RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRÊT DU 27 Novembre 2019
(n° , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/06011 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3FZY
Décision déférée à la Cour : sur renvoi après cassation du 8 mars 2017 par la chambre sociale de la Cour de cassation, sur pourvoi d'un arrêt rendu le 6 octobre 2015 par la cour d'appel de Paris
APPELANT
M. [N] [E]
[Adresse 2]
[Localité 4]
comparant en personne, assisté de Me Abdelfattah BENSOUDA, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
Société LA BANQUE CENTRALE POPULAIRE DU MAROC
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Jilali MAAZOUZ, avocat au barreau de PARIS, toque : P0062
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 Juillet 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
Pascale MARTIN, Présidente
Nadège BOSSARD, Conseillère
Benoît DEVIGNOT, Conseiller
qui en ont délibéré
MINISTÈRE PUBLIC
Représenté par M. Antoine PIETRI Substitut Général
Greffier : Philippe ANDRIANASOLO, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. Prorogé à ce jour.
- signé par Pascale MARTIN, Présidente et par Philippe ANDRIANASOLO, greffier de la mise à disposition, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire
FAITS- PROCÉDURE-PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [N] [E] a été engagé par la Banque Centrale Populaire (BCP) le 1er novembre 1979, en qualité d'attaché commercial.
Le 12 décembre 1979, une lettre d'engagement avec une période d'essai de trois mois a été signée par ce salarié, mentionnant qu'à l'issue de cette période, s'il avait donné satisfaction, il serait admis dans le personnel stagiaire. Les deux parties étaient domiciliées à cette date au Maroc. Il était également précisé dans ce contrat que M. [E] était initialement affecté à Oujda, mais que cette affectation pourrait être modifiée à tout moment par simple décision de la direction générale et que le lieu de son emploi pourrait varier suivant l'activité poursuivie par la banque.
Le 22 octobre 1983, le salarié a accepté son détachement auprès de la représentation de la Banque Centrale Populaire à Paris «pour l'accomplissement d'une mission qui rentre dans le cadre de la gestion administrative et commerciale des travailleurs marocains à l'étranger».
M. [E] a exercé son activité pendant plus de 27 ans en France et dans le dernier état de ses fonctions, il était délégué commercial.
Suivant lettre du 21 mai 2010 adressée du siège social de Casablanca au domicile de M. [E], [Adresse 2], la Banque Centrale Populaire lui a indiqué que: «dans le cadre du plan de mobilité des cadres du Crédit Populaire du Maroc et pour des raisons de service, nous vous informons de votre affectation au siège social de la Banque Centrale Populaire à partir du 1er juillet 2010 au sein du Pôle marocains du monde». Il lui était demandé de prendre attache avec les services de la banque pour la mise en oeuvre des modalités de sa prise de fonction et de prendre ses dispositions afin de regagner sa nouvelle affectation au 1er juillet 2010.
Par l'intermédiaire de son avocat, le 18 juin 2010, le salarié faisait connaître au siège de son employeur à Casablanca, en lui adressant un arrêt de travail à compter du 16 juin 2010, qu'il n'entendait pas déférer à sa nouvelle affectation qu'il analysait comme violant les dispositions légales et les stipulations conventionnelles applicables en droit français, et constitutive d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison de la modification substantielle de son contrat de travail qu'elle constituait. Il réclamait l'envoi d'un certificat de travail en indiquant porter l'affaire sur le plan judiciaire.
Le 27 juillet 2010, le siège social de la Banque Centrale Populaire a adressé un courrier au salarié constatant la rupture du contrat de travail pour abandon de poste depuis le 1er juillet 2010.
Estimant que la rupture de son contrat de travail constituait un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, M. [E] a saisi la juridiction prud'homale.
Par jugement du 11 avril 2012, le conseil de prud'hommes de Paris a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la BCP, a dit que le conseil de prud'hommes était compétent pour statuer sur les demandes formées par M. [E] et a renvoyé l'affaire devant le bureau de jugement.
Selon jugement du 27 février 2013, cette juridiction a dit que le droit français et la convention collective des banques s'appliquaient aux contrats de travail litigieux et a condamné la BCP à payer au salarié diverses sommes.
Par arrêt du 6 octobre 2015, la cour d'appel de Paris a dit recevable l'action du salarié, a confirmé le jugement en ce qu'il a dit le droit français applicable au contrat de travail et, l'infirmant pour le surplus, a dit que la prise d'acte de rupture du contrat de travail par M. [E] était bien fondée et avait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant la BCP à lui payer diverses sommes.
La banque ayant formé un pourvoi, dans son arrêt du 8 mars 2017, la Cour de cassation a rendu la décision suivante :
'CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 octobre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ; Laisse à chaque partie la charge des dépens exposés dans le pourvoi.
La Cour de cassation, dans ses motifs, précise :
Vu les articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ;
Attendu qu'en vertu du premier de ces textes, le contrat est régi par la loi choisie par les parties, que celles-ci peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat ; que, selon le second, le choix de la loi applicable par les parties à un contrat de travail ne peut avoir pour effet de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui lui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 du même texte ; que, selon ce paragraphe, le contrat est régi, à défaut de choix des parties : a) par la loi du pays où le travailleur accomplit habituellement son travail, ou b) si le travailleur n'accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, par la loi du pays où se trouve l'établissement qui a embauché le travailleur, à moins qu'il ne résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable ;
Attendu que pour dire le droit français applicable au contrat de travail, l'arrêt retient que la Banque centrale populaire ne soutient pas, et il n'est pas justifié, que la loi marocaine serait plus protectrice des droits du salarié que la loi française de sorte que le litige sera examiné au regard de la loi française en matière de droit du travail ;
Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'elle constatait que les parties avaient fait le choix de la loi marocaine et qu'il lui appartenait de rechercher en quoi cette loi était moins protectrice que la loi française revendiquée par les salariés, la cour d'appel n'a pas donnéde base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;'
En suite de la saisine de la cour le de renvoi par M. [E] le 24 avril 2017 , les parties ont été convoquées à l'audience du 3 mai 2018 et l'affaire renvoyée à la demande des parties au 15 novembre 2018 puis au 4 juillet 2019, pour recueillir l'avis du ministère public.
A cette audience, sur question de la cour, le conseil de la Banque Centrale Populaire a déclaré oralement renoncer aux demandes visant à l'irrecevabilité de l'action de M. [E], faites in limine litis dans ses écritures.
Dans ses conclusions récapitulatives, M. [E] demande à la cour de :
Constater que la loi marocaine n'est pas protectrice de ses intérêts comme l'est la loi française,
Juger que la loi applicable au litige est la loi française,
Infirmer le jugement notamment concernant les montants des diverses indemnités allouées,
Confirmer le jugement en toutes ses dispositions sur le fond,
Condamner la Banque Centrale Populaire à lui payer le sommes suivantes :
- 14 956,38 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 1 495,63 euros au titre des congés payés afférents au préavis,
- 152 499,35 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- 58 825,52 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Il réclame également à titre de dommages et intérêts pour préjudices distincts :
- manque à gagner au titre des Assedic (85 981,50 €) et indemnité de complément de retraite (15 ans) : 271 860 €, ou une indemnité à arbitrer par la cour au moins à la somme de 300 000€,
- indemnité pour couverture d'assurance maladie (22 ans) : 7 568 euros
- remboursement du pécule dû au titre de la RCP-CPM soit la contre valeur en euros de la somme de 370 663,27 dirhams.
Il sollicite les intérêts de droit et leur capitalisation depuis la saisine du conseil de prud'hommes.
Il demande que la Banque Centrale Populaire soit condamnée à lui payer la somme de 15000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
Sur le fond, la Banque Centrale Populaire demande à la cour de renvoi de :
Dire et juger que la loi applicable au contrat de travail entre M. [E] et la BCP est le droit marocain ;
Dire et juger que le droit marocain est au moins aussi protecteur que le droit français ;
Dire et juger que M. a pris acte de la rupture de son contrat de travail ;
Dire et juger que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par M. [E] s'analyse en une démission ;
En conséquence :
Débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes ;
Condamner M. [E] au paiement d'une indemnité de 5 563,87 euros, représentant 3 mois de salaire, au titre du préavis non exécuté ;
Condamner M. [E] au paiement d'une indemnité de 556,38 euros, représentant l'indemnité de congé payé sur les 3 mois de salaire au titre du préavis non exécuté ;
En tout état de cause et a titre reconventionnel :
Dire et juger que M. [E] ne relève pas du régime général de sécurité sociale français ;
Dire et juger irrecevable l'action de M. [E] en ce qu'elle tend à « mettre rétroactivement à néant les droits et obligations nés d'une affiliation antérieure » ;
Dire et juger que M. [E] n'a subi aucun préjudice ;
Débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes ;
Condamner M. [E] à payer à la BCP la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner Monsieur [E] aux entiers dépens.
Le ministère public, dans ses observations communiquées au préalable aux parties et développées lors des débats, est d'avis que la loi française est en l'espèce plus favorable et doit s'appliquer au litige.
Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile , aux conclusions des parties visées par le greffier à l'audience.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur la procédure
Il convient de constater que la Banque Centrale Populaire a renoncé lors des débats aux demandes visant à dire l'action irrecevable et la convocation par le greffe nulle, telles que formulées dans le dispositif de ses conclusions, étant précisé que sur la compétence, le moyen du pourvoi fait par la Banque Centrale Populaire avait été rejeté et que sur la nullité relative, le jugement entrepris est devenu définitif.
Sur la loi applicable au litige
M. [E] soutient que le droit marocain n'est pas plus avantageux que le droit français, citant l'article 5 de la convention générale de sécurité sociale entre les gouvernements français et marocains, la convention collective de travail du personnel des banques du Maroc en son article 57, le régime de retraite.
Il souligne n'avoir jamais souscrit à une quelconque clause de mobilité, et fait valoir que la Banque Centrale Populaire ne justifie pas de sérieuses nécessités de service et que dès lors son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
La Banque Centrale Populaire considère que contrairement à ce qu'a jugé le conseil de prud'hommes, la relation entre la BCP et M. [E] est soumise au droit du travail marocain et que ce dernier est tout aussi protecteur que le droit français dont il est l'héritier direct, notamment concernant la procédure à suivre en cas de licenciement, les cas de licenciement pour faute grave etc...
Elle considère que le salarié ne relève pas du régime français de sécurité sociale et subsidiairement qu'il est juridiquement impossible de «mettre rétroactivement à néant les droits et obligations nés d'une affiliation antérieure. »
A titre infiniment subsidiaire, elle demande que la prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail soit requalifiée en démission, considérant que la clause de mobilité est licite et opposable, que M. [E] a refusé de la respecter de sorte que son refus est fautif.
Il est constant que les deux parties au contrat de travail ont choisi de faire régir le contrat par la loi marocaine mais précisément l'article 6 de la convention de Rome du 19 juin 1980 autorise le juge à écarter la loi issue de la volonté des parties lorsque son application aurait pour effet de priver le travailleur de la protection que lui confèrent les dispositions de la loi objective, soit celle où il accomplit habituellement son travail.
En l'espèce, concernant la rupture du contrat de travail, le code du travail marocain n'a prévu pour le salarié en son article 34 que l'hypothèse de la démission et en son article 40, a limitativement énuméré les cas de fautes graves commises par l'employeur de nature à dire le licenciement abusif si le salarié quitte son travail en raison de l'une de ces fautes établies : 'insulte grave, pratique de toute forme de violence ou d'agression dirigée contre le salarié, harcèlement sexuel, incitation à la débauche'.
La loi marocaine ne prévoit pas le mécanisme français de la prise d'acte motivée par des fautes autres que celles visées à l'article 40 ci-dessus rappelé, alors que la jurisprudence française est venue consacrer ce droit du salarié s'il est démontré que le manquement de l'employeur était suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat, ce qui englobe un plus large champ d'hypothèses.
En conséquence, la cour estime que la loi française dans le cas d'espèce doit recevoir application, la loi marocaine se révélant moins protectrice des droits du travailleur salarié.
Sur la rupture du contrat de travail
En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.
Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.
M. [E] rappelle que le 21 novembre 1983, il a été muté à [Localité 5] au sein du bureau de représentation de la Banque Centrale Populaire et que tout au long de sa carrière, il a connu une évolution en terme de salaire, une amélioration de sa classification professionnelle, témoignant de la satisfaction qu'avait son employeur, de son travail.
Il ajoute que depuis cette date, [Localité 5] est devenu le centre effectif de son activité professionnelle et le lieu où il travaille de façon habituelle, et où son épouse et ses enfants résident précisant que tous sont de nationalité française.
Il souligne n'avoir reçu que le 11 juin 2010 la lettre lui fixant son affectation au Maroc à compter du 1er juillet 2010 alors qu'il n'a jamais été préalablement mis au courant d'un prétendu plan de mobilité des cadres et souligne combien cette mutation l'a choqué comme contraire aux dispositions légales et stipulations conventionnelles applicables en droit français.
La Banque Centrale Populaire indique que la jurisprudence ne laisse aucun doute sur le fait que la clause de mobilité librement consentie s'impose au salarié et que sa mise en 'uvre relève du pouvoir de direction de l'employeur puisqu'elle implique non pas une modification du contrat de travail mais un simple changement des conditions de travail.
En conséquence, elle estime que la prise d'acte par M. [E] de la rupture de son contrat doit donc nécessairement s'analyser en une démission, le refus du salarié de l'application de la clause de mobilité relevant de l'insubordination et de l'abandon de poste.
Aux termes d'un document que le salarié avait signé le 22 octobre 1983, intitulé 'engagement', il était indiqué qu'il acceptait ce détachement temporaire pour une durée indéterminée, qu'il reconnaissait que ce «détachement temporaire présente un caractère révocable et que son employeur la Banque centrale populaire pourra à sa seule initiative y mettre fin à tout moment selon les besoins du service » ; cette lettre stipulait encore que le salarié s'engageait à «obtempérer à première réquisition de [son] employeur pour rejoindre [son] lieu d'engagement qui est à la Banque Centrale Populaire à Casablanca et ce sans indemnité aucune de quelque nature que ce soit, voulant et entendant se remettre sous l'empire de la loi du siège de la Banque Centrale populaire, soit la législation marocaine du travail».
Le refus du salarié ne peut être motivé par le fait que son affectation constituait une modification substantielle de son contrat de travail, l'employeur étant présumé selon le droit français avoir mis en oeuvre la mobilité contractuelle de M. [E] dans l'intérêt de l'entreprise, mais ce refus ne peut également fonder à lui seul la faute grave.
En l'espèce, il est constant que la lettre d'affectation induisait que M. [E] rejoigne un poste dont les contours n'étaient pas précisés, dans le délai de moins d'un mois, alors que le salarié travaillait depuis 27 ans en France où il avait établi sa vie familiale et personnelle.
Le délai prévu relevant manifestement de l'urgence n'a été justifié par la Banque Centrale Populaire ni dans la lettre citée ci-dessus ni dans ses écrits subséquents, alors que le départ impliquait, compte tenu de l'implantation familiale de longue date en France, de nombreuses dispositions à prendre (déménagement, inscriptions scolaires pour les enfants, perte de logement etc...). La Banque Centrale Populaire n'a pas même proposé une adaptation dans les modalités de la mutation et a pris acte d'un abandon de poste dès le 27 juillet 2010.
Alors que M. [E] menait une vie de famille stable en France depuis plus de vingt ans, sans avoir fait l'objet d'aucun reproche de la part de son employeur sur son travail, la mise en oeuvre de la clause de mobilité était de nature à entraîner un important bouleversement dans la vie personnelle et familiale du salarié, alors même que son employeur ne justifie par aucun document produit, la précipitation avec laquelle elle a fait cette demande, les raisons invoquées, le but recherché, de sorte que la cour estime que la Banque Centrale Populaire a fait une utilisation abusive de la clause de mobilité.
Dès lors, le refus de M. [E] signifié par l'intermédiaire de son conseil ne doit pas être considéré comme fautif et ne peut s'analyser comme une démission mais comme une prise d'acte justifiée par le manquement de l'employeur à son obligation notamment de loyauté, lequel manquement était suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
En conséquence, il convient de débouter la Banque Centrale Populaire de sa demande en paiement du préavis et des congés payés y afférents.
Sur les conséquences financières de la rupture abusive
1- sur le salaire de référence
Le salarié demande à la cour de rectifier l'erreur commise par les premiers juges qui ont cru pouvoir fixer son salaire mensuel net à la somme de 2 800 euros , alors qu'il était de 4 985,46 euros .
L'employeur indique qu'il suffit à la cour de reprendre les bulletins de paie de M. [E] pour constater que son salaire est au mieux de 1 854,62 euros et même en intégrant l'impôt sur le revenu il est de 2 178,84 euros.
La cour constate que la décision de première instance n'explicite pas le montant retenu que M. [E] ne produit aucun calcul sur ce point et exprime son salaire en valeur nette et en euros, se contentant de produire ses derniers bulletins de salaire, lesquels sont rédigés en dirhams.
Il résulte de ces bulletins que les chiffres indiqués en brut sont ceux reportés par l'employeur dans son tableau n°1 et il n'y a pas de raison de réintégrer l'impôt sur le revenu prélevé directement comme les autres cotisations.
En considération de ces éléments, il y a lieu de retenir que le salaire moyen brut le plus favorable est celui calculé sur trois mois et s'établit à 1 939,82 euros .
2- sur les indemnités de rupture
L'indemnité de préavis à hauteur de trois mois doit être fixée à la somme de 5 819,46 euros outre les congés payés sur cette indemnité.
Le salarié prétend à l'application des dispositions de la convention collective nationale française des banques mais aucun élément ne permet de dire que la Banque Centrale Populaire y a souscrit, de sorte que l'indemnisation du salarié doit être calculée selon les dispositions d'ordre public prévues aux articles L.1231-4 et R.1234-2 du code du travail , dans leur version applicable au litige.
En considération de l'ancienneté du salarié qui remonte au 12 novembre 1979 et du délai de préavis, M. [E] comptabilisait 30 ans et dix mois d'activité et il est ainsi en droit d'obtenir : [1 939,82 x 1/5 x 30] + [1 939,82 x 1/5 x 3/12]
+ [1 939,82 x 2/15 x 20] +[1 939,82 x 2/15 x 3/12] = 17 124,29 euros.
3- sur l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse
Eu égard à l'âge de M. [E] lors du licenciement ( 55 ans), à son ancienneté dans l'entreprise, à ses faibles facultés de reclassement et aux circonstances de la rupture, l'absence de prise en charge par Pôle Emploi étant démontrée, la cour condamne la Banque Centrale Populaire à payer à M. [E] la somme de 50.000 euros .
4- sur les préjudices distincts
Le salarié réclame un préjudice découlant de la perte de l'indemnisation qu'aurait versé les Assedic pendant la période de chômage si son employeur avait cotisé à cet organisme et à la perte de quinze années de travail et/ou de manque à gagner.
Il sollicite une autre somme correspondant à un pécule que lui devrait l'employeur au titre du régime complémentaire de prévoyance du crédit populaire du Maroc.
Enfin, M. [E] se prévaut d'un préjudice découlant de l'absence de cotisation au régime d'assurance maladie français correspondant à 22 ans de cotisations auprès d'une compagnie d'assurance comparable au régime français de droit commun.
Il résulte des éléments produits que l'employeur n'a pas affilié M. [E] au régime de sécurité sociale français, ni à un régime de retraite complémentaire et ne cotisait pas aux Assedic, alors que compte tenu de l'exercice par M. [E] d'un travail en France pendant une aussi longue période dans le cadre d'un établissement situé en France, les dispositions dérogatoires de la convention franco-marocaine ne pouvaient s'appliquer .
Les bulletins de salaires font ressortir cependant que l'employeur a cotisé pour l'ensemble de ces organismes au Maroc et le salarié reconnaît percevoir de deux caisses marocaines la somme mensuelle de 842,43 euros.
Si il est exact comme le souligne la Banque Centrale Populaire que M. [E] ne peut demander à mettre rétroactivement à néant les droits et obligations nés d'une affiliation antérieure, M. [E] est en droit, au vu des manquements de son employeur concernant l'absence de diligences à le faire bénéficier des droits et avantages des régimes de protection sociale notamment en cas de chômage, de sécurité sociale, et de retraite français, manifestement plus avantageux que ceux du Maroc, à obtenir une indemnisation au titre de la perte de chance pour l'ensemble des préjudices invoqués et ce de façon distincte du préjudice issu de la perte de son emploi.
La cour est en mesure de fixer l'indemnisation de M. [E] à la somme de 50.000 euros.
Sur les intérêts
Les sommes allouées à titre de salaires porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l'employeur (présentation de la lettre recommandée) à l'audience de tentative de conciliation valant mise en demeure, soit le 5 novembre 2010.
Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la date du jugement dans la limite des sommes allouées et pour le surplus, à compter de la présente décision.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil .
Sur les frais et dépens
La Banque Centrale Populaire succombant au principal devra s'acquitter des dépens d'appel et payer à M. [E] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile , la somme de 3 000 euros .
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2017,
Constate que la Banque Centrale Marocaine renonce aux moyens d'irrecevabilité soulevés dans ses écritures,
Confirme le jugement entrepris du 27 février 2013 en ce qu'il a dit le droit français applicable au contrat de travail,
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant,
Dit que la prise d'acte de rupture de son contrat de travail par M. [E] est bien fondée et a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ,
Condamne la Banque Centrale Populaire à payer à M. [E] les sommes suivantes:
- 5 819,46 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 581,94 euros au titre des congés payés afférents au préavis,
-17 124,29 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
- 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ,
- 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudices distincts,
- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les sommes allouées à titre de salaires porteront intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2010, et celles allouées à titre indemnitaire à compter de la date du jugement du 27 février 2013, dans la limite des sommes accordées par celui-ci et pour le surplus, à compter de la présente décision,
Ordonne la capitalisation des intérêts à condition qu'ils soient dûs pour une année entière,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la Banque Centrale Populaire aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE