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03/07/2019 | FRANCE | N°17/18057

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 3 - chambre 1, 03 juillet 2019, 17/18057


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 3 - Chambre 1



ARRÊT DU 03 JUILLET 2019



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/18057 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4EU3



Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Juin 2017 - Tribunal de Grande Instance de MEAUX - RG n° 10/04148





APPELANTS



Monsieur [K] [U]

né le [Date naiss

ance 1] 1952 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Madame [M] [U]

née le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 1]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Monsieur [U] [U] venant aux droits de son père ...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 1

ARRÊT DU 03 JUILLET 2019

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/18057 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4EU3

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Juin 2017 - Tribunal de Grande Instance de MEAUX - RG n° 10/04148

APPELANTS

Monsieur [K] [U]

né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Madame [M] [U]

née le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 1]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Monsieur [U] [U] venant aux droits de son père [O] [U] décédé le [Date décès 1] 1996

né le [Date naissance 3] 1981 au [Localité 2]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentés et plaidant par Me Eveline LEVY-JOCHIMEK, avocat au barreau du VAL-DE-MARNE, toque : 170

INTIMÉES

Madame [Q] [U] veuve [V]

née le [Date naissance 4] 1958 à [Localité 1]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Madame [I] [V]

née le [Date naissance 5] 1986 à [Localité 1]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Madame [C] [V]

née le [Date naissance 6] 1994 à [Localité 3]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

représentées par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

ayant pour avocat plaidant Me Clémentine TESSIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C1689

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 Mai 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Dorothée DARD, Président

Mme Madeleine HUBERTY, Conseiller

Mme Catherine GONZALEZ, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Madeleine HUBERTY dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Dorothée DARD, Président et par Mme Emilie POMPON, Greffier.

***

PRÉTENTIONS DES PARTIES ET PROCÉDURE

Le 13 février 2010, [V] [F] veuve [U], née le [Date naissance 7] 1927 (82 ans), est décédée à [Localité 4], laissant pour lui succéder ses quatre enfants réservataires :

- Monsieur [K] [U] né le [Date naissance 1] 1952,

- Madame [Q] [U] épouse [V] née le [Date naissance 4] 1958,

- Madame [M] [U] née le [Date naissance 2] 1964,

- Monsieur [U] [U] né le [Date naissance 3] 1981 venant en représentant de son père [O] [U] décédé le [Date décès 1] 1996.

Madame [Q] [V] était titulaire d'une procuration sur les comptes bancaires de sa mère ouverts auprès de la BANQUE BNP.

Lors de l'ouverture de la succession, Monsieur [K] [U], Madame [M] [U] et Monsieur [U] [U] ont découvert que leur mère n'était plus propriétaire de son petit appartement sis à [Adresse 5].

Grâce aux informations fournies par la conservation des hypothèques, ils ont appris que leur soeur Madame [Q] [V] et son mari étaient devenus propriétaires de ce bien depuis un acte d'acquisition en date du 30 juin 2000 publié à la conservation le 30 août 2000. Aux termes de cet acte, Monsieur et Madame [V] ont acquis le bien moyennant le prix de 140 000f (soit 21 342, 86€). Ce bien était devenu la propriété de leur mère à la suite d'une donation de sa propre mère effectuée le 2 juin 1983 pour la nue propriété du même bien qui avait alors été évaluée à la somme de 160 000f en pleine propriété (153 000f en nue propriété).

Il est apparu qu'au 16 décembre 2000, le compte BNP de leur mère ne portait plus trace du prix de vente de 140 000F puisqu'il affichait un solde créditeur de 23530F (soit 3587€).

Par ailleurs, de nombreux retraits bancaires ont été effectués sur les comptes bancaires de [V] [F] par Madame [Q] [V]. A la date du décès, le compte personnel BNP de la défunte ne présentait qu'un solde créditeur de 60,38€.

Malgré les démarches amiables de ses cohéritiers, Madame [Q] [V] n'a pas fourni les explications qu'ils sollicitaient.

Par actes d'huissier en date du 30 août 2010, Monsieur [K] [U], Madame [M] [U] et Monsieur [U] [U] ont assigné Madame [Q] [V] et ses deux enfants [I] et [C] [V] venant aux droits de leur père décédé devant le tribunal de grande instance de MEAUX aux fins d' ouverture des opérations de compte liquidation et partage de la succession de [V] [F] et aux fins de rapporter à la succession le bien sis à [Localité 5].

Dans son jugement rendu le 20 décembre 2012, le tribunal de grande instance de MEAUX a ordonné l'ouverture des opérations de compte liquidation et partage de la succession et dit que le prix convenu en 2000 pour la vente de l'appartement sis au [Localité 5] n'était pas dérisoire. Il a, par ailleurs, sursis à statuer sur le caractère fictif du prix de vente.

Dans le cadre de la mise en état ayant suivi ce jugement, il n'a pas été possible d'obtenir de la BANQUE BNP les relevés de compte bancaire de la défunte antérieurs au 15 décembre 2000.

Au regard, toutefois, des éléments recueillis Monsieur [K] [U], Madame [M] [U] et Monsieur [U] [U] ont soutenu que la vente était fictive et qu'un recel successoral devait être imputé à Madame [Q] [V].

Dans son jugement rendu le 2 juin 2017, le tribunal de grande instance de MEAUX a statué en ces termes :

- Déboute [K], [M] et [U] [U] de l'intégralité de leurs prétentions;

- Déboute [Q] [U] épouse [V], [C] [V] et [I] [V] de leurs demandes de dommages intérêts pour procédure abusive;

- Condamne [K], [M] et [U] [U] in solidum aux dépens avec distraction ainsi qu'à payer à chaque défenderesse une somme de 2500€ par application de l'article 700 du code de procédure civile;

Monsieur [K] [U], Madame [M] [U] et Monsieur [U] [U] ont régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du 28 septembre 2017.

*********************

Dans leurs conclusions régularisées le 20 décembre 2017, Monsieur [K] [U], Madame [M] [U] et Monsieur [U] [U] formulent les prétentions suivantes :

- Infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Madame [Q] [V] de sa demande de dommages intérêts;

Statuant à nouveau,

- Constater que la preuve, à tout le moins, la présomption est apportée de la dissimulation volontaire par Madame [Q] [V], héritière gratifiée, des libéralités qui lui ont été consenties;

- Constater que ladite donation rompt l'équilibre du partage;

- Dire et juger que les concluants sont bien fondés en leurs demandes de rapport et de réduction de la libéralité consentie à Madame [V] ainsi qu'à son époux, aujourd'hui décédé aux droits duquel viennent ses deux héritières réservataires;

- Dire et juger que la dissimulation volontaire par Madame [Q] [V] des libéralités qui lui ont été consenties ainsi qu'à feu son époux par sa mère [V] est constitutive d'un recel;

- Rapporter à la succession le bien sis à [Adresse 5];

- Dire et juger que les consorts [V] sont tenus de rendre le bien détourné, sans pouvoir prétendre à aucune part;

Subsidiairement,

- Condamner les consorts [V] in solidum à restituer aux consorts [U] la somme de 100 000€ (valeur actuelle de l'appartement), sauf à parfaire en fonction de la valeur du bien sis au [Localité 5];

- Dire et juger que cette indemnité portera intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts échus à compter de la date de signification des conclusions signifiées le 1er avril 2011, puis d'année en année conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil;

Dans tous les cas,

- Constater que les consorts [V] occupent privativement le bien indivis sis à [Adresse 5];

- Les condamner in solidum à payer une indemnité d'occupation mensuelle aux consorts [U] d'un montant mensuel de 900€ à compter du 13 février 2010 date du décès de [V] [U] jusqu'à la fin de leur usage privatif;

- Condamner les défenderesses in solidum au paiement d'une somme de 5000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens.

Monsieur [K] [U], Madame [M] [U] et Monsieur [U] [U] font valoir que :

' en leur qualité d'héritiers réservataires, ils sont admis à faire la preuve d'une donation déguisée de nature à porter atteinte à leur réserve par tous moyens et même à l'aide de présomptions. La dissimulation volontaire des libéralités par l'héritier gratifié est constitutive d'un recel.

' l'acte d'acquisition du 30 juin 2000 ne constitue qu'une mise en scène. Il n'est pas possible qu'au regard de ses capacités physiques dégradées, la défunte ait dépensé la somme de 100000f en moins de 6 mois. Madame [Q] [V] ne s'est pas plus expliquée sur les 7 retraits d'espèces de 3000F qui ont eu lieu entre le 18 décembre 2000 et le 4 mai 2001. Le notaire choisi n'était pas le notaire de la famille et la vente a eu lieu dans le plus grand secret qui a été maintenu pendant 10 ans. En réalité, le prix a bien été versé à l'étude mais il a été immédiatement repris.

' les besoins d'espèces de la défunte évoqués par Madame [Q] [V] sont largement imaginaires et ne sont démontrés par aucun élément. Leur mère se contentait de très peu.

' Madame [Q] [V] s'est en outre accaparée l'ensemble du mobilier, peu important qu'elle déclare qu'il est sans valeur.

********************

Dans leurs conclusions régularisées le 20 mars 2018, Madame [Q] [V] et ses deux filles majeures [I] et [C] [V] formulent les prétentions suivantes :

A titre liminaire,

- Vu les articles 901 et 562 du code de procédure civile;

- Constater que la déclaration d'appel du 28 septembre 2017 ne mentionne pas les chefs du jugement critiqués;

- Dire et juger en conséquence que l'appel est privé de tout effet dévolutif;

- Dire et juger que la cour n'est saisie d'aucun moyen ou demande de la part des parties appelantes;

- Rejeter l'ensemble des moyens et demandes formulés par les parties appelantes;

- Confirmer le jugement rendu le 2 juin 2017 par le tribunal de grande instance de MEAUX;

A défaut,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [K] [U], Madame [M] [U] et Monsieur [U] [U] de l'ensemble de leurs prétentions et condamné Monsieur [K] [U], Madame [M] [U] et Monsieur [U] [U] in solidum aux dépens avec distraction et à payer à chacune des défenderesses la somme de 2500€ par application de l'article 700 du code de procédure civile;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté les consorts [V] de leur demande de dommages intérêts;

Et statuant à nouveau,

- Condamner les consorts [U] in solidum à verser à titre de dommages intérêts à chacune des défenderesses la somme de 5000€;

En cause d'appel,

- Condamner les consorts [U] à payer à Mesdames [V] la somme de 5000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile;

- Condamner les consorts [U] aux entiers dépens avec distraction.

Mesdames [Q], [I] et [C] [V] font valoir que :

' les appelants sont défaillants dans la charge de la preuve. Il est établi que l'acquisition a été financée grâce à un prêt personnel et que les fonds ont transité par le compte du notaire. Le fait que le prix aurait été repris après avoir été versé ne correspond qu'à une allégation ainsi qu'en font foi les relevés bancaires produits pour les mois de juillet et août 2000. Au surplus, la vente a été convenue pour un prix conforme au marché.

' la valeur actuelle du bien n'est pas de 100 000€ mais de 45 000€ ainsi qu'il a été indiqué dans la déclaration de succession de [F] [V] décédé le [Date décès 2] 2010. Cette évaluation prend en outre en compte les travaux importants, qui ont été réalisés dans le bien par la famille [V].

' dans tous les cas, en cas de rapport, ce rapport ne peut porter que sur la moitié du bien car la vente a été consentie à Madame [Q] [V] et feu son mari. Aucun recel ne peut être imputé à celui-ci, et donc à ses enfants, puisqu'il n'était pas un successible de [V] [F].

' les appelants n'ont jamais subvenu aux besoins de leur mère. C'est Madame [Q] [V] qui a mis sa carrière entre parenthèses pour s'occuper de la défunte. Toutes les sommes qui ont été retirées sur les comptes bancaires de [V] [F] lui ont été remises. Elle était en pleine possession de ses moyens et gérait seule ses comptes. Elle disposait de son argent comme il lui plaisait et préférait tout régler en espèces. Madame [Q] [V] n'a pas plus géré les comptes de sa mère que Madame [M] [U] qui avait un compte joint avec sa mère.

' la défunte ne disposait que d'une retraite de 800€ par mois, avec laquelle elle devait assumer l'ensemble de ses dépenses et notamment le loyer dû pour son appartement de l'OPAC à [Localité 6]. La vente de l'appartement du [Localité 5] a eu précisément pour finalité de permettre à la défunte de faire quelques extras. Sur 10 ans, la vente lui a ainsi permis de bénéficier de 175€ supplémentaires par mois.

' les appelants ont engagé leur responsabilité en mettant en oeuvre une procédure abusive (sans preuve et alors qu'il ne pouvait y avoir recel pour les enfants du mari de Madame [Q] [V]) au moment où les défenderesses avaient perdu à la fois leur mère et grand mère et leur mari et père.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de la procédure a été prononcée le mardi 16 avril 2019.

CELA ETANT EXPOSE, LA COUR,

Sur l'absence d'effet dévolutif attaché à la déclaration d'appel

Aux termes de l'article 562 du code de procédure civile, dans sa version en vigueur depuis le 1er septembre 2017 ' l'appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément ou implicitement et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel n'est pas limité à certains chefs, lorsqu'il tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible'.

Ainsi qu'il est soutenu par les intimés dans le dispositif de leurs conclusions, la déclaration d'appel régularisée par Monsieur [K] [U], Madame [M] [U] et Monsieur [U] [U] ne précise pas quels sont les chefs du jugement, qui sont critiqués. Elle mentionne simplement 'appel total', ce qui signifie que la cour n'est saisie d'aucune demande, sauf si l'appel a pour objet l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

Il est clair que l'appel n'a pas pour objet d'obtenir l'annulation du jugement.

Il résulte du jugement que le différend entre les parties porte exclusivement sur l'appréciation de la portée exacte de la vente du bien immobilier sis au [Localité 5], qui est intervenue le 30 juin 2000 entre la défunte et sa fille [Q] [V] et son mari, pour le prix de 140000F. Il est, en effet, soutenu que cette vente aurait un caractère fictif et dissimulerait une donation en faveur de Madame [Q] [V]. Les prétentions en dommages intérêts ne sont que les accessoires ou les suites de la prétention principale afférente à la vente.

Il s'ensuit que l'objet du litige étant unique, il doit être considéré comme indivisible. La déclaration d'appel est donc régulière, même si elle ne fait mention que d'un appel total. Le caractère dévolutif de l'appel étant préservé, il incombe à la cour d'examiner les moyens développés par les appelants dans leurs conclusions au fond.

Il sera ajouté que, si l'ordonnance du conseiller de la mise en état, rendue le 11 septembre 2018, a effectivement statué sur l'incident de nullité de la déclaration d'appel soulevé par les intimés, la cour est restée saisie de la difficulté afférente à l'étendue de sa saisine, compte tenu du caractère irrégulier en la forme de la déclaration d'appel, puisque le dispositif des conclusions récapitulatives des intimés a maintenu que l'appel était privé de tout effet dévolutif. Or, l'appréciation de la fin de non recevoir (et non la nullité) résultant de l'absence d'effet dévolutif de la déclaration d'appel, relève des seules attributions de la cour.

Sur le caractère fictif ou réel de la vente du 30 juin 2000 ayant porté sur le lot 121 de l'ensemble immobilier sis [Adresse 5]

Il résulte de l'acte authentique de vente que le prix de 140 000F a été réglé par les acquéreurs par la comptabilité du notaire (pièce 1 intimées), ce qui est confirmé par les extraits de la comptabilité de la SCP CMOMOY-COSSON-BANCAREL-MONTASSIER, notaires associés à [Localité 7] (pièces 6 et 7 intimées). Il est, en outre, établi que la somme de 100000F, représentant une partie du prix de vente, qui a été versée par les acquéreurs en la comptabilité du notaire (en sus d'autres sommes s'élevant à 57 000F environ) provient d'un prêt personnel, qui a été consenti le 3 juin 2000, par la BANQUE CREDIT DU NORD à Monsieur [F] [V] et son épouse, amortissable en 5 années au TEG de 7,70% hors assurance (pièce 3 intimées).

Les relevés du compte CRÉDIT DU NORD produits par Madame [Q] [V] (pièces 8 et 9 intimées), sur la période ayant couru du 22 juin 2000 au 8 août 2000, permettent d'établir que le prêt de 100 000F a crédité le compte des époux [V] le 29 juin 2000, montant qui a ensuite été débité le 3 juillet 2000 par un chèque de banque émis à l'ordre du notaire. La première échéance de remboursement d'un montant de 2055,51F a été débitée le 31 juillet 2000 avec l'indication que l'apurement total du prêt était prévu pour le mois de juin 2005, conformément à la durée conventionnelle du prêt personnel.

L'examen des relevés bancaire CRÉDIT DU NORD (relevés n°7 et 8 de l'année 2000) produits par Madame [Q] [V] révèle l'existence d'autres prêts que le prêt personnel conclu le 3 juin 2010 (LIBERTIMMO à échéance d'août 2010, FINAREF, SOCRAM, CRÉDIT NORAVANCE, crédit revolving, prêt personnel à échéance de septembre 2000). Les remboursements de ces prêts et le règlement de divers frais, outre les dépenses courantes, ont entraîné un solde débiteur du compte CRÉDIT DU NORD, d'un montant de 16588F au 8 août 2000, ce qui équivaut à huit échéances de remboursement du prêt de 100 000F, qui a été crédité sur le compte du notaire. Cette situation justifie des interrogations sur les moyens ayant permis le remboursement du prêt de 100 000F (soit 15244,90€).

L'analyse des deux relevés de comptes bancaires ouverts au nom de la défunte (Madame [V] n'ayant disposé d'une procuration que pour le compte n° 151329 - pièce 2 appelants), permet de relever les mouvements suivants :

Compte BNP n°483845

DATES

MONTANTS

Solde au 16/12/2000

3 587,26€

Solde au 16/1/2001

4 033,99€

Retraits enregistrés en 2001

- 3 003,25€

Solde au 16/1/2002

4086,64€

Retraits enregistrés en 2002

- 3 982,94€

Solde au 16/1/2003

2 799,97€

Retraits enregistrés en 2003

- 4 350€

Solde au 16/1/2004

4011,31€

Retraits enregistrés en 2004

- 6 000€

Solde au 4/1/2005

(pas de relevés produits au delà de cette date sauf un relevé de juin 2010 postérieur au décès)

3 443,89€

Compte BNP n°151329

DATES

MONTANTS

Solde au 16/12/2000

5 682,69€

Solde au 16/1/2001

5 458,09€

Retraits enregistrés en 2001

-3 811,23€

Solde au 16/1/2002

2 610,43€

Retraits enregistrés en 2002

-1 140€

Solde au 16/1/2003

3 189,90€

Retraits enregistrés en 2003

- 4 000€

Solde au 16/1/2004

4 557,72€

Retraits effectués en 2004

- 2 400€

Solde au 16/1/2005

4 942,66€

Retraits enregistrés en 2005

- 4 280€

Solde au 4/1/2006

3 448,34€

Retraits enregistrés en 2006

- 1 960€

Solde au 4/1/2007

3 297,64€

Retraits enregistrés en 2007

- 3 550€

Solde au 4/1/2008

2 133,18€

Retraits enregistrés en 2008

- 2 200€

Solde au 7/1/2009

2 311€

Retraits enregistrés en 2009

- 2370€

Solde au 7/1/2010

2 704,96€

Il est exact que la plupart des retraits effectués ont eu lieu à proximité du domicile personnel de Madame [Q] [V] à CHAMPS SUR MARNE, ce qui permet de présumer que ces retraits ont été effectués par elle. Il n'est, cependant, pas possible d'en déduire que ces retraits auraient été effectués dans l'intérêt exclusif de Madame [Q] [V], parce que l'examen des comptes de la défunte ne fait mention que de très peu d'opérations (loyers, retraites, mutuelle, télécom, EDF...), ce qui signifie que la défunte, ou la ou les personnes s'occupant d'elle, assumait habituellement ses besoins courants (courses, transports, sorties) par des règlements en espèces et qu'elle ne procédait sur ces comptes à aucune opération financière (absence de traces de contrat d'assurance vie ou de valeurs mobilières). La moyenne des retraits effectués entre 2001 et 2005 est, en outre, en conformité avec les ressources disponibles de la défunte (plus de 500€ par mois après règlement du loyer OPAC), ce qui se traduit par une relative régularité des soldes bancaires.

Il n'est donc pas possible de considérer que les retraits révélés par l'analyse des relevés bancaires auraient servi, en tout ou partie, à rembourser le prêt ayant servi à financer l'acquisition en litige régularisée le 30 juin 2000.

Il est constant que le prix de vente (21 382,86€) du bien, sis au [Localité 5] ne se retrouve pas dans les comptes de la défunte, puisqu'au 16 décembre 2000, les deux comptes BNP de [V] [U] ne font état que d'un solde total positif s'élevant à 9269€, soit une perte de liquidités d'au moins 12 000€ environ, en moins de 6 mois (soit plus de 2000€ par mois).

Ce seul fait ne permet, toutefois, pas d'en déduire automatiquement que la somme manquante d'au moins 12000€ (soit 78714F) aurait nécessairement profité, ou aurait été reversée aux acquéreurs du bien immobilier, sis au [Localité 5]. Il ne peut être exclu que [V] [U], alors âgée de 72-73 ans, ait disposé de cette somme, à son gré et éventuellement au profit de tiers. Si, d'autre part, le fait d'avoir caché l'acquisition du bien immobilier, pendant dix ans, dans un cadre familial, est un vecteur de suspicion, l'objectivité de cette situation reste limitée à la suspicion, qui en résulte.

Si les appelants sont fondés à rappeler, qu'en leur qualité d'héritiers réservataires (tiers à l'acte de vente apparent), ils peuvent faire la preuve d'une donation déguisée susceptible de porter atteinte à leur réserve par tous moyens, même par présomptions, encore faut il que tous les éléments invoqués, quelle que soit leur nature, constituent effectivement la preuve suffisante de la situation dénoncée. En l'occurrence, la preuve du reversement du prix de vente au profit de Madame [Q] [V] et de son mari n'est pas rapportée. Il n'est pas non plus établi que les ressources courantes des époux [V] aient rendu difficile le remboursement du prêt de 100000F souscrit en juin 2000. Le relevé du compte CRÉDIT DU NORD ouvert au nom de Monsieur et Madame [V] pour les années 2001 et 2002, qui aurait permis de vérifier l'amortissement du prêt souscrit pour l'acquisition, n'a pas été produit et sa communication n'a pas été sollicitée auprès de la banque (la communication a été sollicitée par les consorts [U] auprès de Madame [V] qui a indiqué ne plus détenir ces relevés). Les relevés de comptes de la défunte n'ont pas révélé d'anomalies notables, les retraits d'espèces effectués correspondant manifestement aux dépenses courantes, puisque ces dépenses ne sont pas financées autrement depuis une dizaine d'années. L'un des comptes bancaires de la défunte (compte n°483845) était un compte joint ouvert à son nom, ainsi qu'au nom de Madame [M] [U], laquelle aurait donc pu, à tout moment, depuis l'année 2000, s'informer des modalités de fonctionnement de ce compte.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a retenu que les éléments invoqués ne permettaient pas de rapporter la preuve du remboursement du prix par la vendeuresse aux acquéreurs.

Monsieur [K] [U], Madame [M] [U] et Monsieur [U] [U] doivent donc être déboutés de l'ensemble de leurs prétentions, qui découlent, toutes, de la constatation préalable du caractère fictif, total ou partiel, de la vente du 30 juin 2000.

Madame [Q] [U] veuve [V], Madame [I] [V] et Madame [C] [V] demandent chacune la condamnation des appelants à leur payer une somme de 5000€ à titre de dommages intérêts pour procédure abusive, en soulignant que les demandeurs ne disposaient d'aucun élément permettant de remettre en cause la vente et que la procédure a été engagée alors que les intimées venaient de perdre leur époux et père ainsi que leur mère et grand mère.

Pour qu'il y ait procédure abusive, il est nécessaire que l'auteur de la procédure ait poursuivi une intention malicieuse ou agi avec une négligence délibérée ou dolosive. En l'espèce, il est clair que l'action engagée par les consorts [U] l'a été dans des circonstances difficiles pour les intimées. Il reste que la dissimulation d'une simple vente, opérée dans un cadre familial, sur une durée de 10 ans, a directement contribué à une telle situation, d'autant que les raisons de cette dissimulation n'ont aucunement été explicitées. L'incompréhension parfaitement légitime en résultant a été aggravée par le fait objectif que des liquidités ont disparu des comptes de la défunte dans les six mois ayant suivi la vente.

Compte tenu de ces éléments, les prétentions énoncées pour obtenir des dommages intérêts pour procédure abusive doivent être rejetées.

Il est, en revanche, équitable de condamner les consorts [U] à payer à Madame [Q] [U] veuve [V], Madame [I] [V] et Madame [C] [V] une somme globale de 5000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

CONDAMNE Monsieur [K] [U], Madame [M] [U] et Monsieur [U] [U] à payer une somme de 5000€ à Madame [Q] [U] veuve [V], Madame [I] [V] et Madame [C] [V], en cause d'appel ;

CONDAMNE Monsieur [K] [U], Madame [M] [U] et Monsieur [U] [U] aux dépens avec distraction au profit de Maître BELLICHACH conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 3 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 17/18057
Date de la décision : 03/07/2019

Références :

Cour d'appel de Paris E1, arrêt n°17/18057 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-07-03;17.18057 ?
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