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16/10/2019 | FRANCE | N°17/12554

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 16 octobre 2019, 17/12554


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 16 OCTOBRE 2019



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/12554 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4H5W



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juin 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° 16/00081





APPELANTE



SAS JL INTERNATIONAL

[Adresse 1]

[Adress

e 1]

Représentée par Me Nicolas LEGER, avocat au barreau de PARIS, toque : J043







INTIMEE



Madame [I] [X]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Dominique NARDEUX, avocat au ...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 16 OCTOBRE 2019

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/12554 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4H5W

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juin 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° 16/00081

APPELANTE

SAS JL INTERNATIONAL

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Nicolas LEGER, avocat au barreau de PARIS, toque : J043

INTIMEE

Madame [I] [X]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Dominique NARDEUX, avocat au barreau de MELUN

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Juin 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Benoît DEVIGNOT, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Pascale MARTIN, présidente

Mme Nadège BOSSARD, conseillère

M. Benoît DEVIGNOT, conseiller

Greffier, lors des débats : Monsieur Philippe ANDRIANASOLO

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. Prorogé à ce jour.

- signé par Pascale MARTIN, Président et par Philippe ANDRIANASOLO, greffier de la mise à disposition, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Selon contrat de travail à durée indéterminée et à temps complet, la société JL International - qui a une activité de transport d'enfants handicapés - a embauché à compter du 02 avril 2002 [I] [X] en qualité d'assistante de gestion, statut cadre.

Par avenant avec effet au 1er janvier 2008, la salariée a été promue directrice d'exploitation, moyennant une rémunération de base de 2500 euros brut par mois, outre un treizième mois, une prime d'objectif calculée sur le chiffre d'affaires et un véhicule de fonction.

La relation de travail était soumise à la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport.

En sa qualité de directrice d'exploitation, [I] [X] exerçait des fonctions d'encadrement, ainsi que des missions commerciales, d'exploitation et administratives.

Dans le courant de l'année 2013, [I] [X] est devenue actionnaire et a été nommée membre du directoire du groupe 2BR Mobilité auquel appartient la S.A.S. JL International.

Le 1er octobre 2014, [S] [F] a été nommé directeur général.

Selon avenant du 28 janvier 2015, [I] [X] est devenue directrice commerciale Ile-de-France de la société, avec les missions suivantes :

- prospection et suivi des marchés gré à gré ;

- coordination de l'action commerciale ;

- développement du portefeuille client.

Par courriers des 17 février 2015 puis 23 juin 2015, [I] [X] a sollicité la rupture conventionnelle de son contrat de travail, ce à quoi la société n'a pas donné suite.

Du 04 mars 2015 au 18 mars 2015, puis de façon continue à compter du 10 juillet 2015, [I] [X] a été en arrêt maladie.

Le 09 février 2016, [I] [X] a saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant notamment à la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Lors de la visite médicale de reprise du 21 juin 2016, le médecin du travail a conclu à l'inaptitude en un seul examen :

'Mme [I] [X] est inapte à reprendre le travail à tous les postes de l'entreprise'.

Répondant à un courrier de l'employeur, le médecin du travail a précisé le 28 juin 2016 :

'(...) L'état de santé de Mme [X] a nécessité un arrêt de travail de 11 mois. Sa pathologie était en grande partie en lien avec le ressenti négatif qu'elle avait de l'évolution de sa situation professionnelle.

La souffrance qui en a résulté n'est pas actuellement stabilisée et son retour ne pourrait pas se faire sans risque.

Je vous remercie des propositions que vous faites pour favoriser une éventuelle réintégration de Mme [X] mais la problématique ne se situe pas aujourd'hui au niveau du poste de travail qu'elle pourrait occuper. C'est son appartenance même au groupe 2BR Mobilité qui pourrait dégrader son état de santé compte tenu à la fois du contexte passé et de son état actuel.

Vous comprendrez que dans ce contexte il ne m'est pas possible de faire des propositions de reclassement au sein du groupe. (...)'.

Interrogé par un nouveau courrier de l'employeur, le médecin du travail a ajouté le 18 juillet 2016:

'(...) un reclassement de Mme [I] [X] dans l'entreprise ou dans le groupe n'est pas envisageable, y compris par la mise en oeuvre de mesures telles que mutation, transformation de poste de travail, aménagement de temps de travail ou formation.(...)'.

Par courrier du 12 août 2016, la S.A.S. JL International a licencié [I] [X] pour inaptitude définitive médicalement constatée et impossibilité de procéder au reclassement.

Par jugement prononcé le 06 juin 2017, la formation paritaire de la section encadrement du conseil de prud'hommes de Melun a notamment :

- jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la S.A.S. JL International à payer à [I] [X] la somme de 77309,40 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de 19327,35 euros d'indemnité compensatrice de préavis, la somme de 1932,74 euros de congés payés y afférents, la somme de 3804 euros de rappel d'heures supplémentaires, la somme de 380,40 euros de congés payés y afférents, la somme de 2144,88 euros de restitution de trop-perçu ;

- ordonné la remise de bulletins de paie en conséquence ;

- condamné la S.A.S. JL International aux dépens, ainsi qu'à payer à [I] [X] la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

S'agissant du harcèlement moral, le conseil a considéré que les éléments apportés par [I] [X] correspondaient à des faits isolés, de surcroît justifiés par des éléments objectifs étrangers à du harcèlement.

S'agissant de la résiliation judiciaire, les premiers juges ont précisé que le poste de directrice commerciale n'était pas une rétrogradation, mais résultait de la réorganisation de la société, en forte croissance, et qu'au demeurant, [I] [X] avait accepté librement ce nouveau poste.

En revanche, le conseil a fait grief à la société de ne pas avoir procédé à une recherche de reclassement et en a déduit le caractère sans cause réelle et sérieuse du licenciement.

Les premiers juges ont considéré que la salariée rapportait la preuve qu'en tant que directrice commerciale, elle avait effectué un total de 200 heures supplémentaires.

Le conseil a alloué le remboursement d'un trop perçu qui correspondrait à une erreur de paie reconnue par l'employeur, mais dont celui-ci ne justifierait pas la régularisation.

L'avocat de la S.A.S. JL International a interjeté appel par voie électronique le 09 octobre 2017, soit dans le délai légal d'un mois à compter de la notification du 15 septembre 2017.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 07 mai 2019, la S.A.S. JL International requiert la cour d'infirmer partiellement le jugement déféré, puis, la cour statuant à nouveau, de :

- débouter [I] [X] de l'ensemble de ses prétentions ;

- ordonner le remboursement de diverses sommes versées à la partie adverse dans le cadre de l'exécution provisoire ;

- condamner [I] [X] à payer la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 03 mai 2019, [I] [X] sollicite l'infirmation partielle du jugement, puis, la cour statuant à nouveau, de :

- dire qu'elle a été victime de harcèlement moral et lui allouer, en conséquence, un montant de 43892,04 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi sur le fondement de l'article 1240 du code civil, ainsi que la même somme sur le fondement de l'article L.4121-1 du code du travail ;

- subsidiairement, lui allouer ce même montant de 43892,04 euros en réparation du préjudice subi pour exécution déloyale du contrat de travail ;

- dire que la résiliation judiciaire du contrat de travail porte les effets d'un licenciement nul;

- condamner, en conséquence, la S.A.S. JL International à lui payer la somme de 175568,16 euros d'indemnité pour licenciement nul, la somme de 21940,02 euros d'indemnité compensatrice de préavis, la somme de 2194 euros de congés payés y afférents, ainsi que la somme de 7055,31 euros d'indemnité compensatrice de congés payés ;

- condamner la S.A.S. JL International à lui payer la somme de 43892,04 euros d'indemnité pour travail dissimulé ;

- condamner cette même société à lui payer la somme de 2000 euros de dommages et intérêts en raison du préjudice subi du fait du défaut de portabilité de la mutuelle et de la prévoyance;

- dire que le licenciement est dénué de toute cause réelle et sérieuse ;

- condamner, en conséquence, la S.A.S. JL International à lui payer la somme de 175568,16 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de 21940,02 euros d'indemnité compensatrice de préavis, la somme de 2194 euros de congés payés y afférents, ainsi que la somme de 7055,31 euros d'indemnité compensatrice de congés payés;

- condamner la S.A.S. JL International à lui payer la somme de 3804 euros de rappel d'heures supplémentaires, ainsi que la somme de 380,40 euros de congés payés y afférents;

- condamner la S.A.S. JL International à lui rembourser une somme de 2144,88 euros de retenue injustifiée de salaire ;

- ordonner la remise sous astreinte par la S.A.S. JL International des documents de fin de contrat, de divers autres documents et d'affaires personnelles ;

- condamner la S.A.S. JL International à lui payer la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dire que les condamnations seront majorées de l'intérêt au taux légal avec capitalisation des intérêts.

Pour un exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions mentionnées ci-dessus.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 07 mai 2019.

L'affaire a été plaidée à l'audience du 04 juin 2019 en formation de conseiller rapporteur, les deux parties représentées.

MOTIFS DE LA DECISION

1°/ Sur la production sous astreinte de divers documents par la S.A.S. JL International:

Il résulte des articles 139 et 142 du code de procédure civile que le juge, s'il estime fondée une demande en production des pièces détenues par une partie, ordonne la délivrance ou la production de l'acte ou de la pièce, en original, en copie ou en extrait selon le cas, dans les conditions et sous les garanties qu'il fixe, au besoin à peine d'astreinte.

Il s'agit d'une simple faculté donnée au juge, dont l'exercice est laissé à son pouvoir discrétionnaire.

En l'espèce, il n'y a pas lieu d'ordonner la production sous astreinte par la S.A.S. JL International du décompte des maintiens de salaire entre le 08 novembre 2015 et le 20 juin 2016, de l'attestation d'assurance automobile, du registre des entrées et sorties du personnel de la société à compter du mois d'octobre 2014, ainsi que des agendas électroniques personnels et journaliers de [I] [X] du 18 mars 2015 au 09 juillet 2015.

La demande est donc rejetée s'agissant de ces documents.

2°/ Sur le harcèlement moral et les demandes subséquentes en dommages et intérêts:

[I] [X] soutient qu'à compter de l'arrivée de [S] [F] en octobre 2014, elle a été victime de plusieurs agissements constitutifs d'un harcèlement moral, en ce que:

- jusqu'en janvier 2015, elle a été affectée au poste de directrice par intérim de l'établissement de [Localité 1], tout en conservant ses fonctions initiales de directrice d'exploitation à l'établissement de [Localité 2], ce qui a eu pour effet de doubler sa charge de travail, étant précisé qu'en réalité, [S] [F] souhaitait progressivement l'éloigner ;

- elle a été victime de menaces et propos vexatoires ;

- pendant le mois de janvier 2015, [S] [F] lui a demandé de préparer les toilettes hommes pour qu'elles soient présentables pour les actionnaires masculins ;

- alors qu'elle n'avait jamais bénéficié d'un entretien annuel d'évaluation depuis quatorze années, [S] [F] lui en a fait passer un avant les fêtes de fin d'année et souhaitait l'humilier par des résultats et des commentaires exécrables ;

- le même mois, elle a été rétrogradée directrice commerciale - poste dont la création n'était aucunement indispensable à la restructuration de l'activité - perdant ainsi ses fonctions managériales d'administration et de gestion d'entreprise, ainsi que le suivi du personnel et la présidence du comité d'entreprise ;

- deux jours après la proposition verbale de devenir directrice commerciale, elle a été convoquée par [S] [F] pour lui imposer la signature de l'avenant ;

- de manière brutale, le 02 février 2015, elle a été contrainte de quitter son ancien bureau de 20 m2 pour rejoindre un open-space pendant plusieurs jours pour finalement aller dans un bureau de 12 m2 encombré et partagé avec son assistante ;

- [S] [F] a annulé brutalement la 'validation d'acquis d'expérience' qui devait lui permettre d'obtenir le diplôme de directrice technique gestionnaire de transport ;

- elle a fait l'objet de reproches injustifiés et a été isolée par une interdiction d'assister à la séance du comité d'entreprise le 24 juin 2015 ;

- le 09 juillet 2015, elle a été victime d'un incident automobile (crevaison) et l'absence d'intervention de la S.A.S. JL International a constitué une abstention fautive qui aurait pu avoir des conséquences néfastes sur sa vie ;

- du fait du harcèlement moral et de sa fragilité liée au diabète dont elle est atteinte depuis l'année 2006, elle a inévitablement sombré dans une lourde dépression ;

- elle a bénéficié d'une affection longue durée avec prise en charge des soins à 100% à compter du mois de février 2016.

La S.A.S. JL International réplique que :

- la mission d'intérim de la direction de l'agence lyonnaise était inhérente au poste de directrice d'exploitation de [I] [X], n'a duré que deux mois et a donné lieu à une prime d'un montant de 2000 euros ;

- les prétendues menaces et propos vexatoires ne sont étayés par aucun élément ;

- la société n'a jamais demandé à [I] [X] de nettoyer les toilettes du siège social;

- la mise en place d'un entretien d'évaluation a concerné tous les cadres de la société ;

- l'évaluation était plutôt positive et [I] [X] a même accepté de la revoir sur certains points ;

- la salariée ne produit aucun élément laissant présumer qu'elle a subi une pression pour signer l'avenant la nommant directrice commerciale et que celle-ci a même fait part de son souhait de s'investir pleinement dans ses nouvelles fonctions ;

- [I] [X] a perçu une des rémunérations les plus importantes de la société et était sur la même ligne hiérarchique que les autres directeurs ;

- le choix dans l'attribution des bureaux était parfaitement objectif ;

- le nouveau bureau de [I] [X] était d'une taille identique à ceux des autres cadres de la société ;

- la formation de [I] [X] a été annulée en raison d'un coût exorbitant et du repositionnement de cette salariée sur un poste de directrice commerciale ;

- deux consultants ont été missionnés pour accompagner la salariée dans la mise en oeuvre de la politique commerciale et marketing ;

- le directeur général de la société a toujours encouragé la salariée dans l'accomplissement de ses missions ;

- le représentant légal de la société se devait d'assurer la présidence du comité d'entreprise, à la place de la directrice commerciale ;

- lors de l'accident du 09 juillet 2015, c'est [I] [X] qui a indiqué au directeur général ne pas vouloir attendre le dépanneur ;

- les épisodes dépressifs existaient depuis plus de neuf ans avant les faits allégués et [I] [X] ne démontre pas que son état de santé aurait été altéré en raison des prétendus agissements de la société.

Conformément à l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L.1154-1 du même code, il appartient, dans un premier temps, au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Lorsque le salarié produit des certificats médicaux, ceux-ci font partie des éléments susceptibles d'établir la présomption de harcèlement et le juge doit les prendre en compte dans son appréciation globale.

En l'espèce, [I] [X] n'établit pas qu'elle a été victime de menaces ou de propos vexatoires ou de reproches injustifiés.

.

Elle n'établit pas davantage que c'est à la demande de son employeur qu'elle a inspecté et remis en ordre les toilettes, le 05 janvier 2015.

S'agissant de son affectation du poste de directrice d'exploitation au poste de directrice commerciale, elle l'a approuvée en signant l'avenant du 28 janvier 2015, étant souligné que rien n'établit des pressions.

Les suites de l'incident automobile du 09 juillet 2015 (crevaison) sont assez confuses et ne permettent pas de conclure à une mise en danger par l'employeur.

En revanche, il n'est pas contesté que [I] [X] a dû, du mois d'octobre 2014 jusqu'au mois de décembre 2014/janvier 2015, assurer l'intérim de la direction de l'agence lyonnaise de l'entreprise, en plus de ses attributions normales, ce qui a nécessairement occasionné une surcharge de travail.

La tenue d'un entretien annuel d'évaluation ne peut pas être reproché à l'employeur dans son principe, puisqu'il n'a fait qu'exercer son pouvoir de direction. Mais force est de constater que [I] [X] y a fait l'objet de plusieurs croix 'insuffisant' et de plusieurs commentaires assez négatifs.

Il est constant que [I] [X], lorsqu'elle a été nommée directrice commerciale, a dû quitter son bureau de directrice d'exploitation, rejoindre plusieurs jours un open-space avant d'être installée, ainsi que son assistante, dans un nouveau bureau, plus petit que le précédent.

Il n'est pas contesté que [I] [X] a vu sa formation soudainement annulée.

Il n'est pas davantage contesté que [I] [X] - qui présidait habituellement le comité d'établissement - a été empêchée par la direction d'être présente à la réunion du 24 juin 2015.

Les cinq points ci-dessus, examinés dans leur globalité, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

S'agissant de la mission d'intérim de la direction de l'agence lyonnaise, l'employeur justifie qu'elle n'était pas sans lien avec la fiche de poste de [I] [X] (qui, alors directrice d'exploitation, devait aide et support aux agences dont celle de [Localité 1]), n'a duré que quelques mois et a donné lieu au versement d'une prime.

Quant à l'entretien annuel en début d'année 2015, l'employeur fait valoir, à juste titre, avoir amélioré le projet initial d'évaluation en diminuant le nombre de cases 'insuffisant', puis l'absence de toute observation de la salariée qui a déclaré :

'Je prends bonne note des différentes remarques et de notre entretien constructif.

Et mets tout en oeuvre pour réussir au mieux dans mon nouveau poste de DIRECTRICE COMMERCIALE qui m'a été confié depuis le 28/01/2015.'

S'agissant du départ de son bureau, [I] [X] n'est restée dans un open-space que quelques jours, ce qui n'était pas significatif.

Les photos produites (pièce n°14 de l'appelante et n°28 de l'intimée) ne montrent pas un nouveau bureau inadapté, étant précisé qu'à terme, selon les propres conclusions de la salariée, un réaménagement des locaux était envisagé.

Quant à l'annulation de la formation, en réalité un coaching (pièce n°22 de l'intimée), elle n'était pas illégitime au regard du changement de fonctions de [I] [X] et de la mise en place d'un autre accompagnement (pièces n°19 et 20 de l'appelante).

S'agissant de la présidence de la réunion du 24 juin 2015 du comité d'entreprise, elle revenait, dans la nouvelle organisation de l'entreprise, plus logiquement au représentant légal de la société qu'à [I] [X], devenue directrice commerciale.

En définitive, la S.A.S. JL International justifie d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Ainsi, sans même qu'il soit nécessaire d'examiner les éléments médicaux produits, [I] [X] est déboutée de sa demande en harcèlement moral et de ses demandes - présentées dans ses conclusions comme subséquentes - en dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil et sur le fondement de l'article L.4121-1 du code du travail.

3°/ Sur la demande subsidiaire en dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :

[I] [X] expose que :

- l'atteinte à la dignité du salarié, même non répétée et en dehors de la sphère du harcèlement moral, justifie le manquement de l'employeur à l'exécution de bonne foi du contrat de travail;

- elle n'a cessé de subir des agissements contraires à son honneur, sa probité et sa dignité, à savoir des moqueries, des brimades, des menaces et des pressions.

La S.A.S. JL International réplique que [I] [X] ne rapporte la preuve ni d'une faute commise par la société ni d'un préjudice.

L'article L.1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

La bonne foi se présume.

En l'espèce, [I] [X] ne rapporte la preuve ni de moqueries ni de menaces ni de pressions ni même de brimades (voir le 2°/ ci-dessus sur le harcèlement moral).

Sa demande en dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail est donc rejetée.

4°/ Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail devant produire les effets d'un licenciement nul, ainsi que les demandes indemnitaires subséquentes :

[I] [X] fait grief à la S.A.S. JL International d'un harcèlement moral, d'un retard de prévoyance et de divers autres erreurs (une erreur de versement au titre du 13è mois en trop en novembre 2015 repris en décembre 2015, une absence de mention de l'intitulé du poste de directrice commerciale sur les bulletins de salaire, une absence de mention au droit individuel à la formation, une absence de mention du véhicule de fonction sur les bulletins de salaire, ainsi qu'une absence de remboursement de la mutuelle).

La S.A.S. JL International réplique que :

- la salariée a bénéficié d'un maintien de salaire à 100% jusqu'au mois de décembre 2015, puis à 75% jusqu'au mois d'avril 2016 ;

- à la fin du mois d'avril 2016, [I] [X] l'a informée de l'absence d'ouverture de dossier auprès de l'IPECA ;

- dès le 25 avril 2016, elle a régularisé la situation auprès de l'IPECA ;

- ainsi, le reliquat de prévoyance dû à [I] [X] a été versé avec la paie du mois de juin 2016.

Le salarié peut obtenir la résiliation judiciaire du contrat de travail lorsque l'employeur ne respecte pas ses obligations contractuelles et que le manquement commis par celui-ci est suffisamment grave pour rendre impossible la poursuite de l'exécution du contrat.

Lorsqu'un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande en résiliation du contrat était justifiée.

En l'espèce, le grief tenant au harcèlement moral n'est pas établi (voir 2°/ ci-dessus).

Par message électronique du 25 avril 2016, la salariée a informé la S.A.S. JL International d'une difficulté de prise en charge par Prévoyance IPECA.

L'employeur a alors adressé un courrier à cet organisme le 12 mai 2016 et la situation a pu être régularisée au mois de juin 2016, comme le montre le bulletin de salaire.

Il en ressort que, même si la demande d'indemnisation a été adressée tardivement au regard de la date de début de maladie, la S.A.S. JL International a réagi rapidement dès qu'elle a eu connaissance d'une difficulté.

Les autres griefs soulevés par [I] [X] sont minimes.

En définitive, [I] [X] ne rapporte pas la preuve d'un manquement suffisamment grave de l'employeur, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

La demande en résiliation judiciaire et les demandes indemnitaires subséquentes sont donc rejetées.

5°/ Sur les dommages et intérêts pour préjudice subi en raison du défaut de portabilité de la mutuelle et de la prévoyance :

[I] [X] expose avoir subi un préjudice en raison du défaut de portabilité de la mutuelle et de la prévoyance, alors même que la lettre de licenciement indiquait qu'elle pouvait prétendre au maintien des garanties pendant douze mois.

En l'espèce, [I] [X] ne justifie d'aucun préjudice.

La demande en dommages et intérêts est donc rejetée.

6°/ Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison du défaut de reclassement, ainsi que les demandes indemnitaires subséquentes :

[I] [X], après avoir précisé que son inaptitude était non professionnelle, expose que la S.A.S. JL International n'a effectué aucune recherche de reclassement et ne lui a même proposé aucun offre, aucune mutation, aucune transformation de poste ou aménagement de travail.

La S.A.S. JL International réplique qu'elle était tenue par les observations du médecin du travail.

L'article L.1226-2 al.2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que, lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

L'alinéa 2 ajoute que cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise.

Il en résulte, à la charge de l'employeur, une obligation de moyen renforcée de reclassement.

Si l'avis du médecin du travail déclarant un salarié inapte à tout poste dans l'entreprise ne dispense pas l'employeur, quelle que soit la position prise par le salarié , de son obligation légale de recherche de reclassement au sein de cette entreprise et, le cas échéant, du groupe auquel celui-ci appartient, les réponses apportées, postérieurement au constat régulier de l'inaptitude, par ce médecin sur les possibilités éventuelles de reclassement concourent à la justification par l'employeur de l'impossibilité de remplir cette obligation.

En l'espèce, la S.A.S. JL International justifie, par la production des conclusions du 21 juin 2016, ainsi que des réponses des 28 juin 2016 et 18 juillet 2016 du médecin du travail - que [I] [X] était déclarée inapte à reprendre le travail à tous les postes de l'entreprise et que, médicalement, le reclassement de celle-ci dans l'entreprise ou dans le groupe n'était pas envisageable, y compris par la mise en oeuvre de mesures telles que mutation, transformation de poste de travail, aménagement de temps de travail ou formation.

La S.A.S. JL International - qui était tenue par les préconisations du médecin du travail - prouve ainsi qu'elle était dans l'impossibilité de remplir son obligation de reclassement.

La demande tendant à ce que le licenciement soit déclaré sans cause réelle et sérieuse, ainsi que les demandes en indemnisation présentées par [I] [X] comme subséquentes (dont celle en indemnité compensatrice de congés payés à hauteur de 7055,31 euros) sont rejetées.

7°/ Sur le rappel d'heures supplémentaires :

[I] [X] expose que :

- son contrat de travail stipulait un horaire de 151,67 heures ;

- après la prise de ses fonctions de directrice commerciale, elle n'a jamais respecté cet horaire, notamment en raison des temps de trajet pour se rendre chez des clients, en particulier durant les pauses déjeuner ;

- elle a effectué en moyenne dix heures supplémentaires par semaine, comme le montrent les agendas Outlook pour les huit semaines concernées.

La S.A.S JL International réplique que :

- lorsque le tableau produit par un salarié est peu compréhensible et ne laisse pas apparaître, pour chaque jour précis de chaque semaine précise, les horaires de travail accomplis, l'employeur n'est pas mis en position de pouvoir répondre en fournissant ses propres éléments ;

- les éléments versés aux débats par la salariée ont été établis postérieurement ;

- ces éléments font apparaître des incohérences.

Il ressort de l'article L.3171-4 du code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et que l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Il appartient cependant à celui-ci de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

En l'espèce, [I] [X] verse aux débats (pièces n°57 à 59) une estimation hebdomadaire de ses heures supplémentaires.

Elle y joint des photocopies des pages de son agenda Outlook permettant, pour l'essentiel, de reconstituer ses horaires journaliers et de confirmer les durées de travail mentionnées sur les tableaux.

L'employeur ne pointe de difficultés précises que pour deux journées (13 avril 2015 et 14 avril 2015). Au demeurant, il ne s'agit que de menues incohérences.

En définitive, la cour a acquis la conviction que la salariée a effectué 200 heures supplémentaires, si bien que la S.A.S. JL International lui doit un rappel de 3804 euros pour la période allant du 13 avril 2015 au 09 juillet 2015, outre un montant de 380,40 euros de congés payés y afférents.

8°/ Sur l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé :

[I] [X] expose qu'elle a effectué des heures supplémentaires et que la S.A.S. JL International s'est délibérément soustrait à leur paiement.

Il ressort de l'article L.8223-1 du code du travail qu'en cas de rupture de la relation de travail, lorsqu'il y a eu travail dissimulé caractérisé par une volonté manifeste de l'employeur de frauder, le salarié a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l'espèce, la preuve du caractère intentionnel de l'omission n'étant pas rapportée, la demande en indemnité pour travail dissimulé ne peut qu'être rejetée.

9°/ Sur la retenue de salaire injustifiée :

[I] [X] expose que, de manière injustifiée, au mois de décembre 2015, l'employeur lui a déduit de son salaire une somme de 2144,88 euros correspondant à un prétendu trop-perçu de salaire le mois précédent.

La S.A.S. JL International n'objectant rien sur ce point, elle est condamnée à payer à [I] [X] un montant de 2144,88 euros de rappel de salaire.

10°/ Sur les intérêts de retard :

Les trois sommes allouées ci-dessus seront augmentées des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt (un point de départ antérieur des intérêts n'étant pas sollicité).

Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt, en application de l'article 1343-2 nouveau du code civil.

11°/ Sur la remise sous astreinte de documents de fin de contrat :

Il convient de condamner la S.A.S. JL International à remettre à [I] [X] un bulletin de salaire complémentaire et une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt.

La rectification du certificat de travail n'apparaît pas nécessaire.

Le litige survenu entre les parties rend sans objet la remise d'un reçu pour solde de tout compte.

Il n'y a pas lieu d'assortir la condamnation d'une astreinte, aucun élément particulier ne le justifiant.

12°/ Sur la remise sous astreinte d'affaires personnelles :

[I] [X] expose qu'elle n'a jamais pu reprendre ses affaires personnelles, lesquelles étaient numérotées dans des cartons.

La S.A.S. JL International réplique qu'elle n'a plus en sa possession d'affaires personnelles appartenant à [I] [X].

[I] [X] - qui présente la demande - n'apporte aucune preuve (autre que la photographie de deux cartons à son nom, pièce n°96).

Elle en est donc déboutée.

13°/ Sur la remise sous astreinte des décomptes relatifs à l'avantage en nature (véhicule de fonction) :

[I] [X] sollicite la remise sous astreinte de décomptes relatifs à l'avantage en nature dont elle était bénéficiaire, à savoir un véhicule de fonction.

La S.A.S. JL International réplique qu'une régularisation a été opérée sur le bulletin de paie du mois de juillet 2016.

[I] [X] ne précise ni ne justifie l'utilité qu'elle aurait des décomptes réclamés.

La demande est donc rejetée.

14°/ Sur le remboursement des sommes versées en exécution de la décision de première instance :

Il n'appartient pas à la cour de condamner à remboursement ou d'ordonner la restitution de sommes perçues en exécution de la décision de première instance.

Il reviendra, en effet, aux parties, au vu du présent arrêt, de faire le compte entre elles.

15°/ Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

La S.A.S. JL International est condamnée aux dépens de première instance comme d'appel.

Elle est condamnée à payer à [I] [X] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance comme en appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

INFIRME le jugement déféré ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la S.A.S. JL International à payer à [I] [X] les sommes suivantes à augmenter des intérêts au taux légal à compter de la présente décision :

- 3804€ (TROIS MILLE HUIT CENT QUATRE EUROS) de rappel d'heures supplémentaires pour la période allant du 13 avril 2015 au 09 juillet 2015 ;

- 380,40€ (TROIS CENT QUATRE VINGTS EUROS ET QUARANTE CENTIMES) de congés payés y afférents ;

- 2144,88€ (DEUX MILLE CENT QUARANTE QUATRE EUROS ET QUATRE VINGT HUIT CENTIMES) en remboursement d'une retenue indue sur le salaire du mois de décembre 2015 ;

DIT que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt, en application de l'article 1343-2 nouveau du code civil ;

CONDAMNE la S.A.S. JL International à remettre à [I] [X] un bulletin de salaire complémentaire et une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt ;

CONDAMNE la S.A.S. JL International à payer à [I] [X] la somme de 1500 € (MILLE CINQ CENTS EUROS) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

CONDAMNE la S.A.S. JL International aux dépens de première instance comme d'appel

LE GREFFIER LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 17/12554
Date de la décision : 16/10/2019

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°17/12554 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-10-16;17.12554 ?
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