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22/01/2020 | FRANCE | N°18/15066

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 3 - chambre 1, 22 janvier 2020, 18/15066


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 1



ARRÊT DU 22 JANVIER 2020



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/15066 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B53LG



Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Mai 2018 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/17673









APPELANTES



Madame [D] [T]

née le [Date naissan

ce 1] 1949 à [Localité 10] ([Localité 11])

Chez Monsieur [P] - [Adresse 7]

[Localité 5]



Madame [K] [T] épouse [M]

née le [Date naissance 2] 1946 à [Localité 11]

[Adresse 8]

[Localité 16] ...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 1

ARRÊT DU 22 JANVIER 2020

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/15066 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B53LG

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Mai 2018 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/17673

APPELANTES

Madame [D] [T]

née le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 10] ([Localité 11])

Chez Monsieur [P] - [Adresse 7]

[Localité 5]

Madame [K] [T] épouse [M]

née le [Date naissance 2] 1946 à [Localité 11]

[Adresse 8]

[Localité 16] (FLORIDE)

représentées et plaidant par Me Bénédicte de LAVENNE de la SELARL DOUCHET DE LAVENNE ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : J131

INTIMÉE

SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS n°552 120 222, agissant poursuites et diligences de son Président Directeur Général, domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Isabelle VINCENT de la SELARL WTS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0345

ayant pour avocat plaidant Me Claire CHAMPEL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0345

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Novembre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Dorothée DARD, Président, et Mme Madeleine HUBERTY, Conseiller, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Dorothée DARD, Président

Mme Madeleine HUBERTY, Conseiller

Mme Catherine GONZALEZ, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Dorothée DARD, Président et par Mme Emilie POMPON, Greffier.

***

PRÉTENTIONS DES PARTIES ET PROCÉDURE

Par acte authentique en date du 28 décembre 1991, Madame [D] [T] a fait l'acquisition d'un terrain constructible de 2500m² sis sur la commune de [Localité 9] (Yvelines) pour le prix de 820 000F (soit 125 008,19€). La SOCIETE GENERALE est intervenue à l'acte notarié en qualité de prêteur d'une somme de 1 064 000F (soit 162205,75€), remboursable en 240 mensualités au taux de 10,90%.

Le montant du prêt devait servir à financer l'acquisition du terrain ainsi que le projet de construction sur ce terrain.

Antérieurement à cette acquisition et par acte sous seing privé du 17 décembre 1991, la SOCIETE GENERALE avait consenti à Madame [D] [T] un prêt relais d'un montant de 416000F (soit 63 418,79€), d'une durée de 12 mois, au taux de 11,40%, dans l'attente de la vente d'un bien immobilier, sis [Adresse 12] (83). Ce prêt a été prorogé de 12 mois.

La vente escomptée ne s'est pas faite et les travaux ont excédé le budget prévu.

C'est dans ces circonstances, que, par acte sous seing privé en date du 30 mai1994, un second prêt immobilier a été conclu pour un montant de 666 000F (soit 101531,05€) amortissable en 20 ans au taux de 9%. Ce prêt avait pour objet de racheter le prêt relais et de régler des factures de travaux d'un montant de 250 000F. Les conditions de ce prêt ont été reprises dans un acte authentique régularisé le 12 octobre 1994.

Les prêts consacrés par les deux actes authentiques régularisés en 1991 et 1994 ont prévu des garanties sous la forme d'hypothèques conventionnelles sur le bien de [Localité 9] (pour les deux prêts) et sur un bien sis à [Localité 6] ([Localité 6]) pour le prêt de 1994.

Les prêts étaient également garantis par un cautionnement solidaire de Monsieur [U] [H] conjoint de Madame [D] [T].

Les conditions des prêts prévoyaient une clause de déchéance du terme en cas de défaut de paiement d'une mensualité à son échéance et une indemnité de 7% des sommes dues en cas de déchéance du terme.

Les échéances ont cessé d'être réglées en juin 1996.

La SOCIETE GENERALE a mis en oeuvre des voies d'exécution pour recouvrer ses créances.

Le 18 décembre 2002, la résidence de [Localité 9] a été vendue par adjudication pour le prix de 275 000€. Ce prix a été imputé sur les deux prêts immobiliers.

Le 24 juin 2005, l'appartement sis à [Localité 6] a été vendu par adjudication. Suite à cette vente, une somme de 69 986,99€ a été imputée sur le prêt de 1994.

Faute d'être réglée de l'intégralité de ses créances, la SOCIETE GENERALE a pris une hypothèque judiciaire provisoire pour une somme totale de 253 713,89€ au titre des deux prêts sur un appartement de 133 m² et cave (lots 50 et 69) sis [Adresse 14], propriété indivise de Madame [D] [T] et de Madame [K] [T] épouse [M]. Le 5 mai 2008, cette hypothèque a été remplacée par une hypothèque judiciaire définitive.

Par actes en date des 27 juillet et 19 octobre 2010, la SOCIETE GENERALE a assigné Madame [D] [T] et Madame [K] [T] épouse [M] devant le tribunal de grande instance de Paris afin d'ordonner l'ouverture des opérations de compte liquidation et partage de l'indivision et afin que la vente sur licitation de l'immeuble soit ordonnée.

Le 10 mars 2011, le bien immobilier a été vendu par aux enchères à l'initiative du CREDIT LYONNAIS pour le prix de 1 115 000€.

Par jugement rendu le 7 octobre 2014, le tribunal de grande instance de PARIS a ordonné une expertise pour faire les comptes entre Madame [D] [T] et la SOCIETE GENERALE. Par arrêt en date du 27 janvier 2016, ce jugement a été confirmé. L'existence des deux prêts n'a pas été remise en cause.

Monsieur [X], expert, a déposé son rapport le 31 octobre 2016.

Dans son jugement rendu le 28 mai 2018, prenant en compte ce rapport d'expertise, le tribunal de grande instance de Paris a statué en ces termes :

- Condamne la SOCIETE GENERALE au paiement à Madame [D] [T] de la somme de 97933,23€ avec intérêts au taux légal à compter du 1er décembre 2011 jusqu'à parfait paiement;

- Rejette toutes autres demandes;

- Fait masse des dépens et les met pour moitié à la charge de chacune des parties;

- Ordonne l'exécution provisoire.

Madame [D] [T] et Madame [K] [T] ont régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du 14 juin 2018.

******************

Dans leurs conclusions régularisées le 13 septembre 2018, Madame [D] [T] et Madame [K] [T], formulent les prétentions suivantes:

- Réformer le jugement entrepris;

- Condamner la SOCIETE GENERALE à rembourser à Madame [T] la somme de 185501,81€ au titre de la répétition de l'indû;

- Condamner la SOCIETE GENERALE à payer à Madame [T] la somme de 6000000€ en réparation de son préjudice patrimonial;

- Condamner la SOCIETE GENERALE à payer aux consorts [T] la somme de 5000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile;

- La condamner en tous les dépens.

Madame [D] [T] fait valoir que :

' en réalité le prêt de 1991 de 1 064 000F était une réserve de trésorerie et il n'a été débloqué qu'à hauteur de la somme de 183 520F (soit 27 977,44€). L'existence du prêt n'a effectivement pas été contestée mais c'est la mise à disposition de la réserve qui l'a été. L'expert a reconnu l'existence des deux prêts sans se pencher sur le montant réel qui avait été emprunté. La SOCIETE GENERALE a donc perçu un total de remboursements de 519 439,15€ pour un prêt de 27 977,44€ qui avait été remboursé dès 1994.

' pour le prêt de 666 000F (soit 101531,05€), la SOCIETE GENERALE a perçu un total de 263130,38€ et tout était réglé dès l'année 2005.

' pour le prêt de 1991, l'expert a chiffré le montant dû par la SOCIETE GENERALE à Madame [D] [T] à la somme de 110 687,01€ selon compte arrêté au 30 novembre 2011. La banque a alors sollicité la déduction d'une indemnité forfaitaire d'exigibilité anticipée d'un montant de 11344,47€, ce qui a été retenu par l'expert. Toutefois cette indemnité n'est pas due car elle a la nature d'une clause pénale et revêt un caractère manifestement excessif dès lors que la SOCIETE GENERALE n'a subi aucun préjudice.

' la somme due par la SOCIETE GENERALE doit produire intérêts au taux contractuel de 10,90%, puisqu'il s'agit d'un indu résultant d'un contrat prévoyant un tel taux.

' les mêmes règles doivent s'appliquer au prêt de 1994 (absence d'indemnité forfaitaire et intérêts au taux contractuel de 9%).

' grâce aux revenus qui lui étaient procurés par son emploi à l'ONU, elle a souhaité tout investir pour constituer un patrimoine pour ses enfants. Elle a fait confiance à sa banque et elle a tout perdu. La SOCIETE GENERALE a mis en oeuvre des mesures d'exécution disproportionnées qui sont constitutives d'un abus de droit. La créance invoquée par la banque était ainsi très inférieure à la valeur de l'immeuble de [Localité 15]. Au surplus, l'inscription d'une hypothèque judiciaire définitive l'a empêchée de se re-financer auprès d'une autre banque. Elle a subi un véritable harcèlement et la succession de son conjoint décédé en 2001 s'est trouvée bloquée. Elle n'a pas pu tirer les revenus escomptés de l'appartement de PARIS, ni de l'appartement à [Adresse 12], qui faisait l'objet de locations saisonnières. Pendant des années, la SOCIETE GENERALE n'a pas communiqué de décomptes ce qui a caché de graves erreurs de calcul. Le préjudice total subi s'élève à 6 000 000€.

*********************

Dans ses conclusions régularisées le 5 décembre 2018, la SOCIETE GENERALE formule les prétentions suivantes :

- Déclarer mal fondés les consorts [T] en leur appel à l'encontre du jugement rendu le 28 mai 2018, par le tribunal de grande instance de Paris;

- Dire et juger que les sommes dues par la SOCIETE GENERALE à l'égard de Madame [D] [T] ne peuvent excéder celles de 97 933,23€ après compensation des sommes respectivement dues dans les conditions de l'article 1289 de l'ancien code civil;

- Constater que la SOCIETE GENERALE s'est exécutée et a établi un chèque d'un montant de 102306,76€ à l'ordre de la CARPA conformément au décompte arrêté au 12 novembre 2018, date à laquelle le paiement est intervenu;

- Dire et juger que la SOCIETE GENERALE n'a commis aucun abus de droit ni aucun préjudice aux défendeurs;

- Dire et juger que les consorts [T] sont mal fondés en leur demande de dommages et intérêts fixée à la somme de 6 000 000€;

En conséquence;

- Débouter les consorts [T] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions;

- Confirmer le jugement en l'ensemble de ses dispositions;

En tout état de cause;

- Condamner les consorts [T] à payer une somme de 5000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction.

La SOCIETE GENERALE fait valoir que :

' le rapport définitif de l'expert judiciaire diffère sensiblement de son pré-rapport parce qu'il a pris en compte ses observations. En effet, l'expert n'avait pas pris en compte les indemnités forfaitaires d'exigibilité dues pour les deux prêts ainsi que des intérêts sur les échéances impayées.

Ces indemnités sont parfaitement justifiées dans leur principe dès lors que la banque n'a pu récupérer sa créance qu'à l'issue de 15 années de procédure.

' le rapport d'expertise ne peut pas être validé en ce qu'il a appliqué des intérêts contractuels sur les sommes dues à Madame [D] [T]. La répétition de l'indu n'équivaut pas à un contrat et ne peut donner lieu qu'aux intérêts au taux légal, ainsi qu'il a été retenu par le premier juge.

' les prétentions indemnitaires énoncées par les appelantes sont mal fondées dès lors que le créancier est libre de déterminer les biens sur lesquels il entend se faire payer. Il ne peut y avoir abus que si la mesure d'exécution mise en oeuvre est inutile. Il ne peut être soutenu que les mesures d'exécution qu'elle a dû mettre en oeuvre auraient été inutiles. Aucune faute ne peut lui être imputée et les résultats des adjudications ne peuvent lui être reprochés. De même, il est parfaitement normal qu'elle ait inscrit une hypothèque judiciaire définitive sur le bien immobilier de Paris, puisqu'elle peut légitimement préserver ses propres intérêts. L'indemnisation réclamée n'est justifiée par aucune pièce probante.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de la procédure a été prononcée le 5 novembre 2019.

CELA ETANT EXPOSE, LA COUR,

Sur le montant du trop perçu devant être restitué par la SOCIETE GENERALE

Dans son rapport, déposé le 3 novembre 2016 (pièce 20 intimée),Monsieur [X], expert, a proposé de retenir que la SOCIETE GENERALE avait bénéficié d'un trop perçu, au détriment de Madame [D] [T], d'un montant de 144 091,36€, selon compte arrêté au 30 septembre 2016.

Ce montant provient de deux décomptes établis respectivement pour le prêt de 1064000F souscrit le 28 décembre 1991 (pièce 1 appelante) et pour le prêt de 666 000F souscrit le 12 octobre 1994 (pièce 3 appelante).

Pour le premier prêt, Monsieur [X] a déterminé, qu'après l'adjudication de l'appartement de [Localité 15] (30 novembre 2011), la SOCIETE GENERALE avait recouvré en trop une somme de 98 911,54€, déduction ayant été faite d'une indemnité de résiliation de 7% (calculée sur les échéances impayées et le capital déchu du terme au 7 février 1997), profitant à la SOCIETE GENERALE à hauteur de 11 344,47€. Il a majoré le montant dû en principal d'une somme de 52109,94€ au profit de Madame [D] [T], au titre des intérêts de retard échus au taux de 10,90% sur la période du 1er décembre 2011 au 30 septembre 2016, ce qui fait un total de 151021,48€, trop perçu pour le premier prêt.

Pour le second prêt, Monsieur [X] a déterminé qu'après l'adjudication intervenue le 30 novembre 2011, la SOCIETE GENERALE avait bénéficié d'un trop perçu de 266,69€. Mais après imputation d'une indemnité de résiliation de 7% s'élevant à 6949,81€, et des intérêts de retard pour 247€, Madame [D] [T] restait débitrice d'une somme de :

(6949,81€ + 247€) - 266,69€ = 6930,12€

Après compensation des soldes positif et négatif des deux prêts, Monsieur [X] a donc proposé d'arrêter le trop perçu à la somme de :

151 021,48€ - 6930,12€ = 144 091,36€

Pour solliciter la condamnation de la SOCIETE GENERALE à lui restituer un trop perçu de 185501,81€ (au lieu du trop perçu de 97933,23€ fixé par le jugement dont appel), Madame [D] [T] suit la même méthode de calcul de l'expert, avec application d'intérêts de retard au taux conventionnel, selon un compte actualisé au 30 janvier 2018 et modifie l'assiette de ces intérêts, en ne prenant pas en compte le montant des indemnités de résiliation afférentes aux deux prêts.

Elle justifie l'absence de prise en compte des indemnités de résiliation par le fait que ces indemnités constituent des clauses pénales, qui ont un caractère manifestement excessif, puisque la SOCIETE GENERALE a finalement recouvré plus que ce qui lui était dû. Elle justifie, d'autre part, le jeu des intérêts conventionnels par le fait que le trop perçu provient de contrats, qui prévoyaient des taux d'intérêt conventionnels.

Par application de l'article 8 des conditions générales des prêts à l'habitat, produites aux débats (pièce 4 appelante) 'si le prêteur exige le remboursement immédiat des sommes dues il peut demander une indemnité qui ne peut dépasser 7% des dites sommes'. Cette clause est conforme aux dispositions de l'article L312-22 du code de la consommation, qui renvoie aux articles 1152 et 1231 du code civil (dans leur version antérieure à la réforme du 1er octobre 2016), qui sont afférents aux clauses pénales. La sanction prévue par ces clauses peut notamment être modérée, lorsqu'elle présente un caractère manifestement excessif.

Madame [D] [T] considère que les sanctions, qui lui ont été appliquées au titre des clauses pénales (11 775,47€ et 6949,21€) prévues par les deux contrats de prêt revêtent un caractère manifestement excessif, car la SOCIETE GENERALE n'a subi aucun préjudice.

Il ressort des décomptes produits (pièce 5 appelante), que la déchéance du terme a été prononcée le 7 février 1997 pour les deux prêts après huit échéances impayées pour le premier prêt (1307,79€ par mois) et neuf échéances impayées pour le second prêt (909,66€ par mois). Les échéances ont cessé totalement d'être réglées, pour l'un et l'autre prêt, depuis le mois de juin 1996, soit cinq ans environ après la conclusion du premier prêt prévoyant une période d'amortissement de 18 ans après une période de différé de 24 mois et moins de deux ans après la conclusion du second prêt prévoyant une période d'amortissement de 20 ans.

Il ne peut pas être soutenu que l'échec du financement serait imputable à une mauvaise gestion des prêts par la banque pour ce qui concerne l'information due à Madame [D] [T], quant aux modalités d'amortissement du prêt. En effet, le relevé de compte bancaire n° 00050672147 ouvert au nom de Monsieur [U] [H] ou Madame [D] [T], auprès de la SOCIETE GENERALE, pour la période du 20 septembre 1994 au 19 octobre 1994 (pièce 13 appelante feuillets 1 et 2 ) démontre, qu'au 8 octobre 1994, le capital du prêt de 1991 avait été entièrement utilisé : sur le feuillet n°2, il est explicitement indiqué que le capital restant dû sur le premier prêt s'élève à 1 063 627,07F, ce qui est conforté par le montant de l'échéance appelée à cette date (8578,52F), qui correspond au montant maximal des échéances, en cas d'utilisation totale du prêt figurant sur l'offre de prêt immobilier du 3 décembre 1991 acceptée le 17 décembre 1991 (pièce 2 appelante). Sur le même relevé, à la date du 13 octobre 1994, le déblocage du deuxième prêt apparaît en crédit pour un montant de 666 000F, qui est immédiatement affecté au remboursement du prêt relais de 416 000F et à des chèques déjà émis pour un total de 150 000F. Le solde de financement disponible, de 100 000F, ne peut pas correspondre au rachat du prêt de 1991, compte tenu du capital utilisé, mais à un supplément de crédit accordé à Madame [D] [T] pour financer son projet de construction. Le solde du compte au 19 octobre 1994 ne s'élève d'ailleurs qu'à la somme de 21 409,11€, ce qui établit que la tranche de financement disponible a servi au moins partiellement à un besoin de financement de trésorerie.

Au seul vu du relevé de compte bancaire d'octobre 1994 (pièce 13 appelante), Madame [D] ne pouvait donc pas soutenir, dans des conclusions régularisées le 7 octobre 2015, devant la cour d'appel de Paris, produites aux débats, qu'à la date du 12 octobre 1994, elle n'avait plus à rembourser que l'emprunt souscrit ce jour là (pièce 26 appelante). L'instance alors engagée devant la cour a abouti à un arrêt rendu le 27 janvier 2016, qui a confirmé le jugement rendu le 7 octobre 2014 par le tribunal de grande instance de Paris, ayant notamment reconnu l'existence de deux prêts immobiliers, après la conclusion du deuxième prêt en octobre 1994.

Selon les comptes figurant dans le rapport d'expertise de Monsieur [X], entre la déchéance du terme du premier prêt (1991) survenue le 7 février 1997 et le 16 juillet 2003 date effective de la vente (suite à surenchère et folle enchère) du bien immobilier sis à [Localité 9], quatre règlements sont intervenus les 5 septembre 2000, 18 juin 2002, 22 octobre 2002 et 14 novembre 2002 pour des montants respectifs de 14 635,11€, 18 984,40€, 8 966,01€ et 550€, soit un total de 43135,52€, par rapport à une créance de la banque s'élevant à 173 834€, en principal, lors de la déchéance du terme. Abstraction faite des intérêts de retard, ces règlements représentent le paiement de 33 échéances (1307,79€) sur une période de 76 mois (plus de 6 ans) au cours de laquelle la SOCIETE GENERALE n'est pas parvenue à recouvrer sa créance, et l'adjudication mise en oeuvre le 16 juillet 2003 n'a pas permis d'apurer l'intégralité de la créance puisqu'il restait un solde débiteur - après imputation partielle du produit de la vente - de 22 012,30€.

Selon le même rapport d'expertise, entre la déchéance du terme du second prêt (1994) survenue le 7 février 1997 et le 16 juillet 2003, date de la vente du bien de [Localité 9], aucun règlement n'est intervenu, alors que le montant dû lors de la déchéance du terme s'élevait à 107 533,21€. Le produit de la vente du bien de [Localité 9] a été imputé à hauteur de 44 322,28€ sur le solde dû au titre du deuxième prêt, qui s'élevait alors à 169 817,83€. Cette imputation n'a donc pas permis d'apurer l'intégralité de la créance. Entre juillet 2003 et la vente sur adjudication, le 7 décembre 2007, d'un bien immobilier sis à [Localité 6], un seul règlement a été effectué le 20 octobre 2004 pour un montant de 1708,55€. La vente du bien de [Localité 6] a permis d'imputer une somme de 69986,99€ sur la dette, laissant un solde débiteur de 96 330,85€.

Les soldes dus sur les deux prêts n'ont pu être recouvrés que grâce au produit de l'adjudication du bien sis à [Adresse 14], intervenue le 30 novembre 2011, soit 14 ans après la notification de la déchéance du terme.

Il n'est aucunement établi que l'assurance perte d'emploi souscrite au nom de Monsieur [U] [H], en sa qualité de caution, n'ait pu être mise en oeuvre du fait de la SOCIETE GENERALE, puisqu'il ressort d'un courrier de la SOCIETE ATLANTIC PREVOYANCE en date du 6 novembre 1995 (pièce 16 appelante) que la police d'assurance a été résiliée sur l'initiative de l'assureur pour 'déclaration inexacte à l'adhésion'. Au surplus, cette résiliation est intervenue bien avant les incidents de paiement et il n'a pas été indiqué qu'elle aurait été contestée en justice, étant rappelé que Madame [D] [T] avait seule la qualité d'emprunteur pour les deux prêts.

Si un courrier de la SOCIETE GENERALE, en date du 10 avril 2000, adressé à Madame [D] [T] (pièce 17 appelante) évoque la proposition de versement de 8000F par mois que celle-ci aurait faite en septembre 1998, c'est pour déplorer que cette proposition ne se soit jamais concrétisée. Il n'est pas établi que Madame [D] [T] ait fait d'autres propositions d'apurement, ni, surtout, justifié qu'elle aurait eu les moyens financiers de faire de telles propositions dans des conditions raisonnables au regard du montant des sommes dues et de leur ancienneté, étant souligné que l'appelante n'a produit aucun élément explicitant sa situation financière, depuis le début des incidents de paiement en 1996.

Dans ces conditions, il apparaît qu'au regard de l'importance des incidents de paiement, de l'absence de propositions concrètes d'apurement des dettes, d'indications sur la situation financière exacte de Madame [D] [T] entre 1996 et 2011, ainsi que des diligences déployées par l'établissement bancaire pour recouvrer sa créance sur un laps de temps dépassant largement 10 ans, les indemnités de résiliation ou clauses pénales sollicitées par la SOCIETE GENERALE n'ont pas de caractère manifestement excessif. Leur déduction du trop perçu dû par la SOCIETE GENERALE est donc fondée, le jugement devant être confirmé sur ce point.

La cause des intérêts de retard décomptés sur les deux prêts est le taux conventionnel, qui a été prévu dans les deux contrats de prêts. La somme due par la SOCIETE GENERALE est un trop perçu dont le calcul - compte tenu du temps écoulé - a donné lieu à la mise en oeuvre d'une expertise. Ce trop perçu résulte d'une ou de plusieurs erreurs comptables.

Par application de l'article 1376 du code civil (dans sa version antérieure au 1er octobre 2016) ' celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu'. Madame [D] [T] ne conteste pas que sa créance est fondée sur la répétition de l'indu prévue par cette disposition, ce qui signifie que sa créance ne résulte pas d'un contrat ayant prévu un taux d'intérêt conventionnel.

Par application de l'article 1907 du code civil (dans sa version antérieure au 1er octobre 2016) 'l'intérêt est légal ou conventionnel. L'intérêt conventionnel peut excéder celui de la loi, toutes les fois que la loi ne le prohibe pas. Le taux de l'intérêt conventionnel doit être fixé par écrit'.

En l'occurrence, le trop perçu qui a bénéficié à la SOCIETE GENERALE, n'a pas fait l'objet d'un contrat, parce qu'il ne pouvait pas être prévu et qu'il résulte d'erreurs comptables. Il n'y a donc pas de taux conventionnel et c'est le taux légal qui doit s'appliquer.

Le jugement doit donc également être confirmé en ce qu'il a dit que le trop perçu (soit 97933,23€) porterait intérêts au taux légal depuis le 1er décembre 2011, étant souligné que cette date consacre une faute de la SOCIETE GENERALE, puisqu'en vertu de l'article 1378 du code civil (ancienne version), elle sanctionne l'appréhension du trop perçu suite à la vente aux enchères de l'appartement de [Localité 15], en faisant courir les intérêts depuis le paiement et non depuis la mise en demeure de restituer.

Sur la demande de dommages intérêts de Madame [D] [T] (6 000 000€)

Dans le dispositif de ses conclusions, Madame [D] [T] sollicite cette somme en réparation du préjudice patrimonial, qui lui aurait été causé par la SOCIETE GENERALE. Dans la partie discussion de ses conclusions, elle invoque un préjudice à la fois moral (200 000€), financier (60000€) et patrimonial (5 580 000€).

Elle indique qu'elle avait des revenus confortables en sa qualité de fonctionnaire internationale (elle travaillait pour l'ONU en FRANCE) et qu'elle avait investi, tant pour sa retraite, que pour ses enfants. Elle était souvent en voyages, elle a fait confiance à sa banque et elle a tout perdu.

Elle estime que la SOCIETE GENERALE a engagé sa responsabilité civile à son égard, car elle a mis en oeuvre des mesures d'exécution disproportionnées et constitutives d'un abus de droit. Elle a, en outre, pratiqué un véritable harcèlement à son encontre, en raison d'erreurs non réparées, de pressions, de refus de négocier et de poursuites diverses. Elle lui a aussi fait perdre les ressources qu'elle tirait de son appartement à Paris (Bed & Breakfast) et de son appartement aux [Localité 13] (locations saisonnières).

Ainsi qu'il est rappelé par la SOCIETE GENERALE, l'article L111-7 du code des procédures civiles d'exécution pose le principe du libre choix par le créancier des mesures lui permettant de recouvrer ou de conserver sa créance. Il lui incombe seulement de ne pas agir de façon disproportionnée ou inutile.

Madame [D] [T] ne soutient pas que les deux saisies immobilières ([Localité 9] et [Localité 6]) auraient été inutiles. Elle ne l'invoque que pour l'adjudication, mise en oeuvre le 30 novembre 2011, pour l'appartement de [Localité 15], en faisant valoir que la vente aux enchères d'un appartement parisien de 133m², pour le prix de 1 115 000€, était disproportionnée, par rapport à la créance de la banque, qui ne s'élevait qu'à 253 713€. Toutefois, les droits de Madame [D] [T], dans cet appartement, n'étaient que de moitié, la banque attendait le paiement de sa créance depuis 14 ans, après avoir déjà dû mettre en oeuvre deux adjudications, qui sont des procédures lourdes, et il n'est pas établi que la débitrice ait pu apurer sa dette par d'autres moyens. Madame [D] [T] ne peut, dans ces conditions, considérer légitimement que la SOCIETE GENERALE aurait agi abusivement. Il ne peut pas plus être reproché à la banque d'avoir pris une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire, devenue définitive en 2008, sur l'appartement Parisien, puisqu'il s'agissait, au premier chef, de garantir ou préserver sa créance. Il n'est pas non plus prouvé que, lors de l'offre de prêt, qui aurait été faite au début de l'année 2008 par la banque allemande LBS à Madame [D] [T], celle-ci ait prévu un règlement immédiat du solde dû à la SOCIETE GENERALE (qui s'élevait alors à 120 000€ environ pour les deux prêts), étant noté que le prêt LBS (pièce 27 appelantes) s'élevait à la somme de 550000€ et que son affectation exacte n'a pas été précisée.

Les poursuites évoquées par Madame [D] [T] ne peuvent être assimilées à un harcèlement, dès lors qu'elles étaient causées par le défaut de paiement ancien de dettes importantes sans qu'un plan d'apurement complet ait pu jamais être mis en place, la mise en place d'un tel plan ne semblant pas, d'ailleurs, avoir jamais été sollicitée sur le plan judiciaire.

Outre le fait que Madame [D] [T] ne démontre pas avoir bénéficié de revenus réguliers du fait de la mise à disposition de l'appartement parisien ou de la location de l'appartement des [Localité 13] (absence de documents contractuels et de déclarations de revenus fonciers ou bénéfices non commerciaux), elle ne peut solliciter la réparation d'un préjudice, qui n'est pas imputable à la SOCIETE GENERALE, en l'absence de faute caractérisée de celle-ci dans la mise en oeuvre des procédures ayant abouti aux adjudications.

Il en est de même pour le préjudice invoqué de perte totale de son patrimoine, étant relevé que la somme trop perçue par la SOCIETE GENERALE, de l'ordre de 100 000€, apparaît disproportionnée au préjudice patrimonial invoqué pour plus de 5 millions d'euros. Il n'est pas démontré que Madame [D] [T] ait subi un préjudice non couvert par le remboursement du trop perçu et des intérêts qui lui ont été versés par la SOCIETE GENERALE par chèque émis le 12 novembre 2018, pour un montant de 102306,76€, en exécution du jugement dont appel (pièce 26 intimée).

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté Madame [D] [T] de l'ensemble de ses prétentions indemnitaires.

Sur les prétentions accessoires

Compte tenu de la situation respective des parties et au regard du trop perçu de la SOCIETE GENERALE (même remboursé), il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais exposés à l'occasion de cette instance et non compris dans les dépens.

En revanche, les dépens d'appel incomberont à Madame [D] [T] car celle-ci succombe en l'ensemble de ses prétentions.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement en l'ensemble de ses dispositions ;

Y ajoutant,

DÉBOUTE la SOCIETE GENERALE de ses prétentions fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Madame [D] [T] aux dépens d'appel avec distraction au profit de WTS SELARL, représentée par Maître Isabelle VINCENT, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 3 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 18/15066
Date de la décision : 22/01/2020

Références :

Cour d'appel de Paris E1, arrêt n°18/15066 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-01-22;18.15066 ?
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