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25/09/2019 | FRANCE | N°17/12044

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 25 septembre 2019, 17/12044


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le



:AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2019



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/12044 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4FOB



Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Septembre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 14/02587





APPELANT



Monsieur [Y] [P]<

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[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Isabelle SAMAMA SAMUEL, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : BOB196







INTIMEE



SA CONFORAMA

[Adresse 3]

[Localité 2]

Repré...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le

:AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 25 SEPTEMBRE 2019

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/12044 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4FOB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Septembre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 14/02587

APPELANT

Monsieur [Y] [P]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Isabelle SAMAMA SAMUEL, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : BOB196

INTIMEE

SA CONFORAMA

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Béatrice THELLIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0305

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Mai 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Benoît DEVIGNOT, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Pascale MARTIN, présidente

Nadège BOSSARD, conseillère

Benoît DEVIGNOT, conseiller

Greffier, lors des débats : Monsieur Philippe ANDRIANASOLO

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. Prorogé à ce jour

- signé par Pascale MARTIN, Présidente et par Philippe ANDRIANASOLO, greffier de la mise à disposition, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Selon contrat à durée indéterminée stipulant un forfait de 218 jours par an, [Y] [P] a été embauché à compter du 1er novembre 2010 par la S.A. Conforama, en qualité de responsable animation des ventes G2, secteur blanc et cuisine de l'établissement de [Localité 5], statut cadre, moyennant une rémunération de 29900 euros brut par an (prime de fin d'année comprise), outre une prime de 290 euros brut par mois.

A compter de l'année 2011, [Y] [P] a été désigné représentant de la section syndicale UNSA.

Selon avenant à effet du 1er juillet 2012, il est devenu responsable animation des ventes 'brun/gris' du magasin de [Localité 5], statut cadre, groupe 6 niveau 1.

Au mois de janvier 2014, [Y] [P] s'est déclaré candidat pour les élections professionnelles au collège cadres du comité d'entreprise.

Par courrier du 16 février 2014, le salarié a dénoncé à la direction de Conforama une situation de discrimination syndicale et un délit d'entrave, voire des insultes de la part du directeur du magasin, [C] [H].

Par lettre du 15 avril 2014 adressé à ce dernier après des contrôles opérés au sein de l'entreprise, l'inspecteur du travail a dénoncé l'organisation ou la tentative d'organisation de l'isolement de [Y] [P].

A la suite du licenciement de [C] [H], un nouveau directeur du magasin, [W] [Z], a pris ses fonctions au mois de septembre 2014.

[Y] [P] a été en arrêt maladie du 26 septembre 2014 au 06 octobre 2014, à la suite d'un accident du travail.

[W] [Z] lui a adressé, le 26 septembre 2014, un courrier de remontrances quant à la tenue de son rayon et au ton de leurs échanges.

Par message électronique du 19 novembre 2014, [Y] [P] s'est vu refuser le poste de responsable de rayon pour l'ensemble du périmètre G2 et cuisine.

Par courrier du 30 décembre 2014, après avoir reproché au salarié trente quatre 'points de non-conformité avec les standards de base demandés par notre enseigne Conforama', le directeur lui a précisé : 'Au vu de ces manquements et de votre manque d'intérêt manifeste pour votre métier, je me dois de vous mettre en demeure d'exécuter ce qui relève de votre pleine et entière responsabilité.'

S'estimant victime de discrimination syndicale, de harcèlement moral et du non-paiement d'heures supplémentaires, [Y] [P] a saisi, par courrier posté le 03 décembre 2014, la juridiction prud'homale.

Par jugement prononcé le 07 septembre 2017, la formation paritaire de la section encadrement du conseil de prud'hommes de Créteil a notamment :

- reconnu l'existence d'une discrimination syndicale mêlée d'un harcèlement moral de la direction des magasins Conforama à l'encontre de [Y] [P] ;

- condamné la direction des magasins Conforama à verser à [Y] [P] la somme de 25000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral et discrimination syndicale, ainsi que la somme de 1200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté [Y] [P] du surplus de ses prétentions ;

- débouté la direction des magasins Conforama de l'ensemble de ses prétentions ;

- condamné la direction des magasins Conforama aux dépens.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont considéré que des éléments objectifs permettaient de présumer une discrimination syndicale par la hiérarchie centrale, au minimum l'organisation régionale. Ils ont ajouté avoir acquis la conviction que [Y] [P] n'avait pas effectué les heures supplémentaires alléguées. S'agissant de la demande en réintégration de [Y] [P] sur le poste de chef de rayon ERMTV et cuisine, ils ont opposé le fait que ce poste n'était plus vacant. Quant au rappel de salaire sollicité, ils ont estimé que l'adage 'travail égal, salaire égal' ne pouvait pas prospérer, faute d'éléments objectifs et pertinents.

L'avocat de [Y] [P] a interjeté appel partiel par voie électronique le 29 septembre 2017, soit dans le délai légal d'un mois.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 06 mai 2019, [Y] [P] requiert la cour, sur l'appel principal, d'infirmer le jugement, en ce qu'il l'a débouté de ses demandes au titre du préjudice résultant de la résistance abusive dont la société a fait montre le concernant, au titre du rappel d'heures supplémentaires pour la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014, au titre des congés payés y afférents, au titre du rappel de salaire pour la période allant du mois de février 2014 au mois de novembre 2014, au titre des congés payés y afférents, ainsi qu'au titre de la prime de fin d'année pour les années 2015 à 2018, puis, statuant à nouveau, de :

- dire que la convention en forfait jours, indiquée au contrat, ne saurait trouver à s'appliquer;

- condamner la S.A. Conforama à procéder à sa réintégration au poste de chef de rayon ERMTV et cuisine, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt ;

- condamner la S.A. Conforama au paiement de la somme de 30000 euros pour le préjudice résultant de la résistance abusive dont la société a fait montre s'agissant de la nomination à ce poste, la somme de 83623 euros de rappel d'heures supplémentaires pour la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014, la somme de 8362,30 euros de congés payés y afférents, la somme de 10160,59 euros de rappel d'heures supplémentaires pour la période allant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, la somme de 1016,59 euros de congés payés y afférents, la somme de 109662,54 euros de rappel de salaire pour la période allant du mois de février 2014 au mois de février 2019, la somme de 10996,25 euros de congés payés y afférents, ainsi que la somme de 8763,35 euros de prime de fin d'année pour la période allant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2018.

[Y] [P] requiert la cour de déclarer l'appel incident irrecevable, s'agissant de la condamnation de la S.A. Conforama au titre d'un harcèlement moral lié à une activité syndicale. Subsidiairement, il conclut à l'infirmation du jugement sur les montants à ce titre et, par conséquent, à la condamnation de la S.A. Conforama à lui payer la somme de 50000 euros de dommages et intérêts pour discrimination syndicale, ainsi que la somme de 50000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

[Y] [P] sollicite, en outre, la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 07 mai 2019, la S.A. Conforama sollicite que la cour :

- déclare irrecevable la demande de [Y] [P] au titre de la prime de fin d'année ;

- infirme le jugement déféré, en ce qu'il a reconnu une discrimination syndicale mêlée de harcèlement moral et condamné l'employeur au paiement de la somme de 25000 euros à ce titre, ainsi que la somme de 1200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

- confirme le jugement déféré, en ce qu'il a débouté [Y] [P] de ses demandes au titre du préjudice moral résultant de la résistance abusive, au titre du rappel d'heures supplémentaires pour la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014, au titre des congés payés y afférents, au titre du rappel de salaire pour la période allant du mois de février 2014 au mois de novembre 2014, ainsi qu'au titre des congés payés y afférents.

La S.A. Conforama en conclut que, statuant à nouveau, la cour doit constater la validité de la convention de forfait en jours, débouter [Y] [P] de l'ensemble de ses prétentions et condamner celui-ci au paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions mentionnées ci-dessus.

La clôture a été prononcée le 07 mai 2019 par le conseiller de la mise en état.

L'affaire a été plaidée à l'audience du 21 mai 2019 en formation de conseiller rapporteur, les deux parties représentées.

MOTIFS DE LA DECISION

1°/ Sur l'irrecevabilité de l'appel incident :

[Y] [P] expose, au soutien de l'irrecevabilité de l'appel incident, que la condamnation de la S.A. Conforama est définitive s'agissant du harcèlement moral lié à une activité syndicale, puisque la cour n'est saisie que des chefs de jugement explicitement visés dans la déclaration d'appel et que, précisément, la S.A. Conforama n'a formé aucun appel.

La S.A. Conforama réplique qu'elle disposait d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses propres conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué. Elle rappelle que [Y] [P] a déposé ses conclusions le 18 décembre 2017 et qu'elle y a répliqué dès le 19 janvier 2018.

Il résulte de l'article 914 du code de procédure civile que, dans le cadre de sa compétence exclusive, le conseiller de la mise en état peut seul statuer sur l'irrecevabilité de l'appel, qu'il s'agisse de l'irrecevabilité de l'appel principal ou de l'appel incident.

En l'espèce, à défaut d'élément nouveau survenu postérieurement au dessaisissement de ce magistrat, il convient de dire que [Y] [P] n'est plus recevable à invoquer devant la cour l'irrecevabilité de l'appel incident.

2°/ Sur l'irrecevabilité de la demande nouvelle :

La S.A. Conforama expose que c'est seulement dans ses troisièmes conclusions, notifiées par voie électronique le 18 mars 2019, que [Y] [P] a sollicité, pour la première fois, la condamnation au paiement de la somme de 8763,35 euros de prime de fin d'année. L'intimée ajoute que les moyens au soutien de cette nouvelle demande ne sont d'ailleurs même pas invoqués.

[Y] [P] n'y réplique pas.

L'article 910-4 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue de l'article 22 du décret du 06 mai 2017, en vigueur depuis le 1er septembre 2017, soit antérieurement à la déclaration d'appel, prévoit qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Le contentieux relatif à la concentration des prétentions relève de la seule cour d'appel - et non du conseiller de la mise en état - , l'article 914 relatif à la compétence de ce magistrat ne faisant pas référence à l'article 910-4 précité.

En l'espèce, la demande en rappel de prime de fin d'année n'est apparue que dans le jeu de conclusions de l'appelant, notifié le 18 mars 2019 - et non dès ses premières conclusions, conformes à l'article 908 et notifiées le 18 décembre 2017.

Il en résulte que ladite demande, présentée tardivement, doit être déclarée irrecevable.

3°/ Sur la discrimination syndicale :

[Y] [P] expose, en substance, qu'eu égard à son activité syndicale au sein du syndicat UNSA, il a été volontairement écarté, insulté, stigmatisé et sanctionné. Il souligne n'avoir bénéficié d'aucune promotion depuis l'année 2011, date de sa désignation comme représentant syndical. Il affirme que l'ancien directeur avait reçu pour instruction de ne lui attribuer ni prime ni promotion. Il précise que les autres membres de son syndicat, l'UNSA, ont été eux aussi sanctionnés.

La S.A. Conforama distingue deux périodes. S'agissant de celle allant du 14 janvier 2014 au 21 juillet 2014, elle rétorque ne pas être l'auteur des agissements dénoncés et n'avoir jamais demandé au directeur d'alors du magasin, [C] [H], d'agir ainsi. Elle affirme avoir respecté son obligation de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral, puisqu'elle a sanctionné puis licencié l'auteur des faits dénoncés par [Y] [P], à savoir [C] [H].

S'agissant de la période allant du 21 juillet 2014 à ce jour, elle soutient que l'appelant n'établit aucun fait précis et que, de toute façon, la prétendue attitude agressive de [W] [Z] - qui a quitté le magasin de [Localité 5] le 31 décembre 2014 - n'aurait pu se produire que sur une courte période. Elle affirme que les reproches formulés à l'encontre de [Y] [P] n'étaient pas de nature à porter atteinte à la dignité de celui-ci et étaient à la fois justifiés et proportionnés aux manquements commis par le salarié dans la tenue du rayon. Elle ajoute que [Y] [P] n'a jamais effectué le travail de trois personnes, n'a que temporairement assuré le remplacement d'un collègue avec l'aide d'un autre responsable et qu'eu égard aux difficultés rencontrées, sa candidature n'a pas pu être retenue pour le poste.

La S.A. Conforama considère que le salarié n'apporte aucun élément précis permettant de présumer une quelconque discrimination ou harcèlement moral. Elle affirme que les attestations ne rapporteraient aucun fait précis.

Il résulte de l'article L.1132-1 du code du travail qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, en raison de ses activités syndicales.

Conformément à l'article L.1134-1 du même code, en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, [Y] [P] justifie que le directeur du magasin (en poste jusqu'au mois d'août 2014), [C] [H], a adressé un message électronique le 1er février 2014 le dénigrant ainsi que son action syndicale auprès de plusieurs responsables locaux de la société :

'J'ai appris durant la semaine que [V] voulait se ralier au mouvement de [Y]. D'après ce que j'ai vu de [V] depuis que je suis sur le magasin = c'est quelqu'un de disponible, de travailleur, attachée à l'enseigne et qui a de bons résultats au SAV.

Pourquoi ce type de managers sont prêts à se ranger derrière une personne comme [Y] qui ne brille pas spécialement par un comportement exemplaire et qui bien au contraire adopte des attitudes extrêmement négatives vis à vis de l'enseigne. Sommes nous moins convaincant que ce type de personnes (...)'

[U] c'est à toi maintenant de prendre le relai et faire en sorte qu'elle ne bascule pas dans un système qu'elle risquera de regretter par la suite. (...)'

Le 16 février 2014, le salarié a écrit un courrier au président directeur général de la société pour se plaindre du comportement de [C] [H] à son encontre, à savoir une discrimination syndicale, un délit d'entrave, des insultes et un manque de communication, mais le salarié n'a reçu aucune réponse.

Le 15 avril 2014, l'inspection du travail a adressé un courrier à [C] [H] pour dénoncer la situation de [Y] [P] :

' (...) En organisant ou en tentant d'organiser l'isolement de M. [P], en ne l'invitant plus aux réunion d'équipe et de réseaux, et en portant des jugements sur sa personne à destination d'autre collègue de travail (...), vous avez contribué intentionnellement et à plusieurs reprises, à dégrader les conditions de travail de M.[P], cela étant susceptible d'altérer sa santé physique ou mentale et de compromettre son avenir professionnel.(...)'

[Y] [P] a reçu quatre lettres particulièrement négatives des 26 septembre 2014, 15 octobre 2014, 22 décembre 2014 et 30 décembre 2014 du nouveau directeur du magasin, [W] [Z], lequel a omis de souligner la moindre qualité du salarié et de prendre en compte les efforts faits par celui-ci, pendant plusieurs mois, pour remplacer au moins un collègue absent.

Certes, [Y] [P] a pu bénéficier d'une prime exceptionnelle, mais celle-ci s'est avérée d'un montant très faible par rapport à l'ampleur et à la durée du travail supplémentaire auquel il a été confronté.

Au mois de novembre 2014, [Y] [P] s'est vu refuser d'être nommé au poste de responsable de rayon pour l'ensemble du périmètre G2 et cuisine, et ce pour le motif suivant, selon un message électronique du 19 novembre 2014 de la responsable des ressources humaines:

' (...) Il apparaît qu'à ce jour, vous ne remplissez pas l'ensemble des attentes que nous avons pour ce poste notamment en terme d'exigences vis-à-vis des équipes en terme de qualité d'exposition, notamment, et de posture plus particulièrement (cf vos échanges très vifs avec votre DM que vous avez vous-même reconnus)'

Plus généralement, [Y] [P] n'a bénéficié d'aucune promotion depuis l'avenant du 28 juin 2012.

Pourtant, un vendeur, [J] atteste que, du mois de janvier 2014 au début du mois de décembre 2014, [Y] [P] a eu la charge d'un rayon employant vingt-deux personnes et normalement géré par trois responsables. Il indique aussi avoir pu constater que celui-ci était 'victime d'acharnement de la part des coordinateurs lors des visites du magasin'.

Un autre vendeur, [K] [I], se présentant comme secrétaire du CHSCT, précise que [Y] [P] a dû gérer des rayons de nature très variés (petit électroménager, gros ménager, cuisines équipées, télévisions, HIFI et micro-informatique) seul et faire le travail de trois autres responsables, mais que, pour autant, le directeur se plaignait de son travail.

[D] [R], responsable administratif, confirme que [Y] [P] a fait l'objet de remarques de la part de la direction, sur la qualité de son travail, malgré 'son implication sur l'ensemble du rayon'.

[U] [N], responsable de dépôt, évoque, dans son attestation, un harcèlement de la direction, durant l'année 2014, à l'encontre de [Y] [P], se matérialisant par des visites inopinées de son rayon.

L'ancien directeur du magasin, [C] [H], avec lequel [Y] [P] était en litige atteste désormais du 'très beau travail' accompli par celui-ci 'sur le rayon G2 en l'absence du chef du département pendant une année' et 'qu'au niveau professionnel il a toujours fait le maximum pour assurer le succès du rayon G2".

[C] [H] ajoute que le directeur régional a refusé une promotion ou une prime à [Y] [P], car celui-ci se livrait à des activités syndicales qui le dérangeait.

Ainsi, [Y] [P] présente de nombreux éléments qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer que, postérieurement à son implication syndicale, plus précisément à sa candidature à des élections professionnelles, et notamment pendant l'année 2014, il a été victime de discrimination syndicale caractérisée par une mise à l'écart des réunions, à des observations systématiquement négatives de sa hiérarchie, à une absence de réelle contre-partie aux efforts faits pour remplacer des collègues et à une absence de promotion.

La S.A. Conforama, sans nier les faits commis du mois de janvier 2014 au mois d'août 2014 en rejette la responsabilité sur le directeur de magasin d'alors, [C] [H].

L'employeur devant répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés, il ne peut pas se soustraire à sa responsabilité, au motif que [C] [H] aurait agi de sa propre initiative et aurait fait l'objet de sanctions ultérieures. Au demeurant, celui-ci met en cause le directeur régional de l'époque.

Une mauvaise tenue de son rayon par le salarié, évoquée dans les courriers adressés par [B] [Z] à [Y] [P], de septembre 2014 à décembre 2014, ainsi que dans plusieurs évaluations, ne saurait justifier, à elle seule, l'attitude manifestement discriminante de l'employeur.

En conséquence, la S.A. Conforama est condamnée à payer à [Y] [P] la somme de 25000 euros pour discrimination syndicale.

4°/ Sur le harcèlement moral :

[Y] [P] sollicite une indemnisation spécifique au titre du harcèlement moral, mais sans faire valoir ni moyens ni préjudice réellement distincts de ceux exposés au soutien de la demande en dommages et intérêts pour discrimination syndicale.

Le demande au titre du harcèlement moral est donc rejetée.

Il convient donc de confirmer les premiers juges, en ce qu'ils ont alloué une indemnisation d'un montant de 25000 euros, mais de dire que cette somme n'est versée qu'en réparation de la discrimination syndicale, à défaut de faits et préjudice distincts de harcèlement moral.

5°/ Sur la demande en 'réintégration', ainsi que celle en dommages et intérêts pour résistance abusive :

[Y] [P] considère qu'en retenant la discrimination syndicale, mais en refusant sa réintégration, le conseil de prud'hommes n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations.

La S.A. Conforma réplique que [Y] [P] doit d'abord démontrer que sa candidature n'a pas été retenue en raison de ses mandats syndicaux.

La réparation intégrale d'un dommage obligeant à placer celui qui l'a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu, le juge peut ordonner le reclassement du salarié privé d'avancement, y compris en cas d'avancement au choix.

En l'espèce, [Y] [P] sollicite improprement sa 'réintégration', puisqu'il est toujours dans les effectifs de l'entreprise.

A supposer même que sa demande doive s'analyser en réalité comme une demande de reclassement, force est de constater que [Y] [P] ne précise ni le groupe ni le niveau auxquels il souhaite être rattaché dans la classification.

Surtout, l'employeur produit des évaluations ou contrôles portant sur plusieurs années et rédigées par différents responsables (y compris par d'autres que [C] [H] et [B] [Z] avec lesquels le litige s'est focalisé) mettant en cause la tenue par [Y] [P] de son rayon :

- 'EAP compétences' pour la période allant du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014 : 'Les rayons dont [Y] a la responsabilité sont très mal tenus, les processus pas ou peu appliqués' ;

- compte rendu de visite du 04 novembre 2014 et procès-verbal de constat du 25 novembre 2014;

- contre-visite G2 Vitry du 08 décembre 2014 ;

- mars 2015 : 'Doit développer : Management et animation des équipes, codes merchandasing. Doit gagner en motivation et en rigueur' ;

- 'EAP compétences' pour la période allant du 1er août 2016 au 31 juillet 2017 : '[Y] en ne réalisant pas les rites managériaux, en n'étant pas au niveau sur la tenue du rayon ou sur la mise en place des catalogues publicitaires doit se remettre en cause sur cet item' ;

- comité carrières 2018 : 'La majorité des basiques ne sont pas au rendez vous, merch, tenue de rayon, management des services, rituels manageriaux (...) [Y] qui a certes dû faire face à un absentéisme important reste toujours en décalage par rapport aux attentes de la fonction'.

Au surplus, il ressort de l'attestation de [T] [A] épouse [O], responsable des ressources humaines, que le salarié refusait toute mobilité géographique.

Certes, ces éléments doivent être relativisés, d'une part, par l'attestation de [C] [H] qui évoque le 'très bon travail sur le rayon G2 (de [Y] [P]) en l'absence du chef du département pendant une année' - cependant, cette attestation ne porte que sur une partie de la durée du parcours professionnel de l'appelant dans l'entreprise et émane d'une personne qui avait une appréciation négative sur le salarié lorsqu'elle exerçait les fonctions de directeur du magasin - et, d'autre part, par le climat de surcharge de travail, de nature à expliquer une moindre qualité du travail accompli.

L'attestation du 07 décembre 2014 de [U] [N] (qui indique 'A plusieurs reprises Monsieur [Z] directeur du magasin a dit que Monsieur [P] n'aurait jamais le poste de responsable de département G2 parce qu'il appartener à un syndicat cela en accord avec la direction regional de CONFORAMA') et celle du 10 décembre 2014 de [K] [I] (qui indique 'Mr [Z] m'a dit à plusieurs reprises qu'il était en accord avec la direction régional sur le fait que Mr [Y] [X] n'aura jamais le chef de poste de département car il est syndiqué') ne peuvent concerner, vu leur date de rédaction et la période pendant laquelle [B] [Z] était en fonction, que la fin de l'année 2014 et sont, de toute façon, peu précises quant aux moments lors desquels de tels propos auraient été tenus.

En définitive, il n'est pas établi que le refus de promouvoir [Y] [P] au poste auquel il sollicite sa 'réintégration' résultait de ses mandats syndicaux - et non de performances insuffisantes.

Il s'ensuit que les premiers juges doivent être approuvés, en ce qu'ils ont rejeté la demande en 'réintégration'.

Il convient de débouter aussi l'appelant de sa demande subséquente en préjudice moral résultant de la résistance abusive dont aurait fait montre la société en refusant de le nommer sur le poste de chef de rayon EMRTV/cuisine.

6°/ Sur les demandes en rappel de salaire pour la période allant de février 2014 à mai 2019, ainsi qu'en congés payés y afférents :

[Y] [P], après avoir précisé le salaire moyen brut du responsable du'département blanc-cuisine et brun-gris' du mois d'avril 2013 au mois de janvier 2014, sollicite la différence entre ce salaire et le sien, pour la période postérieure allant du mois de février 2014 au mois de mai 2019, motif pris en substance qu'il a effectué le remplacement de ce responsable, puis aurait dû être nommé sur le poste.

Toutefois, il n'est pas établi que [Y] [P] avait une formation, des compétences et des mérites équivalents à ceux de l'ancien responsable du 'département blanc-cuisine et brun-gris' justifiant qu'il perçoive une même rémunération sur le fondement du principe 'à travail égal, salaire égal'.

Il n'est pas davantage établi (voir 5° ci-dessus) que l'employeur aurait dû définitivement affecter [Y] [P] sur le poste.

En conséquence, les demandes en rappel de salaire, ainsi qu'en congés payés y afférents doivent être rejetées.

7°/ Sur le rappel d'heures supplémentaires pour la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2016, ainsi que les congés payés y afférents :

Contestant la validité de la convention de forfait en jours, [Y] [P] sollicite un rappel d'heures supplémentaires.

Il affirme qu'il n'y a eu, de l'année 2011 à l'année 2014, ni convention individuelle de forfait en jours ni entretien.

S'agissant de la période postérieure, il soutient que l'employeur n'a pas pris les dispositions nécessaires permettant le contrôle du temps de travail effectif et de l'autonomie des salariés. Il ajoute qu'il devait faire face à une charge de travail très excessive.

Il expose avoir travaillé selon une amplitude de onze heures par jour.

La S.A. Conforama se prévaut d'un accord d'entreprise. Elle ajoute que le nombre de jours travaillés a été contrôlé par le biais des bulletins de paie. Elle insiste sur le suivi régulier effectué par le supérieur hiérarchique, ainsi que la tenue d'un entretien annuel.

L'employeur ajoute que [Y] [P] ne s'est jamais plaint d'une surcharge de travail et que, par ailleurs, aucun élément ne permet d'étayer sa demande au titre des heures supplémentaires.

Le salarié qui a été soumis à tort à un forfait annuel en jours peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l'existence et le nombre conformément aux dispositions de l'article L.3171-4 du code du travail.

La preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties.

L'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Il appartient cependant à celui-ci de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

En l'espèce, à supposer qu'aucune convention de forfait en jours ne soit opposable à [Y] [P], celui-ci ne produit aucun tableau, établi au jour le jour, de ses horaires précis de travail.

Le message électronique du 21 avril 2016 (pièce n°78) adressé par la juriste aux affaires sociales à [T] [O] concernant les années 2011 et 2012 n'apporte aucune information, car elle y confirme les jours travaillés, mais sans mentionner les horaires effectués.

Ainsi, l'appelant ne produit pas d'éléments suffisamment précis pour étayer sa demande et permettre ainsi à l'employeur de fournir ses propres éléments.

En conséquence, la demande en rappel d'heures supplémentaires et celle en congés payés y afférents doivent être rejetées.

8°/ Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

La S.A. Conforama est condamnée aux dépens d'appel comme elle l'a été à ceux de première instance.

La S.A. Conforama est déboutée de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, mais condamnée à payer sur ce même fondement à [Y] [P] un montant de montant de 1200 euros (somme qui vient d'ajouter à celle de 1200 euros déjà allouée en première instance).

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

DIT que l'irrecevabilité de l'appel incident, fin de non recevoir soulevée par [Y] [P], ne relève pas de la compétence de la cour ;

DECLARE irrecevable, car tardive, la demande présentée par [Y] [P] en rappel de prime de fin d'année des années 2015 à 2018 ;

Sur le fond,

CONFIRME le jugement déféré, étant toutefois précisé que la somme de 25000 euros de dommages et intérêts doit être allouée en réparation de la discrimination syndicale ;

Y ajoutant,

REJETTE la demande en indemnisation de faits distincts de harcèlement moral ;

DEBOUTE la S.A. Conforama de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la S.A. Conforama à payer [Y] [P] la somme de 1200 € (MILLE DEUX CENTS EUROS) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la S.A. Conforama aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 17/12044
Date de la décision : 25/09/2019

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°17/12044 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-09-25;17.12044 ?
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