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06/08/2019 | FRANCE | N°17/05046

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 8, 06 août 2019, 17/05046


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8



ARRÊT DU 6 AOÛT 2019



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/05046 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B22HJ



Décision déférée à la cour : Jugement du 22 Février 2017 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 15/10624



APPELANTE



La SOCIÉTÉ UNION BISCUITS, prise en la personne de ses représenta

nts légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Immatriculée au RCS de LILLE sous le numéro 794 196 030

Ayant son siège [Adresse 1]

[Adresse 2]



Représentée par Me Lau...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRÊT DU 6 AOÛT 2019

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/05046 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B22HJ

Décision déférée à la cour : Jugement du 22 Février 2017 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 15/10624

APPELANTE

La SOCIÉTÉ UNION BISCUITS, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Immatriculée au RCS de LILLE sous le numéro 794 196 030

Ayant son siège [Adresse 1]

[Adresse 2]

Représentée par Me Laurence DEFONTAINE de la SCP BIGNON LEBRAY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0370

INTIMÉE

La SELARL [Personne physico-morale 1], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro [Personne physico-morale 1]

Ayant son siège social [Adresse 3]

[Adresse 4]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assistée de Me Christophe BERARD, avocat au barreau de PARIS, toque : E0911

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Septembre 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant la cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,

Monsieur Laurent BEDOUET, conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de:

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,

Monsieur Laurent BEDOUET, conseiller,

Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Mme Cyrielle BURBAN

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Madame Liselotte FENOUIL, greffière lors de la mise à disposition.

*****

FAITS ET PROCÉDURE:

Dans le cadre du redressement judiciaire ouvert le 30 avril 2013 à l'égard de la société

Les Comptoirs du Biscuit, la Sarl Comptoirs de Flandres, spécialisée dans la fabrication industrielle de biscuits, s'est portée candidate pour l'acquisition du fonds de commerce de la société sous procédure collective.

Par jugement du 27 juin 2013, le tribunal de commerce de Paris a arrêté un plan de cession partielle des actifs de la société Les Comptoirs du Biscuit, portant sur un fonds de commerce développé sur le site [Localité 1] au profit de la Sarl Comptoirs de Flandres, à laquelle s'est substituée la Sarl Union Biscuits et a maintenu Maître [M] [M] en qualité d'administrateur judiciaire avec mission de procéder aux opérations de cession.

Le 4 juillet 2013, le tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de la société

Les Comptoirs du Biscuit et désigné la SCP Brouard-Daudé comme liquidateur judiciaire.

Le plan de cession ne comportant que la reprise de 15 salariés sur les 34 que comptait l'entreprise, Maître [M] a entrepris de procéder aux licenciements des 19 salariés non repris, parmi lesquels MM.[Z], [T], [R] et [G], considérés comme titulaires de mandats de représentant du personnel.

L'inspection du travail ayant refusé d'autoriser le licenciement de ces salariés protégés, implicitement, puis expressément le 4 novembre 2013, Maître [M] a demandé au cessionnaire, Union Biscuits, de reprendre ces salariés, suite au transfert de leurs contrats de travail .

Sur recours hiérarchiques formés par Union Biscuits, le ministre du travail a rejeté la demande d'autorisation de licencier M.[G], a annulé la décision de refus explicite concernant les trois autres salariés, mais a confirmé les décisions implicites de rejet.

C'est dans ce contexte que la société Union Biscuits a engagé une action en responsabilité contre la Selarlu [M] [M], lui reprochant un défaut de diligence ayant eu pour conséquence le transfert des contrats de travail de ces salariés.

Par jugement du 22 février 2017, le tribunal de grande instance de Paris a débouté Union Biscuits de toutes ses demandes, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné Union Biscuits aux dépens.

Union Biscuits a relevé appel de cette décision le 9 mars 2017.

Par conclusions notifiées le 9 juin 2017, Union Biscuits demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses prétentions, de condamner la Selarlu [M] [M] à l'indemniser à hauteur d'un montant qui ne saurait être inférieur à 95% de la somme de 150.666,37 euros, ainsi qu'au paiement de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Dans ses conclusions signifiées le 8 juin 2018, la Selarlu [M] [M] sollicite la réformation du jugement en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute, sa confirmation pour le surplus en ce qu'il a débouté Union Biscuits de toutes ses prétentions, le rejet des demandes de l'appelante et sa condamnation au paiement de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

SUR CE,

- Sur la responsabilité de l'administrateur judiciaire

Le tribunal a retenu l'existence d'une faute de la Selarlu [M] [M], considérant que l'administrateur judiciaire, auquel il appartenait de mettre en oeuvre la procédure de licenciement sous un mois, n'avait pas respecté les délais de convocation aux entretiens préalables, ce qui avait rendu les procédures irrégulières et conduit au refus des autorisations sollicitées. Il a cependant refusé toute indemnisation en l'absence de perte de chance certaine d'obtenir une décision favorable de l'administration.

Union Biscuits soutient que l'administrateur judiciaire a commis une faute en ne respectant pas les délais de convocation aux entretiens préalables de licenciement prévus par l'article L 1232-2 du code du travail.

Maître [M] conteste l'existence d'une faute et de tout lien de causalité, se prévalant de la motivation des décisions administratives pour soutenir que ce n'est pas la question du délai de convocation qui a motivé le refus de l'administration d'autoriser les licenciements, mais l'activité en hausse de la société cessionnaire, l'embauche de deux femmes de ménage sur les postes de travail des 2 salariés licenciés, ainsi qu'un motif d'intérêt général à ne pas licencier ces salariés, découlant du fait que l'entreprise cessionnaire n'était pas dotée de représentant du personnel.

Il ressort des pièces au débat que:

- le 14 août 2013, Maître [M] a sollicité l'autorisation de licencier M.[G], pétrisseur et délégué syndical FO, M.[Z], pétrisseur et délégué du personnel et membre du Comité d'entreprise, M.[R], approvisionneur et délégué syndical CGT, délégué du personnel et membre du Comité d'entreprise, ainsi que M.[T], pétrisseur, délégué du personnel et membre du Comité d'entreprise,

- les autorisations de licencier ont été tacitement refusées par l'inspection du travail le 14 octobre 2013.

- par quatre décisions du 4 novembre 2013, l'inspectrice du travail a confirmé ses décisions tacites de refus. Ces décisions se fondent notamment sur le fait qu'il est apparu après enquête du 5 septembre 2013, l'absence de suppression des emplois en cause de pétrisseur et d'approvisionneur, une situation de travail dissimulé en ce que les salariés avaient continué à travailler sans que leurs contrats de travail aient été transférés, que l'activité de l'entreprise était à la hausse et que l'avis émis par le comité d'entreprise était affecté d'irrégularité.

Le 8 novembre 2013, Maître [M] a informé le cessionnaire de ces refus et lui a indiqué qu'en application de l'article 1224-1 du code du travail, les contrats de travail de ces quatre salariés se trouvaient transférés à la société Comptoir des Flandres.

Sur recours hiérarchiques formés le 27 novembre 2013 par la société cessionnaire, le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social, par décisions du 7 avril 2014:

- a rejeté la demande d'autorisation de licenciement concernant M.[G], considérant qu'à la date de mise en oeuvre de la procédure de licenciement, l'intéressé ne bénéficiait plus d'une protection inhérente au mandat de délégué syndical, de sorte que pour ce motif l'inspectrice du travail était tenue de rejeter la demande présentée,

-concernant MM. [Z], [R] et [T], a annulé les décisions de l'inspectrice du travail en date du 4 novembre 2013, mais a confirmé les décisions implicites de rejet, considérant que la procédure de convocation suivie par l'employeur souffrait d'un vice substantiel, en ce que l'entretien fixé au

16 juillet 2013, ne pouvait se tenir que le 17 juillet 2013 au regard du délai applicable.

La demande d'indemnisation d'Union Biscuits ne vise que ces trois derniers salariés.

Selon l'article L 1232-2 du code du travail 'l'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque avant toute décision à un entretien préalable [....] L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou le remise en main propre de la lettre de convocation.'

Maître [M] ne conteste pas qu'il lui incombait, en sa qualité d'administrateur judiciaire de procéder aux entretiens préalables de licenciement des salariés non repris dans le cadre du plan de cession partielle. Le non respect du délai de cinq jours entre la remise en main propre de la convocation le mercredi 10 juillet 2013 et l'entretien fixé au 16 juillet 2013 n'est pas discuté devant la cour.

Si le ministre du travail a confirmé les décisions implicites de rejet de l'inspectrice du travail concernant les trois salariés protégés, il l'a fait non par adoption de tout ou partie des motifs, mais en développant un motif propre, exclusivement tiré de l'irrégularité de la procédure de licenciement, sans aucun examen au fond des requêtes.

C'est donc bien, ainsi que le soutient Union Biscuits, cette irrégularité procédurale, qui a empêché l'autorité administrative, statuant sur recours, d'aborder au fond les requêtes de Maître [M], faisant ainsi perdre à Union Biscuits une chance d'obtenir l'autorisation de licencier ces trois salariés et ainsi d'éviter le transfert de leurs contrats de travail et le coût qui leur est inhérent.

Si les motifs économiques et sociaux développés par l'inspectrice du travail dans ses décisions de rejet peuvent intervenir pour quantifier la perte de chance éprouvée, ils sont en revanche insusceptibles dans le contexte ci-dessus décrits d'affecter l'existence même de cette perte de chance.

Cette perte de chance découle directement de l'erreur initiale commise dans la convocation aux entretiens préalables.

Union Biscuits évalue les conséquences de cette perte de chance à 95% de la somme de 150.666, 37 euros, correspondant aux sommes versées à M.[R] (46.226,49 euros),

M [Z] (40.550,36 euros) et M.[T] (63.889,82 euros) de novembre 2013 à juin 2014, date à laquelle sont intervenus leurs licenciements pour motif économique. Elle soutient à cet effet que les motifs de fond retenus par l'inspectrice du travail étaient très contestables, et n'auraient pas après enquête été maintenus si les requêtes avaient pu être examinées au fond.

Maître [M] réplique qu'il existait plusieurs motifs objectifs de refuser l'autorisation de licencier, de sorte que le non respect du délai de convocation n'a nullement été déterminant, subsidiairement, qu' Union Biscuits a fait le choix de dispenser les salariés d'un travail effectif alors que les dépenses alléguées auraient dû être la contrepartie d'un travail.

La probabilité d'obtenir, sur recours hiérarchique, l'autorisation de licencier ces trois salariés existait bien au regard des éléments de contestation apportés par Union Biscuits, notamment quant à la baisse de son activité. Pour autant, elle ne confine nullement à une quasi certitude, dès lors que le refus opposé par l'inspectrice du travail reposait sur divers motifs, tenant notamment à l'irrégularité du vote du comité d'entreprise, à l'appréciation de la situation économique de l'entreprise, les parties étant contraires sur l'augmentation ou la baisse d'activité, sur le maintien des postes et leur occupation par d'autres salariés. Il y avait ainsi matière à débat devant l'autorité hiérarchique et donc aléa sur la décision à intervenir si la procédure de licenciement avait été régulière.

En l'absence d'autorisation de licenciement, les contrats de travail des trois salariés ont été transférés à Union Biscuits, qui s'est donc trouvée dans l'obligation de régler leurs salaires et les charges afférentes, et ce, que ces trois salariés aient ou non été dispensés de tout ou partie de travail effectif, jusqu'à leur licenciement économique.

Les salaires et charges, récapitulés en pièce 16 produite par l'appelante, constituent l'assiette du préjudice sur laquelle doit être calculée la perte de chance. Il y a lieu toutefois d'exclure de ce calcul une somme de 560 euros correspondant à des 'frais fiches de paye' injustifiés, ramenant ainsi les frais exposés à 149.589,69 euros.

Il résulte de ce qui précède que le préjudice découlant de la perte de chance éprouvée par Union Biscuit sera évalué à 50% de ce montant, soit 74.794,84 euros, somme que la

Selarlu [M] [M] sera condamnée à payer à Union Biscuits, le jugement étant infirmé en ce sens.

- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La Selarlu [M] [M], partie perdante sera condamnée à payer à Union Biscuits une indemnité de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la Selarlu [M] [M] à payer 74.794,84 euros à la société Union Biscuits, ainsi qu'une indemnité de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la Selarlu [M] [M] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Selarlu [M] [M] aux dépens de première instance et d'appel,

La greffière,

Liselotte FENOUIL

La présidente,

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 17/05046
Date de la décision : 06/08/2019

Références :

Cour d'appel de Paris I8, arrêt n°17/05046 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-08-06;17.05046 ?
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