Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 29 AOÛT 2019
(n°2019 - 250, 17 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/15826 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B35NC
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Juin 2017 -Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - RG n° 10/02535
APPELANT
Monsieur [H] [N]
Né le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Hélène FABRE de la SELARL FABRE-SAVARY-FABBRO, Société d'avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0124
Assisté de Me Alexandra ROMATIF de la SELARL FABRE-SAVARY-FABBRO, Société d'avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0124
INTIMES
Madame [Q] [W]
Agissant tant à titre personnel qu'en qualité d'ayant droit de Monsieur [B] [W]
Née le [Date naissance 2] 1960 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Localité 4]
ET
Monsieur [V] [W]
Agissant tant à titre personnel qu'en qualité d'ayant droit de Monsieur [B] [W]
Né le [Date naissance 3] 1977 à [Localité 2]
[Adresse 3]
[Localité 4]
ET
Monsieur [A] [W]
Agissant tant à titre personnel qu'en qualité d'ayant droit de Monsieur [B] [W]
Né le [Date naissance 4] 1980 à [Localité 2]
[Adresse 4]
[Localité 4]
ET
Madame [X] [W]
Agissant tant à titre personnel, qu'en qualité de représentante légale de sa fille mineur [P] [X], née le [Date naissance 1] 2005 et en qualité d'ayant droit de Monsieur [B] [W]
Née le [Date naissance 4] 1979 à [Localité 2]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentés par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistés de Me Lucie BLAISON de la Selarl COUBRIS &COURTOIS, avocat au barreau de Paris, toque A251
Monsieur [K] [M]
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représenté par Me Gilles CARIOU de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141
Assisté de Me Gaïa KLATZMANN, de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141
SAS CLINIQUE DE SAINT OMER, prise en la personne de représentants légaux
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assistée de Me Aurélie EUSTACHE substituant à l'audience Me Vincent BOIZARD, avocat au barreau de PARIS, toque P0456
L'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), pris en la personne de représentants légaux
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représenté par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Côte d'Opale, prise en la personne de représentants légaux
[Adresse 8]
[Localité 7]
Représentée par Me Maher NEMER de la SELARL BOSSU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R295
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 Juin 2019, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre
Mme Patricia LEFEVRE, conseillère
Mme Marie-José BOU, conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Marie-José BOU, conseillère dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Sabrina RAHMOUNI
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Marie- José BOU, conseillère, en remplacement de la présidente de chambre empêchée et par Mme Fatima-Zohra AMARA, greffière présente lors du prononcé.
**************
A la suite d'une douleur persistante de la région sous-maxillaire droite, [B] [W], âgé de 50 ans, a subi le 16 novembre 2007 au sein de la société clinique [Établissement 1], ci-après la clinique [Établissement 1], une opération d'ablation de la glande sous-maxillaire réalisée par le docteur [H] [N], chirurgien ORL, et le docteur [K] [M], médecin anesthésiste. Cette opération a eu lieu de 13 heures jusque vers 15 heures. A 16 heures, le docteur [M] a signé l'autorisation de sortie du patient de la salle de réveil. Les suites opératoires ont été marquées par l'apparition d'un hématome cervical, ayant nécessité une reprise chirurgicale peu après 21 heures le jour même. Lors de cette seconde opération, des difficultés de ventilation et d'intubation sont survenues suivies d'un arrêt cardiaque et d'une reprise de l'activité cardiaque après des manoeuvres de réanimation qui ont duré plus d'une heure. [B] [W] a ensuite été transféré à l'hôpital [Établissement 2] où des lésions cérébrales irréversibles ont été constatées. Il est décédé le [Date décès 1] 2007.
Les ayants droit de [B] [W] ont saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, ci-après la CRCI, laquelle a ordonné une expertise médicale. Les docteurs [C], anesthésiste réanimateur, et [Q], ORL, ont conclu que la survenue de l'hématome cervical constituait un accident médical non fautif mais qu'il existait un retard de prise en charge de l'hématome à l'origine d'une perte de chance de survie de 70 %.
Par avis du 14 octobre 2008, la CRCI a estimé que l'indemnisation incombait pour 35 % à l'assureur de la clinique, pour 35 % aux assureurs des docteurs [N] et [M] et pour les 30 %, à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes, ci-après l'ONIAM.
La proposition d'indemnisation amiable émise par les assureurs des différents intervenants n'ayant pas été acceptée par les ayants droit de [B] [W], Mme [Q] [W], sa veuve, MM. [V] et [A] [W], ses fils, Mme [X] [W], sa fille, agissant en leur nom personnel et en qualité d'ayants droit de [B] [W], ainsi que Mme [X] [W] agissant en qualité de représentante légale de sa fille mineure, [P] [X], ont fait assigner par actes d'huissier des 18 février, 23 février et 29 mars 2010 la clinique [Établissement 1], MM. [N] et [M] ainsi que l'ONIAM devant le tribunal de grande instance de Bobigny en réparation de leurs préjudices. La caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Opale, ci-après la CPAM, est intervenue volontairement à l'instance.
Par jugement du 6 mars 2015, le tribunal a ordonné une mesure d'expertise et sursis à statuer sur l'ensemble des demandes ainsi que sur les dépens.
Les experts judiciaires, les docteurs [B], anesthésiste réanimateur, et [S], ORL, ont déposé leur rapport le 30 septembre 2015. Ils ont estimé que la technique du taquet utilisée, consistant à mettre en place un pansement compressif, était datée et à proscrire, car masquant l'observation d'un éventuel hématome qui s'est produit. Ils ont également relevé, concernant la période de surveillance post-opératoire, l'absence de prescriptions spécifiques à la surveillance chirurgicale ORL, le défaut de transmission vers les médecins des constatations cliniques, un important retard dans le déclenchement de l'alerte (5 heures) et l'absence de visite post-opératoire du chirurgien et de l'anesthésiste, à l'exception du docteur [Y] ayant lancé l'alerte. Ils ont conclu que les préjudices étaient directement imputables au retard de la reprise chirurgicale et que la responsabilité en incombait à l'établissement, au personnel et aux médecins, évaluant la perte de chance à 100 %.
Par jugement du 13 juin 2017, le tribunal a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
* déclaré le docteur [N] et la clinique [Établissement 1] responsables du décès de [B] [W] et de l'ensemble des préjudices subis par Mme [Q] [W], MM. [V] et [A] [W] et Mme [X] [W], cette dernière agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure [P] [X] ;
* dit que dans leurs rapports entre eux, le docteur [N] et la clinique [Établissement 1] seront chacun responsables pour moitié des conséquences du décès de [B] [W] ;
* condamné in solidum le docteur [N] et la clinique [Établissement 1] à payer aux ayants droit c'est à dire Mme [Q] [W], MM. [V] et [A] [W] et Mme [X] [W], les sommes de :
- 390 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total,
- 50 000 euros au titre des souffrances endurées,
- 10 000 euros au titre du préjudice lié à la conscience de mort imminente,
* condamné in solidum le docteur [N] et la clinique [Établissement 1] à payer à Mme [Q] [W] les sommes de :
- 4 692,44 euros au titre des frais d'obsèques,
- 143 200,91 euros au titre de son préjudice économique,
- 8 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement,
- 30 000 euros au titre de son préjudice d'affection,
* condamné in solidum le docteur [N] et la clinique [Établissement 1] à payer à MM. [V] et [A] [W] ainsi qu'à Mme [X] [W] la somme de 15 000 euros chacun en réparation de leur préjudice d'affection et à l'enfant mineure [P] [X] représentée légalement par sa mère, Mme [X] [W], la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice d'affection ;
* condamné in solidum le docteur [N] et la clinique [Établissement 1] à payer à la CPAM les sommes de :
- 25 685, 06 euros au titre des dépenses de santé actuelles,
- 5 709, 60 euros au titre du capital attribué à la veuve de [B] [W],
et ce avec intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2016,
* déclaré sans objet la demande de répartition poste par poste de la créance de la CPAM demandée par les consorts [W] ;
* dit le jugement opposable à la CPAM ;
* prononcé la mise hors de cause de l'ONIAM ;
* condamné in solidum le docteur [N] et la clinique [Établissement 1] à payer à Mme [Q] [W], MM. [V] et [A] [W] et Mme [X] [W], cette dernière agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure [P] [X], la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné in solidum le docteur [N] et la clinique [Établissement 1] à payer à la CPAM la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* rejeté toutes autres demandes plus amples et contraires ;
* condamné in solidum le docteur [N] et la clinique [Établissement 1] aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire et la provision de 1 500 euros versée par l'ONIAM ;
* dit que ces dépens pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par déclaration du 2 août 2017, M. [N] a relevé appel de ce jugement.
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 28 février 2018, M. [N] demande à la cour au visa de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, d'infirmer le jugement et de :
* juger que les consorts [W] ne rapportent pas la preuve qu'il aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'occasion des soins administrés à [B] [W] le 16 novembre 2007 ;
* rejeter l'intégralité de leurs demandes en ce qu'elles sont dirigées contre lui ;
* les condamner à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction en vertu des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
à défaut,
* juger que le retard de prise en charge de la complication post-opératoire dont a été victime [B] [W] a été à l'origine d'une perte de chance de survie de 70 % ;
* juger que la part de responsabilité de M. [N] ne saurait excéder 5 % d'une perte de chance de survie de 70 % ;
* condamner la clinique [Établissement 1] à relever et garantir M. [N] de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre en principal, frais et accessoires au-delà de ce taux de 5 % ;
* juger satisfactoires les propositions indemnitaires suivantes, à savoir, après application du taux de perte de chance de 70 % :
- déficit fonctionnel temporaire : 273 euros,
- souffrances endurées : 5 600 euros,
- frais d'obsèques : 3 284, 70 euros,
- préjudice économique de Mme [W] : 41 568, 13 euros,
- préjudice d'accompagnement de Mme [Q] [W] : 4 200 euros,
- préjudice d'affection de Mme [Q] [W] : 17 500 euros,
- préjudice moral des enfants : 8 400 euros chacun,
- préjudice moral de la petite-fille : 2 800 euros,
dont 5 % à la charge finale de M. [N] compte tenu du taux de responsabilité qui pourrait être retenu à son encontre ;
* limiter la demande de la CPAM à la somme de 31 172, 62 euros, soit, compte tenu du taux de perte de chance de 70 % et de la part de responsabilité limitée de M. [N] à hauteur de 5 %, la somme de 1 075, 58 euros à sa charge ;
dans tous les cas,
* rejeter toutes demandes plus amples ou contraires contre M. [N] et notamment celles formulées par l'ONIAM et M. [M] au titre des frais irrépétible en cause d'appel ;
* statuer ce que de droit sur les dépens dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 26 février 2018, Mme [Q] [W], M. [V] [W], M. [A] [W], Mme [X] [W], agissant tant à titre personnel qu'en qualité de représentante légale de sa fille mineure [P] [X], agissant ensemble tant à titre personnel qu'en qualité d'ayants droits de [B] [W], demandent à la cour, au visa de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, de :
* confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré M. [N] et la clinique [Établissement 1] solidairement responsables du décès de [B] [W] et des entiers préjudices en ayant résulté pour lui-même et les membres de sa famille parties à l'instance ;
* infirmer le jugement en ce qui concerne la liquidation des préjudices, à l'exception du poste du déficit fonctionnel temporaire qui sera confirmé ;
statuant à nouveau sur ce point,
* condamner M. [N] et la clinique [Établissement 1], solidairement, au paiement des sommes suivantes :
. aux ayants droit de [B] [W] :
- 75 000 euros au titre des souffrances physiques endurées ;
- 150 000 euros au titre des souffrances morales liées à la conscience de la mort imminente ;
. à Mme [Q] [W] :
- 9 174,11 euros au titre des frais d'obsèques ;
- 1 208,23 euros au titre des frais divers ;
- 251 469,13 euros au titre de la perte de revenus ;
- 30 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement ;
- 35 000 euros au titre du préjudice d'affection ;
. à [V], [A] et [X] [W], la somme de 25 000 euros chacun au titre de leur préjudice d'affection ;
. à [X] [W], en qualité de représentante légale de sa fille mineure [P] [W], la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice d'affection ;
* assortir lesdites sommes des intérêts de droit y afférents ;
* dire que la liquidation de la créance du tiers payeur interviendra poste par poste conformément aux dispositions de l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006 ;
* déclarer l'arrêt à intervenir opposable à l'organisme social ;
* condamner les défendeurs au paiement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
* dire que les dépens d'appel pourront être directement recouvrés par la société Lexavoue Paris-Versailles en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 31 octobre 2017, M. [M] demande à la cour de :
* confirmer le jugement en ce qu'il a écarté sa responsabilité ;
* entériner le rapport d'expertise déposé par les docteurs [Q] et [C] ;
* écarter les conclusions expertales des docteurs [S] et [B] ;
* constater qu'aucune demande n'est formulée par M. [N] à l'encontre de M. [M] ;
* condamner M. [N] à payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 26 février 2018, la clinique [Établissement 1] demande à la cour, au visa de l'article L. 1142-1 I alinéa 1er du code de la santé publique, de :
à titre principal,
* réformer le jugement et juger que la clinique [Établissement 1] n'a pas engagé sa responsabilité ;
* débouter les consorts [W], la CPAM et M. [N] de l'intégralité de leurs demandes dirigées contre la clinique [Établissement 1] ;
* condamner M. [N] à payer à la clinique [Établissement 1] la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
* statuer ce que de droit sur les dépens ;
à titre subsidiaire,
* confirmer le jugement en ce qu'il a jugé recevable et bien fondée l'action en garantie de la clinique [Établissement 1] contre M. [N] ;
* infirmer le jugement en ce qu'il a fixé la part de responsabilité de la clinique [Établissement 1]à 50 % ;
* statuant à nouveau, condamner M. [N] à relever et à garantir la clinique [Établissement 1] de 95 % de l'intégralité des condamnations mises à sa charge ;
* rejeter l'action en garantie de M. [N] contre la clinique [Établissement 1] pour la part excédant 5 % ;
sur les préjudices,
* réformer le jugement en ce qu'il a retenu un lien de causalité direct et certain entre le retard de prise en charge et le décès ;
statuant à nouveau,
* juger que le dommage est constitué par une perte de chance de survie ;
* fixer la perte de chance de survie à 70 % ;
sur les préjudices subis de son vivant par [B] [W] :
* réformer partiellement le jugement et statuant à nouveau, fixer l'indemnisation des préjudices comme suit avant application du coefficient de perte de chance :
- souffrances endurées incluant le préjudice d'angoisse de mort imminente : 18 000 euros ;
sur les préjudices des ayants droit de [B] [W], avant application du coefficient de perte de chance :
- frais divers : rejet et indemnisation des frais de reprographie au titre des frais irrépétibles ;
- frais d'obsèques : 4 692,44 euros ;
- préjudice économique de l'épouse : 46 112,40 euros après déduction du capital décès, réformer pour le surplus et rejeter le surplus des demandes ;
- préjudice d'accompagnement de l'épouse : 8 000 euros ;
- préjudice d'affection de l'épouse : 30 000 euros ;
- préjudice d'affection des enfants : 15 000 euros chacun ;
- préjudice d'affection de la petite-fille du défunt : 5 000 euros ;
* rejeter la demande tendant à voir appliquer le barème de capitalisation Gazette du Palais 2018 ;
* appliquer le coefficient de perte de chance de 70 % à l'ensemble des indemnités ainsi fixées;
* juger que la part de responsabilité de la clinique [Établissement 1] ne pourra excéder 5 % ;
en tout état de cause,
* débouter les consorts [W] de leur appel incident ;
* débouter toutes parties de toute demande contraire aux présentes ;
* statuer ce que de droit sur les dépens.
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 28 décembre 2017, l'ONIAM demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il l'a mis hors de cause et de condamner M. [N] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 5 janvier 2017, la CPAM demande à la cour, au visa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, de :
* recevoir la CPAM en ses demandes et l'y déclarer bien fondée ;
* débouter l'appel interjeté par M. [N] ;
* confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
y ajoutant
* condamner solidairement M. [N] et la clinique [Établissement 1] à verser à la CPAM la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SELARL Bossu & associés en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mai 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les responsabilités, les personnes tenues à indemnisation et la répartition de la charge du dommage
M. [N] conteste sa responsabilité. Il soutient que l'utilisation d'un pansement compressif n'était pas contraire aux données acquises de la science. Il note que les experts désignés par la CRCI n'ont pas relevé de manquement à ce titre et que l'expert judiciaire a admis après un dire qu'il s'agissait d'une pratique courante. Il ajoute que cette technique n'a pas masqué la survenue de l'hématome manifestée sous la forme d'un gonflement du pansement dès 16h15. Il nie aussi tout manquement dans le suivi post-opératoire. Il invoque qu'aucune recommandation n'imposait une visite avant celle de l'anesthésiste de garde à 21 heures et que l'état de [B] [W] et les conditions de réalisation de l'intervention ne la justifiaient pas. Il argue de l'existence d'un protocole intitulé procédure générale de surveillance infirmière en sortie de SSPI, adapté selon lui au cas de [B] [W] puisque les infirmières ont perçu une anomalie au niveau du pansement, soit un gonflement, mais ont commis une négligence en n'appelant pas un médecin.
A défaut, il estime que compte tenu de la gravité des fautes du personnel de la clinique dont celle-ci est responsable en sa qualité de commettant, sa propre part de responsabilité ne saurait excéder 5 % d'une perte de chance de survie de 70 % telle que fixée par les experts CRCI, la perte de chance de 100 % retenue par les experts judiciaires n'en étant pas une et les 30 % restants incombant à l'ONIAM s'agissant d'un accident médical non fautif.
Au soutien de leur demande de confirmation du jugement quant aux responsabilités, les consorts [W] font valoir que la responsabilité de la clinique est engagée car tous les experts ont reproché à l'équipe infirmière l'absence d'alerte d'un médecin concernant l'anomalie du pansement constatée à plusieurs reprises, la complication s'étant aggravée de ce fait. Ils soutiennent que celle de M. [N] l'est également en raison du pansement compressif en taquet utilisé, technique désuète selon l'avis des experts judiciaires que M. [N] ne contredirait pas utilement, et de l'absence de contre-visite du chirurgien constituant une faute de surveillance.
Ils prétendent que la perte de chance est bien de 100 % car la prévalence de décès survenus dans les suites de la reprise précoce d'un hématome de la région sous-maxillaire est si faible, si ce n'est existante, qu'elle ne peut faire l'objet d'une statistique exploitable.
M. [M] conclut à la confirmation du jugement en ce qui le concerne, relevant l'absence de tout grief développé à son encontre par l'appelant.
La clinique [Établissement 1] conteste sa responsabilité en faisant valoir qu'en application de l'article R. 4311-9 du code de la santé publique, la surveillance post-opératoire du patient ne relève pas des actes que l'infirmier peut accomplir sous sa seule responsabilité et suppose une prescription médicale écrite qualitative et quantitative. Elle soutient que le reproche d'un défaut d'alerte des médecins n'est pas fondé dans la mesure où le gonflement du pansement n'était pas inquiétant puisque mentionné dès l'admission dans le service et où les prescriptions existant tenaient à une surveillance classique, sans spécificité particulière et sans protocole propre à la chirurgie ORL, alors que le personnel infirmier pouvait difficilement constater l'hématome évoluant à bas bruit, masqué par le pansement d'emblée volumineux, mis en place de façon imprudente si ce n'est non indiquée.
A titre subsidiaire, en cas de confirmation de sa responsabilité, elle fait valoir que la demande de mise hors de cause de M. [N] ne saurait prospérer compte tenu de ses manquements, soit la technique désuète employée masquant les manifestations cliniques de l'hématome, l'absence de prescriptions de surveillance particulière concernant le patient et de visite de contrôle post-opératoire. Elle soutient que le partage de responsabilité à parts égales retenu par le tribunal ne tient pas compte des obligations incombant à un chirurgien, lesquelles justifient sa garantie à hauteur de 95 % du montant total des condamnations.
L'ONIAM sollicite la confirmation de sa mise hors de cause en l'absence de toute demande formée à son encontre.
La CPAM, qui sollicite la confirmation du jugement, reprend à son compte les conclusions des experts judiciaires.
***
Il résulte des dispositions de l'article L. 1142-1 paragraphe I du code de la santé publique que les médecins et établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables de ces actes qu'en cas de faute, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un produit de santé.
Selon l'article L. 1110-5 alinéa 1 du même code, toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté.
En l'absence de critique de ces chefs, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes formées à l'encontre de M. [M], écartant sa responsabilité, et prononcé la mise hors de cause de l'ONIAM.
Les experts judiciaires ont retenu que le pansement compressif selon le principe du taquet utilisé par M. [N] était daté et à proscrire car masquant l'observation d'un éventuel hématome, ce qui est advenu, et empêchant le redon d'évacuer les sérosités dont c'était précisément le rôle.
Selon le dire de son conseil daté du 11 septembre 2015, M. [N] a fait valoir que son médecin conseil n'avait trouvé dans l'ensemble des références bibliographiques répertoriées aucun élément indiquant l'existence d'une recommandation contre-indiquant l'emploi de ce type de pansement. Il a produit aux experts et devant la cour deux attestations de médecins, les docteurs [K], chirurgien cervico-facial, et [R], chirurgien maxillo-facial, datant de 2015, disant réaliser de manière habituelle si ce n'est systématiquement des pansements compressifs. Le conseil de M. [N] a également fait valoir dans son dire que le pansement n'avait pas masqué la complication, dans la mesure où celui-ci avait gonflé, caractérisant une anomalie qui aurait dû être signalée au médecin.
Le docteur [S], expert judiciaire, a répondu que la mise en place du taquet de compresse qui est -était- de pratique courante ne permet pas de voir les incidents survenant à bas bruit et que l'emploi d'une procédure désuète mais qui rend souvent service -quand tout va bien- a été ici fatale à M. [W] : l'absence de pansement cervical ne masque pas un toujours possible hématome, très rare, mais parfois fatal comme dans le cas présent ; le pansement compressif peut en imposer pour une pseudo normalité et ralentir l'alarme lors des visites infirmières.
Force est de constater au vu de ces éléments que la technique du taquet compressif était couramment employée à l'époque des faits et que la critique de cette technique faite dans le rapport d'expertise judiciaire n'est étayée, en dépit du dire adressé sur ce point, par aucune publication médicale. Aucun élément documenté ne confirme son caractère désuet lors de l'intervention litigieuse, ni sa dangerosité éventuelle. Les experts désignés par la CRCI, qui ont noté la réalisation d'un taquet de compresses, n'ont d'ailleurs relevé aucun manquement à ce titre. La non conformité de ce type de pansement aux données acquises de la science à la date des soins n'est ainsi pas établie. De surcroît, l'existence d'un lien de cause à effet entre l'emploi de cette technique et la reprise chirurgicale tardive n'est pas démontrée. En effet, si les experts judiciaires ont indiqué que le taquet masquait l'observation d'un éventuel hématome et qu'en l'occurrence, le pansement avait fini par s'imbiber, gonfler et alerter l'infirmière, il résulte de leur rapport que le gonflement au niveau du pansement a été noté par l'équipe infirmière à plusieurs reprises dans l'après-midi et pour la première fois dès 16h15, soit rapidement après la fin de l'intervention, et qu'ils lui reprochent de ne pas avoir transmis cette information aux médecins pendant 5 heures, ce qui démontre que ce gonflement était anormal et contredit leur affirmation selon laquelle le taquet n'aurait pas permis de déceler l'hématome.
Les experts judiciaires ont également relevé l'absence de visite post-opératoire du chirurgien et de l'anesthésiste, à l'exception du docteur [Y], anesthésiste-réanimateur qui a donné l'alerte à l'occasion de son passage vers 21 heures. Ils ont estimé que le défaut de contre-visite ou la contre-visite tardive n'était pas conforme.
En réponse au dire du conseil de M. [N] ayant fait valoir que la visite de l'anesthésiste avait eu lieu dans le délai, soit entre 4 et 6 heures après l'intervention, et que la sienne serait intervenue, sans complication, dans la soirée également, après son passage à l'hôpital [Établissement 1]pour voir un autre de ses patients, les experts ont maintenu leurs conclusions en indiquant qu'il n'y avait pas de règles strictes quant à un horaire mais que la visite n'avait pas eu lieu.
L'existence de règles, de recommandations ou de bonnes pratiques en vertu desquelles la contre-visite du chirurgien ou de l'anesthésiste aurait dû avoir lieu avant celle réalisée par le docteur [Y] ne se trouve ainsi pas établie alors qu'aucun élément ne contredit l'affirmation de M. [N] selon laquelle il avait prévu de visiter [B] [W] avant 22 heures, après son passage à l'hôpital. M. [N] fait également valoir que la pratique courante consiste pour le chirurgien à voir son patient entre 4 et 6 heures après l'intervention, sans que celle-ci ait été formellement critiquée et remise en cause par les experts judiciaires, et que rien ne justifiait une visite précoce de sa part au regard notamment de l'absence de risques spécifiques présentés par [B] [W] et de toute anormalité constatée par l'anesthésiste en salle de réveil, ces circonstances étant corroborées par le rapport d'expertise judiciaire.
Contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, l'emploi de la technique du taquet compressif et l'absence de visite du patient en secteur hospitalisation avant 21 heures ne sauraient dès lors être imputés à faute à M. [N].
En revanche, c'est de manière fondée que le tribunal a retenu à l'encontre de ce dernier l'absence de procédures spécifiques à la surveillance chirurgicale ORL destinées au personnel infirmier.
En application de l'article R. 4311-9 du code de la santé publique, l'infirmier est habilité à accomplir sur prescription médicale écrite, qualitative et quantitative, datée et signée, les soins et surveillance des personnes en post-opératoire, à condition qu'un médecin puisse intervenir à tout moment.
S'il est établi qu'il existait au sein de la clinique un protocole intitulé procédure générale de surveillance infirmière en sortie de SSPI daté du 24 juillet 2007, il s'agit, comme son nom l'indique, d'un protocole à caractère général s'appliquant à toute intervention prévoyant notamment que selon les interventions, il faut (...) regarder l'état du ou des pansements, la nécessité de surveiller (...) l'état de la plaie et que l'intérêt de la surveillance est de déceler toute anomalie afin d'appeler le médecin si l'infirmier estime que le traitement ne relève pas de sa compétence.
Cette note ne contient aucune consigne précise du médecin tenant à la surveillance post-opératoire concernant le type d'acte chirurgical pratiqué sur [B] [W], alors qu'il résulte du rapport d'expertise judiciaire, corroboré par celui des experts désignés par la CRCI, qu'une complication sous forme de reprise de saignement chirurgical est connue comme possible, entraînant le développement d'un hématome cervical pouvant conduire à une gêne de plus en plus importante jusqu'à l'asphyxie. Compte tenu du risque spécifique à ce type d'opération, soit un hématome susceptible de provoquer une obstruction de la filière oro-pharyngée, et de la technique de pansement utilisée pouvant avoir un effet sur la manifestation d'un saignement, des procédures spécifiques à cette surveillance s'imposaient qui n'ont pas été définies. Le manque de ces prescriptions destinées au personnel infirmier, qui est fautif dès lors que [B] [W] a été placé sous la surveillance de ce dernier à compter de sa sortie de la salle de réveil, a participé au défaut d'alerte des médecins et, par voie de conséquence, au retard dans la reprise chirurgicale.
Mais c'est également de manière fondée que le tribunal a retenu à l'encontre de la clinique, responsable de ses salariés, une faute consistant à ne pas avoir donné l'alerte aux médecins pendant plusieurs heures après avoir noté à trois reprises, entre 16h15 et 20h20, un gonflement au niveau du pansement. L'absence de prescriptions spécifiques ci-dessus relevée ne dispensait pas le personnel infirmier de respecter le protocole général susvisé lui imposant de regarder l'état du pansement, surveiller l'état de la plaie et déceler toute anomalie afin d'appeler le médecin. Comme l'a relevé le tribunal, cette surveillance a bien été réalisée puisque le personnel infirmier a pris le soin à trois reprises de noter le gonflement du pansement mais ne l'a pas signalé aux médecins. Si des prescriptions spécifiques auraient dû attirer l'attention de l'équipe infirmière sur un possible hématome et sa manifestation sous forme d'un tel gonflement, il n'en demeure pas moins que la mention sur les transmissions cible du gonflement du pansement, soulignée à deux reprises, gonflement non relevé en salle de réveil, ne se confondant pas avec sa grosseur évoquée dans le compte-rendu fait dans cette salle, atteste que l'équipe infirmière a perçu une anormalité au niveau du pansement. A défaut d'avoir entrepris tout traitement, il lui appartenait d'appeler les médecins, plus particulièrement le chirurgien, ce qui n'a pas été fait, est constitutif d'une faute et a retardé la reprise chirurgicale.
M. [N] et la clinique [Établissement 1] sont dès lors responsables des conséquences dommageables du retard dans la reprise chirurgicale de [B] [W].
Dans leur rapport, les experts judiciaires ont indiqué que l'hématome a provoqué une turgescence de l'ensemble des muqueuses oro-pharyngées et une obstruction de la filière oro-pharyngée ; le relâchement provoqué par les agents anesthésiques a aggravé la difficulté mécanique à ventiler auquel s'est ajouté un phénomène hémodynamique ; la conjonction de ces phénomènes a été à l'origine d'un arrêt cardio-vasculaire. Il est résulté selon eux du retard de 5 heures dans la prise en charge une perte de chance de 100 %, le pourcentage étant croissant d'heure en heure par tranches de 20 %. Les experts judiciaires ont confirmé ce taux de perte de chance après les dires, précisant que le pourcentage de complications malgré une reprise très précoce n'était pas chiffrable, car ne pouvant faire l'objet d'une série statistiquement valable.
Il s'en déduit que les fautes commises sont à l'origine d'une perte de chance de survie, l'existence de celle-ci se déduisant des termes du rapport d'expertise judiciaire, corroboré par celui des experts désignés par la CRCI qui ont également retenu une perte de chance, et de la réalité de l'aléa inhérent à tout acte chirurgical, les experts judiciaires admettant d'ailleurs qu'avec une reprise précoce, il est exceptionnel d'avoir des suites lourdes, ce qui démontre la possibilité de suites lourdes même en cas de reprise précoce.
Or, la réparation d'une perte de chance ne peut être totale. Elle doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée de sorte que le taux de 100 % de perte de chance proposé par les experts judiciaires ne peut être retenu par la cour. Les experts désignés par la CRCI ont quant à eux estimé la perte de chance en rapport avec le retard de prise en charge de l'hématome cervical à 70 %, indiquant que les mêmes problèmes auraient pu survenir si la reprise chirurgicale avait été précoce mais que le délai tardif du diagnostic de l'hématome avait pu favoriser la survenue des problèmes d'anesthésie. Compte tenu de l'avis contenu dans l'expertise ordonnée par la CRCI, régulièrement versée aux débats, et de la reconnaissance par les experts judiciaires de la possibilité de suites lourdes même en cas de reprise précoce, M. [N] et la clinique [Établissement 1] seront déclarés responsables d'une perte de chance de survie de 70 % et tenus in solidum de réparer le préjudice du défunt et des victimes indirectes dans cette proportion.
Il est de principe que la répartition de la charge du dommage entre les co-responsables est fonction de la gravité respective de leurs fautes. En l'espèce, les fautes du personnel infirmier, dont la clinique doit répondre, et de M. [N] apparaissent d'égale importance en ce que l'équipe infirmière n'a pas prévenu de médecin bien qu'ayant constaté à trois reprises une anormalité au niveau du pansement et en ce que M. [N] s'est abstenu d'établir toute prescription spécifique pour la surveillance post-opératoire du type de chirurgie en cause. Dans les rapports entre M. [N] et la clinique [Établissement 1], les indemnités allouées aux consorts [W] se répartiront à hauteur de 50 % à la charge de M. [N] et de 50 % à la charge de la clinique.
Sur l'indemnisation des préjudices
En application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel, et la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été indemnisée qu'en partie ; en ce cas, elle peut exercer ses droits contre le responsable, pour ce qui lui reste dû, par préférence au tiers payeur dont elle n'a reçu qu'une indemnisation partielle.
Sur la réparation des préjudices subis par [B] [W]
- dépenses de santé actuelles :
M. [N] estime que la créance de la CPAM en lien avec le retard de prise en charge s'élève à la somme de 21 820,83 euros après application du coefficient de perte de chance. Les consorts [W] n'invoquent aucun frais resté à charge de [B] [W]. La CPAM sollicite la confirmation du jugement lui ayant alloué la somme de 25 685,06 euros au titre des dépenses de santé actuelles.
Il résulte du relevé de débours et de l'attestation d'imputabilité fournis par la CPAM que les frais hospitaliers, médicaux et pharmaceutiques imputables au retard de reprise chirurgicale s'élèvent à la somme de 25 463,02 euros (531,55 + 23 812,08 + 455,75 + 663,64). Compte tenu du coefficient de perte de chance, il revient à la CPAM la somme de 17 824,11 euros.
- déficit fonctionnel temporaire total :
M. [N] offre la somme de 273 euros après application du taux de perte de chance. Les consorts [W] sollicitent la confirmation du jugement ayant alloué la somme de 390 euros. La clinique [Établissement 1] conclut également à la confirmation de ce chef, sauf à réclamer l'application du coefficient de perte de ce chance de 70 %.
Les parties étant d'accord sur la somme de 390 euros réparant ce poste de préjudice, il convient de retenir celle-ci et d'y appliquer le coefficient de 70 % de perte de chance, soit une somme de 273 euros revenant aux ayants droit de [B] [W].
- souffrances endurées/préjudice lié à la sensation de mort imminente :
M. [N] et la clinique [Établissement 1] s'opposent à la double indemnisation accordée par le tribunal, M. [N] proposant une indemnité globale de 5 600 euros après application du taux de perte de chance et la clinique la somme de 18 000 euros avant mise en oeuvre de ce coefficient. Les consorts [W] sollicitent la somme de 75 000 euros au titre des souffrances endurées, outre la somme de 150 000 euros au titre des souffrances morales liées à la conscience de la mort imminente dont ils soutiennent qu'il s'agit d'un préjudice autonome.
Il est de principe que le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclu dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées, quelle que soit l'origine desdites souffrances, le préjudice lié à la conscience de sa mort prochaine ne peut être indemnisé séparément.
En l'espèce, les experts judiciaires ont évalué les souffrances endurées à 7/7 en maintenant cette estimation après les dires des parties, expliquant il s'agit du décès d'une personne qui a vu sa fin. Il s'ensuit que l'évaluation des experts judiciaires, non remise en cause par les parties, tient compte non seulement de la complication subie par [B] [W], de la reprise chirurgicale réalisée, les consorts [W] faisant à juste titre valoir que lors de celle-ci, avant l'anesthésie, le chirurgien a pratiqué une section des points cutanés et sous cutanés pour permettre l'évacuation du plus gros de l'hématome, mais aussi des souffrances morales éprouvées par [B] [W] du fait de la conscience de sa mort prochaine.
Au regard de ces éléments, l'indemnisation des souffrances endurées, comprenant le préjudice lié à la sensation de mort imminente, sera fixée à la somme de 50 000 euros, soit 35 000 euros revenant aux ayants droit de [B] [W] après application du coefficient de perte de chance.
Sur la réparation des préjudices subis par Mme [Q] [W]
- frais d'obsèques :
M. [N] propose la somme de 3 284,70 euros après application du coefficient de perte de chance. Mme [W] argue de frais d'obsèques pour un montant total de 9 174,11 euros. Elle fait valoir que le capital décès versé par l'organisme social n'a pas un caractère indemnitaire et ne saurait venir en déduction d'un poste de préjudice, notamment des frais d'obsèques.
Mme [W] verse aux débats une facture du 30 novembre 2007 des pompes funèbres marbrerie de la Lys d'un montant de 4 692,44 euros correspondant aux funérailles de son époux, comprenant l'ensevelissement et un caveau, et une facture de ce même établissement du 23 février 2008 d'un montant de 4 481,67 euros pour la dalle, l'entourage et la stèle. L'ensemble des dépenses alléguées est justifiée. Après application du coefficient de perte de chance, il lui sera alloué la somme de 6 421,87 euros.
- frais divers :
M. [N] et la clinique [Établissement 1] sollicitent la confirmation du jugement qui a rejeté les frais de déplacement et précisé que les frais de reprographie et d'envoi relevaient des frais irrépétibles. Mme [W] réclame la somme de 1 208,23 euros au titre de ses frais de déplacement et de reproduction du dossier médical.
Au soutien de sa demande, Mme [W] produit une attestation rédigée par ses soins selon laquelle elle a effectué au total 2 352 kms au titre de ses trajets vers l'établissement de soins pendant l'hospitalisation de son mari. Cependant, cette attestation, qui n'indique pas le moyen de locomotion utilisé pour effectuer ces trajets et les dépenses payées par Mme [W] à ce titre, ne justifie pas de frais personnellement exposés par cette dernière. Quant à la somme de 32,23 euros acquittée par Mme [W] pour obtenir la transmission du dossier médical de son défunt époux, c'est à juste titre que le tribunal a considéré qu'elle relevait des frais irrépétibles. Les demandes au titre des frais divers seront rejetées.
- préjudice économique :
M. [N] fait valoir que [B] [W] aurait vu ses revenus diminuer à partir de son départ en retraite, à 65 ans, et que la période postérieure à cet événement ne saurait être indemnisée sur la base du revenu perçu auparavant. Il en déduit que la perte de revenus ne peut être calculée que pour la période écoulée entre ses 50 ans et l'âge de son départ de retraite, ce d'autant que Mme [W] bénéficie d'une pension de réversion, sur la base de l'euro de rente temporaire selon le barème de la Gazette du Palais 2016 et en déduisant le capital décès versé par la CPAM.
Au soutien de sa demande portant sur la somme de 251 469,13 euros, Mme [W] invoque une part d'autoconsommation de son conjoint décédé de 20 % et l'application du barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2018.
La clinique [Établissement 1] s'oppose à l'application de ce barème et à la part d'autoconsommation susvisée. Faisant valoir que [B] [W] avait cotisé depuis de nombreuses années pour sa retraite, que son épouse bénéficie possiblement d'une pension de retraite de réversion et qu'au delà de l'âge de la retraite, [B] [W] aurait eu un revenu moindre, elle considère que seuls les arrérages échus jusqu'en 2017 sont justifiés pour un montant de 51 822 euros dont il convient de déduire la créance de la CPAM pour 5 709,60 euros.
La CPAM réclame la confirmation du jugement lui ayant accordé la somme de 5 709,60 euros au titre du capital alloué à la veuve de [B] [W].
Ce poste de préjudice tend à réparer la perte des revenus des proches de la victime décédée.
Au moment du décès, les revenus du couple s'élevaient à la somme de 31 787 euros, soit 17 897 euros pour [B] [W] et 13 890 euros pour son épouse, selon l'avis d'impôt sur les revenus de 2006, année ayant précédé le décès.
S'agissant d'un ménage n'ayant plus d'enfant à charge dont les deux conjoints travaillaient, c'est à juste titre que le tribunal a retenu une consommation du défunt s'élevant à 40 %, soit 12 714,80 euros. La perte annuelle du foyer représente ainsi : 31 787 - (12 714,80 + 13 890) = 5 182,50 euros.
Le préjudice du foyer sera déterminé par l'application du barème de capitalisation 2018 de la Gazette du Palais paru le 28 novembre 2017 établi sur la base des tables de mortalité 2010-2012 publiées par l'INSEE qui sont les plus récentes et d'un taux d'actualisation unique de 0,5 % adapté à la conjoncture économique actuelle.
L'euro de rente appliqué à la perte annuelle du foyer sera temporaire et non pas viager dans la mesure où comme le font valoir M. [N] et la clinique [Établissement 1], [B] [W], qui travaillait dans une cristallerie, aurait cessé d'exercer toute activité professionnelle à l'âge de la retraite et n'aurait pas conservé le même revenu au delà de cet âge, Mme [W] n'apportant aucun élément susceptible de contredire ce constat. Compte tenu d'un âge de départ ou de mise à la retraite estimé à 65 ans et de l'âge de 50 ans de [B] [W] à son décès, l'euro de rente retenu sera de 13,629.
La perte capitalisée s'élève à la somme de : 5 182,50 x 13,629 = 70 632,29 euros, soit, après application du coefficient de perte de chance, une somme due par les responsables de 49 442,60 euros.
Le préjudice de Mme [W] n'est que très partiellement réparé par le capital décès de la CPAM Il subsiste pour elle une perte de 64 922,69 euros (70 632,29 euros - 5 709,60 euros). En vertu du droit de préférence de la victime applicable y compris en cas de perte de chance, Mme [W] doit recevoir l'intégralité de l'indemnité mise à la charge des responsables, soit 49 442,60 euros, et il ne subsiste rien pour la CPAM.
Mme [W] doit être déboutée du surplus de sa demande. En effet, elle ne justifie pas de la réalité d'un préjudice économique au delà de la date à laquelle son mari serait parti en retraite, faute de produire tout élément permettant de simuler le montant de la pension de retraite à laquelle [B] [W] aurait pu prétendre et justifiant de son droit ou non en tant que veuve à la perception d'une pension de réversion ainsi que de son éventuel montant.
- préjudice d'accompagnement :
M. [N] propose la somme de 4 200 euros après application du taux de perte de chance. Mme [W] sollicite la somme de 30 000 euros de ce chef tandis que la clinique [Établissement 1] réclame la confirmation du jugement ayant alloué la somme de 8 000 euros à ce titre, sauf à y appliquer le coefficient de perte de chance.
Compte tenu du préjudice moral dû aux bouleversements dans ses conditions d'existence subi par Mme [W] en raison de l'état très grave de son mari du 16 novembre 2007 jusqu'à son décès douze jours plus tard, la somme de 8 000 euros retenue par le tribunal apparaît une juste indemnisation mais il convient d'y appliquer le coefficient de perte de chance de 70 %, si bien qu'il sera alloué à Mme [W] la somme de 5 600 euros.
- préjudice d'affection :
M. [N] propose une somme de 17 500 euros après application du taux de perte de chance. Mme [W] sollicite la somme de 35 000 euros de ce chef tandis que la clinique [Établissement 1] réclame la confirmation du jugement ayant alloué la somme de 30 000 euros à ce titre, sauf à y appliquer le coefficient de perte de chance.
Au regard de la durée de vie commune de 30 ans, la somme de 30 000 euros retenue par le tribunal apparaît une juste indemnisation de ce préjudice mais il convient d'y appliquer le coefficient de perte de chance de 70 %, si bien qu'il sera alloué à Mme [W] la somme de 21 000 euros.
Sur l'indemnisation du préjudice d'affection des enfants et de la petite-fille de [B] [W]
M. [N] propose pour chacun des enfants la somme de 8 400 euros et pour [P] [X] celle de 2 800 euros, après application du coefficient de perte de chance. Il est sollicité pour chacun des enfants la somme de 15 000 euros et pour la petite-fille de [B] [W] la somme de 10 000 euros, tandis que la clinique [Établissement 1] réclame la confirmation du jugement ayant alloué la somme de 15 000 euros à chacun des enfants et celle de 5 000 euros à la petite-fille, sauf à y appliquer le coefficient de perte de chance.
Compte tenu du préjudice moral résultant pour chacun d'entre eux du décès de [B] [W], les sommes retenues par le tribunal constituent une juste indemnisation, mais il convient d'y appliquer le coefficient de perte de chance de 70 %, si bien qu'il sera alloué à chaque enfant la somme de 10 500 euros et à [P] [X] représentée par sa mère la somme de 3 500 euros.
Les sommes allouées aux consorts [W], à caractère indemnitaire, produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt. Celles allouées à la CPAM emporteront intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2016, date de ses conclusions en première instance.
Sur les demandes accessoires
La CPAM ayant constitué avocat et formé des demandes, il n'y a pas lieu de déclarer l'arrêt opposable à celle-ci.
M. [N] et la clinique [Établissement 1], qui succombent pour partie en leur appel, sont condamnés in solidum aux dépens d'appel. Il n'y a pas lieu à condamnation au titre des frais irrépétibles d'appel. Le jugement est confirmé sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition de la décision au greffe, contradictoirement :
Confirme le jugement en ce qu'il a :
* prononcé la mise hors de cause de l'ONIAM ;
* condamné in solidum M. [N] et la clinique [Établissement 1] à payer à Mme [Q] [W], MM. [V] et [A] [W] et Mme [X] [W], cette dernière agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure [P] [X], la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné in solidum M. [N] et la clinique [Établissement 1] à payer à la CPAM la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* rejeté les demandes formées à l'encontre de M. [M], la demande de Mme [W] au titre des frais divers et les autres demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné in solidum M. [N] et la clinique [Établissement 1] aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire et la provision de 1 500 euros versée par l'ONIAM et dit que ces dépens pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
L'infirme en ses autres dispositions ;
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant :
Déclare M. [N] et la clinique [Établissement 1] responsables d'une perte de chance de survie de 70 % de [B] [W] à la suite du retard de prise en charge de la complication post-opératoire dont il a été victime le 16 novembre 2007 ;
Condamne in solidum M. [N] et la clinique [Établissement 1] à payer :
* aux ayants droit de [B] [W], soit à Mme [Q] [W], MM. [V] et [A] [W] et Mme [X] [W], les sommes de :
- déficit fonctionnel temporaire total : 273 euros ;
- souffrances endurées : 35 000 euros ;
* à Mme [Q] [W], les sommes de :
- frais d'obsèques : 6 421,87 euros ;
- préjudice économique : 49 442,60 euros ;
- préjudice d'accompagnement : 5 600 euros ;
- préjudice d'affection : 21 000 euros ;
* à M. [V] [W], M. [A] [W] et Mme [X] [W], la somme de 10 500 euros chacun au titre de leur préjudice d'affection ;
* à Mme [X] [W], en qualité de représentante légale de sa fille mineure [P] [X], la somme de 3 500 euros au titre de son préjudice d'affection ;
avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
* à la CPAM de la Côte d'Opale, la somme de 17 824,11 euros au titre des dépenses de santé, avec intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2016 ;
Dit que dans les rapports entre les tiers responsables, la charge définitive de ces condamnations et de celles prononcées par le tribunal et confirmées par la cour, en principal, intérêts, ainsi qu'au titre des dépens et frais irrépétibles, sera supportée à proportion de 50 % à la charge de M. [N] et de 50 % à la charge de la clinique [Établissement 1] ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne in solidum M. [N] et la société Clinique de Saint-Omer aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par les avocats en ayant fait la demande.
LA GREFFIÈRELA CONSEILLÈRE