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14/11/2019 | FRANCE | N°18/20515

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 14 novembre 2019, 18/20515


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRÊT DU 14 NOVEMBRE 2019



(n° 2019 -319 , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/20515 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6LC5



Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Juillet 2018 -Tribunal de Grande Instance de [Localité 6] - RG n° 16/00199





APPELANTE



La SAS SIBELCO FRANCE

, agissant en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 682 000 328

[Adresse 2]

[Localité 1]





Représentée par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocat...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2

ARRÊT DU 14 NOVEMBRE 2019

(n° 2019 -319 , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/20515 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6LC5

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Juillet 2018 -Tribunal de Grande Instance de [Localité 6] - RG n° 16/00199

APPELANTE

La SAS SIBELCO FRANCE, agissant en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 682 000 328

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Ayant pour avocat plaidant Me Françoise Besson, avocat au barreau de Paris, toque : D1356

INTIMES

Monsieur [B] [L]

Né le [Date naissance 1] 1945 à [Localité 8]

[Adresse 1]

[Localité 8]

ET

Madame [R] [L]

Née le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 9]

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentés et ayant pour avocat plaidant Me Mélanie SPANIER-RUFFIER de la SELARL DBCJ AVOCATS, avocat au barreau de MELUN

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 Octobre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Présidente

Madame Patricia LEFEVRE, Conseillère

Madame Laurence CHAINTRON,

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Cathy CESARO-PAUTROT dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Monsieur Benoit PEREZ

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Cathy CESARO-PAUTROT, présidente et par Madame Fatima-Zohra AMARA, greffière présente lors du prononcé.

***********

EXPOSE DU LITIGE

La société Sibelco France dispose d'un permis d'exploitation de carrières de sables et grès industriels sur la commune de [Localité 8] (77) dont la validité a été prolongée jusqu'au 9 janvier 2017 par arrêté ministériel en date du 23 octobre 2012.

Afin d'exploiter le gisement de sables et grès industriels conformément à cet arrêté ministériel,

la société Sibelco France a été autorisée, par arrêté préfectoral du 14 octobre 2013, à occuper la parcelle sise à [Localité 8] au lieudit '[Localité 7]', cadastrée Z [Cadastre 1] d'une contenance de 4ha 85a 70ca appartenant à M. [B] [L] et sa fille, Mme [R] [L].

En l'absence d'accord sur le montant de la redevance de fortage et de l'indemnité d'occupation, M. et Mme [L] ont saisi le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Melun par lettre recommandée avec accusé de réception, parvenue au greffe le 5 juin2015, afin de voir fixer les indemnités dues.

Par jugement du 17 décembre 2015, le juge de l'expropriation s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de [Localité 6] sur la demande de fixation du montant de la redevance de fortage et a fixé l'indemnité d'occupation due par la société Sibelco France à M. et Mme [L] pour la parcelle litigieuse sise à [Localité 8] à la somme de 3.741,45 euros par an à compter du 1er janvier 2015, et ce, jusqu'à la remise en état finale du terrain en son état d'origine.

Par ordonnance du 5 janvier 2017, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de [Localité 6] a ordonné une expertise aux fins de déterminer la valeur des matériaux extraits de la parcelle et le montant de la redevance de fortage, au regard de la spécificité technique du litige et de la teneur insuffisante des documents versés par la société Sibelco France.

Le rapport d'expertise a été déposé le 30 octobre 2017.

Par jugement du 11 juillet 2018, le tribunal de grande instance de [Localité 6] a :

- déclaré M. et Mme [L] recevables en leur action ;

- fixé la redevance de fortage due par la société Sibelco France à M. et Mme [L] comme suit:

pour le banc supérieur : 2,24 euros/tonne ;

pour le banc inférieur : 0,84 euros/tonne ;

- dit que ce montant sera indexé chaque année au 1er janvier sur l'indice des 'Sables et granulats, argiles et kaolin' - Base 10 - série PBOB 081200 Identifiant 001653598 ;

- dit que le tonnage annuel, objet de la redevance, sera déterminé au moyen de l'état de cubature de la carrière établi par un géomètre expert au 30 septembre de chaque année, aux frais de la société Sibelco France, avec affectation d'un coefficient de densité de 1,6 ;

- dit que ce géomètre sera choisi par la société Sibelco France ;

- dit que les relevés annuels feront l'objet d'une comparaison aux tableaux de suivi de la société Sibelco France et seront soumis à M. et Mme [L] ;

- débouté M. et Mme [L] du surplus de leurs demandes ;

- débouté la société Sibelco France du surplus de ses demandes ;

- condamné la société Sibelco France à verser à M. et Mme [L] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société Sibelco France de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Sibelco France au paiement des entiers dépens, en ceux compris les frais issus de la procédure d'expertise ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration du 29 août 2018, la société Sibelco France a relevé appel de ce jugement en ce qu'il a fixé la redevance de fortage comme suit : pour le banc supérieur : 2,24 euros/tonne, pour le banc inférieur : 0,84 euros/tonne, dit que le tonnage annuel, objet de la redevance, sera déterminé au moyen de l'état de cubature de la carrière établi par un géomètre expert au 30 septembre de chaque année à ses frais, en ce qu'il l'a déboutée du surplus de ses demandes et condamné à verser à M. et Mme [L] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, en ceux compris les frais d'expertise.

Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 4 septembre 2019, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Sibelco France demande, au visa de l'article L. 333-6 du code minier et du rapport de M. [M], à la cour de :

- la recevoir en son appel et l'y déclarer bien fondée,

- infirmer le jugement critiqué en ce qu'il a retenu le prix proposé par l'expert en violation des critères de fixation contenus dans les dispositions du code minier,

- infirmer le jugement du chef de la charge des dépens et de l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile allouée à M. et Mme [L],

Statuant à nouveau

- fixer à 0,57 euros la tonne de sable extrait, valeur janvier 2017, révisable en fonction de l'évolution de l'indice des sables et granulats, argiles et kaolin -base 2015- Identifiant 010534492,

Subsidiairement

- fixer à 0,81 euros la tonne de sable dit verrier,

- fixer à 0,46 euros la tonne de sable du banc inférieur,

Valeur janvier 2017, révisable en fonction de l'évolution de l'indice des sables, granulats, argiles et kaolin -base 2015- Identifiant 010534492,

- dire que ce prix sera payé annuellement conformément aux tonnages extraits,

- débouter M. et Mme [L] de toutes leurs demandes fins et conclusions,

- les condamner aux entiers dépens de l'instance.

Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 21 août 2019, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. et Mme [L] demandent, à la cour de :

- déclarer la société Sibelco France irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, et l'en débouter,

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

- fixé la redevance de fortage qui leur est due par la société Sibelco France,

- dit que ce montant sera indexé chaque année au 1er janvier sur l'indice des « Sables et granulats, argiles et kaolin », Base 10 ' Série PBOB 081200 Identifiant 00165398,

- débouté la société Sibelco France du surplus de ses demandes,

- déclarer les consorts [L] recevables et bien fondés en leur appel incident,

- infirmer la décision déférée pour le surplus et, statuant à nouveau :

- fixer la redevance de fortage due par la société Sibelco France comme suit :

A titre principal : pour le banc supérieur : (2,24+0,047)=2,287 euros/tonne,

et pour le banc inférieur : (0,84+0,047)=0,887 euros/tonne,

A titre subsidiaire : pour le banc supérieur : (2,287-0,0188)=2.268 euros/tonne,

et pour le banc inférieur : (0,887-0,0188)=0,0868 euros/tonne,

- ordonner le versement de la redevance de fortage à leur profit, à compter du mois suivant la décision à intervenir, comme suit :

Le versement d'une redevance mensuelle, avant le 10 de chaque mois, d'un montant de 88.300 euros,

Au plus tard le 10 janvier qui suit chaque année d'exploitation, une redevance de régularisation sera versée en fonction des volumes effectivement extraits par Sibelco France durant l'année d'exploitation,

- dire que la régularisation annuelle, calculée en fonction des volumes réellement extraits, se fera au moyen de relevés géométriques trimestriels réalisés par survol de drone dont le coût sera supporté par la société Sibelco France,

- dire que le prestataire sera choisi par M. [L] avant le 10 du mois précédant chaque trimestre,

- dire que ces relevés géométriques seront comparés aux tableaux de suivi de la société Sibelco France,

- condamner la société Sibelco France à leur verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Sibelco France au paiement des entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 septembre 2019.

MOTIFS

Sur la fixation de la redevance de fortage

La société Sibelco France critique le jugement déféré en ce qu'il a entériné le prix proposé par l'expert, alors même que ce dernier a déterminé ce prix sans se référer au code minier et plus spécifiquement à l'article L. 333-7 de ce code.

Elle expose qu'elle a produit dans le cadre des opérations d'expertise les contrats de fortage conclus pour la carrière avec d'autres propriétaires et qu'il en ressortait pour trois de ces contrats écartés par l'expert un prix de 0,37 euros la tonne de sable et pour le quatrième un prix de 0,46 euros la tonne en 2017. Elle expose qu'elle a également produit des références de prix plus récentes et qu'il ressort de la convention passée en septembre 2000 avec le Conseil général de Seine-et-Marne un prix de 0,314 euros la tonne, soit en valeur 2017, 0,538 euros par tonne que l'expert n'a pas retenu. Elle se prévaut également d'un jugement du tribunal de grande instance de Senlis du 18 novembre 2008 qui a fixé le prix du sable verrier à 0,70 euros la tonne et celui du sable non verrier à 0,40 euros la tonne, et reproche à l'expert d'avoir écarté cette référence au motif qu'il s'agit de sable de Beauchamps jugé inférieur au sable de [Localité 6], alors que le rapport du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) de 2006 consacré à la silice industrielle conclut à une qualité comparable de ces sables et en conséquence à leur utilisation dans les mêmes applications industrielles.

Elle rappelle que contrairement à ce qu'a estimé l'expert, le prix de vente du sable à la cristallerie de la Rochère ne peut constituer un critère pertinent au motif que le prix de vente du sable par l'exploitant ne figure pas dans les critères de fixation du prix par le législateur, que le sable industriel doit être traité après extraction, et que les factures de vente du sable à cette cristallerie ne sont pas représentatives car elles portent sur une très faible quantité de sable sans rapport avec la parcelle exploitée. Elle fait valoir qu'il doit également être tenu compte des obligations de remise en état et qu'en l'espèce, l'exploitation de la carrière a imposé de lourds travaux d'infrastructure, comme le déplacement de la RD 52 et de lignes électriques. Elle critique les abattements opérés par l'expert à partir du prix de vente du sable à la cristallerie de la Rochère qui selon elle ne sont pas justifiés. Elle prétend enfin que l'expert ne justifie pas davantage du prix du sable qu'il considère de moins bonne qualité. Elle estime enfin qu'une seule redevance prenant en compte la moyenne des qualités devrait être fixée, notamment pour permettre au propriétaire un contrôle simple des quantités extraites à partir des cubutures mesurées.

En réplique, M. et Mme [L] font valoir, sur les contrats passés pour la cession du droit d'exploitation de carrières similaires, que chaque terrain a une particularité propre en fonction de la qualité du gisement, de l'épaisseur de la couche exploitable, des conditions d'exploitation et des contraintes techniques et réglementaires propres à chaque site et qui pèsent sur le prix de revient du carrier.

Sur la consistance du gîte, ils se fondent sur les constatations de l'expert qui confirment la très grande qualité et pureté du sable de [Localité 6] situé dans leur parcelle. Ils estiment que ce sable ne peut être assimilé à celui de [Localité 3], que si la qualité des sables peut être comparable, les gisements ne le sont pas et enfin que la société Sibelco France reconnaît dans les fiches techniques qu'elle commercialise la remarquable qualité des sables de [Localité 6].

Sur la valeur des matériaux susceptibles d'être extraits de la carrière, ils rappellent qu'afin de déterminer cette valeur, l'expert a sollicité la société Sibelco France pour connaître les pratiques contextuelles du marché, que cette société n'a produit aucune pièce comptable et qu'elle n'en produit pas davantage devant la cour.

Enfin, sur les conditions d'exploitation, ils contestent l'analyse de l'expert selon laquelle le déplacement du chemin départemental (CD 52) aurait été une charge qui justifierait un abattement sur leur droit de fortage. Ils considèrent qu'ils n'ont pas à subir les frais de contournement d'une route pour l'exploitation de leur terre qui leur a été imposée et sollicitent la réintégration de la décote de 0,047 euros par tonne opérée par l'expert. A titre subsidiaire, si une décote devait être réalisée, ils estiment qu'elle ne saurait être supérieure à 5 % au lieu de 12,5 % calculée par l'expert dans la mesure, notamment, où l'exploitation de l'ensemble des parcelles formant l'assiette de la carrière en a été facilitée.

Il ressort des dispositions de l'article L. 333-7 du code minier que le titulaire d'un permis exclusif de carrières est tenu de verser au propriétaire de la surface, indépendamment de l'indemnité d'occupation prévue à l'article L. 153-12, une redevance ayant pour assiette le tonnage extrait. A défaut d'accord amiable, son montant est fixé par le juge judiciaire, à la requête de la partie la plus diligente, en tenant compte notamment des contrats passés pour la cession du droit d'exploitation de carrières similaires, de la consistance du gîte, de la valeur des matériaux susceptibles d'en être extraits, des conditions d'exploitation et du préjudice subi.

La valeur que présente pour le propriétaire de la surface la redevance mentionnée à l'alinéa précédent demeure réunie à la valeur de cette surface et est affectée avec elle aux hypothèques prises par les créanciers de ce propriétaire.

C'est donc à juste titre que l'expert, comme les premiers juges, ont retenu qu'il convient de tenir compte de ces cinq éléments pour déterminer la valeur de la redevance due au propriétaire de la parcelle par l'exploitant.

A tire liminaire, il convient de relever que l'expert a précisé, dans son rapport, que vu l'hétérogénéité verticale du gisement de sable présent sur le site de [Localité 4], une redevance de fortage à montant unique n'a pas de sens.

Sur les contrats passés pour la cession du droit d'exploitation de carrières similaires

S'agissant des contrats passés pour la cession du droit d'exploitation de carrières similaires, l'expert a écarté les contrats produits par la société Sibelco France aux motifs que les trois premiers prévoyaient une redevance forfaitaire non conforme au code minier et que le dernier ne prévoyait qu'un montant unique, impossible à retenir au regard de la diversité des natures de sable. Il a également écarté le montant de la redevance fixé sur la commune de Beauchamps par le tribunal de grand instance de Senlis dans son jugement du 18 novembre 2008 et la consultation sur la convention de fortage du 13 juin 2014 sur la commune d'[Localité 2] au motif que la qualité du sable ne pouvait pas être comparée à celle du sable de [Localité 6].

Il a ajouté que certains documents produits par M. et Mme [L] ne pouvaient pas non plus servir de base d'estimation pour la redevance en cause au regard de la nature des matériaux concernés, à l'exception de la concession de droit d'extraction pour la SNCF sur la commune de [Localité 5] en date du 17 mars 1993 qui concernait un sable de [Localité 6] de qualité intermédiaire entre celle du banc supérieur et celle des bancs inférieurs de [Localité 4], et pour laquelle la redevance de fortage avait été fixée à 8 francs/m3, soit 0,72 euros la tonne à l'époque, et donc 1,37 euros la tonne actuelle en tenant compte de l'indice pondéré des prix des granulats.

L'expert a également rappelé sur ce point que le contrat de fortage est un contrat de gré à gré et qu'il n'existe pour fixer le montant de la redevance associée, sauf la référence réglementaire à l'assiette du tonnage extrait, aucune règle de calcul explicite.

Il ressort du rapport d'expertise que l'expert a bien pris en compte, conformément aux dispositions du code minier, les contrats passés pour la cession du droit d'exploitation de carrières similaires produits par les parties et qu'il a décidé d'écarter les références communiquées par la société Sibleco France pour des raisons qui sont parfaitement explicitées.

Sur la consistance du gîte

Il ressort du rapport d'expertise que les caractéristiques des matériaux susceptibles d'être extraits du gisement ont fait l'objet notamment d'investigations et d'analyses détaillées du BRGM et du laboratoire des sciences de la terre de l'université de [1], dont les résultats ont été produits et auxquels l'expert s'est référé, de sorte que c'est à juste titre que les premiers juges ont rejeté le moyen soulevé par la société Sibelco France de l'absence de prise en compte par l'expert des matériaux contenus dans le gisement.

L'expert a relevé que selon les analyses produites, le site de [Localité 4] est hétérogène au regard de la qualité des matériaux contenus et il a ainsi opéré une distinction au regard de la qualité du sable entre les bancs inférieurs et supérieurs.

Il a ainsi estimé que les bancs inférieurs, d'une puissance comprise entre 22,5 mètres et 25,7 mètres, offrent un sable de bonne qualité, mais qui n'atteint pas celle permettant la fabrication de verres de hautes performances. Ils ne peuvent être dévolus qu'à la fabrication éventuelle de verres de nature moyenne et plus généralement à des applications de fonderie, de voirie routière ou de confection de bétons.

Il a en revanche considéré que le banc supérieur, d'une puissance comprise entre 10,5 mètres et 12 mètres, offre un sable de qualité exceptionnelle qui convient à la fabrication de verres les plus fins tels que ceux produits en cristallerie ou en industrie chimique.

Il en a déduit qu'il est nécessaire de déterminer deux valeurs de la redevance de fortage selon que le sable extrait le sera de l'un ou l'autre de ces deux niveaux.

Si l'expert a effectivement relevé, comme le souligne la société Sibelco France, que le sable de haute qualité dit verrier peut être utilisé à des fins moins nobles que celles auxquelles sa nature le destine, cela n'enlève rien, comme l'ont retenu les premiers juges, à la qualité intrinsèque de ce sable.

En tout état de cause, l'expert a parfaitement respecté le code minier dès lors qu'il a procédé à une analyse de la consistance du gîte et il n'appartient pas à la cour de remettre en cause l'appréciation de l'expert en ce qu'il a estimé que la qualité du sable des bancs inférieurs et supérieurs était différente.

C'est donc à juste titre que le tribunal de grande instance de Fontainebleau a retenu les conclusions de l'expert s'agissant de la consistance du gisement.

Sur la valeur des matériaux susceptibles d'être extraits

Il ressort du rapport d'expertise que l'expert a sollicité, en vain, de la société Sibelco France qu'elle produise l'attestation du commissaire aux comptes afin d'analyser ses annexes, à savoir le chiffre d'affaires, les tableaux d'affectation des coûts sur chaque établissement, les ristournes clients à affecter sur le site de [Localité 4], les litiges clients à affecter au site de [Localité 4], le montant et la nature des frais de siège soumis à chaque répartition et la présence ou non dans les frais de siège soumis à répartition d'éléments facturés par d'autres entités que la société Sibelco France.

Or, à la suite de l'ordonnance d'injonction de communication de ces pièces, rendue par le juge du contrôle des expertises, la société Sibleco France a produit l'attestation citant les pièces sollicitées, mais sans produire les pièces elles-mêmes.

Ainsi, l'expert a été contraint de se référer aux seules pratiques contextuelles du marché connues de lui pour fonder son estimation, à savoir :

'- 30 à 45 % d'abattement de prix de vente brut Pb à la tonne à appliquer sur ledit prix pour prendre en compte l'ensemble des frais de siège, aboutissant à un prix corrigé Pc ;

- 15 à 20 % de Pc représentant alors le montant de Rf de la redevance de fortage.'

La société Sibelco France ne produit devant la cour aucune pièce comptable susceptible de remettre en cause l'appréciation de l'expert.

Les conclusions d'expertise seront donc retenues sur ce point.

Sur les conditions d'exploitation

L'expert a retenu que les conditions d'exploitation ne sont pas entachées à [Localité 4] de problèmes particuliers et que la seule contrainte apparue pour assurer l'exploitation des parcelles, dont celle de M. et Mme [L], a été le déplacement de la route départementale n° 52 vers le Nord pour un coût total de 1.057.182 euros, soit 132.148 euros pour ce qui concerne la parcelle de M. et Mme [L] (correspondant à 12,5 % de la surface d'ensemble).

L'expert a considéré que le tonnage du sous sol global de la parcelle concernée est de 2.800.000 tonnes et qu'en conséquence, l'imputation des frais de déplacement de la route sur la redevance de fortage due à M. et Mme [L] devrait générer un abattement de 0,047 euros par tonne de matériau extrait (132.148 euros/2.800.000 tonnes).

Il ressort cependant, comme l'ont retenu les premiers juges, de l'arrêté préfectoral n° DAI 2M 064 autorisant la compagnie française des silices et des sables de [Localité 9] Sifraco à poursuivre et à étendre l'exploitation d'une carrière de sables industriels et de grés notamment au lieu dit la Besace sur la commune de [Localité 8] que la déviation de la RD 52 était prévue et qu'en conséquence, contrairement à ce que prétendent M. et Mme [L], ce choix n'appartenait pas exclusivement à la société exploitante, de sorte qu'elle ne saurait porter intégralement le poids financier de ces opérations.

C'est donc à juste titre que l'expert a prévu un abattement sur la redevance de fortage due à M. et Mme [L].

Sur le préjudice

S'agissant du préjudice qu'il est possible de prendre en compte pour la fixation de la redevance, l'expert a retenu qu'une indemnité d'occupation a été fixée par le tribunal de grande instance de Melun, de sorte que M. et Mme [L] n'ont subi aucun préjudice, et ce, d'autant plus que le rapport de l'inspection des installations classées du 2 décembre 2005 prévoit une remise en état de la parcelle après exploitation.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que l'expert a parfaitement respecté les dispositions précitées du code minier et qu'il a pu légitimement estimé que la fixation de la redevance doit être différenciée pour le banc supérieur de haute qualité verrier et pour l'ensembles des autres bancs inférieurs compte tenu de la différence de qualité du sable. La méthode retenue par l'expert, qui a consisté pour le banc supérieur à prendre en compte les prix pratiqués sur les factures de sable livré par la société Sibelco France à la société La Rochère, de même ordre de grandeur selon lui que d'autres valeurs obtenues auprès de diverses cristalleries, et à effectuer l'abattement précité dû au déplacement de la route départementale, est parfaitement documentée et explicitée.

Ainsi, le prix de la redevance de fortage due par la société Sibelco France à M. et Mme [L] sera fixé, comme l'a retenu l'expert, à la somme de 2,24 euros la tonne pour le banc supérieur et à celle de 0,84 euros la tonne pour le banc inférieur.

Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

Sur les modalités de versement de la redevance de fortage

M. et Mme [L] critiquent les modalités de recouvrement de la redevance de fortage fixées dans le jugement déféré au motif qu'elles engendrent des difficultés pratiques car ils n'ont aucun moyen de contrôle de l'expert choisi par la société Sibelco France et des relevés réalisés. Ils estiment que les cubatures qui leur ont été adressées sont incompréhensibles, et surtout, qu'ils n'ont pas accès aux tableaux de suivi de la société Sibelco France. Après avoir exposé qu'ils fondent leurs demandes sur la base du tonnage global du sous-sol exploitable de leur parcelle estimé par l'expert, ils proposent de retenir le paiement d'une redevance forfaitaire mensuelle pour 80 % de la ressource qu'ils fixent à 88.300 euros par mois et de fixer une régularisation annuelle consistant dans le paiement in fine du solde, soit 20 % sur la base de relevés physiques réels après exploitation totale de la carrière. Ils allèguent qu'il convient également de fixer le mode de détermination et de surveillance des volumes extraits.

En réplique, la société Sibelco France s'oppose à ces modalités de recouvrement au motif qu'elle ne peut se voir imposer un quelconque rythme d'exploitation, qu'elle déclare à l'administration les tonnes sorties de la carrière, qu'elle fait effectuer une fois par an des relevés par un géomètre expert et que les propriétaires de la carrière sont libres de les faire contrôler par qui bon leur semble, mais à leurs frais et en se chargeant des autorisations de survol de drone éventuellement nécessaires. Enfin, elle soutient que l'indice de révision visé par les intimés n'existe plus et a été remplacé par l'indice sables, granulats, argiles et kaolin - base 2015 - Identifiant 010534492.

S'agissant des modalités de recouvrement de la redevance forfaitaire mensuelle et de la régularisation annuelle sollicitée par M. et Mme [L], aucun élément du dossier ne permet de déterminer de manière précise, ni le volume mensuel ou même annuel de la carrière, ni le rythme de son exploitation par la société Sibelco France.

Comme l'indique l'appelante, les volumes extraits de la carrière sont déclarés à l'administration et contrôlés annuellement par un géomètre expert. M. et Mme [L] peuvent par ailleurs solliciter à tout moment l'autorisation de faire contrôler ces volumes, par un drone, s'ils le souhaitent, mais à leurs frais. Enfin, il résulte de l'arrêté préfectoral précité n° DAI 2M 064 que le permis d'exploitation a été délivré pour trente ans, de sorte qu'il n'appartient pas à M. et Mme [L] de déterminer la période d'exploitation de leur parcelle pendant laquelle ils sont, par ailleurs, indemnisés.

Dans ces conditions, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté M. et Mme [L] de leurs demandes concernant les modalités de versement de la redevance et sur l'ensemble de ses dispositions sur ce point, notamment en ce qu'il a dit d'une part, que le prix sera versé en fonction du tonnage annuel, objet de la redevance, déterminé au moyen de l'état de cubature de la carrière établi par un géomètre expert, choisi par la société Sibelco France, au 30 septembre de chaque année et à ses frais, en tenant compte des couches de découverte et des matériaux impropres à la commercialisation et en appliquant un coefficient de densité de 1,6 conformément aux conclusions de l'expert et d'autre part, que les relevés annuels feront l'objet d'une comparaison aux tableaux de suivi de la société Sibelco France et soumis à M. et Mme [L].

Il sera en revanche infirmé sur l'indice d'indexation annuel retenu par le tribunal, à savoir l'indice des 'Sables et granulats, argiles et kaolin' - Base 10 - série PBOB 081200 Identifiant 001653598 qui a été remplacé, comme l'indique la société Sibelco France, par celui des sables, granulats, argiles et kaolin - Base 2015 - Identifiant 010534492.

Sur les autres demandes

La société Sibelco France, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel par application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile et à payer à M. et Mme [L] la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition de la décision au greffe,

Confirme le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives à l'indice d'indexation annuel retenu ;

Statuant à nouveau de ce chef,

Dit que la redevance de fortage due par la société Sibelco France à M. [B] [L] et Mme [R] [L] sera indexée chaque année au 1er janvier sur l'indice des sables, granulats, argiles et kaolin - Base 2015 - Identifiant 010534492 ;

Y ajoutant,

Condamne la société Sibelco France à payer à M. [B] [L] et Mme [R] [L] la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Sibelco France aux dépens d'appel ;

Rejette toute autre demande.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 18/20515
Date de la décision : 14/11/2019

Références :

Cour d'appel de Paris C2, arrêt n°18/20515 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-11-14;18.20515 ?
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