qu'il est constant que le rapport PMP lui a bien été opposé dans le cadre de la procédure devant le CoRDiS. Elle rappelle, à cet égard, que c'est bien le CoRDiS qui a confié à la CRE une mission d'expertise, laquelle ne saurait donc échapper à l'application des articles 263 et suivants du code de procédure civile. Elle fait également valoir que le rapport PMP n'est pas assimilable à une expertise amiable, dès lors qu'il n'a pas été établi à l'initiative d'une partie au différend.

75.Elle conclut donc que tant l'élaboration du rapport PMP que l'accès à sa version finale devaient être réalisées dans le respect du contradictoire.

76.Elle soutient, en deuxième lieu, que tel n'a pas été le cas, alors même que la décision attaquée est fondée sur le rapport PMP.
77.S'agissant de l'élaboration de ce rapport, la société Direct Energie souligne qu'elle n'a pas été contradictoire, en violation de l'article R. 134-10 du code de l'énergie et des principes applicables à l'expertise judiciaire, puisqu'elle n'a pas eu accès aux éléments, notamment ceux communiqués par la société GRDF, que l'expert a réunis et sur lesquels il a fondé son rapport. Elle n'a donc pas été en mesure de les discuter contradictoirement avant leur prise en compte par l'expert.

78.Elle ajoute qu'elle n'a même pas pu avoir accès, postérieurement au dépôt du rapport PMP, auxdits éléments, tels les « coûts de prestation externe de traitement des demandes client » par type fournisseur (p. 23 du rapport PMP), la quote-part des coûts SI imputable à la gestion unique (p. 25 du rapport PMP), pourtant agrégée, le coût du prestataire de recouvrement des impayés issus d'un « benchmark PMP cohérent avec les données de plusieurs fournisseurs » (p. 27 du rapport PMP), l'ensemble des données sur les surcoûts subis par les quatre catégories de fournisseurs types (graphiques et tableaux figurant aux p. 6, 8, 34 à 42 du rapport PMP) ou les coûts de GRDF.

79.S'agissant de l'accès à la version finale du rapport PMP, la société Direct Energie souligne que les occultations des données chiffrées dans la version qui lui en a été communiquée – la version publique – sont d'une ampleur telle qu'elles interdisaient toute reproductibilité des résultats ou toute vérification des hypothèses retenues et des conclusions présentées, de sorte qu'aucun débat contradictoire n'a été possible.

80.À cet égard, elle rappelle que, dans un arrêt du 24 février 2011 (RG no 10/16143), la présente cour a jugé qu'en l'absence de dispositions particulières l'obligeant à lever le secret des affaires, une autorité ne dispose pas d'autres options que d'écarter des débats les pièces pour lesquelles une partie a invoqué le secret des affaires.

81.La société Direct Energie soutient qu'à tout le moins, un accès aux données agrégées, et notamment à celles élaborées par l'expert pour constituer les « profils types » de fournisseurs, aurait dû être donné aux demanderesses au différend. Elle considère de même que rien ne s'opposait à ce qu'elles aient accès aux tableaux de synthèse contenus dans le rapport PMP.

82.Elle ajoute qu'il ressort du paragraphe 156 des observations que la société GRDF a déposé le 5 avril 2018 devant le CoRDiS que celle-ci a eu accès à des informations du rapport PMP dont elle-même a été privée.

83.En dernier lieu, la société Direct Energie fait valoir que le secret des affaires n'était pas en l'espèce susceptible de justifier le refus qui lui a été opposé d'accéder aux données fournies à l'expert par la société GRDF.

84.Elle rappelle, d'une part, que cette société exerce une activité liée à une mission de service public. Or l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration prévoit une obligation de communiquer aux personnes qui en font la demande les documents administratifs, lesquels sont définis, à l'article L. 300-2 du même code, comme « les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission », notamment « les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions ».

85.D'autre part, elle reconnaît qu'aux termes de l'article 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, «[n]e sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs [
d]ont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L. 300-2 est soumise à la concurrence ».
86.Mais elle fait valoir que la société GRDF exerce son activité en monopole et souligne que le Conseil d'État et la Commission d'accès aux documents administratifs (ci-après la « CADA ») n'admettent que de manière exceptionnelle l'opposabilité du secret industriel et commercial par un opérateur en situation de monopole ou de quasi-monopole.

87.En conséquence, la société Direct Energie conclut que, dès lors que la société GRDF n'est pas susceptible d'intervenir dans un marché concurrentiel, eu égard au monopole de droit dont elle bénéficie et de ses obligations de séparation en matière comptable, les données qui ont trait à sa mission de service public exercé en monopole sont nécessairement communicables, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

88.Elle ajoute qu'au demeurant, la société GRDF ne s'était pas opposée à une telle communication.

89.La société GRDF objecte, d'abord, que le cabinet PMP n'est pas un expert judiciaire au sens du code de procédure civile, mais un expert mandaté par le régulateur sectoriel et sélectionné au terme d'un appel d'offre, de sorte que les règles du contradictoire ne s'appliquaient pas à lui.

90.Elle soutient que la société Direct Energie a été en mesure de faire valoir son point de vue sur le rapport PMP devant le CoRDiS et approuve le constat du CoRDiS selon lequel « les occultations pratiquées pour faire droit aux demandes de protection des secrets d'affaires n'étaient pas d'une ampleur telle, qu'elles ont privé les parties de la possibilité de comprendre la méthodologie retenue et de la critiquer » (décision attaquée, p. 33).

91.Elle ajoute que le rapport PMP n'a été qu'un élément parmi ceux sur lesquels le CoRDiS s'est fondé pour déterminer la rémunération due aux demanderesses au différend.

92.La société GRDF fait ensuite valoir que les sociétés Direct Energie et ENI Gas ont contribué à l'étude PMP en communiquant au cabinet PMP des éléments sur leurs coûts allégués, de sorte que la société Direct Energie serait mal fondée à se plaindre d'une quelconque violation des droits de la défense.

93.Enfin, s'agissant des données qu'elle a transmises au cabinet PMP en vue de l'élaboration de son rapport, la société GRDF fait valoir que la société Direct Energie aurait pu saisir la CADA pour les obtenir, ce qu'elle s'est abstenue de faire. Elle précise qu'elle avait autorisé la CRE à communiquer l'intégralité de ces données et que le choix de la CRE de n'en rien faire relève de son pouvoir souverain d'appréciation, en tant que régulateur sectoriel.

94.La CRE rappelle, en premier lieu, qu'aux termes d'une jurisprudence constante, seul l'expert désigné par la juridiction, qu'il figure ou non une liste d'experts judiciaires, est soumis aux dispositions du code de procédure civile, tandis que l'expert amiable sollicité par une partie n'y est pas soumis, et qu'un rapport d'expertise amiable peut néanmoins valoir à titre de preuve dès lors qu'il est soumis à la libre discussion des parties.

95.Elle souligne qu'en l'espèce, le rapport PMP n'a pas été réalisé à la demande du CoRDiS, autorité assimilable à une juridiction, mais à la demande du collège de la CRE, de sorte qu'il ne s'agit pas d'une expertise judiciaire. Il s'ensuit, selon la CRE, que les dispositions du code de procédure civile, et notamment l'exigence d'une élaboration du rapport dans le respect du contradictoire, ne s'appliquaient pas.

96.Elle fait valoir que le respect du contradictoire s'appliquait en revanche devant le CoRDiS, et qu'il a été parfaitement respecté.

97.En second lieu, la CRE soutient que la société Direct Energie est mal fondée à prétendre que l'absence de communication de la version confidentielle du rapport PMP contreviendrait au respect du principe du contradictoire.

98.Elle rappelle qu'aux termes d'une jurisprudence constante, le principe du contradictoire ne revêt pas un caractère absolu, son étendue varie en fonction des spécificités des procédures en cause et il doit être concilié avec le secret des affaires, et qu'il appartient à une partie qui se plaint du défaut de communication de pièces de démontrer que cette absence de communication lui a fait grief, c'est-à-dire était de nature à avoir une incidence sur l'issue du litige (en ce sens, CA Paris, 17 décembre 2015, RG, no 14/17695, confirmé par Com., 14 février 2018, pourvoi no 16-10,636). Elle souligne également qu'il a été jugé que des occultations ne sont pas de nature à affecter la légalité d'un document pour autant que ce dernier expose « de façon suffisamment précise, les considérations de droit et de fait » qui ont conduit à sa solution (CE, 30 janvier 2015, req. no 374022).

99.Or, selon elle, aucune des parties au litige n'a eu accès à la version non occultée du rapport PMP et, par ailleurs, les occultations pratiquées, qui se limitent strictement aux valeurs issues des données communiquées par les opérateurs, n'étaient pas de nature à empêcher les parties de débattre des choix méthodologiques du consultant, comme elles l'ont d'ailleurs fait. Elle en déduit que ces occultations n'ont pu avoir aucune incidence sur le litige, de sorte que la société Direct Energie n'a subi aucun grief à cet égard et ne saurait utilement invoquer une violation du principe du contradictoire.

100.Par ailleurs, la CRE considère que c'est à tort que la société Direct Energie prétend que l'absence de communication d'une version exploitable du rapport PMP contreviendrait au respect du principe du contradictoire en ce que l'activité monopolistique d'une mission de service public limite le respect du secret des affaires.

101.Elle fait valoir, d'une part, que la jurisprudence invoquée par la société Direct Energie au soutien de sa thèse n'est pas aussi stricte que le soutient cette société.

102.Elle souligne, d'autre part, qu'en l'espèce, les éléments chiffrés relatifs à l'analyse des coûts des fournisseurs et du GRD étaient insusceptibles d'être communiqués en application de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, dans la mesure où ces éléments ont été fournis par les onze fournisseurs de gaz opérant sur un marché concurrentiel, qui ont droit à la protection du secret des affaires. La CRE fait plus particulièrement valoir que le rapport PMP précise expressément, et en préambule de chaque partie dont les données ont été occultées, que les paramètres qui ont servi à calculer les coûts évités du GRD sont fondés sur les données communiquées par lesdits fournisseurs. Ainsi, ne serait pas ici en question la publication des données de la société GRDF, mais bien celle des données transmises par les fournisseurs.

***

Sur ce, la cour

103.La cour constate, en premier lieu, que la mission confiée au cabinet PMP par la CRE ne peut être assimilée à une expertise judiciaire.

104.En effet, le rapport commandé à ce consultant avait pour finalité de permettre à la CRE d'arrêter, en vertu de son pouvoir réglementaire, les délibérations no 2017-237 et no 2017-238, notamment destinées à fixer, à compter du 1er janvier 2018, le montant de la rémunération versée par le GRD au fournisseur pour la gestion de clientèle qu'il effectue pour son compte. À cet égard, c'est à tort que la société Direct Energie soutient que le rapport PMP a été commandé par le CoRDiS, celui-ci s'étant limité à demander à la CRE, régulateur sectoriel, de l'éclairer par un avis.

105.Les dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile relatifs aux expertises judiciaires n'étant pas applicables à une consultation sollicitée par une autorité de régulation dans l'exercice de son pouvoir réglementaire, la société Direct Energie n'est pas fondée à s'en prévaloir en l'espèce.

106.Le fait, incontestable, que le rapport PMP n'a pas été établi de façon contradictoire ne peut donc emporter aucune violation du principe du contradictoire applicable devant le CoRDiS dans le cadre de la procédure de règlement des différends.

107.En second lieu, l'occultation d'une partie des données dans la version publique du rapport PMP à laquelle les parties au différend ont eu accès, n'a pas porté atteinte au respect du contradictoire devant le CoRDiS, dès lors que toutes les sociétés parties au différend, et le CoRDiS lui-même, ont eu accès à la même version de ce rapport. À cet égard, c'est en vain que la société Direct Energie invoque l'arrêt de cette chambre du 24 février 2011, qui concerne la situation dans laquelle une partie se prévaut d'une pièce dont elle demande par ailleurs qu'elle ne soit pas communiquée à son adversaire au titre de la protection du secret des affaires.

108.La cour constate encore que c'est la CRE, qui n'est pas partie au différend, même si elle tient de la loi le droit d'intervenir devant la cour pour faire des observations, qui, après avoir commandé le rapport PMP, a décidé que sa version intégrale ne pouvait être communiquée, en raison des secrets d'affaires qu'elle révèle, et en a fait établir une version publique. N... n'ayant aucun pouvoir d'exiger de la CRE qu'elle communique une version non occultée, le fait que les parties au différend n'ont eu accès qu'à la version publique ne saurait lui être reproché.

109.À titre surabondant, la cour souligne que, compte tenu de l'état du marché de la fourniture de gaz, sur lequel opèrent un nombre limité de fournisseurs, mêmes les données agrégées des fournisseurs auraient donné aux sociétés Direct Energie et ENI Gas un éclairage précieux sur des éléments essentiels de la politique notamment tarifaire de leurs concurrents. À cet égard, il peut être noté que le rapport PMP examinant plusieurs hypothèses, en fonction de la part du marché détenue par le fournisseur moyennement efficace, ces données agrégées auraient été particulièrement aisées à exploiter. Quant aux données fournies par la société GRDF, dès l'instant où, ainsi qu'il sera indiqué ci-après, les coûts évités du GRD constituent le plafond de la rémunération et où le rapport a conclu que ces coûts évités étaient supérieurs aux surcoûts d'un fournisseur moyennement efficace, lesdites données n'ont pas servi au calcul de la rémunération des sociétés Direct Energie et ENI Gas.

110.En troisième lieu, la société Direct Energie n'est pas fondée à se prévaloir du fait qu'elle n'est pas dans une situation d'égalité avec la société GRDF vis-à-vis du rapport PMP.

111.D'abord, il est constant qu'outre la société GRDF et la société Enedis, l'ensemble des fournisseurs actifs sur le marché de la fourniture de gaz et sur celui de la fourniture d'électricité ont communiqué au consultant mandaté par la CRE des éléments les concernant qui n'ont pas été rendus accessibles aux autres. La circonstance que, par essence, tous n'aient pas remis les mêmes éléments, n'infirme pas le constat d'une stricte égalité à cet égard.

112.Ensuite, l'exposé détaillé, dans le rapport PMP, de la méthodologie suivie par le consultant suffit à démontrer qu'il ne s'est pas borné à entériner les éléments que lui a fournis la société GRDF, de sorte que cette société n'est pas dans une situation particulière vis-à-vis du rapport.

113.Enfin, s'il est exact que, contractant avec l'ensemble des fournisseurs, la société GRDF a acquis une connaissance de la situation de chacun d'eux qui a pu lui permettre une meilleure compréhension de la version publique de ce rapport par rapport aux sociétés Direct Energie et ENI Gas, cette différenciation est justifiée par leurs statuts distincts – l'une étant un GRD, les autres des fournisseurs en situation de concurrence.

114.La société Direct Energie se borne par ailleurs à prétendre que le paragraphe 156 des observations de GRDF déposées le 5 avril 2018 devant le CoRDiS démontrerait que celle-ci a eu accès à des informations du rapport dont elle-même a été privée, sans établir, dans les brefs développements qu'elle consacre à cet argument aux paragraphes 182 et 183 de ses conclusions devant la Cour, que ces informations ne pouvaient pas avoir pour origine les éléments que GRDF détenait en sa qualité de GRD. À cet égard, le principe de la contradiction n'implique pas le droit pour un fournisseur d'avoir accès à toutes les informations qui étaient en possession du GRD antérieurement à la procédure de règlement du différend qui les oppose.

115.Au demeurant, la comparaison figurant au premier tiret dudit paragraphe 156 repose sur une hypothèse exposée à la page 55 de la version publique du rapport PMP, au travers du schéma intitulé « La demande de mise en service » ; l'affirmation, au deuxième tiret, que « le taux de contact moyen retenu par PMP dans le cadre du scénario contrefactuel est très élevé par rapport aux chiffres communiqués par GRDF concernant son taux de contact dans la situation réelle » peut être déduite des hypothèses concernant les volumes de contact client relatives aux GRD détaillées dans la partie 6.1.2, figurant à la page 30 de la version publique du rapport ; la référence objet du sixième tiret figure parmi les hypothèses exposées dans la partie 6.1.1 figurant à la page 30 de la version publique du rapport ; la donnée chiffrée du septième tiret a pu être tirée du tableau « Bornes hautes de l'évaluation des coûts évités GRD et des surcoûts pour les fournisseurs types, par site sur le marché de masse » figurant à la page 7 de la version publique du rapport ; enfin, les comparaisons figurant dans les troisième, quatrième et cinquième tirets ne reposent sur aucune donnée chiffrées et reposent sur des fourchettes approximatives.

116.Le moyen est rejeté.

3. Sur le moyen pris de l'illégalité de l'avis de la CRE

117.D'une part, la société Direct Energie fait valoir que la délibération no 2017-240, qui contient l'avis de la CRE, découle directement des analyses que la société GRDF a communiquées à la CRE, sans que les sociétés Direct Energie et ENI Gas en aient eu connaissance. Au surplus, cet avis n'évoquerait même pas les objections des fournisseurs.

118.Selon la requérante, l'avis de la CRE ayant ainsi été rendu au mépris des principes procéduraux les plus évidents, il est entaché d'illégalité ainsi que, par voie de conséquence, la décision attaquée qui est fondée sur lui.

119.D'autre part, la société Direct Energie fait valoir que la CRE a adopté les délibérations réglementaires no 2017-237 et no 2017-238 à la suite d'un avis du Conseil supérieur de l'énergie sollicité par la CRE en dehors de sa compétence et dans des conditions partiales.

120.Selon la requérante, cette consultation irrégulière du Conseil supérieur de l'énergie est de nature à entacher la régularité de l'avis de la CRE, dans la mesure où la délibération no 2017-240, contenant cet avis, indique expressément que « l'analyse concernant les montants maximaux par point de livraison susceptibles d'être couverts par le tarif de réseaux pour la gestion de clients en contrat unique réalisée par les fournisseurs pour le compte de GRDF dans sa délibération no 2017-238 et rappelée dans la partie 2 de la présente délibération, est également pertinente dans le cadre de la détermination des rémunération des fournisseurs ». Par voie de conséquence, ladite consultation irrégulière est de nature à entacher la régularité de la décision attaquée qui a repris l'avis de la CRE à son compte.

121.La société GRDF répond que, même à supposer que la CRE ait consulté sans fondement le Conseil supérieur de l'énergie, cela n'aurait aucune incidence sur la légalité de son avis transmis au CoRDiS.

122.La CRE souligne qu'il est de jurisprudence constante que, lorsque la consultation est facultative et que, par conséquent, l'autorité décisionnelle est libre de tenir compte ou non de l'avis qui lui est communiqué, nul n'est recevable à contester la régularité de cet avis. Tel serait le cas de l'avis que le CoRDiS a demandé à la CRE, celui-ci ne le liant pas.

123.Tout en concluant à la régularité de son avis, elle ajoute qu'à supposer même qu'il soit irrégulier, la société Direct Energie ne démontre pas dans quelle mesure cette irrégularité aurait eu une influence sur le sens de la décision prise par le CoRDiS ou l'aurait privée d'une garantie.

***

Sur ce, la cour

124.En premier lieu, la cour constate que l'argument de la société Direct Energie pris du non-respect par la CRE du principe du contradictoire dans l'élaboration de son avis au CoRDiS procède d'une confusion entre les tâches respectives de l'une et de l'autre.

125.N... a demandé à la CRE son avis sur ce que devrait être la rémunération due par un GRD aux fournisseurs qui assurent pour son compte la gestion de sa clientèle ; il ne lui a pas confié le soin de régler à sa place le différend dont il était saisi, ni d'organiser devant elle le débat contradictoire qui devait – et ne pouvait – avoir lieu que devant le CoRDiS.

126.La cour rappelle, surabondamment, que la mission confiée au cabinet PMP ainsi que les échanges qu'a pu avoir la CRE avec la société GRDF, ainsi d'ailleurs qu'avec l'ensemble des fournisseurs, dont la société Direct Energie, avaient pour finalité de permettre à la CRE d'arrêter, en vertu de son pouvoir réglementaire, ses délibérations no 2017-237 et no 2017-238, notamment destinées à fixer, à compter du 1er janvier 2018, le montant de la contrepartie versée par le GRD au fournisseur pour la gestion de clientèle qu'il effectue pour son compte, et non de départager les parties à l'occasion du différend qui les oppose.

127.Le fait que l'avis que la CRE a adressé au CoRDiS au sujet du montant de la contrepartie à verser à la société Direct Energie pour la gestion de clientèle que celle-ci a effectuée pour le compte de la société GRDF avant 2018, reprenne les mêmes principes que ceux qu'elle a mis en œuvre dans ces deux délibérations traduit une approche cohérente de la CRE qui ne saurait lui être reprochée et n'est pas de nature à entacher d'irrégularité ledit avis.

128.En second lieu, la cour n'ayant aucune compétence pour apprécier la légalité des délibérations réglementaires no 2017-237 et no 2017-238, il ne lui appartient pas de se prononcer sur le caractère régulier ou non de la consultation du Conseil supérieur de l'énergie ayant précédé leur adoption.

129.Par ailleurs, l'avis de la CRE, s'il fait référence à ces délibérations, n'a pas, quant à lui, été pris à la suite de ladite consultation prétendument irrégulière, dont, ainsi que l'a justement relevé le CoRDiS, il ne « constitue pas un acte d'application ». Il ne saurait donc être entaché d'une quelconque irrégularité à ce titre.

130.Le moyen est rejeté.

4. Sur le moyen pris de ce qu'en se considérant lié par l'avis de la CRE, le CoRDiS n'a pas exercé sa compétence de manière indépendante

131.La société Direct Energie fait valoir qu'en publiant ses décisions réglementaires no 2017-237 et no 2017-238 en même temps qu'elle adressait son avis au CoRDiS, la CRE a placé ce dernier dans l'obligation soit d'avaliser l'analyse figurant dans cet avis, soit de la contester, au risque de manifester publiquement une divergence entre le collège de la CRE et le CoRDiS et de créer un conflit de juridiction en remettant en cause des délibérations administratives dans une décision relevant de l'ordre judiciaire.

132.Selon la société Direct Energie, la CRE a, ce faisant, placé le CoRDiS dans une situation de compétence liée, en l'obligeant à ne pas rejeter intégralement l'ensemble des délibérations prises et publiées par le CRE.

133.Elle fait valoir que cette atteinte au principe d'indépendance ressort du fait que le CoRDiS n'a pas, comme il aurait pu le faire, écarté des débats tout ce qui dans l'avis de la CRE relevait d'une prise de position juridique, position de surcroît contraire à l'arrêt de la cour d'appel du 2 juin 2016.

134.La société GRDF répond que le CoRDiS a instruit le règlement du différend de manière indépendante et impartiale et qu'il ne s'est pas estimé lié par l'avis de la CRE, ainsi que le démontre d'ailleurs la décision attaquée, qui ne suit pas entièrement cet avis.

135.La CRE fait valoir que la publication des délibérations no 2017-237 et no 2017-238 s'imposait, eu égard à leur portée réglementaire, mais qu'en revanche l'avis de la CRE n'a pas été publié, de sorte qu'il ne saurait être reproché à la CRE d'avoir cherché à mettre le CoRDiS en situation de compétence liée.

136.Elle ajoute qu'il résulte des termes mêmes de la décision attaquée, que le CoRDiS n'a jamais considéré être en situation de compétence liée et qu'au demeurant, il n'a pas exactement suivi l'avis de la CRE dans tous ses aspects.

***

137.La cour rappelle à titre liminaire, que le CoRDiS jouit statutairement d'une totale indépendance décisionnelle par rapport au collège de la CRE.

138.Force est de constater que la requérante n'apporte aucun élément de nature à démontrer que le CoRDiS aurait considéré avoir compétence liée par l'avis de la CRE. Il doit être au contraire souligné que le CoRDiS s'est écarté de cet avis en refusant de réduire la rémunération due à la société Direct Energie à raison d'un éventuel « effet d'aubaine ».

139.Le moyen est rejeté.

5. Sur le moyen pris de « la prétendue applicabilité au litige des pouvoirs obtenus par la CRE postérieurement à l'arrêt du 2 juin 2016 »

140.La société Direct Energie fait valoir que le délai de six mois imparti à la société GRDF par l'article 3 de la décision attaquée, pour mettre ses CAD et la souscription des CLD en conformité avec les dispositions du code de la consommation et du code de l'énergie, vise à permettre à la CRE, avant l'expiration de ce délai, d'approuver réglementairement la solution que proposera la société GRDF tant au plan des tarifs que des modalités contractuelles.

141.Selon elle, la CRE entend faire une application rétroactive des dispositions issues de la loi du 30 décembre 2017, dans la mesure où l'application desdites dispositions au présent différend priverait la cour de ses prérogatives juridictionnelles.

142.Elle relève que, aussitôt que la CRE a validé le nouveau modèle de convention de la société GRDF, cette société s'en est prévalue dans le présent différend.

143.La société GRDF dénonce la théorie du complot développée par la société Direct Energie.

144.La CRE objecte que l'argumentation de la société Direct Energie est si confuse qu'il est difficile de comprendre dans quelle mesure l'octroi d'un délai de six mois à la société GRDF pour mettre les CAD et CLD en conformité avec les dispositions légales serait de nature à entacher la décision attaquée.

145.Sur le fond, elle soutient que rien n'établit que ce délai de six mois aurait été accordé par le CoRDiS afin de permettre à la CRE d'approuver réglementairement l'avenant présenté par la société GRDF.

***

Sur ce, la cour

146.La cour constate que l'argumentation de la société Direct Energie n'articule aucun moyen d'annulation de la décision attaquée, ce qui suffit à l'écarter comme inopérante.

147.La cour ajoute, à titre surabondant, qu'à supposer que cette argumentation doive être comprise comme la dénonciation d'une collusion entre la CRE et le CoRDiS, un tel moyen ne pourrait qu'être jugé mal fondé.
148.La cour rappelle que ce n'est pas la CRE, mais le législateur qui a décidé que les dispositions pertinentes de la loi du 30 décembre 2017 entreraient en vigueur le 1er janvier 2018. Il s'ensuit que leur application postérieurement à cette date ne peut être qualifiée de « rétroactive », qu'elle intervienne deux mois ou six mois après la décision attaquée, dont la cour rappelle qu'elle a été prononcée le 18 juin 2018.

149.Au surplus, les délibérations no 2017-237 et no 2018-012, par lesquelles la CRE a arrêté le montant de la rémunération due par le GRD à un fournisseur pour les prestations de gestion de clientèle, ont été adoptées, la première, le 26 octobre 2017, la seconde, le 18 janvier 2018, soit plusieurs mois avant la décision attaquée.

150.Ainsi, même si le délai accordé à la société GRDF par l'article 3 de la décision attaquée n'avait été que de deux mois au lieu de six, la situation juridique n'en aurait pas été modifiée, de sorte que l'octroi à la société GRDF d'un délai de six mois, dont la cour a souligné qu'il ne contrevenait pas à l'arrêt du 2 juin 2016, est sans incidence sur la régularité de la décision attaquée.

151.La demande de la société Direct Energie en annulation de la décision attaquée est rejetée.

B. Sur la demande de la société GRDF

152.Devant le CoRDiS, la société GRDF faisait valoir que, s'agissant de la rémunération pour la période antérieure au 1er janvier 2018, ce n'est que si le fournisseur n'a pas répercuté dans ses offres aux clients finals l'intégralité des coûts qu'il a exposés au titre des prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD – ce qu'il lui appartient de démontrer –, qu'il peut prétendre à une rémunération, sauf à permettre un enrichissement sans cause des fournisseurs. Constatant que les sociétés Direct Energie et ENI Gas ne rapportaient pas cette preuve, et qu'en tout état de cause, ces sociétés avaient nécessairement répercuté lesdits coûts dans leurs offres, elle concluait au rejet de leurs demandes de rémunération.

153.En réponse, le CoRDiS a considéré qu'en ce qui concerne la rémunération devant être versée à la société Direct Energie, sa décision « ne préjuge pas de la question de savoir si tout ou partie des sommes correspondantes ont déjà été répercutées par le fournisseur sur les clients finals, question qui ne relève pas de la compétence du CoRDiS » (décision attaquée, p. 48).

154.Au soutien de sa demande d'annulation, subsidiairement de réformation, de l'article 4 de la décision attaquée, la société GRDF soutient devant la cour que le CoRDiS était compétent pour déterminer si la société Direct Energie avait ou non déjà répercuté dans le prix de ses offres aux clients finals le coût des prestations de gestion de clientèle réalisée pour le compte de la société GRDF, afin de s'assurer du caractère « équitable » de la rémunération fixée.

155.Elle fait valoir, d'abord, que, dans son arrêt du 2 juin 2016, la cour d'appel a jugé que le CoRDiS était compétent, en application de l'article L. 134-20 du code de l'énergie, pour préciser quelles étaient les conditions financières desdites prestations liées à l'accès et à l'utilisation du réseau de distribution de gaz naturel ; ensuite, que, dès lors que la cour d'appel a jugé, dans ce même arrêt, que la rémunération des fournisseurs devait être « équitable », le CoRDiS était compétent pour s'assurer du caractère équitable de cette rémunération ; enfin, que cette compétence s'imposait au titre du code civil, dont l'article 1303 dispose que « celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit à celui qui s'en trouve appauvri une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement ».

156.Les sociétés Direct Energie et Eni Gas, ainsi que la CRE concluent au mal fondé de ce moyen.

***
Sur ce, la cour

157.Aux termes de l'article L. 134-19 du code de l'énergie, les différends entre les gestionnaires et les utilisateurs des réseaux publics de transport ou de distribution d'électricité ou de réseaux fermés de distribution d'électricité dont peut être saisi le CoRDiS « portent sur l'accès auxdits réseaux, ouvrages et installations ou à leur utilisation, notamment en cas de refus d'accès ou de désaccord sur la conclusion, l'interprétation ou l'exécution des contrats mentionnés aux articles L. 111-91 à L. 111-94, L. 111-97, L. 321-11 et L. 321-12 ». L'article L. 134-20 du même code ajoute que la décision du CoRDiS « précise les conditions d'ordre technique et financier de règlement du différend dans lesquelles l'accès aux réseaux, ouvrages et installations mentionnés à l'article L. 134-19 ou leur utilisation sont, le cas échéant, assurés ».

158.Dans son arrêt du 2 juin 2016 (p. 19), la cour d'appel a constaté, sur le fondement de ces articles, la compétence du CoRDiS pour déterminer le montant de la rémunération due par le GRD au fournisseur au titre des prestations de gestion de clientèle exécutées par le second pour le compte du premier.

159.Toutefois, la question de savoir si, en l'espèce, les sociétés Direct Energie et ENI Gas ont répercuté sur les clients finals tout ou partie des surcoûts générés par ces prestations est indifférente à la détermination de la rémunération équitable à laquelle elles ont droit, en vertu de ce même arrêt. En effet, quand bien même serait-il établi que ces sociétés ont répercuté ces surcoûts en totalité dans leurs offres tarifaires, une telle circonstance ne ferait pas disparaître ni ne réduirait leur créance de rémunération à l'égard de la société GRDF.

160.À cet égard, il y a lieu de rappeler qu'aux termes de l'article 1303-1 du code civil, « [l']enrichissement est injustifié lorsqu'il ne procède ni de l'accomplissement d'une obligation par l'appauvri ni de son intention libérale ». Or les sommes que la société GRDF est tenue de verser aux sociétés Direct Energie et ENI Gas procèdent de l'obligation qui pèse sur elle de rémunérer les prestations de services qu'elle a exigées de ces deux fournisseurs. Ce versement ne peut donc en aucun cas être constitutif d'un enrichissement sans cause.

161.L'éventuelle répercussion dans les offres tarifaires des fournisseurs des surcoûts qu'ils ont supportés concerne uniquement les rapports entre ces derniers et les clients finals et est donc étrangère au différend et, plus généralement, à la détermination des « conditions d'ordre technique et financier de règlement du différend dans lesquelles l'accès aux réseaux, ouvrages et installations mentionnés à l'article L. 134-19 ou leur utilisation sont, le cas échéant, assurés ».

162.C'est donc à juste titre que le CoRDiS s'est déclaré incompétent.

163.La cour ajoute, à titre surabondant, qu'à supposer que le CoRDiS ait été compétent, les moyens de la société GrFD étaient en tout état de cause irrecevables comme contraires à l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 2 juin 2016, cet arrêt ayant, dans son dispositif, enjoint à la société GRDF de verser à la société Direct Energie, pour le passé, et de convenir avec les sociétés Direct Energie et ENI Gas, pour le futur, « [u]ne rémunération équitable et proportionnée au regard des coûts évités par elle des prestations accomplies pour son compte auprès des clients », sans subordonner ni le principe ni le montant de ce versement au constat que les surcoûts exposés par ces deux fournisseurs n'ont pas été répercutés en tout ou partie sur les clients finals.

164.La demande de la société GRDF en annulation, subsidiairement en réformation, de l'article 4 de la décision attaquée est rejetée.

*
* *

II. SUR LES DEMANDES EN RÉFORMATION DE LA DÉCISION ATTAQUÉE

A. Sur la qualification du fournisseur d' « interlocuteur unique » du client final et de « fournisseur obligé » des prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD

165.Il convient de distinguer l'hypothèse dans laquelle la relation contractuelle entre le GRD et le client final est régie par les CSL figurant dans le contrat unique conclu par le client final, et celle dans laquelle cette relation contractuelle est régie par le CLD.

1. Dans l'hypothèse où le client a conclu un contrat unique

166.Dans la décision attaquée (p. 36), le CoRDiS a considéré qu'il résultait de la combinaison des articles L. 111-97 du code de l'énergie, L. 224-8 du code de la consommation et 7 du décret no 2005-123 du 14 février 2005 relatif à la contribution tarifaire sur les prestations de transport et de distribution d'électricité et de gaz naturel, que leurs auteurs ont entendu, d'une part, simplifier la souscription des contrats portant sur la fourniture et sur la distribution d'énergie, en évitant aux particuliers ainsi qu'aux professionnels et non-professionnels dont la consommation est inférieure à 30 000 kilowattheures par an, de conclure directement, en parallèle du contrat de fourniture, un contrat d'accès au réseau avec le GRD et, d'autre part, mettre en place une organisation efficace du marché en confiant au fournisseur le rôle d'interlocuteur unique vis-à-vis du client final.

167.Il en a déduit que « la mise en œuvre de ces dispositions suppose nécessairement que le fournisseur accomplisse au nom et pour le compte du GRD certaines prestations de gestion de clientèle auprès du client final ».

168.Les sociétés Direct Energie et ENI Gas font valoir, en premier lieu, qu'il n'existe aucun texte législatif ou réglementaire imposant au GRD de confier au fournisseur la gestion de sa clientèle. Selon la société Direct Energie, l'article L. 224-8 du code de la consommation ne mettant à la charge du fournisseur que la seule obligation « d'offrir au client la possibilité de conclure avec lui un contrat unique portant sur la fourniture et la distribution [
] de gaz naturel », ce dispositif a pour unique objectif la simplification de la souscription des contrats en dispensant le client final de conclure, en parallèle de son contrat de fourniture, un contrat relatif à la distribution. Ainsi, toute obligation légale ou réglementaire du fournisseur s'épuise dans la signature par le client final du « contrat unique », valant à la fois approbation des conditions de fourniture fixées par le fournisseur et des CSL fixées par le GRD, les secondes étant annexées au contrat de fourniture.

169.La société ENI Gas ajoute que le rôle d'intermédiaire du fournisseur ne saurait aller au-delà de la signature du contrat unique, puisqu'il n'est pas en mesure de régler les problèmes liés à la distribution, telle une erreur de comptage, que les clients finals sont susceptibles de rencontrer. Selon cette société, le fournisseur pourrait se borner à réceptionner l'ensemble des appels et, lorsqu'il apparaît que la demande du client concerne la distribution, et non la fourniture, se borner à transférer l'appel du client au GRD.

170.La société Direct Energie souligne également que l'activité de fourniture de gaz naturel est soumise à une autorisation ministérielle préalable, régie par les articles L. 443-1 et suivants ainsi que R. 443-1 à R. 443-3 du code de l'énergie. Selon elle, si le fournisseur était le fournisseur obligé des prestations de service public relatives à la gestion de clientèle pour le compte du GRD, ces textes auraient nécessairement subordonné la délivrance de l'autorisation requise à la justification par le fournisseur de sa capacité à assurer la bonne réalisation de ces prestations, de sorte que le fait que tel ne soit pas le cas démontre encore que l'obligation d'exécuter lesdites prestations n'est pas intrinsèquement liée à son activité de fourniture de gaz.

171.Enfin, en réponse à la CRE, la société Direct Energie soutient que l'article 7 du décret du 14 février 2005 ne contredit pas son analyse, dans la mesure où, d'une part, il ne résulte pas de ce texte l'obligation, pour le fournisseur, de facturer au client final l'utilisation du réseau et, d'autre part, cet article prévoit seulement la possibilité pour le fournisseur de faire figurer sur la facture le montant dû par le client au titre de l'acheminement du gaz, mais n'oblige pas le fournisseur à établir lui-même ce montant, de sorte qu'en tout état de cause, le GRD conserve l'élaboration du montant de sa créance au titre de l'acheminement jusqu'au client final.

172.En deuxième lieu, la société Direct Energie argue de ce que la loi du 30 décembre 2017 confirme son analyse du cadre juridique, dans la mesure où il résulte du libellé du nouvel article L. 452-3-1 du code de l'énergie que le législateur a entendu valider deux dispositions illégales figurant dans le contrat que la société GRDF fait signer aux fournisseurs : d'une part, celles qui imposent aux fournisseurs la gestion de clientèle pour le compte des gestionnaires de réseaux, d'autre part, celle qui laisse à la charge des fournisseurs tout ou partie des coûts supportés par eux à cette occasion.

173.En troisième lieu, les sociétés Direct Energie et ENI Gas soutiennent que l'interprétation qu'elles retiennent du cadre juridique a été approuvée par la cour d'appel, dans l'arrêt du 2 juin 2016, de sorte qu'en considérant que le fournisseur est nécessairement « l'interlocuteur unique » du client final durant toute l'exécution du contrat, et qu'il est « le fournisseur obligé » des prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD, le CoRDiS ferait une analyse radicalement contraire, en fait et en droit, à l'arrêt du 2 juin 2016.

174.Elles rappellent que, dans le dispositif de l'arrêt du 2 juin 2016, la cour d'appel a dit pour droit que « sont réputées n'avoir jamais existé entre les parties parce que contraires au code de l'énergie les clauses du contrat d'accès signées entre [la société GRDF et les sociétés Direct Energie et ENI Gas] subordonnant l'accès à ce contrat à l'acceptation par le fournisseur de la prestation d'intermédiation et qui vont au-delà de ce qu'exige la seule signature des CSL par le client lorsque celui-ci souhaite un contrat unique ». Selon la société ENI Gas, il en découle expressément que la seule obligation qui pèse sur le fournisseur est celle de proposer au client éligible au contrat unique la signature des CSL, et non d'assurer l'ensemble des prestations de gestion de clientèle. La société Direct Energie ajoute que, si la loi imposait au fournisseur de réaliser cette prestation d'intermédiation, la cour d'appel n'aurait pas pu constater que la société GRDF avait irrégulièrement subordonné l'accès au réseau à sa réalisation par le fournisseur.

175.Les sociétés Direct Energie et ENI Gas rappellent encore que, dans sa décision du 13 juillet 2016 (req. no 388150), le Conseil d'État a interprété l'article L. 121-92 du code de la consommation – qui, pour la fourniture d'électricité, est le pendant de l'article L. 224-8 du même code – en ce sens que « le législateur a entendu simplifier la souscription des contrats portant sur la fourniture et sur la distribution de l'électricité », mais « n'a pas entendu modifier les responsabilités respectives de ces opérateurs envers le consommateur d'électricité ». Soulignant que la gestion de la relation avec le client final au titre des prestations de distributions relève bien de la responsabilité du gestionnaire de réseau, dans le cadre de sa mission de service public, elles en déduisent que cette décision conforte également leur interprétation du cadre juridique.

176.En dernier lieu, dans l'hypothèse où, par une interprétation très extensive de l'article L. 224-8 du code de la consommation, la cour jugerait que le fournisseur est l' « interlocuteur unique » du client final, la société Direct Energie soutient, d'une part, que cela n'implique pas nécessairement qu'il soit le « fournisseur obligé » des prestations de gestion de clientèle. Aurait pu se produire une situation dans laquelle le fournisseur recueille toutes les demandes des clients finals, mais le traitement des demandes relatives à l'acheminement du gaz est assuré par le GRD.

177.D'autre part, elle fait valoir qu'aux termes même de la décision attaquée (pp. 36 et 39), le fournisseur n'est pas tenu d'accomplir, au nom et pour le compte du GRD, certaines prestations de gestion de clientèle auprès du client final si les coûts en découlant restent à sa charge. Elle en déduit que la seule issue pour s'assurer de la couverture intégrale des coûts supportés, condition sine qua non pour que le fournisseur soit tenu de fournir la prestation en lieu et place du GRD, est de permettre, comme l'a, selon elle, jugé la présente cour, une libre négociation du prix ou des conditions de réalisation.

178.La société GRDF répond, en premier lieu, qu'en application de l'article L. 224-8 du code de la consommation, elle était tenue de confier aux fournisseurs la réalisation des prestations de gestion de clientèle. Elle souligne à cet égard, d'une part, que l'objectif du contrat unique instauré par cet article est de simplifier les démarches pour le client final, qui n'a qu'un seul interlocuteur, le fournisseur, tout au long de l'exécution du contrat, d'autre part, qu'outre la contractualisation, ledit article vise la facturation et l'accès aux prestations annexes.

179.Elle fait valoir que l'interprétation contraire va à l'encontre des objectifs poursuivis par la libéralisation et revient à mettre à néant l'intention du législateur, lors de l'ouverture du marché de la fourniture de gaz naturel à la concurrence, qui était d'encourager les clients finals à se tourner vers les fournisseurs proposant des offres de marché en simplifiant les démarches à réaliser, non seulement lors de la conclusion du contrat, mais également tout au long de son exécution ; selon la société GRDF, en l'absence d'interlocuteur unique, la libéralisation du marché du gaz aurait été un échec, les fournisseurs alternatifs ne parvenant pas à pénétrer le marché.

180.Elle ajoute que le fait de confier aux fournisseurs la gestion de la clientèle pour le compte du GRD poursuit également un but d'intérêt général en ce que cela permet à la fois de garantir un égal accès des usagers au service public, assurant ainsi la stabilité de la relation clientèle, et de stabiliser l'organisation du marché et d'assurer les conditions de prévisibilité nécessaire à la maîtrise des coûts d'accès au réseau.

181.La société GRDF fait valoir, en deuxième lieu, que cette lecture de l'article L. 224-8 du code de la consommation est celle du régulateur sectoriel, la CRE, et a été confirmée lors des débats parlementaires ayant abouti à la loi du 30 décembre 2017.

182.En dernier lieu, elle soutient que, dans l'arrêt du 2 juin 2016, la cour d'appel n'a pas jugé que les fournisseurs sont libres de refuser d'exécuter les prestations de gestion de clientèle relative à la dimension « acheminement » de la relation ni envisagé que la société GRDF réalise elle-même ces prestations. Elle souligne que la cour d'appel a au contraire indiqué que l'objectif du contrat unique est de « dispens[er] le client final de conclure directement et parallèlement à son contrat de fourniture un contrat d'accès au réseau public de distribution ». Or, selon la société GRDF, si elle devait elle-même réaliser ces prestations, alors le client final aurait dû conclure parallèlement à son contrat de fourniture un contrat direct avec elle, à l'encontre des objectifs du contrat unique.

183.La société GRDF ajoute qu'en se référant aux « coûts évités » du GRD pour le calcul de la rémunération due aux fournisseurs, la cour d'appel a nécessairement admis que les prestations de gestion de clientèle ne sont pas à la charge du GRD, mais à celle des fournisseurs, sinon, plutôt que de prévoir la rémunération des fournisseurs, elle aurait imposé que ces prestations soient réalisées par le GRD.

184.La CRE fait valoir, en premier lieu, que dans un arrêt du 14 janvier 2015 (RG no 12/19140), la cour d'appel a jugé que « [l]e contrat unique présente l'avantage, pour le client, de n'avoir qu'un seul interlocuteur et une seule facture par point de livraison (PDL), ce qui constitue une facilité de gestion particulièrement attractive », et que dans un arrêt du 16 novembre 2017 (RG no 15/07201), la cour d'appel de Versailles a dit que, « désigné comme mandataire commun du distributeur et du consommateur », le fournisseur « ne saurait endosser vis-à-vis du consommateur, la responsabilité du distributeur, et n'est qu'un simple interlocuteur, dans le cadre de la gestion courante du contrat ». Elle souligne que cette analyse est conforme à celle du Conseil d'État dans sa décision du 13 juillet 2016, précitée, cette juridiction ayant dit que le fournisseur « agit au nom et pour le compte du gestionnaire de réseau de distribution ».
185.Elle en déduit que le contrat unique a bien pour objet d'offrir au consommateur final la possibilité d'avoir un interlocuteur unique qui assure nécessairement, contre rémunération et en sa qualité d'intermédiaire et de mandataire, les prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD, qui en reste responsable.

186.Elle rappelle que les décisions du CoRDiS soulignent de longue date ce rôle d'interlocuteur unique du fournisseur.

187.En deuxième lieu, la CRE expose que le nouvel article L. 452-3-1 du code de l'énergie, créé par la loi du 30 décembre 2017, s'est limité à encadrer les effets dans le temps des pratiques contractuelles illégales de la société GRDF qui subordonnait l'accès des fournisseurs au réseau à la prise en charge par ces derniers de la gestion de la relation clientèle sans aucune rémunération, de sorte qu'il ne peut en être déduit que le législateur aurait jugé illégal le fait de confier cette gestion aux fournisseurs, fussent-ils rémunérés.

188.En dernier lieu, la CRE conteste l'interprétation que les sociétés Direct Energie et ENI Gas font de l'arrêt du 2 juin 2016. Rappelant que la cour d'appel a jugé, dans cet arrêt, que, « comme l'a relevé à juste titre le CoRDiS, le contrat unique prévu par l'article 121-92 du code de la consommation a pour objectif de simplifier pour le consommateur le dispositif de souscription des contrats en dispensant le client final de conclure directement et parallèlement à son contrat de fourniture un contrat d'accès au réseau public de distribution, ce qu'il fait d'ailleurs au demeurant par l'intermédiaire du fournisseur » et qu' « [e]n conséquence, la fonction de mandataire assumée par les fournisseurs, dans le cadre du mécanisme contractuel décrit ci-dessus, n'a pas pour objet et ne peut avoir pour effet de modifier les responsabilités respectives du gestionnaire de réseaux, du fournisseur et du client final », la CRE en déduit qu'elle a bien retenu la qualification de mandataire du fournisseur dans le cadre du contrat unique, conformément à sa jurisprudence antérieure précitée.

***

Sur ce, la cour

189.En premier lieu, l'article L. 224-8 du code de la consommation, anciennement article L. 121-92 du même code, dispose :

« Le fournisseur est tenu d'offrir au client la possibilité de conclure avec lui un contrat unique portant sur la fourniture et la distribution d'électricité ou de gaz naturel. Ce contrat reproduit en annexe les clauses réglant les relations entre le fournisseur et le gestionnaire de réseau, notamment les clauses précisant les responsabilités respectives de ces opérateurs.

Outre la prestation d'accès aux réseaux, le consommateur peut, dans le cadre du contrat unique, demander à bénéficier de toutes les prestations techniques proposées par le gestionnaire du réseau. Le fournisseur ne peut facturer au consommateur d'autres frais que ceux que le gestionnaire du réseau lui a imputés au titre d'une prestation. »

190.Il est désormais établi que, si, en cas de conclusion d'un contrat unique, un seul écrit est signé, deux relations contractuelles n'en sont pas moins nouées, l'une avec le fournisseur (contrat de fourniture), l'autre, au travers des CSL figurant dans le contrat unique, avec le GRD (contrat d'accès au réseau).

191.C'est la loi no 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie, qui a créé cette disposition. Le projet de loi ayant abouti à cette loi précise que, « [a]fin de permettre la protection des consommateurs et l'adaptation de nos entreprises au nouveau contexte énergétique européen, le Gouvernement a retenu dans ce projet de loi des dispositions qui ont trait : [
] aux dispositions améliorant la protection du consommateur pour ce qui concerne les contrats de fourniture d'électricité et de gaz naturel ».

192.La loi du 7 décembre 2006 a été adoptée à l'occasion de l'ouverture à la concurrence du marché de la fourniture de gaz pour les particuliers. C'est dans ce contexte que doit être interprétée la disposition en cause, expressément adoptée en vue de la protection des consommateurs. L'objectif qu'a poursuivi le législateur en instaurant le « contrat unique » était que l'ouverture à la concurrence ne rende pas plus complexe l'approvisionnement en énergie des consommateurs, ceux-ci étant jusque-là habitués à un unique interlocuteur, chargé tout à la fois de la fourniture et de la distribution du gaz. Or un tel résultat n'aurait pas été atteint si, une fois le contrat unique signé, le consommateur avait dû s'adresser, pour le suivi de ce contrat, tantôt à son fournisseur, tantôt au GRD, outre le risque qu'il soit renvoyé de l'un à l'autre en cas de désaccord entre eux sur celui devant traiter la réclamation.

193.Cette finalité du mécanisme du contrat unique, comme le fait que le choix du client d'opter pour un tel contrat s'impose tant au fournisseur qu'au GRD, conduisent à interpréter l'article L. 224-8 du code de la consommation en ce sens que, en cas de conclusion d'un contrat unique, le fournisseur est l'interlocuteur unique du consommateur non seulement au moment de la conclusion du contrat, mais tout au long de son exécution. Par ailleurs, cette qualité d'interlocuteur unique implique nécessairement que le fournisseur soit le fournisseur obligé des prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD.

194.Cette interprétation est confortée par la dernière phrase de l'article L. 224-8 du code de la consommation, aux termes de laquelle « [l]e fournisseur ne peut facturer au consommateur d'autres frais que ceux que le gestionnaire du réseau lui a imputés au titre d'une prestation ». Il se déduit de cette phrase que, pour le législateur, c'est au fournisseur d'établir et d'adresser au consommateur final une facture unique, intégrant, outre la rémunération de la prestation de fourniture de gaz, qui lui est due, celle de la prestation de distribution due au GRD. Cette disposition légale, que l'article 7 du décret du 14 février 2005 ne fait que rappeler, exclut donc la thèse soutenue par les sociétés Direct Energie et ENI Gas selon laquelle toute obligation légale ou réglementaire du fournisseur s'épuise dans la signature du « contrat unique » par le client final.

195.L'argument pris de ce que, si le législateur avait entendu faire du fournisseur l'interlocuteur unique du client final, il aurait subordonné la délivrance de l'autorisation ministérielle préalable à l'exercice de l'activité de fournisseur à la justification de la capacité à assurer la bonne réalisation des prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD, est sans valeur. En effet, une entreprise qui remplit l'ensemble des conditions requises, notamment, à l'article R. 443-2 du code de l'énergie démontre à suffisance de droit son aptitude à jouer le rôle d'interlocuteur unique auprès de clients finals qui sont autant ses clients que ceux du GRD et à l'égard desquels elle gère déjà la relation clientèle pour son propre compte.

196.La cour ajoute encore que l'interprétation contraire selon laquelle le fournisseur serait libre d'accepter ou non d'assurer pour le GRD la gestion du volet « acheminement » de la relation clientèle aboutirait à une organisation inefficace du marché de la fourniture de gaz, comme étant inutilement coûteuse au détriment du client final. En effet, la liberté du client final de s'adresser à tel ou tel fournisseur s'impose au GRD qui est alors tenu de contracter avec le fournisseur choisi. Si, à chaque fois qu'un client change de fournisseur, le GRD était susceptible de passer d'une relation contractuelle dans laquelle le fournisseur assure la gestion de la clientèle pour son compte à une relation dans laquelle le fournisseur ne l'assure pas, il serait incapable de prévoir l'étendue de ses obligations de gestion de la relation clientèle et serait, in fine, contraint d'entretenir une organisation, et notamment un système d'information (SI), nécessairement surdimensionnée.

197.En deuxième lieu, la loi du 30 décembre 2017 n'infirme pas l'interprétation qui précède.

198.D'une part, les travaux parlementaires ayant abouti à cette loi confirment l'interprétation de l'article L. 224-8 du code de la consommation retenue par la cour.

199.D'abord, dans le projet de loi ayant abouti à la loi du 30 décembre 2017, est ainsi justifié l'article introduisant le nouvel article L. 452-3-1 du code de l'énergie :

« Afin de simplifier les démarches pour les clients particuliers et les petits professionnels, le code de l'énergie prévoit un contrat unique entre le client et le fournisseur. Dans ce cadre, le fournisseur prend en charge la relation contractuelle avec le gestionnaire du réseau de distribution (GRD).

Des fournisseurs ont estimé qu'ils réalisaient auprès de leurs clients des prestations liées à l'accès aux réseaux qui devaient être rémunérées par les GRD, et des premières décisions de justice ont fait droit à certaines de leurs demandes.

Les dispositions de cet article visent à préciser explicitement la compétence de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) pour fixer la rémunération des fournisseurs par les gestionnaires de réseau. Cela permettra que la CRE fixe de manière transparente et homogène la rémunération des fournisseurs, garantissant que les consommateurs continueront à bénéficier du service du contrat unique sans surcoût indu. » (souligné par la cour).

200.Il doit également être souligné que, au paragraphe 23 de son avis sur ce projet de loi, le Conseil d'État écrivait : « Le chapitre III intitulé, dans la rédaction retenue par le Conseil d'Etat, ‘Dispositions relatives aux relations entre fournisseurs et gestionnaires de réseaux' comble un vide juridique en prévoyant, par une modification des livres III et IV du code de l'énergie, le principe de la rémunération due aux fournisseurs par les gestionnaires d'électricité et de gaz en cas de souscription par le client final d'un contrat unique avec son fournisseur, qui conduit ce dernier à effectuer des prestations pour le compte du gestionnaire. Corollairement, le projet de loi dote la Commission de régulation de l'énergie de compétences nouvelles, en modifiant les articles L. 134-1 et L. 134-2 du même code, afin qu'elle fixe les éléments du calcul de cette rémunération et son montant. Ces dispositions n'appellent pas d'observation de la part du Conseil d'Etat. » (souligné par la cour).

201.Ensuite, la Commission des affaires économique de l'Assemblée nationale a écrit, dans son avis no 172 de sur ce projet de loi :

« A. L'ÉTAT DU DROIT

Afin d'être livré en électricité ou en gaz naturel, le consommateur doit conclure deux contrats : un contrat de fourniture avec un fournisseur ainsi qu'un contrat d'accès aux réseaux avec le gestionnaire de réseaux de distribution (GRD), généralement Enedis pour l'électricité ou GRDF pour le gaz naturel. Afin d'éviter la signature de ces deux contrats auprès de deux entités différentes, les consommateurs peuvent opter pour le contrat unique. Ils concluent, alors les deux contrats en même temps auprès de leur fournisseur. Cette possibilité est prévue par les articles L.332-3, L.224-8 et L.111-92 du code de l'énergie. C'est la solution pour laquelle opte la quasi-totalité des petits consommateurs (particuliers et petits professionnels).

Dans ce cadre, le fournisseur gère pour le compte du GRD une partie de sa relation contractuelle avec les utilisateurs concernant l'accès aux réseaux publics de distribution (gestion des dossiers des utilisateurs, souscription et modification des formules tarifaires, accueil téléphonique, facturation et recouvrement des factures, etc.). [...] » (souligné par la cour).

202.Par ailleurs, l'amendement adopté CD 168, qui a introduit les II et III dans le futur article L. 452-3-1 du code de l'énergie, comporte, dans son exposé sommaire, les paragraphes suivants :

« La loi prévoit que les consommateurs d'électricité et de gaz naturel souscrivent avec leur fournisseur un contrat unique incluant la fourniture et l'accès au réseau. Il s'agit d'un principe prévu par le code de l'énergie et le code de la consommation pour permettre aux consommateurs de n'avoir qu'un seul contrat : le fournisseur est ainsi le seul interlocuteur du consommateur. À ce titre, le fournisseur gère pour le compte des gestionnaires de réseaux en charge de la distribution de l'électricité et du gaz, une partie de sa relation contractuelle portant sur des services.

En application de décisions récentes du Conseil d'Etat et de la cour d'appel de Paris, les gestionnaires de réseaux devront – à l'avenir – rémunérer les fournisseurs d'électricité et de gaz pour les services effectués dans le cadre de ce contrat unique, qui comportent des coûts pour les fournisseurs.

Toutefois, ce dispositif pose problème pour le passé : une telle rémunération n'était initialement pas prévue dans la loi et seuls certains fournisseurs nouveaux entrants ont été rémunérés. [...] » (souligné par la cour).

203.Enfin, dans son rapport no 42 (2017-2018), la Commission des affaires économiques du Sénat présente ainsi l'état du droit antérieur :

« I. Le droit en vigueur

En application des dispositions du code de la consommation (art. L. 224-1 et L. 224-8) et du code de l'énergie (art. L. 332-1 à L. 332-3 pour l'électricité et L. 442-1 à L. 442-3 pour le gaz) et en vue de simplifier les démarches des consommateurs particuliers et des petits clients professionnels, les fournisseurs d'électricité et de gaz naturel sont tenus de proposer un contrat unique incluant la fourniture d'énergie et l'accès au réseau à tous les consommateurs domestiques, ainsi qu'aux consommateurs non domestiques souscrivant une puissance électrique inférieure ou égale à 36 kVA ou consommant moins de 30 MWh de gaz par an.

[...]

Dans le cadre d'un tel contrat, les fournisseurs gèrent donc pour le compte du gestionnaire de réseau de distribution (GRD) certains aspects de la relation contractuelle entre ce gestionnaire et le client final. [...] » (souligné par la cour).

204.Ainsi, avant même l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2017, le législateur, conforté par l'avis du Conseil d'État sur le projet de loi, considérait que le cadre légal existant impliquait qu'en cas de contrat unique, le fournisseur est l'interlocuteur unique du client final et est, à ce titre, le fournisseur obligé des prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD.

205.D'autre part, dans sa décision no 2019-776 QPC du 19 avril 2019, par laquelle il a déclaré conforme à la Constitution le premier alinéa du II de l'article L. 452-3-1 du code de l'énergie, le Conseil constitutionnel a considéré que, « [d]ans le cadre des contrats uniques portant sur la fourniture et la distribution d'électricité, prévus par l'article L. 121-92 du code de la consommation, le fournisseur d'électricité assure, pour le compte du gestionnaire de réseau public de distribution, la gestion des relations de clientèle de ce dernier avec le consommateur » (considérant 5). C'est donc à tort que la société Direct Energie soutient que, par ce nouvel article L. 452-3-1 du code de l'énergie, le législateur a entendu valider une disposition contractuelle illégale en ce qu'elle imposait aux fournisseurs la gestion des clients en contrat unique pour le compte du GRD.

206.En dernier lieu, l'interprétation de l'article L. 224-8 du code de la consommation retenue par la cour aux paragraphes 189 à 196 du présent arrêt, n'est pas contraire à l'arrêt du 2 juin 2016.

207.La portée de cet arrêt doit être appréciée à la lumière des prétentions des parties. Or, si, dans son recours, la société Direct Energie demandait à la cour de « dire que GrDF ne peut conditionner l'accès au réseau de distribution à la réalisation de prestations d'intermédiation pour les clients finals ayant conclu un CLD » (arrêt du 2 juin 2016, p. 7), elle ne formulait aucune demande en ce sens s'agissant des clients finals ayant conclu un contrat unique, réclamant uniquement, dans cette hypothèse, « la réformation de la décision du CoRDiS en ce qu'il a rejeté sa demande visant à ce qu'il détermine la rémunération des prestations qu'elle rend aux clients finals pour GrDF, lorsqu'elles sont imposées par la réglementation » (arrêt du 2 juin 2016, p. 17, souligné par la cour). La société ENI Gas n'a pas davantage demandé, lors de cette instance, que la cour déclare que le fournisseur n'a pas, dans le cadre du contrat unique, l'obligation de fournir des prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD, fussent-elles rémunérées.

208.Ainsi, à l'encontre de sa position actuelle, la société Direct Energie reconnaissait que, dans le cadre du contrat unique, « la réglementation » lui imposait de fournir des prestations aux clients finals pour le compte de la société GRDF, et demandait uniquement à en obtenir rémunération. Dès lors, contrairement à l'analyse qu'en font les requérantes, la cour d'appel n'a, dans l'arrêt du 2 juin 2016, pas statué sur la qualité d'interlocuteur unique du fournisseur dans le cadre du contrat unique, celle-ci n'étant pas contestée devant elle, ni, a fortiori, jugé que le fournisseur n'avait pas cette qualité. De fait, aucun motif de l'arrêt du 2 juin 2016 n'aborde cette question.

209.Par voie de conséquence, l'injonction faite, dans le dispositif de cet arrêt, à la société GRDF de proposer aux sociétés Direct Energie et ENI Gas un avenant au CAD prévoyant que « sont réputées n'avoir jamais existé entre les parties parce que contraires au code de l'énergie les clauses du contrat d'accès signées entre elles subordonnant l'accès à ce contrat à l'acceptation par le fournisseur de la prestation d'intermédiation et qui vont au-delà de ce qu'exige la seule signature des CSL par le client lorsque celui-ci souhaite un contrat unique », ne peut avoir le sens que lui donne les requérantes, puisqu'il était admis, ou non contesté, par l'ensemble des protagonistes que « la seule signature des CSL par le client » emporte obligation pour le fournisseur d'assurer des prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD. D'une part, il peut être constaté que cette injonction est imposée en référence au code de l'énergie, et pas au code de la consommation, de sorte qu'elle ne constitue pas une interprétation de l'article L. 121-92 – devenu L. 224-8 – du code de la consommation. D'autre part, cette injonction concernant tous les CAD passés entre la société GRDF et les sociétés Direct Energie et ENI Gas, sans que soit opérée de distinction selon que le client final souscrit un contrat unique ou deux contrats distincts, l'un de fourniture, l'autre d'accès au réseau (CLD), la référence aux clauses du CAD « qui vont au-delà de ce qu'exige la seule signature des CSL par le client lorsque celui-ci souhaite un contrat unique » doit par conséquent s'interpréter en ce sens que seules sont visées les clauses du CAD où, nonobstant l'absence de toute disposition légale ou réglementaire, la société GRDF a imposé aux fournisseurs la gestion des clients qui ont conclu avec elle un CLD.

210.De même, l'interprétation de l'article L. 224-8 du code de la consommation retenue par la cour aux paragraphes 189 à 196 du présent arrêt, n'est pas contraire à la décision du Conseil d'État du 13 juillet 2016.

211.En jugeant qu'en prévoyant, à l'article L. 121-92 du code de la consommation (actuel article L. 224-8 du même code), la souscription par le consommateur d'un « contrat unique » auprès du fournisseur, qui agit au nom et pour le compte du gestionnaire de réseau de distribution, le législateur « n'a pas entendu modifier les responsabilités respectives de ces opérateurs envers le consommateur d'électricité », le Conseil d'État, d'ailleurs éclairé par les conclusions de son rapporteur public soulignant que les dépenses que le fournisseur supporte, au titre des clients en contrat unique, « résultent pour lui de tâches de gestion administrative et financière qu'il accomplit, en vertu de la loi, au nom et pour le compte du gestionnaire », s'est borné à constater que la signature d'un contrat unique entraînait l'établissement de relations contractuelles à la fois entre le client final et le fournisseur et entre ce client et le GRD, et ce uniquement aux fins de déterminer si le fournisseur doit supporter les coûts exposés par lui pour le compte du GRD. Aussi n'a-t-il pas jugé que le fournisseur n'est pas tenu d'assurer la gestion de clientèle en contrat unique pour le compte du GRD.

212.Le moyen est rejeté.

2. Dans l'hypothèse où le client a conclu un contrat de livraison directe

213.Dans la décision attaquée (p. 36 et 37), après avoir dit que « la réalisation de ces prestations de gestion de clientèle, même assortie d'une rémunération équitable, ne saurait être imposée aux fournisseurs en dehors du seul cadre du contrat unique », le CoRDiS a constaté, d'une part, qu' « aucune disposition du code de la consommation et du code de l'énergie ne s'oppose à ce que d'autres consommateurs finals que ceux visés par les articles L. 442-1, L. 442-2 et L. 442-3 du code de l'énergie et l'article L. 224-8 du code de la consommation, puissent bénéficier d'un contrat unique ».

214.Il a considéré, d'autre part, qu'en l'état, la souscription d'un CLD n'a pas pour objet de définir les conditions d'accès au réseau et de réalisation des interventions du GRD, mais se limite à établir les modalités d'exécution de prestations annexes relatives à la maintenance ou à la pression du gaz livré à l'utilisateur et que, par conséquent, le CLD place les utilisateurs qui y souscrivent dans la situation d'un client en contrat unique, dès lors qu'aucun autre contrat n'encadre la prestation d'accès au réseau pour les utilisateurs en CLD.

215.N... en a conclu que seules des offres en contrat unique sont actuellement possibles pour les clients raccordés aux réseaux de distribution de gaz naturel, ajoutant que la circonstance que les fournisseurs de gaz naturel réalisent actuellement la gestion de clientèle liée à la distribution auprès des utilisateurs pour lesquels ils ne sont pas tenus de proposer un contrat unique est indifférente aux stipulations du CAD, objet du présent règlement de différend, et ressort du schéma contractuel existant.

216.Ces développements constituent la seule motivation du rejet implicite de la demande formée par la société Direct Energie de voir notamment ordonner à la société GRDF de proposer un avenant au CAD restant optionnel, ne comportant aucune subordination de l'accès au réseau à la réalisation de prestations de gestion de clientèle et affirmant la pleine liberté de négociation des conditions et de la rémunération de réalisation des prestations de gestion des clients en CLD.

217.La société Direct Energie fait valoir que le CoRDiS a renversé la solution retenue par la cour d'appel dans son arrêt du 2 juin 2016, puisque, au lieu d'imposer à la société GRDF de cesser de subordonner la conclusion du CAD à la réalisation de prestations de gestion de clientèle, s'agissant des clients finals ayant conclu un CLD, il est parti de ce schéma contractuel illicite pour en déduire, à tort ? qu'aucune disposition légale n'interdit que tous les consommateurs finals bénéficient d'un contrat unique.

218.Elle expose, d'une part, que la lacune des CLD, qui n'encadrent pas la prestation d'accès des clients finals au réseau, n'emporte aucune soumission de ces clients au contrat unique, puisque, par hypothèse, ils n'ont pas signé les CLS encadrant cet accès au réseau.

219.Elle souligne d'autre part, que, si l'article L. 224-8 du code de la consommation n'interdit effectivement pas à un fournisseur de proposer un contrat unique à un client qui n'entre pas dans le champ de cet article, cela reste une faculté pour le fournisseur, tandis que l'interprétation retenue par le CoRDiS prétend placer le fournisseur dans l'obligation de proposer la signature des CLS au client final non visé par ledit article, en prenant prétexte de l'insuffisance des stipulations CLD.

220.Selon la société Direct Energie, le CoRDiS a, en statuant comme il l'a fait, méconnu l'arrêt du 2 juin 2016.

221.La société ENI Gas soutient également que le GRD ne peut subordonner l'accès à son réseau des clients qui n'entrent pas dans le champ de l'article L. 224-8 du code de la consommation à l'exécution par le fournisseur de prestations de gestion de clientèle.

222.Reprenant l'argumentation développée au sujet des clients en contrat unique, la société GRDF demande à la cour de confirmer que les fournisseurs sont également tenus de réaliser les prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD s'agissant des clients en CLD.
223.La CRE rappelle que le CoRDiS a bien distingué les obligations qui pèsent sur chaque partie, d'une part, dans le cadre du contrat unique, d'autre part, dans le cadre de contrats séparés et que, dans le second cas, il a précisé qu' « [i]l est en revanche exact que la réalisation de ces prestations de gestion de clientèle, même assortie d'une rémunération équitable, ne saurait être imposée aux fournisseurs en dehors du seul cadre du contrat unique » (décision attaquée, p. 36).

224.Elle considère que c'est toutefois à bon droit que le CoRDiS a constaté que, dès lors que le CLD n'encadre en réalité pas la prestation d'accès au réseau, les clients qui souscrivent un CLD se trouvent placés dans la situation d'un client en contrat unique.

***

Sur ce, la cour

225.D'abord, aucune partie au litige ne conteste le constat, effectué par le CoRDiS, que la réalisation des prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD, même assortie d'une rémunération équitable, « ne saurait être imposée aux fournisseurs en dehors du seul cadre du contrat unique » (décision attaquée, p. 36).

226.De fait, avant comme après le 1er janvier 2018, aucune obligation légale ou réglementaire n'impose aux fournisseurs d'assurer les prestations de gestion de clientèle pour les clients finals qui n'ont pas souhaité signer un contrat unique et ont conclu un CLD.

227.Ensuite, le rappel qu' « aucune disposition du code de la consommation et du code de l'énergie ne s'oppose à ce que d'autres consommateurs finals que ceux visés par les articles L. 442-1, L. 442-2 et L. 442-3 du code de l'énergie et l'article L. 224-8 du code de la consommation, puissent bénéficier d'un contrat unique », pour exact qu'il soit, est sans pertinence, puisque, par définition, les clients qui concluent un CLD, n'ont pas souhaité signer un contrat unique.

228.Enfin, il est indifférent que le contenu du CLD que fait signer la société GRDF soit insuffisant pour définir dans tous ses aspects sa relation avec le client final, et notamment les modalités de fourniture à ce client par la société GRDF de la prestation d'accès au réseau de distribution. Il est en effet loisible à cette société de mettre fin à une telle situation en modifiant les termes du CLD, y compris les contrats en cours, pour y introduire les éléments qui y manquent afin de définir complètement la prestation fournie au client final. Que la société GRDF ne le fasse pas ne saurait, à l'évidence, faire du CLD un contrat unique, au sens de l'article L. 224-8 du code de la consommation ; elle ne saurait donc s'en prévaloir pour exiger que les sociétés Direct Energie et ENI Gas assurent la gestion de sa relation avec les clients en CLD.

229.La cour constate que la société Direct Energie demandait au CoRDiS d' « ORDONNER à GRDF de proposer, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir, un avenant au CAD :

– restant optionnel et ne comportant aucune subordination de l'accès au réseau à la réalisation de prestation de gestion de clientèle ;

– ne transférant aucune responsabilité des GRD vers les fournisseurs qu'ils ne puissent négocier et obtenir les moyens correspondants de la part de GRDF pour gérer les prestations qui lui sont transférées ;

– affirmant la pleine liberté de négociation des conditions et de la rémunération de réalisation des prestations de gestion des clients en CLD » (décision attaquée, p. 22).

230.N... n'ayant pas fait droit à cette demande, s'agissant des clients ayant souscrit un CLD, celle-ci est réitérée en substance devant la cour.

231.Il ressort du dossier que les CAD passés par la société GRDF avec les sociétés Direct Energie et ENI Gas sont applicables tant dans l'hypothèse où le client final a souscrit un contrat unique que dans celle où il a passé un CLD. Les sociétés Direct Energie et ENI Gas ne démontrent pas que, s'agissant des clients en CLD, il n'est pas besoin de conclure un CAD avec la société GRDF, ne serait-ce que pour arrêter un certain nombre de dispositions techniques. Aussi n'y a-t-il pas lieu de faire droit à la demande visant à voir déclarer le CAD « optionnel » dans cette hypothèse.

232.En revanche, pour les motifs qui précèdent, il y a lieu d'enjoindre à la société GRDF de compléter l'avenant au CAD, proposé aux sociétés Direct Energie et [...] en application de l'article 3 de la décision attaquée en prévoyant qu'en l'absence de souscription d'un contrat unique, le principe et la rémunération de prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD seront librement négociées entre les parties.

233.Par ailleurs, dans la mesure où, à la différence du CoRDiS, la cour a constaté que les clients ayant contracté un CLD ne peuvent pas être considérés comme étant en contrat unique, il convient de préciser que l'injonction figurant à l'article 3, second tiret, de la décision attaquée, qui régit l'avenir, s'applique uniquement lorsque le client a conclu un contrat unique.

B. Sur la rémunération des prestations de gestion de clientèle assurées par les fournisseurs pour le compte du GRD

1. Observation liminaire sur les limites temporelles du différend

234.Au moment du prononcé de l'arrêt du 2 juin 2016, aucune disposition légale ou réglementaire ne fixait le montant de la rémunération due par un GRD aux fournisseurs au titre des prestations de gestion de clientèle fournies au premier par les seconds.

235.C'est dans ce contexte que la cour a enjoint à la société GRDF de proposer aux sociétés Direct Energie et ENI Gas un avenant à ses CAD prévoyant, notamment, « [u]ne rémunération équitable et proportionnée au regard des coûts évités par elle des prestations accomplies pour son compte auprès de ses clients ».

236.Mais, depuis, la CRE a, dans l'exercice de son pouvoir réglementaire, adopté les délibérations no 2017-237 – abrogée et remplacée par la délibération 2018-012 – et no 2017-238. La première définit une composante tarifaire qui fixe, à compter du 1er janvier 2018, le montant de la contrepartie versée par le GRD au fournisseur pour la gestion de clientèle en contrat unique qu'il effectue pour son compte ; la seconde prévoit la couverture des charges correspondantes par les tarifs ATRD en définissant notamment un montant maximum par point de livraison (PDL), correspondant aux coûts d'un gestionnaire de réseau efficace, susceptible d'être pris en compte dans le tarif ATRD au titre de la contrepartie financière versée aux fournisseurs pour la gestion des clients en contrat unique.

237.Il s'ensuit que, depuis le 1er janvier 2018, la rémunération due au titre de la gestion de clientèle en contrat unique se trouve fixée par un acte de portée réglementaire.

238.Dans ces conditions, le différend, en tant qu'il est relatif à la fixation de la rémunération due aux sociétés Direct Energie et ENI Gas pour les prestations de gestion de clientèle fournies à la société GRDF, ne s'étend pas au-delà du 31 décembre 2017.

239.La cour souligne que ce constat ne méconnaît pas la force de chose jugée de l'arrêt du 2 juin 2016, qui n'a pas entendu interdire au législateur ou au pouvoir réglementaire d'intervenir pour modifier, pour l'avenir, le contexte légal et ou réglementaire en considération duquel la cour d'appel a statué.

240.Toute autre interprétation reviendrait pour la cour à écarter l'application à la fois de l'article L. 134-2 4o du code de l'énergie et des délibérations no 2018-012 – venue remplacer la délibération no 2017-237 – et no 2017-238, en violation, s'agissant de ces dernières, de la répartition des compétences entre les ordres judiciaire et administratif.

2. Sur la prescription des créances de la société Direct Energie

241.Au soutien de sa demande en réformation de l'article 4 de la décision attaquée, la société GRDF fait valoir, à titre principal, que la société Direct Energie n'a droit au remboursement de ses créances qu'à compter du 23 juillet 2011.

242.Rappelant qu'aux termes de l'article L. 134-20 du code de l'énergie, le CoRDiS peut « décider que sa décision produira effet à une date antérieure à sa saisine, sans toutefois que cette date puisse être antérieure à la date à laquelle la contestation a été formellement élevée par l'une des parties pour la première fois et, en tout état de cause, sans que cette date soit antérieure de plus de deux ans à sa saisine », elle fait valoir que la société Direct Energie n'a formellement élevé sa contestation que le 23 juillet 2011, date de l'enregistrement de sa demande de règlement de différend.

243.Elle soutient, subsidiairement, que s'agissant du CAD conclu avec la société Poweo, aux droits de laquelle vient la société Direct Energie, cette dernière n'a droit au remboursement de ses créances qu'à compter du 19 juin 2013. Elle fait en effet valoir que la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, qui a réduit de dix à cinq ans la prescription prévue à l'article L. 110-4 du code de commerce, est entrée en vigueur le 19 juin 2008. Elle en déduit que cette prescription, applicable à une demande de différend visant à obtenir le paiement de créances fondées sur des faits antérieurs au 19 juin 2008, est acquise s'agissant des créances nées du CAD conclu avec la société Poweo le 21 juin 2005.

244.Les sociétés Direct Energie et Eni Gas, ainsi que la CRE concluent au mal fondé de ces moyens.

***

Sur ce, la cour

245.L'autorité de chose jugée de l'arrêt du 2 juin 2016 conduit à écarter les moyens de la société GRDF pris de la prescription des créances de la société Direct Energie nées antérieurement au 23 juillet 2011, subsidiairement au 19 juillet 2013.

246.En effet, cet arrêt a, dans son dispositif, « [e]njoint à la société GrDF de verser à la société Direct Energie une rémunération égale à celle qui sera fixée entre elles pour la gestion des clients en contrat unique avec effet à compter du 21 juin 2005 s'agissant du contrat d'accès au réseau public de distribution conclu avec la société Poweo, et à compter du 21 novembre 2008, s'agissant de celui signé avec la société Direct Energie, avec intérêts au taux compter de la date de l'arrêt ».

3. Sur le droit de la société ENI Gas à rémunération

247.Devant le CoRDiS, la société ENI Gas demandait à voir « constater qu'ENI a communiqué dans sa Pièce no 1 le détail des prestations réellement exécutées pour le compte du GRD et la méthode de calcul de la rémunération lui permettant d'arriver au montant qu'elle entend voir appliquer pour l'avenir comme pour le passé », « dire que la rémunération due à ENI par GRDF au titre des prestations de gestion de clientèle réalisées par ENI pour le compte de GRDF sera égale à celle détaillée par ENI dans sa Pièce no 1 » et « assortir cette injonction de l'exécution provisoire d'une astreinte de 10.000 euros par jour de retard à défaut d'exécution au profit d'ENI ».

248.Ayant rejeté toutes les demandes de la société ENI Gas, le CoRDiS n'a pas enjoint à la société GRDF de lui verser une rémunération égale aux montants prescrits à l'article 3 de la décision attaquée.

249.La société ENI Gas fait valoir que le CoRDiS a retenu, dans la décision attaquée (p. 46), qu'elle serait rémunérée à compter du 2 juin 2016, et que c'est à la suite d'une erreur de plume que le CoRDiS a omis de fixer cette rémunération dans le dispositif de sa décision.

250.La société GRDF et la CRE concluent au rejet de cette demande.

***
Sur ce, la cour

251.Par l'arrêt du 2 juin 2016, la société ENI Gas a été déclarée recevable à intervenir par voie d'intervention principale et à former à ce titre, « des demandes qui lui sont propres ». Au demeurant, dans la décision attaquée, le CoRDiS n'a pas contesté que cette société était recevable à intervenir dans la procédure de règlement de différend.

252.Par ailleurs, le dispositif de l'arrêt du 2 juin 2016 a enjoint à la société GrDF de proposer à la société ENI un avenant au CAD prévoyant « une rémunération équitable et proportionnée au regard des coûts évités par elle des prestations accomplies pour son compte auprès des clients », et ce « dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ».

253.Il s'ensuit que cet arrêt a consacré, à compter du 2 août 2016, le droit de la société ENI Gas à voir rémunérer par la société GRDF les prestations de gestion de clientèle effectuées pour le compte de cette dernière.

254.C'est en vain que serait opposé à la société ENI Gas l'article L. 452-3-1, III, du code de l'énergie, qui prévoit que, « [s]ous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les conventions relatives à l'accès aux réseaux conclues entre les [GRD] et les fournisseurs de gaz naturel, en tant qu'elles seraient contestées par le moyen tiré de ce qu'elles imposent aux fournisseurs la gestion de clientèle pour le compte des [GRD] ou laissent à la charge des fournisseurs tout ou partie des coûts supportés par eux pour la gestion de clientèle effectuée pour le compte des [GRD] antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi », l'arrêt du 2 juin 2016 constituant une décision passée en force de chose jugée.

255.Il convient, dès lors, de dire que la société ENI Gas & Power a droit à rémunération pour les prestations de gestion de clientèle effectuées à partir du 2 août 2016 pour le compte de la société GRDF.

4. Sur le plafonnement de la rémunération aux coûts évités du GRD

256.Dans la décision attaquée (p. 40), le CoRDiS a considéré que « la promotion de l'efficacité économique du marché doit en l'espèce conduire à s'assurer que le surcoût d'un fournisseur normalement efficace ne dépasse pas le coût évité du GRD, au risque, si tel n'était pas le cas, de favoriser le développement d'une structure inefficace du marché. Conformément à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 juin 2016 et aux dispositions du code de l'énergie, cette condition est également de nature à permettre au gestionnaire de réseau de justifier de la performance requise pour prétendre à la couverture de ses charges. Au surplus, cette méthode est compatible avec la décision du Conseil d'Etat du 13 juillet 2016, aux termes de laquelle les stipulations des contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d'électricité ne doivent pas laisser à la charge de ces derniers les coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau, dès lors qu'il résulte des pièces du dossier que le surcoût du fournisseur ainsi déterminé est inférieur au coût évité du GRD. »

257.La société ENI Gas considère qu'en concluant à la nécessité de retenir un niveau de rémunération des prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD systématiquement inférieur, par principe, aux coûts évités par le GRD, le CoRDiS a méconnu l'arrêt du 2 juin 2016, qui a établi le principe d' « [u]ne rémunération équitable et proportionnée au regard des coûts évités » par le GRD.

258.Selon elle en effet, les coûts d'un GRD « peu efficace » seront toujours plus faibles que ceux d'un fournisseur nouvel entrant, même « très efficace », en raison de l'effet d'échelle lié à la volumétrie de clients traités par chacun de ces deux acteurs. Aussi, aux fins d'aboutir à une rémunération équitable, les coûts évités d'un GRD ne pourraient constituer qu'un paramètre modérateur incitant les fournisseurs à rechercher la meilleure optimisation, mais pas un plafond à leur rémunération.

259.Elle ajoute que, lorsqu'ils exécutent une activité pour le compte d'un autre commerçant, les fournisseurs doivent percevoir une rémunération leur permettant a minima de couvrir leurs coûts.

260.Considérant qu'il s'infère de l'arrêt du 2 juin 2016 et de la décision du Conseil d'État du 13 juillet 2016, précitée, que, depuis l'origine, les fournisseurs avaient légalement la possibilité de ne pas effectuer les prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD dès lors que la négociation avec ce dernier n'aboutissait pas à un prix acceptable pour eux, la société Direct Energie fait valoir que seul un prix couvrant l'intégralité des coûts supportés était acceptable pour elle et qu'elle n'aurait pas réalisé lesdites prestations à un prix moindre, ce qui aurait obligé la société GRDF à les réaliser elle-même.

261.La société GRDF soutient qu'en exécution de l'arrêt du 2 juin 2016, les coûts évités par elle constituent un plafond maximal de rémunération des fournisseurs.

262.Elle souligne que cette situation permet de ne pas faire supporter aux clients finals une inflation des coûts issue soit de l'inefficacité relative des fournisseurs par rapport à la situation antérieure de monopole, soit des choix stratégiques des fournisseurs quant à la qualité des prestations de gestion de clientèle, par exemple le choix de surinvestir dans la qualité des prestations proposées, sans que cela soit strictement nécessaire.

263.Elle ajoute que l'article L. 341-2 du code de l'énergie impose au GRD d'être efficace dans la mesure où seuls les coûts d'un « gestionnaire de réseau efficace » peuvent être couverts par l'ATRD, de sorte que les coûts évités d'un tel GRD constituent mécaniquement le plafond maximal de la rémunération des fournisseurs.

264.La CRE répond également qu'il ressort de l'arrêt du 2 juin 2016 que la rémunération des fournisseurs ne doit pas dépasser le coût évité du GRD, pour autant qu'elle corresponde aux coûts d'un fournisseur normalement efficace.

265.Elle considère que si la décision du Conseil d'État du 13 juillet 2016, précité, énonce que « les stipulations des contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d'électricité ne doivent pas laisser à la charge de ces derniers les coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau », il ne peut en être déduit que les fournisseurs devraient être rémunérés au regard de leurs coûts unitaires respectifs.

266.Elle ajoute qu'il ressort du rapport PMP que, quelle que soit l'énergie, le surcoût du fournisseur est inférieur au coût évité du GRD, de sorte qu'en tout état de cause, les fournisseurs ne supportent pas les pertes à la place du GRD, si celui-ci avait réalisé la prestation lui-même.

***

Sur ce, la cour

267.Par l'arrêt du 2 juin 2016, la cour d'appel a :

« – Enjoint à la société GrDF de mettre ses contrats d'acheminement sur le réseau de distribution (CAD) en conformité avec les principes énoncés par la décision, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, en proposant à la société Direct Energie et à la société ENI un avenant à ce contrat d'accès au réseau prévoyant :

– [...]

– Une rémunération équitable et proportionnée au regard des coûts évités par elle des prestations accomplies pour son compte auprès des clients ;

– Dit que la société GrDF ne peut conditionner l'accès au réseau de distribution à la réalisation de prestations non rémunérées par un tarif équitable et proportionné au regard des coûts évités par elle, auprès des clients finals ayant conclu un contrat de livraison directe » (souligné par la cour).

268.Ce dispositif doit être interprété à la lumière des motifs.

269.Or, dans l'instance ayant abouti à l'arrêt du 2 juin 2016, la société Direct Energie avait précisé qu' « elle ne demande que la compensation des coûts évités à la société GrDF » (arrêt du 2 juin 2016, p. 7). Dans ces conditions, la cour aurait statué ultra petita si elle avait enjoint à la société GRDF de proposer une rémunération allant au-delà des coûts évités par le GRD.

270.Par ailleurs , la cour a jugé, dans ce même arrêt, que « la société GrDF doit supporter, au moins partiellement, les coûts des prestations de services rendues par les fournisseurs nécessaires pour l'accès au réseau » (arrêt du 2 juin 2016, p. 20, souligné par la cour).

271.Il se déduit sans équivoque de l'arrêt du 2 juin 2016, d'une part, que la cour a pris pour mesure du caractère équitable de la rémunération due au fournisseur pour les prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD, non pas les coûts exposés par le fournisseur, mais les coûts évités par le GRD, de sorte qu'une rémunération peut être équitable, au sens de cet arrêt, quand bien même elle ne couvrirait pas entièrement les surcoûts exposés par le fournisseur.

272.Enfin , la référence à un tarif « proportionné au regard des coûts évités par elle », figurant au dispositif dudit arrêt, ne peut avoir d'autre signification que de faire des coûts évités par le GRD le plafond de la rémunération du fournisseur.

273.Il s'ensuit que c'est en conformité avec l'arrêt du 2 juin 2016 que le CoRDiS a retenu que le montant des coûts évités du GRD constituait le plafond de la rémunération due au fournisseur au titre des prestations de gestion de clientèle pour le compte du GRD, ce montant fût-il inférieur aux surcoûts du fournisseur.

274.Les moyens remettant en cause ce principe, qui n'auraient pu être utilement soulevés que dans le cadre d'un pourvoi en cassation contre cet arrêt, sont donc écartés en tant qu'ils méconnaissent l'autorité de la chose jugée dudit arrêt.

5. Sur la fixation des montants de rémunération

275.La cour envisage de constater que, dans le contexte très spécifique du marché de la fourniture de gaz, qui est un marché régulé, si l'ensemble des opérateurs actifs sur le marché – GRD et fournisseurs –, et la CRE elle-même, avaient d'emblée retenu la nécessité d'une rémunération des fournisseurs pour les prestations de gestion de clientèle assurées pour le compte de la société GRDF, la CRE aurait été tenue, comme elle l'a fait postérieurement à l'arrêt du 2 juin 2016, de fixer la composante d'accès au réseau de distribution de gaz pour la gestion de clients en contrat unique et de modifier les tarifs péréqués d'utilisation de ces réseaux afin d'y introduire une composante tarifaire, dite Rf, représentant précisément le montant de cette composante d'accès.

276.La cour envisage, par voie de conséquence, de considérer que la façon dont la CRE a exercé son pouvoir de régulation au travers des délibérations no 2017-237 – depuis remplacée par la délibération no 2018-012 – et no 2017-238, fournit le seul contrefactuel acceptable pour déterminer la rémunération due aux fournisseurs depuis l'ouverture à la concurrence du marché de la fourniture de gaz.

277.Afin de respecter le principe du contradictoire, elle réouvre donc les débats sur la fixation des montants de rémunération, et invite les sociétés Direct Energie, ENI Gas et GRDF, ainsi que la CRE, à prendre position à ce sujet suivant les modalités spécifiées au dispositif du présent arrêt.

*
* *

III. SUR LES DÉPENS ET L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

278.Il est sursis à statuer sur les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

279.Les dépens sont réservés.

*
* *

PAR CES MOTIFS

REJETTE le recours formé par la société Direct Energie en annulation des articles 3, 4 et 5 de la décision du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie no 11-38-13 du 18 juin 2018 sur le différend qui oppose la société DIRECT ENERGIE et la société ENI GAS & POWER à la société GRDF, dans le cadre de l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 juin 2016 ;

REJETTE le recours formé par la société Gaz Réseau Distribution de France (GRDF) en annulation de l'article 4 de la décision no 11-38-13 du 18 juin 2018 ;

Ajoutant à l'article 3 de la décision no 11-38-13 du 18 juin 2018 ;

ENJOINT à la société GRDF, dans un délai d'un mois à compter du prononcé du présent arrêt, de compléter l'avenant au contrat d'acheminement sur le réseau de distribution de gaz naturel (CAD), proposé aux sociétés Direct Energie et [...] en application de l'article 3 de cette décision en prévoyant :

– qu'en l'absence de souscription d'un contrat unique, le principe et la rémunération de prestations de gestion de clientèle fournies par les sociétés Direct Energie et [...] à la société GRDF seront librement négociées entre les parties ;

– que la rémunération des fournisseurs par la société GRDF prévue audit article 3 s'applique uniquement lorsque le client a conclu un contrat unique ;

DIT que la société ENI Gas & Power a droit à rémunération pour les prestations de gestion de clientèle effectuées à partir du 2 août 2016 pour le compte de la société GRDF ;

Et, avant dire droit sur les demandes relatives aux articles 4 et 5 de la décision attaquée,

RÉOUVRE les débats sur la fixation des montants de rémunération dus à la société Direct Energie depuis le 21 juin 2005 et à la société [...] depuis le 2 août 2016 ;

INVITE les sociétés Direct Energie, ENI Gas & Power et GRDF, ainsi que la Commission de régulation de l'énergie, à prendre position sur l'éventualité d'une prise en compte des délibérations no 2017-237 – depuis remplacée par la délibération no 2018-012 – et no 2017-238 comme contrefactuel permettant de déterminer la rémunération due aux fournisseurs depuis l'ouverture à la concurrence du marché de la fourniture de gaz ;

L'affaire est renvoyée à l'audience de mise en état du 24 mars 2020 à 09 h 00, salle d'audience TOCQUEVILLE (escalier Z – 4ème étage), pour fixation d'un calendrier en présence de toutes les parties.

SURSEOIT à statuer sur les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

RÉSERVE les dépens.

LE GREFFIER,

Gérald BRICONGNELE CONSEILLER EN L'EMPÊCHEMENT DU PRÉSIDENT

Sylvie TRÉARD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Numéro d'arrêt : 18/17469
Date de la décision : 23/01/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-01-23;18.17469 ?
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