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13/11/2019 | FRANCE | N°16/12361

France | France, Cour d'appel de Paris, 13 novembre 2019, 16/12361


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS






COUR D'APPEL DE PARIS


Pôle 4 - Chambre 5


ARRÊT DU 13 NOVEMBRE 2019


(no /2019, pages)


Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 16/12361 - No Portalis 35L7-V-B7A-BY62Q


Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Mars 2016 - Tribunal de Commerce de PARIS - 10ème CHAMBRE - RG no J2016000140




APPELANTE


EURL ITA
ayant son siège social [...]
agissant en la person

ne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège


Représentée par Me Eloïse SADEG, avocat au barreau de PARIS, toque : B0915
Assistée de Me Er...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 5

ARRÊT DU 13 NOVEMBRE 2019

(no /2019, pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 16/12361 - No Portalis 35L7-V-B7A-BY62Q

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Mars 2016 - Tribunal de Commerce de PARIS - 10ème CHAMBRE - RG no J2016000140

APPELANTE

EURL ITA
ayant son siège social [...]
agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Eloïse SADEG, avocat au barreau de PARIS, toque : B0915
Assistée de Me Eric AZOULAY de la SCP FEDARC, avocat au barreau du VAL-D'OISE

INTIMÉES

SARL VERSION ORIGINALE
ayant son siège social [...]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par et assistée de Me Yann DEBRAY, avocat au barreau de PARIS, toque : B0888

SARL CREATIVE SOUND
ayant son siège social [...]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par et assistée de Me Jean-Paul RABITCHOV de la SELARL MIELLET & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0281

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Septembre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Agnès CHAUMAZ, Présidente de chambre
Mme Agnès TAPIN, Présidente de chambre exerçant les fonctions de Conseillère
Mme Valérie MORLET, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Valérie MORLET dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Mme Samira SALMI stagiaire mise en situation professionnelle sur poste

ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Agnès CHAUMAZ, Présidente de chambre et par Mme Vanessa ALCINDOR, Greffière, présente lors de la mise à disposition, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La SARL CREATIVE SOUND, société d'enregistrement et de post-production pour la télévision et le cinéma, a en qualité de maître d'ouvrage entrepris courant 2013 la création de studios d'enregistrement [...].

Sont notamment intervenues à l'opération, sans régularisation d'aucun contrat :

- la SARL VERSION ORIGINALE, dont le rôle d'assistant au maître d'ouvrage, ou de maître d'ouvrage délégué ou encore de maître d'œuvre est discuté,
- la SARL ISOLATION TRAITEMENT ACOUSTIQUE (ITA), qui indique avoir réalisé des travaux d'isolation phonique puis des travaux acoustiques.

Des travaux ont été réalisés, mais aucune réception n'a été actée ni signée.

La presse s'est fait l'écho de l'ouverture courant 2014 des studios d'enregistrement et de mixage de la [...] appartenant à la société CREATIVE SOUND.

Arguant du non-paiement du solde de son marché, la société ITA a par acte du 26 décembre 2013 assigné la société VERSION ORIGINALE aux fins d'expertise judiciaire et de condamnation à paiement devant le tribunal de commerce de Paris.

La société ITA a également, par actes des 8 avril et 5 mai 2014 assigné la société CREATIVE SOUND devant le même tribunal.

Par jugement du 25 mars 2016, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société ITA de sa demande d'expertise,
- débouté la société ITA de toutes ses demandes,
- débouté la société CREATIVE SOUND de sa demande de dommages et intérêts,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société ITA aux dépens de l'instance.

La société ITA a par acte du 3 juin 2016 interjeté appel de ce jugement, intimant les sociétés CREATIVE SOUND et VERSION ORIGINALE devant la Cour.

*

Dans ses dernières conclusions signifiées le 17 février 2017, la société ITA demande à la Cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- la recevoir en ses prétentions,

Y faisant droit,

- condamner in solidum les sociétés CREATIVE SOUND et VERSION ORIGINALE à lui payer le solde des travaux non contestés, soit 206.525,89 euros TTC, avec intérêt au taux légal à compter du 18 septembre 2013, date de la réception,
- condamner chacune des sociétés CREATIVE SOUND et VERSION ORIGINALE à lui payer les sommes de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée outre leur totale mauvaise foi, et de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les sociétés CREATIVE SOUND et VERSION ORIGINALE aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 17 janvier 2017, la société CREATIVE SOUND demande à la Cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles,

Statuant à nouveau,

- condamner la société ITA à lui payer la somme de 208.682 euros en réparation des préjudices subis résultant de ses agissements fautifs,

Y ajoutant,

- débouter les sociétés ITA et VERSION ORIGINALE de toute demande dirigée contre elle,
- condamner la société ITA à lui payer la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société ITA aux dépens de l'instance d'appel.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 12 septembre 2016, la société VERSION ORIGINALE demande à la Cour de :

In limine litis,

- dire et juger que la société ITA n'a pas communiqué en temps utile les pièces no1 à 16 visées dans ses conclusions du 17 juillet 2016,
- en conséquence rejeter lesdites pièces des débats,

Au fond,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société ITA de l'intégralité de ses prétentions,

Y ajoutant,

- constater que les travaux litigieux ont été commandés à la société ITA par la société CREATIVE SOUND et qu'elle en est la seule bénéficiaire,
- dire et juger qu'elle-même n'a commis aucune faute préjudiciable à la société ITA et n'a fait preuve d'aucune mauvaise foi,

En conséquence,

- débouter la société ITA de l'intégralité de ses demandes formulées contre elle,
- débouter la société CREATIVE SOUND de l'intégralité de ses demandes formulées contre elle,
- condamner la société ITA au paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.

*

La clôture de la mise en état du dossier a été ordonnée le 2 juillet 2017.

MOTIFS

Sur la communication des pièces de la société ITA

L'article 906 du code de procédure civile dispose que les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l'avocat de chacune des parties à celui de l'autre.

Une partie ne peut en appel reprocher à un adversaire de ne pas lui avoir communiqué à nouveau les pièces déjà communiquées en première instance, dont elle a nécessairement connaissance.

La société ITA a en première instance, pour l'audience de mise en état du 23 octobre 2014, signifié aux parties adverses, les sociétés VERSION ORIGINALE et CREATIVE SOUND, ses conclusions en réponse et communiqué ses pièces no1 à 10, selon bordereau joint aux écritures. Cette communication n'est pas contestée.

En cause d'appel, la société ITA, appelante, a signifié ses premières conclusions le 18 juillet 2016, annonçant au bordereau annexé des pièces no1 à 16. La société VERSION ORIGINALE lui reproche de ne pas lui avoir communiqué en même temps que ses écritures. Elle affirme qu'au mois de septembre 2016, ces pièces n'avaient toujours pas été communiquées.

Il apparaît cependant que les pièces no1 à 10 versées aux débats en cause d'appel par la société ITA correspondent aux pièces no1 à 10 communiquées par celle-ci en première instance. La société VERSION ORIGINALE en a donc bien eu connaissance et a pu les utiliser devant la Cour.

Les pièces no11 à 16 figurant sur le bordereau de pièces de la société ITA n'ont fait l'objet d'aucune sommation de communiquer délivrée par la société VERSION ORIGINALE. Elles ont nécessairement été communiquées à cette dernière, qui produit elle-même aux débats devant la Cour, une pièce no13, intitulée "courrier d'ITA en date du 17 septembre 2013", portant le tampon du conseil de la société ITA et correspondant à la pièce no1 de cette dernière, intitulée "lettre recommandée avec A/R de ITA à VERSION ORIGINALE du 17.09.2013 valant mise en demeure aux fins de paiement dès réception".

La société VERSION ORIGINALE sera donc déboutée de sa demande tendant au rejet des pièces no1 à 16 communiquées par la société ITA en cause d'appel.

Sur la demande en paiement de la société ITA

Les premiers juges ont constaté que les sept devis adressés par la société ITA à la société CREATIVE SOUND n'étaient pas signés mais que certaines factures de la société ITA, faisant référence auxdits devis, avaient bien été réglées. Ils ont également observé qu'il n'était justifié d'aucune contestation des factures ni des travaux correspondants. Ils ont en conséquence retenu qu'il existait un accord sur les devis, consacrant la volonté commune de les réaliser. Les juges ont ensuite estimé que la qualité de maître d'œuvre de la société VERSION ORIGINALE n'était pas établie, mais que les pièces produites révélaient ses fonctions d'assistant à maître d'ouvrage. Les magistrats ont enfin observé que la société ITA ne démontrait pas avoir effectivement réalisé les travaux dont elle demandait le paiement.

La société ITA critique ce jugement, affirmant que les travaux sollicités par la société CREATIVE SOUND "via" la société VERSION ORIGINALE ont été accomplis conformément aux règles de l'art, qu'ils ont été réceptionnés sans observation, contestation ni réclamation et que la réception elle-même, avérée, n'a pas été contestée. Elle rappelle que la société CREATIVE SOUND la connaissait et a bien bénéficié de ses travaux, sans pouvoir justifier les avoir confiés à d'autres entreprises. Elle affirme n'avoir perçu aucune somme au titre de la deuxième partie de ses travaux concernant le traitement acoustique alors que les travaux ont été réalisés, la société CREATIVE SOUND jouissant incontestablement de ses locaux. Elle explique également que la commande de la société CREATIVE SOUND a été faite auprès de la société VERSION ORIGINALE, qui s'est alors tournée vers elle pour solliciter la réalisation des travaux et a effectué les paiements, exerçant des fonctions d'assistant à maître d'ouvrage, ce qui, selon elle, correspond "d'ailleurs à rien moins qu'une fonction assumée de maîtrise d'œuvre déléguée".

La société CREATIVE SOUND relève en premier lieu une erreur matérielle, de calcul, de la société ITA sur le montant des sommes réclamées. Elle rappelle ensuite qu'aucun contrat n'a été régularisé avec les sociétés VERSION ORIGINALE et ITA, qu'elle n'a accepté aucun devis, qu'elle n'a procédé à aucun règlement et estime que la société ITA n'établit ni la réalité de sa créance, ni son montant. Elle conteste toute valeur au courrier de la société VERSION ORIGINALE du 14 janvier 2014 attestant de la bonne réalisation des travaux, courrier qu'elle considère être de pure complaisance.

La société VERSION ORIGINALE affirme de son côté que l'unique contractant de la société ITA est la société CREATIVE SOUND et qu'elle-même ne procédait qu'aux paiements et seulement avec l'accord de celle-ci et avec ses fonds. Elle considère donc ne pas être la cocontractante de la société ITA.

Sur ce,

Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi (article 1134 du code civil, en sa version applicable en l'espèce, antérieure au 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance no2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats).

Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention (article 9 du code de procédure civile). Ce principe fondamental en procédure civile est repris en matière contractuelle par l'article 1315 du code civil (en sa version antérieure au 1er octobre 2016) qui dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

1. sur les relations entre les parties

L'article 1101 du code civil, en sa version applicable en l'espèce, antérieure au 1er octobre 2016, dispose que le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose.

L'écrit n'est pas indispensable à la conclusion d'un contrat. L'absence d'écrit n'empêche pas l'existence de relations contractuelles.

Aucun contrat écrit, d'aucune sorte, n'a en l'espèce été conclu entre les parties, les sociétés ITA, CREATIVE SOUND et VERSION ORIGINALE.

La société ITA a adressé à la société CREATIVE SOUND huit devis, no130109 du 9 janvier 2013, no130218 du 18 février 2013, no130320 du 20 mars 2013, no130412 du 12 avril 2013, no130407 du 13 avril 2013, no130419 du 19 avril 2013, no130502 du 2 mai 2013 et no130503 du 3 mai 2013, concernant des travaux d'isophonie dans des auditoriums, cabines, studios de musique, installations de vitrages et montages de murs, représentant une somme totale de 438.889,45 euros HT, soit 524.911,78 euros TTC.

Aucun de ces devis n'est signé pour accord par la société CREATIVE SOUND, ni par la société VERSION ORIGINALE.

La société VERSION ORIGINALE verse aux débats des courriers électroniques laissant apparaître ses liens avec les sociétés ITA, d'un côté, et CREATIVE SOUND, de l'autre, dans le cadre d'une relation tripartite. Ainsi, Monsieur C... G..., de la société ITA, a par courrier électronique du 14 mars 2013 adressé à Monsieur K... X..., de la société VERSION ORIGINALE, "une facture d'acompte pour vitrage et plots lastom re". Ce message a été transféré "pour info" par Monsieur X... à Monsieur E... D..., de la société CREATIVE SOUND, lequel a répondu "le 1er PDF a march c'est OK, mais le 2 eme ???". Ou encore, Monsieur G..., de la société ITA, a par courrier électronique du 3 mai 2013 adressé à Monsieur X..., de la société VERSION ORIGINALE, un devis avec facture d'acompte. Ce message a été transmis à Monsieur D..., de la société CREATIVE SOUND, qui a répondu "OK K... pour l'acompte et feu vert pour les travaux".

La société ITA a adressé à la société VERSION ORIGINALE sept factures établies entre le 4 février et le 8 juillet 2013, faisant expressément référence aux devis adressés à la société CREATIVE SOUND et reprenant les numéros desdits devis. La facture no130408 du 8 mars 2013 fait référence aux devis antérieurs no130109 du 9 janvier 2013 et no130218 du 18 février 2013, mais également le devis no130407 du 13 avril 2013, postérieur à la facture. La société CREATIVE SOUND évoque ce point mais n'en tire aucune conséquence. La société ITA explique que "la date du 13 avril 2013 est (
) sûrement liée à une modification du devis sur demande des commanditaires", ce qui, à tout le moins, révèle une certaine confusion dans l'émission des factures.

Les factures, par ailleurs, mentionnent les devis concernés, mais ne détaillent pas les prestations facturées.

Les cinq premières factures ont fait l'objet de règlements par chèques ou virements sur le compte de la société ITA ouvert auprès de la Société Générale, règlements provenant de la société VERSION ORIGINALE. La société ITA, bénéficiaire des paiements, ne les conteste pas et admet que "toutes les factures d'acomptes et d'avancement (ont) été normalement payées", sans pour autant préciser le montant total des sommes effectivement perçues.

Ces règlements, ainsi que des échanges par courriers ou courriers électroniques, établissent la réalité de relations contractuelles entre les parties. Les premiers juges ont à juste titre évoqué un accord de fait sur les devis et une volonté commune d'exécuter les prestations prévues par les devis.

Les relations contractuelles sont incontestables entre la société CREATIVE SOUND, propriétaires des lieux et des studios d'enregistrement, prenant ainsi la qualité de maître d'ouvrage, auquel les devis étaient adressés, et la société ITA, entreprise à laquelle les travaux ont été confiés. La société CREATIVE SOUND ne peut affirmer ne pas avoir eu connaissance de l'intervention de la société ITA sur son chantier, alors que par courrier électronique du 12 avril 2013, Monsieur D..., pour ladite société CREATIVE SOUND, s'adresse à l'ensemble des entrepreneurs, incluant Monsieur C... G..., de la société ITA, titulaire selon lui du lot "travaux généraux", pour organiser un rendez-vous "pour définir concrètement la suite du chantier [...]". La société CREATIVE SOUND reconnaît en fait l'intervention de la société ITA dans ses auditoriums et qu'elle a bénéficié de ses prestations.

La société VERSION ORIGINALE, selon ses statuts à jour au 31 décembre 2012, exerce notamment une "activité de conseil, d'étude, d'assistance, de conception et de réalisation de tous projets en matière audiovisuelle" ou encore "l'achat et la vente de tous appareils concernant les techniques modernes de l'audiovisuelle [sic]". L'absence de tout contrat la concernant et les éléments du dossier ne permettent pas de clairement l'identifier comme maître d'ouvrage délégué, assistant à maîtrise d'ouvrage ou encore comme maître d'œuvre. La société VERSION ORIGINALE reconnaît avoir été missionnée par le maître d'ouvrage pour procéder au règlement des intervenants sur le chantier. Elle affirme que pour les questions techniques, la société ITA s'adressait à la société CREATIVE SOUND et en avance pour preuve un courrier électronique adressé par Monsieur G... (de la société ITA) à Monsieur D... (de la société CREATIVE SOUND). Or la réponse de ce dernier, apportée dans le corps même de ce message, laisse au contraire apparaître que la société CREATIVE SOUND (Monsieur D...) considérait la société VERSION ORIGINALE (Monsieur K... X..., "« THE » K... lui-même") comme son conseiller technique "depuis l'an de grâce 1990". Mais qu'elle fût simplement mandatée sur le chantier pour régler les entreprises, ou qu'elle ait agi, en outre, comme conseiller technique, voire véritable maître d'œuvre, ces missions lient la société VERSION ORIGINALE à la seule société CREATIVE SOUND, et ne l'obligent pas vis-à-vis des entreprises et, en l'espèce, de la société ITA.

Dès lors que la société VERSION ORIGINALE affirme, dans un courrier du 14 janvier 2014 adressé à la société ITA, ne plus être mandatée par la société CREATIVE SOUND pour effectuer les paiements au nom de celle-ci, l'entreprise ne peut se tourner vers elle pour obtenir paiement, son seul cocontractant étant le maître d'ouvrage. Aucune condamnation à paiement ne saurait donc être prononcée, au profit de la société ITA, contre la société VERSION ORIGINALE.

2. sur la créance de la société ITA

La société ITA a par courrier recommandé du 17 septembre 2013 mis en demeure la société VERSION ORIGINALE de lui donner un rendez-vous, dans un délai de dix jours, "pour procéder à la réception des travaux" du chantier de la [...], selon devis no130109, 130218, 130407, 130412, 130419, 130502 et 130503. Contrairement à ce que soutient la société ITA, il ne s'agit pas d'une mise en demeure de payer.

La société ITA affirme que le solde du chantier d'un montant de 172.680,51 euros n'a pas été réglé et sollicite la condamnation in solidum des sociétés CREATIVE SOUND et VERSION ORIGINALE à lui payer "la somme de 172 680.51 € HT, soit 206 525.89 € TTC". A l'appui de cette demande, elle produit aux débats ses pièces no7 et 8, correspondant à deux factures :

- une facture d'acompte no130605 du 5 juin 2013 adressée à la société VERSION ORIGINALE, concernant des travaux d'isophonie, "sur devis no130412 (CREATIVE SOUND ETAL) 2em acompte" et "sur devis no130419 (CREATIVE SOUND AUDIS 1, 2, 3) 3em acompte", pour la somme de 62.164,51 euros HT, soit 74.348,75 euros TTC,
- une facture de solde datée du 8 juillet 2013 adressée à la société VERSION ORIGINALE, concernant là encore des prestations d'isophonie, selon les devis no130109, 130218, 130407, 130412, 130419, 130502 et 130503, pour une somme totale, après remise, de 70.516 euros HT, soit 84.337,13 euros TTC.

Ces deux factures cumulées ne correspondent pas à la somme réclamée, mais à la somme totale de 132.680,51 euros HT, soit 158.685,88 euros TTC.

Ces factures, dressées de la main même de la société ITA, ne peuvent valoir preuve de sa créance, ni même de la réalisation effective des prestations facturées.

Les prestations concernées ne sont d'ailleurs pas mentionnées avec précision sur les deux factures en cause et ne peuvent être identifiées. La référence aux devis et la mention des sommes s'y rapportant ne permettent aucun rapprochement entre lesdites sommes et les devis, eux-mêmes bien plus précis et détaillés.

Monsieur X..., pour la société VERSION ORIGINALE, a le 14 janvier 2014 adressé à la société ITA un courrier dans lequel il indique que l'entreprise "a réalisé au [...] pour l'entreprise CREATIVE SOUND (RCS 432 475 549 Paris) qui concerne des travaux d'isolation acoustique et de plâtrerie correspondant aux devis [sic] : [no130109, 130218, 130407, 130412, 130419, 130502 et 130503o", ajoutant qu'"il est entendu ce jour que ces travaux ont bien été réalisés par vos soins dans leur intégralité, dans les règles de l'art et conformément aux plans qui vous ont été transmis par l'acousticien, ceci dans aucunes réserves de notre part". Monsieur X..., pour la société VERSION ORIGINALE, expose enfin que "concernant le paiement du solde de ces travaux pour lequel nous ne sommes plus mandatés à ce jour, il appartient à l'entreprise CREATIVE SOUND de vous en effectuer directement le règlement".

Il est rappelé que la réception des travaux est définie par l'article 1792-6 du code civil comme l'acte par lequel le maître d'ouvrage déclare accepter l'ouvrage de l'entreprise. La société VERSION ORIGINALE ne peut soutenir n'être intervenue sur le chantier qu'en qualité d'intermédiaire entre la société CREATIVE SOUND et les entreprises pour le seul paiement des prestations de celles-ci, et pourtant se prononcer sur la réalisation des travaux, leur achèvement leur qualité.

Il apparaît en tout état de cause que ce courrier du 14 janvier 2014 ne peut en aucun cas être retenu comme valant réception des prestations de la société ITA. La société VERSION ORIGINALE verse en effet aux débats un courrier électronique portant la même date, par lequel Monsieur G..., pour la société ITA, lui a adressé en pièce jointe ledit courrier du 14 janvier 2014 (rédigé dans les exacts mêmes termes, selon les mêmes formes, mais alors vierge de l'en-tête et de la signature de la société VERSION ORIGINALE), et lui a indiqué, en ces termes : "Ci-joint Le courrier dont nous avons parlé au téléphone (mon avocat en a besoin demain matin pour annuler l'assignation)". Ce document accrédite ainsi la thèse du "courrier de complaisance" à juste titre retenue par les premiers juges.

Les premiers juges ont en conséquence justement écarté ce courrier, ne pouvant valoir preuve de la réalisation complète et conforme des travaux de la société ITA.

Monsieur R... B..., dans un courrier du 22 avril 2016, accompagné de la copie de sa carte d'identité, "atteste avoir procéder à des travaux d'électricité sur le chantier « CREATIVE SOUND » entre le 5 juin 2013 et le 9 juillet (document tronqué)" et indique qu'"à cette occasion, j'ai pu constater que les travaux qui avait été confiés à la société « ITA » ont été accomplis par celle-ci et n'ont suscité à ma connaissance aucune réclamation ultérieure de la société « CREATIVE SOUND », en tout cas par ce dont j'ai pu juger sur le chantier". Monsieur W... F..., dans un courrier adressé le 26 avril 2016 à Monsieur G..., de la société ITA, auquel est annexée la copie de sa carte d'identité, confirme "être intervenu [...] pour réaliser des travaux de plâtrerie pour lesquels [Monsieur G... l'avait] mandaté" et précise qu'à son départ, l'intégralité des ouvrages était réalisée, "en conformité avec les plans de l'acousticien".

Ces deux témoignages doivent cependant être lus avec circonspection, alors qu'ils sont rédigés par des personnes ayant travaillé pour la société ITA. Ils ne peuvent en outre et en tout état de cause, par leurs propres termes, pas apporter la preuve de la réalisation par la société ITA de l'intégralité des travaux qui lui ont été confiés par la société CREATIVE SOUND, ni de leur réalisation conforme.

La société ITA ne peut enfin affirmer que la réalisation des travaux acoustiques, nécessaire pour l'ouverture des studios d'enregistrement, révèle que ses propres prestations d'isolation phonique ont été achevées. Si en effet la réalisation des travaux acoustiques nécessitait l'achèvement des travaux d'isolation, d'autres entreprises peuvent être intervenues en lieu et place de la société ITA. C'est d'ailleurs ce qu'affirme la société CREATIVE SOUND, qui indique avoir dû faire appel, au vu de la défaillance de la société ITA, à la société ROM BAT (factures des 24 juin, 9 et 30 juillet 2013) et à la SARL MYNAGEMENT (factures des 10 et 25 juillet 2013).

Si la société CREATIVE SOUND n'établit certes pas avoir réglé ces deux entreprises tierces, la société ITA ne démontre aucunement avoir effectivement réalisé les travaux objets de ses deux factures no130605 du 5 juin 2013 et no130708 du 8 juillet 2013 dont elle réclame le paiement, ce qu'avaient observé les premiers juges.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société ITA de sa demande en paiement du solde de ses travaux.

Sur les demandes de dommages et intérêts

Les premiers juges ayant débouté la société ITA de sa demande en paiement, ont par voie de conséquence rejeté sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive. Ils ont ensuite également rejeté la demande d'indemnisation d'une perte de chiffre d'affaire formulée par la société CREATIVE SOUND, estimant que celle-ci ne pouvait se prévaloir d'un engagement de délai qu'elle n'avait pas fixé.

La société ITA, faisant valoir la résistance abusive et injustifiée et la mauvaise foi des sociétés CREATIVE SOUND et VERSION ORIGINALE, réclame leur condamnation, chacune, au paiement de la somme "complémentaire" de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts.

La société CREATIVE SOUND affirme avoir subi, du fait du retard des travaux, une perte d'exploitation à hauteur de 168.682 euros et une atteinte à son image, au titre de laquelle elle réclame une indemnisation à hauteur de 40.000 euros.

La société VERSION ORIGINALE s'oppose à la demande de dommages et intérêts présentée par la société ITA.

Sur ce,

Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1382 du code civil, en sa version antérieure au 1er octobre 2016).

Les dommages et intérêts ont un caractère purement indemnitaire, venant réparer un préjudice direct et certain, et non seulement sanctionner un comportement.

1. sur la demande de dommages et intérêts de la société ITA

Le jugement étant confirmé en ce qu'il a débouté la société ITA de sa demande en paiement, il sera par voie de conséquence également confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée.

La société ITA semble solliciter une nouvelle indemnisation devant la Cour. Mais elle n'a en cause d'appel pu prouver ni la réalité de manquements des sociétés CREATIVE SOUND et VERSION ORIGINALE à des engagements pris à son égard, ni leur mauvaise foi, ni aucune faute. Elle ne justifie ensuite aucunement du préjudice découlant du comportement des deux intimées, qu'elle évalue à hauteur de 15.000 euros.

La société ITA sera en conséquence déboutée de sa demande complémentaire de dommages et intérêts.

2. sur la demande de dommages et intérêts de la société CREATIVE SOUND

La société CREATIVE SOUND affirme que les travaux ont été livrés avec six mois de retard, mais ne peut se contenter d'affirmer s'être entendue avec la société ITA pour un achèvement des huit auditoriums au début du mois de juillet 2013. Affirmer n'est pas prouver. Elle n'a signé pour accord aucun des devis de la société ITA et ne démontre pas avoir imposé à celle-ci un délai pour ses prestations. Elle ne peut non plus se prévaloir des dates avancées dans les revues professionnelles concernant l'ouverture de ses nouveaux studios, lesquelles n'ont pas été imposées à la société ITA. Ne pouvant en conséquence se prévaloir d'une perte d'exploitation liée au retard des travaux de la société ITA, non établi, elle a à juste titre été déboutée par les premiers juges de sa demande de dommages et intérêts de ce chef. Le jugement sera confirmé sur ce point.

La société CREATIVE SOUND peut certes présenter en cause d'appel une nouvelle demande de dommages et intérêts, conséquence de l'allongement de la procédure et admise en application de l'article 566 du code de procédure civile. Mais si elle justifie de sa notoriété dans l'enregistrement sonore et la post-production pour la télévision et le cinéma, relayée par les revues spécialisées qui ont également évoqué ses projets et la réalisation des nouveaux auditoriums, elle ne démontre aucunement n'avoir pas pu répondre aux sollicitations de clients, ni avoir perdu des contrats, ni même avoir vu sa notoriété affectée du fait de la société ITA. Elle sera donc déboutée de sa nouvelle demande de dommages et intérêts.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Le sens de l'arrêt conduit à la confirmation du jugement en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance.

Y ajoutant, chacune des parties, succombant au titre de ses prétentions en cause d'appel, gardera la charge de ses propres dépens, conformément aux dispositions des articles 696 et suivants du code de procédure civile.

Les dépens étant laissés à la charge de chacune des parties, il apparaît équitable de laisser également à leurs charges respectives les frais engagés dans la présente instance pour faire valoir leurs positions et non compris dans les dépens, en application de l'article 700 du code de procédure civile. Aucune indemnisation ne sera donc ordonnée sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS,

La COUR,

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 mai 2016 (RG noJ2016000140),

Vu l'article 1101 du code civil en sa version antérieure au 1er octobre 2016,
Vu l'article 1134 du code civil en sa version antérieure au 1er octobre 2016,
Vu l'article 9 du code de procédure civile et l'article 1315 du code civil en sa version antérieure au 1er octobre 2016,
Vu l'article 1382 du code civil en sa version antérieure au 1er octobre 2016,
Vu les articles 696 et suivants et 700 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

DEBOUTE la SARL ITA et la SARL CREATIVE SOUND de leurs demandes supplémentaires de dommages et intérêts,

DIT que chacune des parties gardera la charge des dépens par elle engagés,

DEBOUTE chacune des parties de sa demande d'indemnisation de ses frais irrépétibles.

La Greffière, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Numéro d'arrêt : 16/12361
Date de la décision : 13/11/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-11-13;16.12361 ?
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