La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/09/2019 | FRANCE | N°18/17872

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 7, 25 septembre 2019, 18/17872


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 7



ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2019



(n° 32/2019, 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/17872 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6CM5



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 04 Juillet 2018 -Juge de la mise en état de PARIS - RG n° 17/15842





APPELANT



Monsieur [H] [G]

[Adresse 1]>
[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 2] (SERBIE)



Représenté par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050, avoc...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 7

ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2019

(n° 32/2019, 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/17872 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6CM5

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 04 Juillet 2018 -Juge de la mise en état de PARIS - RG n° 17/15842

APPELANT

Monsieur [H] [G]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 2] (SERBIE)

Représenté par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050, avocat postulant

Assisté de Me Marjorie MORISE, avocat au barreau de BOBIGNY, toque : 169, avocat plaidant

INTIMEE

SARL LAGARDERE NEWS

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : B 4 15 096 502

Représentée et assistée par Me Christophe BIGOT, avocat au barreau de PARIS, toque : W10, avocat postulant et plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 mai 2019, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Anne-Marie SAUTERAUD, Présidente

Mme Sophie-Hélène CHATEAU, Conseillère

un rapport a été présenté à l'audience par Mme SAUTERAUD dans les conditions prévues par les articles 785 et 786 du code de procédure civile.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Anne-Marie SAUTERAUD, Présidente

Mme Sophie-Hélène CHATEAU, Conseillère

Mme Isabelle CHESNOT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Anne-Marie SAUTERAUD, Présidente et par Margaux MORA, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu l'assignation délivrée le 19 septembre 2017 à la société LAGARDERE NEWS, à la requête de [H] [G], qui demandait au tribunal, à la suite de la publication le 25 novembre 2011 sur le site www.europe1.fr d'un article intitulé 'Mali : le passé sulfureux des otages', et au visa de l'article 1240 du code civil :

- de condamner la défenderesse, éditrice du site, à lui verser la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi 'par leur faute',

- d'ordonner, sous astreinte de 200 euros par jour, la suppression de l'article mis en ligne,

- de condamner la société LAGARDERE NEWS au paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- d'ordonner l'exécution provisoire,

- de condamner la société LAGARDERE NEWS aux dépens,

Vu l'ordonnance rendue le 4 juillet 2018 par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris qui a :

- déclaré l'assignation nulle, après avoir fait droit au moyen de nullité soulevé en défense et avoir requalifié le fondement juridique de l'assignation visant des faits diffamatoires,

- débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et condamné [H] [G] aux dépens, avec application de l'article 699 du même code,

Vu l'appel interjeté le 17 juillet 2018 par [H] [G],

Vu les dernières conclusions signifiées par RPVA le 16 novembre 2018 par [H] [G] qui demande à la cour :

- d'infirmer la décision entreprise,

- de le déclarer recevable en son action,

- de condamner la société LAGARDERE NEWS à lui payer la somme de 100.000 € à titre de dommages-intérêts et celle de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

Vu les conclusions signifiées par RPVA le 30 août 2018 aux termes desquelles la société LAGARDERE NEWS sollicite de la cour qu'elle confirme l'ordonnance du 4 juillet 2018 et condamne le demandeur au paiement de 3.000 € au titre de ses frais irrépétibles en appel et aux dépens, dont distraction au profit de son avocat,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Sur la requalification et la nullité de l'assignation

En application de l'article 12 du code de procédure civile, le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Lorsque le dommage invoqué trouve sa cause dans l'une des infractions définies par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, le demandeur ne peut, notamment pour échapper aux contraintes procédurales de cette loi, se prévaloir pour les mêmes faits de qualifications juridiques distinctes restreignant la liberté protégée par cette loi dans des conditions qu'elle ne prévoit pas.

En particulier, les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 devenu 1240 du code civil.

En outre, la liberté d'expression est un droit dont l'exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi ; des propos mensongers ou seulement faux n'entrent pas dans ces cas, l'article 27 de la loi du 29 juillet 1881 ne punissant la publication de nouvelles fausses que dans des cas particuliers.

Ainsi, la responsabilité civile de droit commun ne peut être invoquée qu'en cas de dénigrement de biens ou services ou s'il est reproché au défendeur une faute résultant d'une infraction pénale.

En l'espèce, [H] [G] expose dans son assignation qu'avec [D] [L], il a été enlevé au Mali le 24 novembre 2011, puis retenu en otage par l'organisation Al Quaïda au Maghreb Islamique avec un traitement particulièrement dur jusqu'au 9 décembre 2014, et que depuis son retour en France, il a découvert que certains médias en ligne l'avaient confondu avec [Y] [G], notamment dans l'article poursuivi publié le lendemain de son enlèvement.

Pour faire droit à la demande de requalification et annuler l'assignation, le juge de la mise en état -dont la compétence à cet égard n'est pas contestée- a constaté que la société LAGARDERE NEWS faisait, à juste titre, observer que le préjudice qu'entend voir réparer le demandeur a pour origine son assimilation avec une personnalité soupçonnée de crimes de guerre et qu'il sollicite au principal la réparation d'une atteinte à son honneur, consistant en l'imputation de faits criminels.

Devant la cour, [H] [G] fait valoir qu'il ne s'est jamais plaint de diffamation, mais qu'il reproche à la défenderesse de l'avoir confondu avec [Y] [G], ce qui a mis sa vie en danger, que l'imputation de tuer des musulmans n'apparaît pas dans l'article litigieux, mais dans des articles de presse internationale datant de la période 2002-2006, que la fausse information sur son identité a manifestement accru le péril dans lequel il se trouvait et est à l'origine du traitement particulièrement violent qu'il a subi pendant sa captivité.

Il est soutenu en défense que le demandeur sollicite en réalité la réparation d'un dommage causé par une prétendue atteinte à sa réputation résultant de la confusion que le public a pu faire entre lui et [Y] [G], de nature à le présenter comme un 'tortionnaire de musulmans', que rien ne permet d'établir que les preneurs d'otage aient confondu les deux hommes et que le délit de mise en danger de la vie d'autrui exige la violation d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, qui ne peut se confondre avec une simple faute d'imprudence ou de négligence.

Il y a donc lieu d'examiner le contenu de l'acte introductif d'instance lui-même pour déterminer son véritable fondement juridique.

L'assignation indique notamment que :

- l'auteur de l'article a confondu le demandeur avec un homonyme, [Y] [G], personnage médiatique qui a témoigné au procès de [Y] [T] -ce qui a largement été relaté par la presse internationale- et qui est soupçonné d'avoir participé à la commission de crimes de guerre, en particulier à l'encontre de la population musulmane de Bosnie-Herzégovine ;

- la publication en cause confond un otage aux mains d'une organisation terroriste islamique avec une personne soupçonnée d'avoir participé à la commission de crimes contre des populations musulmanes, ce qui l'a exposé à un risque de mort accru ;

- 'la publication d'un article de presse en ligne, assimilant un otage, au lendemain de son enlévementpar un groupe de terroristes islamistes, à un homonyme dont il est légitime de penser, à la lecture de nombreux articles de presse en ligne facilement accessibles par tous, et notamment par les ravisseurs de M. [G], qu'il a participé aux massacres de populations musulmanes lors du conflit en Ex-Yougoslavie pendant les années 1990, constitue une faute d'imprudence grave' ;

- ses ravisseurs ont très certainement eu accès à l'article litigieux et aux articles relatant le témoignage de [Y] [G], très largement relayé par la presse ;

- 'le lien n'était pas difficile à établir pour les ravisseurs entre leur otage et l'homme qui avait participé à des actes barbares contre des populations musulmanes' ;

- 'à partir de la publication de cet article, M. [G] devient un tortionnaire de Musulmans, prisonnier de Musulmans' ;

- 'ces fausses informations sur l'identité et le passé de M. [G], qui sont parues dans les médias concomitamment à son enlèvement, ont manifestement accru le péril dans lequel il se trouvait et sont à l'origine du traitement particulièrement violent qu'il a subi pendant ses 1111 jours de captivité' ;

- 'depuis sa libération, M. [G] est constamment contraint de se justifier auprès des personnes qu'il rencontre, celles-ci restant persuadées qu'il a été un agent des services secrets serbes et a participé aux massacres de musulmans durant la guerre de Yougoslavie'.

Il doit être constaté que l'article litigieux indique, quant à lui, que [H] [G] apparaît dans une procédure judiciaire en Serbie (suit le titre d'un article sur internet faisant état de criminels de guerre dans l'ombre des services secrets français) visant un réseau clandestin qui devait assassiner le président [Y] [T], ce qui apparaît déjà assez précis et attentatoire à l'honneur, quoi que le demandeur soutienne dans ses conclusions.

En outre, il est exact que le texte publié sur le site europe1.fr ne fait pas mention de crimes de guerre contre des musulmans, mais l'assignation explique clairement que les internautes, dont les ravisseurs, devaient nécessairement faire le lien avec d'autres articles antérieurement mis en ligne sur internet et relatant que l'homonyme, avec lequel [H] [G] est confondu, avait participé à des crimes contre des musulmans, ce qui renvoie à des éléments extrinsèques lui imputant également ces crimes.

Le dommage invoqué trouve ainsi sa cause dans des faits diffamatoires, en ce que le demandeur est présenté -certes à tort- comme l'auteur de méfaits, en réalité commis par un autre. C'est donc à juste titre que le juge de la mise en état a requalifié le fondement de l'action, qui aurait dû viser la loi du 29 juillet 1881, et qu'il a annulé l'assignation faute d'avoir respecté les conditions de forme et de prescription prévues impérativement par ce texte.

En effet, même si l'assignation indiquait que cette erreur d'identification ou cette fausse information -non sanctionnables en elles-mêmes sur le seul fondement de la responsabilité délictuelle de droit commun- avaient accru le péril dans lequel se trouvait [H] [G], il ne ressort pas pour autant du contenu de l'acte introductif d'instance que les faits reprochés pourraient trouver leur fondement dans une infraction pénale, l'article 121-3 du code pénal prévoyant notamment que 'lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui' et qu' 'il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement', ce qui n'est pas le cas en l'occurrence.

En conséquence, l'ordonnance du 4 juillet 2018 sera confirmée en ce qu'elle a déclaré nulle l'assignation délivrée le 19 septembre 2017 sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

Pour des raisons tirées de considérations d'équité, il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Enfin, [H] [G] sera condamné aux dépens, avec application de l'article 699 du même code.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme l'ordonnance rendue le 4 juillet 2018 par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris, en ce qu'elle a déclaré nulle l'assignation délivrée le 19 septembre 2017 sur le fondement de l'article 1240 du code civil,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne [H] [G] aux dépens, qui pourront être recouvrés par Me C. BIGOT, avocat, dans les conditions de l'article 699 du même code.

LE PRÉSIDENT LE GREFFIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 18/17872
Date de la décision : 25/09/2019

Références :

Cour d'appel de Paris C7, arrêt n°18/17872 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-09-25;18.17872 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award