RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRÊT DU 26 Mars 2019
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/06104 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BYVSV
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Février 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 14/12769
APPELANT
M. H... Y...
[...]
[...]
né le [...] à SAINT GERMAIN EN LAYE (78108)
comparant en personne, assisté de Me Françoise DE SAINT SERNIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0525 substitué par Me Julia FABIANI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0525
INTIMEE
SAS TEREOS PARTICIPATIONS
[...]
[...]
représentée par Me Catherine DAVICO-HOARAU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0053
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 31 Mai 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :
Catherine BEZIO, Présidente de chambre
Patricia DUFOUR, Conseiller
Benoît DEVIGNOT, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Géraldine BERENGUER, lors des débats
ARRET :
-CONTRADICTOIRE
-prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. Prorogé ce jour
- signé pour le président empêché par Benoît DEVIGNOT, Conseiller et par Anna TCHADJA-ADJE, greffière de la mise à disposition, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire
FAITS ET PROCÉDURE
Statuant sur l'appel formé le 14 avril 2016 par M. H... Y... à l'encontre du jugement en date du 26 février 2016 par lequel le conseil de prud'hommes de Paris a
-fixé à 20 809 € le salaire moyen de M.Y...
-dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M.Y...
-condamné la société TEREOS PARTICIPATIONS à payer à M.Y... la somme de 125 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du jugement
-et condamné la société TEREOS PARTICIPATIONS à payer à M.Y... la somme de 500 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
le conseil déboutant M.Y... du surplus de ses demandes relatives à des rappels de salaire et des dommages et intérêts pour rupture brutale et harcèlement moral et rejetant également les demandes reconventionnelles de la société TEREOS PARTICIPATIONS afférentes à l'indemnité de licenciement et à l'indemnité de non concurrence ;
Vu les conclusions remises et soutenues à l'audience du 31 mai 2018 par M.Y... qui prie la cour de :
-fixer la moyenne des douze derniers mois de son salaire à la somme de 23 725, 91 € bruts
-dire son licenciement nul car fondé, en réalité, sur son état de santé
-condamner la société TEREOS PARTICIPATIONS à lui payer la somme de 486 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la somme de 81 000 € à titre de dommages et intérêts au titre de la brutalité de la rupture
-condamner, en outre, la société TEREOS PARTICIPATIONS à lui payer
* la somme de 90 000 € à titre de rappel de rémunération variable du 1er avril 2013 au 31 mars 2014 et la somme de 37 500 € au titre du rappel de cette même rémunération du 1er avril 2014 au 31 mars 2015 prorata temporis, outre les congés payés afférents à ces deux sommes et 4500 € de congés payés sur la rémunération variable de l'exercice 2011 / 2012 ainsi que 9000 € de congés payés afférents sur la rémunération variable pour l'exercice 2012/2013
*10 404, 78 € bruts de rappel de salaire sur l'indemnité de préavis conventionnelle, outre les congés payés afférents
* 140 460 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral
* 140 460 € de dommages et intérêts pour la discrimination fondée sur l'état de santé
* 46 820 € à titre de dommages et intérêts au titre du non respect par l'employeur de son obligation de sécurité
* 10 000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
avec remise à M.Y... par la société TEREOS PARTICIPATIONS des bulletins de salaire et attestation Pôle emploi, conformes au présent arrêt, accomplissement des «rectifications nécessaires» auprès de Swiss Life et allocation des intérêts au taux légal capitalisés ;
Vu les écritures développées à la barre par la société TEREOS PARTICIPATIONS qui, formant appel incident, sollicite l'infirmation des condamnations prononcées à son encontre par le conseil de prud'hommes et requiert, en conséquence, le débouté de M.Y..., du chef de toutes ses demandes, et l'allocation de la somme de 10 000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
SUR CE LA COUR
SUR LES FAITS ET LA PROCEDURE :
Considérant qu'il résulte des pièces et conclusions des parties que la société TEREOS PARTICIPATIONS a engagé, à compter du 2 avril 2012, M.Y..., détaché auprès d'elle par la société EDF, en qualité de Directeur des risques du marché ;
que le salarié a été placé en arrêt maladie du 15 septembre au 18 novembre 2012 ; qu'à compter de 2012, la société a mis en place une réorganisation managériale de son groupe,avec création de nouvelles directions au sein de celui-ci et d'un «global leadership team» rassemblant les 70 titulaires des principales directions du groupe et de ses filiales ; que cette nouvelle organisation a fait l'objet d'une note interne en date du 15 novembre 2012 faisant apparaître que M.Y... était intégré dans le «global lesdership team» nouvellement créé puis, le 25 novembre 2013, d'une nouvelle note, indiquant notamment que la nouvelle direction du «marketing stratégique» serait placée sous la responsabilité de M.W..., qui prendrait ses fonctions «début 2014» ; que le 18 avril 2014, une nouvelle note au personnel a informé celui-ci de «quatre changements majeurs d'organisation» parmi lesquels la création de nouvelles directions, dont, celle intitulée «marketing stratégique, R & D, risques de marché», placée sous la responsabilité de M.W... qui devenait ainsi le supérieur hiérarchique de M.Y... , nommé par ailleurs au nouveau comité de direction composé de 20 membres ;
que peu auparavant, par un courriel du 16 avril, M.Y... avait informé le président de la société TEREOS PARTICIPATIONS, M.A..., qu' à l'occasion d'une réunion tenue le 11 avril -à laquelle assistaient 800 participants- M.W... s'était présenté comme «directeur des risques marché» ; que ces déclarations l'avaient affecté tandis que de nombreux collègues et collaborateurs s'étaient inquiétés auprès de lui de ce qu'il «allait devenir» ; qu'il a précisé ne plus être qu' en copie des échanges, de ses collaborateurs avec M.W..., et plus généralement, se sentir exclu des circuits d'information et de décision, atteint en cela dans son honorabilité et sa réputation ; qu'il achevait son propos en ces termes : «j'en viens donc à la conclusion que ma maladie n'a été qu'un prétexte pour provoquer mon départ à mon retour. Même si elle est restée feutrée, la dégradation de nos relations date de cet été quand, en ma qualité de directeur des risques, j'ai été dans l'obligation de t'alerter sur les conséquences actuelles des expositions et risque marché de certaines filiales. Je n'ai malheureusement jamais pu discuter avec toi de l'ensemble de ces sujets et c'est pourquoi je te demande de bien vouloir m'accorder un rendez-vous» ;
que le président de la société a répondu par courriel du 18 avril 2014 être «surpris et déçu» de la correspondance de M.Y...;qu'il a contesté l'existence d'un quelconque lien, entre la santé de celui-ci et la refonte de l'organisation du groupe, ainsi que la modification de leurs relations et l'exclusion, alléguée par M.Y..., rappelant n'avoir pas pu joindre celui-ci lorsqu'il avait tenté de le faire, deux jours auparavant ; qu'en conclusion, le président de la société renvoyait M.Y... à «faire le point et échanger» avec le Directeur des ressources humaines, M.X... ;
que le 28 avril 2014, M.Y... recevait, en main propre, de ce dernier, une convocation à un entretien préalable à son éventuel licenciement, fixé au 7 mai suivant, précisant : «jusqu' à la date de l'entretien compte tenu de vos responsabilités et de l'e.mail que vous avez fait parvenir à K... A..., vous êtes dispensé d'activité»;
que le 7 mai 2014, M.Y... écrivait à nouveau à M.A..., sa déception et son émotion face à son attitude , son refus de le voir et l'instruction donnée à M.X... de le convoquer à un entretien préalable, attirant son attention sur l'extrême gravité de la maladie dont il souffrait (une polyarthrite rhumatoïde) et qui rendait impossible tout nouvel emploi ; qu'il achevait son propos en sollicitant un sursis à la procédure de licenciement engagée afin qu'il puisse faire la demande de pension d'invalidité qu'il avait jusqu' alors écartée, désireux qu'il était, de tout mettre en 'uvre pour continuer à travailler ;
que par lettre de M.X... du 19 mai 2014 a notifié son licenciement pour cause réelle et sérieuse à M.Y...en raison du motif suivant :
«votre niveau hiérarchique au sein du Groupe et de vos responsabilités, votre refus d'adhérer à la nouvelle organisation et d'y poursuivre votre relation contractuelle, votre volonté délibérée de dégrader les relations contractuelles par des accusations infondées et des allusions déplacées que vous refusez d'expliciter et la déloyauté de votre comportement rendent impossible la poursuite de votre contrat de travail et nous contraignent à vous notifier votre licenciement» ;
que la suite de la lettre précisait que la circonstance que M.Y... doive, du fait de la nouvelle organisation, «reporter à» M.W... -alors que jusque là ce report s'effectuait directement auprès du président- ne modifiait nullement son contrat de travail ; qu'elle répondait aux critiques contenues dans le courriel de M.Y... du 16 avril, en contestant l'éviction invoquée par le salarié -ainsi, d'une part, elle déniait tout lien entre la maladie de M.Y... et la nouvelle organisation de la société , refusant pour ce motif le sursis sollicité par M.Y... et, d'autre part, quant à la prétendue dégradation des relations entre M.Y... et M.A..., elle rappelait au salarié qu'il lui incombait de «remonter tout risque au directoire», espérait qu'il n'avait pas failli à sa mission et jugeait «incompréhensible, compte tenu de ses reponsabilités» au sein de l'entreprise, qu'il prétende avoir fait l'objet d'une éviction par l'exercice même de ses fonctions , avant de conclure «Vos allusions et accusations portent atteinte à l'image du groupe et à l'intégrité de ses dirigeants» ;
que M.Y... -dont la dispense d'activité avait été maintenue pendant le préavis- a fait l'objet d'une déclaration d'invalidité 2ème catégorie, le 18 juin 2014 ; qu'il a écrit au président de la société TEREOS PARTICIPATIONS le 1er octobre 2014 pour contester son licenciement, en reprenant le contenu de son courriel déjà cité du 16 avril, reprochant à son interlocuteur, comme dans ce courriel , de s'être désintéressé de lui et d'avoir décidé de son éviction de l'entreprise, pour un motif, ajoutait-il, discriminatoire tenant à sa maladie ;
que c'est dans ces conditions que, le 7 octobre suivant, M.Y... a saisi le conseil de prud'hommes afin de voir juger son licenciement nul ou, du moins, sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir sa réintégration et, outre les indemnités subséquentes, divers rappels de salaire et dommages et intérêts pour harcèlement moral et brusque rupture du contrat de travail ;
que par le jugement entrepris le conseil de prud'hommes a dit le licenciement dépourvu de cause car fondé sur des motifs vagues et généraux, après avoir relevé que les termes employés par M.Y... dans son courriel du 16 avril 2014 résultaient du simple exercice, non abusif, de sa liberté d'expression, par le salarié ; que M.Y... a donc obtenu les sommes visées en tête du présent arrêt, le conseil rejetant le surplus de ses demandes ;
Considérant qu'en cause d'appel M.Y... réclame, outre l'augmentation du montant de la somme allouée en première instance au titre du préavis et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse , le paiement des sommes que les premiers juges ont écarté, au titre de sa rémunération variable, du harcèlement moral , de la discrimination et de l'inobservation de l'obligation de sécurité ;
que pour sa part, la société TEREOS PARTICIPATIONS forme appel incident sur la condamnation prononcée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
SUR LA MOTIVATION
Considérant que M.Y..., en détachement d'EDF lors de sa collaboration avec la société TEREOS PARTICIPATIONS a été réintégré au sein de son entreprise d'origine ; qu'il ne poursuit plus devant la cour sa demande de réintégration au sein de la société TEREOS PARTICIPATIONS, formée en première instance ; qu'il maintient cependant que sa maladie est à l'origine d'une discrimination et la cause de son harcèlement ainsi que de son licenciement ;
Sur la discrimination :
Considérant que M.Y... a repris ses fonctions après deux mois d'arrêt maladie le 18 novembre 2013 à l'époque où était présentée au personnel , le 25 novembre, une nouvelle étape dans la restructuration, engagée par la société TEREOS PARTICIPATIONS en 2012, une précédente note du 15 novembre 2012 ayant annoncé notamment la création de nouvelles directions (développement, fiscale, fusions-acquisitions, et financement marchés de capitaux) ;
que la note du 25 novembre 2013 informait, elle, le personnel, de la création d'une direction du «marketing stratégique» confiée à M.O... W...
que quelques mois plus tard, dans une dernière note du 18 avril 2014, la société indiquait la création de la direction «marketing stratégique, R & D, risques de marché», placée sous la responsabilité de M.W... ;
que force est ainsi de constater que la nouvelle direction créée, d'une part, comprenait la direction des risques marchés, jusqu'alors dirigée par M.Y..., et d'autre part, excédait les contours du projet annoncé le 25 novembre qui attribuait à M.W... une direction essentiellement commerciale avec, seulement, «une contribution à une meilleure maîtrise des risques de marché» ;
que dans les faits, les échanges de correspondances à partir de la prise de fonction de M.W..., début 2014, produits par M.Y..., démontrent, comme celui-ci le prétend, que les collaborateurs de son équipe s'adressaient à M.W..., le mettant seulement en copie ;
que, malgré l'identité de leur titre, «directeur des risques de marché» qui rendait indispensable que soient, à tout le moins, déterminées les compétences respectives de M.Y... et de M.W..., aucune mise au point n'a été effectuée à cet égard par la direction de la société, provoquant les justes interrogations de M.Y... dans son courriel du 16 avril 2014 où celui-ci demandait au président de le recevoir à cette fin ;
que cette requête et les questions qu'elle contenait sont demeurées vaines puisqu'elles ont été écartées par M.A... dans sa réponse du 18 avril, -suivie, une dizaine de jours plus tard, de la convocation de M.Y... à son entretien préalable- et ont motivé le licenciement du salarié, prononcé le 19 mai 2014 ;
Considérant qu'il résulte des énonciations qui précèdent qu'après sa reprise de fonctions M.Y... n'a plus exercé celles-ci comme il le faisait avant son arrêt maladie ; que, certes, la restructuration de la société pouvait justifier une modification de celles-ci ; que, toutefois, cette restructuration apparaît avoir consisté, en réalité, comme M.Y... le fait plaider, en un remplacement pur et simple de celui-ci à la tête de la direction qu'il animait ; que, d'ailleurs, la société TEREOS PARTICIPATIONS n'expose pas plus à la cour qu' à M.Y..., les pouvoirs respectifs dévolus à ce dernier et au nouveau directeur des risques de marché, M.W... ;
Considérant qu'en définitive, la modification apportée aux fonctions de M.Y... s'assimilait à une véritable éviction de poste qui ne pouvait trouver son issue juridique que dans la rupture du contrat de travail de M.Y... ;
Mais considérant que , pour autant, la cour ne peut conclure que la modification litigieuse était inspirée par l'état de santé de M.Y..., en arrêt pour maladie durant deux mois depuis le 15 septembre ;
qu'en effet, le lien entre le comportement ci-dessus décrit de la société TEREOS PARTICIPATIONS et l'état de santé de l'appelant n'est pas établi et ne peut pas même être présumé ; qu'il existait, de l'aveu même, de M.Y... dans ses correspondances susvisées à M.A..., un contentieux personnel et une divergence de vue tenant aux risques encourus par certaines filiales du groupe, qu'il avait dénoncés au président , peu avant son congé de maladie, comme la société TEREOS PARTICIPATIONS ne le conteste pas ;
que plus précisément, dans son courriel du 16 avril 1014 à M.A..., où il se plaint de sa situation, M.Y..., attribue, lui-même, le comportement de la société à son égard, au conflit qui les oppose à propos des filiales ;
Considérant que dans ces conditions, la préexistence certaine d'un tel conflit, en l'absence par ailleurs d'éléments susceptibles de laisser présumer la discrimination alléguée, constituait une source de désaccord, de nature, elle, à justifier la volonté de la société de se séparer de M.Y... ; que les demandes formées au titre de la discrimination, qu'il s'agisse des dommages et intérêts sollicités ou de la nullité du licenciement ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur le licenciement :
Considérant que la lecture de la lettre de licenciement révèle, ainsi que l'a pertinemment jugé le conseil de prud'hommes, que les griefs imputés à M.Y... sont, soit généraux et imprécis, soit insusceptibles de fonder le licenciement de celui-ci ;
Considérant qu'en effet, les reproches non circonstanciés, faits à l'appelant, quant à son «refus d'adhérer à la nouvelle organisation, sa volonté de dégrader les relations contractuelles par des accusations infondées» ne sont étayés par aucun élément précis objectif et ne consistent qu' en des jugements de valeur, dénués de tout fondement factuel ;
que si le contenu du courriel de M.Y..., adressé au président de la société le 16 avril 2014, est par ailleurs largement développé, sans être clairement rattaché d'ailleurs aux considérations générales précitées, la cour approuve aussi le conseil de prud'hommes de n'avoir vu dans cette correspondance de l'appelant aucune accusation ni aucun propos irrespectueux ; que les termes employés par M.Y... expriment seulement le désarroi et le questionnement de celui-ci face au devenir de ses fonctions, alors que, rentré depuis quelques mois après son absence de l'entreprise pour cause de maladie, d'une part, il constate sa véritable dépossession au profit d'un remplaçant, fût-ce dans le cadre d'une réorganisation de l'entreprise, et d'autre part, il n'obtient aucune information, quant à l'exercice de ses fonctions du fait de cette réorganisation ; que son rang de directeur autorisait M.Y... à s'ouvrir au président de la société, de semblables changements et à espérer de lui, qu'en toute bonne foi, son interlocuteur apporte réponse à son inquiétuude ;
que, dans sa réponse du 18 avril, M.A... renvoie M.Y... au DRH, mais quelques jours plus tard, celui-ci ne reçoit M.Y..., que pour le convoquer à l'entretien préalableà son licenciement ; que l'engagement de la procédure de licenciement en l'absence de toute réponse effective au courriel du 16 avril ne peut que traduire l'embarras de la société pour exposer à M.Y... sa nouvelle situation et son avenir dans l'entreprise ; que la procédure de licenciement, qu'aucun motif ne vient justifier, apparaît comme le moyen, pour la société TEREOS PARTICIPATIONS, de parvenir au but qu'elle recherche, sans pouvoir l'avouer , se séparer du salarié;
Considérant que le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce que le conseil de prud'hommes a déclaré le licenciement de M.Y... dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Sur le « harcèlement moral démissionnaire » :
Considérant qu'il résulte des dispositions qui précèdent que le licenciement de M.Y... n'était, pour la société TEREOS PARTICIPATIONS, que le moyen de se séparer de son collaborateur auquel elle reprochait, d'ailleurs, dans les motifs vagues -et sans les illustrer- de sa lettre de licenciement, de ne pas adhérer à sa réorganisation ;
Or considérant que la mise en place de cette réorganisation a conduit, comme dit ci-dessus, à une véritable dépossession de son poste pour M.Y..., alors qu'officiellement dans sa lettre du 18 avril 2014 le président de la société -comme le fait, présentement, la société dans ses conclusions- affirmait qu'aucune modification contractuelle n'affectait la situation de M.Y... -affirmation qu'aucun élément ne vient établir face à la démonstration contraire de l'appelant, retenue plus haut par la cour ;
qu'en définitive, M.Y... a subi, de façon patente, une modification de son contrat, entraînant la disparition effective de ses pouvoirs ; que cette situation, vécue pendant plusieurs mois par l'appelant, présentait, au regard notamment de son entourage professionnel, un caractère humiliant et vexatoire, cause d'un préjudice moral incontestable, proportionnel à l'importance des pouvoirs et du poste élevé dont disposait M.Y... dans l'entreprise ;
que l'atteinte qui s'en est suivie, à la dignité de l'appelant, a été aggravée par le comportement de l'employeur qui, devant ses justes contestations, a refusé d'entendre M.Y..., fait mine de prendre en considération ses interrogations en l'adressant au service des ressources humaines pour, finalement, sans élément nouveau, lui notifier un licenciement injuste, fondé sur ses plaintes légitimesquant à sa situation professionnelle ;
qu'enfin, la procédure de licenciement a servi de prétexte à la société TEREOS PARTICIPATIONS pour évincer M.Y..., de l'entreprise, dès sa convocation à l'entretien préalable puisque, sans motif et en l'absence de toute mise à pied conservatoire, elle a dispensé d'activité le salarié, reconnu apte, pourtant, par la médecine du travail, le 14 avril 2014 ;
Considérant que l'ensemble de ces agissements imputables à la société TEREOS PARTICIPATIONS, concourant tous à l'éviction de M.Y... , de son poste, constituent bien un harcèlement moral que les pièces et conclusions de celle-ci ne viennent pas utilement contredire ;
Considérant qu'en réparation du préjudice consécutif à ce harcèlement, M.Y... sollicite une indemnité de 140 460 € ; que le montant de cette somme est excessif et ne correspond à aucun chiffrage raisonnable du préjudice ;
que compte tenu de la nature des fonctions qu'exerçait M.Y... et du traitement méprisant et dégradant de sa hiérarchie envers lui, alliés à l'instrumentalisation d'un licenciement injustifié, la cour évalue à 30 000 € l'indemnité réparatrice du préjudice subi par l'appelant du fait du harcèlement moral ;
Considérant qu'il ressort des dispositions précédentes que les circonstances du licenciement de M.Y... font partie du harcèlement moral que lui a fait subir son employeur ; qu''il n' y a donc pas lieu d'allouer à l'appelant l' indemnité distincte qu'il réclame au titre de la brutalité de son licenciement ;
Considérant, de même, que s'il fait à juste titre valoir qu'il n'a pas eu de visite médicale lors de son embauche, non plus qu' à l'issue de son arrêt maladie du15 septembre au 18 novembre 2012, l'appelant a été à bon droit débouté de la demande de dommages et intérêts, formée à ce titre, pour violation, par l'employeur, de son obligation de sécurité, dès lors qu'en tout état de cause il n'allègue aucun préjudice subséquent ;
Sur les bonus :
Considérant que le contrat de travail de M.Y... stipulait au titre de sa rémunération, le versement d'une partie variable, d'un montant maximum annuel de 90 000 €, payable en trois fois (3 x 30 000 €), calculée, sur la période du 1er octobre N-1 au 30 septembre de l'année N, en fonction des résultats de TEREOS, des objectifs personnels mesurables fixés à M.Y... et de l'appréciation de sa performance individuelle ;
que M.Y... expose n'avoir perçu aucune somme, au titre de ce «bonus», depuis le 1er mars 2013 et réclame, de ce chef, le paiement de la somme de 90 000 € pour la période du 1er avril 2013 au 31 mars 2014, outre, et au prorata de sa présence dans les effectifs, la somme de 37 500 € pour la période du 1er avril 2014 au 31 mars 2015, son préavis expirant en septembre 2014 ;
que l'appelant sollicite de plus l'allocation des congés payés afférents à ces bonus non versés et aux bonus versés par la société TEREOS PARTICIPATIONS, entre 2011 et 2012 ;
Considérant que la société TEREOS PARTICIPATIONS rappelle qu'elle a modifié en 2013 les périodes de son exercice comptable, celui-ci couvrant désormais la période du 1er avril au 31 mars de sorte que pour la période transitoire, du 1er octobre 2012 au 31 mars 2013, elle a versé à M.Y... la somme de 35 000 € ;
qu'elle reconnaît que M.Y... n'a pas reçu de bonus pour la période postérieure au 1er avril 2013 non plus que pour celle du 1er avril 2014 au 31 mars 2015, précisant que pour cette deuxième période M.Y... n'a pas participé aux résultats de l'année considérée, son contrat de travail ayant expiré le 17 septembre 2014 ;
Mais considérant que, sans être contredit, M.Y... fait valoir que pour les périodes litigieuses, aucun objectif ne lui a été fixé et qu'il n'a fait l'objet d'aucun entretien d' évaluation, qu'enfin, son absence dans l'entreprise au terme de l'exercice 2014-2015 n'est imputable qu' à la faute de l'employeur qui l'a licencié sans cause ;
Considérant que tous les bonus réclamés par M.Y... lui sont donc dus ; qu'en dépit de sa contestation, la société TEREOS PARTICIPATIONS sera condamnée à payer les sommes requises, majorées des congés payés afférents, ainsi que le montant des congés payés afférents aux bonus déjà réglés, non atteints par la prescription ;
qu'en effet, le caractère annuel du bonus s'applique, selon les dispositions du contrat, au «montant maximum» dudit bonus dont le paiement ainsi forfaitaire est effectué en trois versements ; qu'il ne s'induit pas de ces stipulations et ne résulte d'aucun autre élément que la somme versée au titre du bonus litigieux -qui rémunère un travail effectif- inclut nécessairement le montant des congés payés ; que le bonus doit en conséquence être majoré de l'indemnité de congés payés ;
Sur les demandess de M.Y... liées à la rupture du contrat de travail :
-sur le montant de l 'indemnité compensatrice de préavis
Considérant que M.Y... sollicite un complément d'indemnité de préavis qu'il évalue à la somme mensuelle de 3468, 26 € , correspondant à l'indemnité de déplacement à l'étranger, prévue à l'article 4 de son contrat de travail ;
Considérant que la société TEREOS PARTICIPATIONS conclut au rejet de cette prétention au motif que, durant son préavis, le salarié était dispensé d'activité et qu'il n'a, dès lors, effectué aucun déplacement ;
Mais considérant que , même si elle constitue la contrepartie d'une sujétion, liée à l'exercice de ses fonctions, la prime litigieuse constitue, à la lecture de l'article 4, une composante de la rémunération du salarié, figurant, en tant que telle, à cet article intitulé précisément «rémunération»et, contrairement aux conclusions de la société TEREOS PARTICIPATIONS, cette prime ne consistait nullement en une avance faite au salarié puisque, dans l'hypothèse d'un trop perçu, celui-ci devait seulement, selon l'article 4, réintégrer le trop perçu dans son revenu fiscal, sans avoir à le restituer à la société ; que la prime en cause a d'ailleurs été versée à l'appelant durant ses congés de maladie ;
que la demande relative au complément de l'indemnité de préavis sera donc accueillie, avec majoration au titre des congés payés ;
-sur le montant de l indemnité sans cause réelle et sérieuse
Considérant qu'à ce titre, M.Y... sollicite l'allocation de la somme de 486 000 € ;
que le préjudice professionnel et moral lié, pour l'appelant, à la perte de son poste au sein de la société TEREOS PARTICIPATIONS, est, certes important -alors qu'il pouvait espérer poursuivre, au sein de cette société, une carrière, faite d'intérêt et de responsabilités spécifiques, et que sa rémunération représentait, sans les bonus, une somme mensuelle de 20 000 € environ chez TEREOS PARTICIPATIONS , soit plus de trois fois le montant du salaire qu'il perçoit actuellement à EDF (6800 € environ) où il a été réintégré ;
que dans son évaluation, la cour tiendra compte de cet élément ainsi que des répercussions alléguées et non contestées, de l'absence de prise en compte des bonus, non payés, sur le calcul de la rente d'invalidité servie à M.Y... ;
que, toutefois, cette évaluation ne peut pas ignorer le montant des prestations servies à M.Y..., au titre de son invalidité par la sécurité sociale et la société SWISS LIFE ;
Considérant qu'il résulte des énonciations qui précèdent que le montant de l 'indemnité réparatrice du préjudice souffert par l'appelant n'a pas été justement évalué par le conseil de prud'hommes et que, sans aller jusqu' à la somme excessive réclamée, la cour est en mesure de porter cette indemnité à la somme de 240 000 € ;
Considérant que, conformément à la demande de M.Y..., la cour ordonnera ci-après au dispositif que la société TEREOS PARTICIPATIONS remette à l'appelant des bulletins de salaire rectifiés ainsi qu'une attestation Pôle emploi ;
Considérant qu'en revanche, s'agissant des «rectifications nécessaires» , requises auprès de la société SWISS LIFE, l'indétermination d'une semblable demande rend celle-ci irrecevable, étant précisé, au demeurant, que l'absence d'intégration des bonus dans le calcul de la pension d'invalidité a été prise en considération ci-dessus, comme demandé par M.Y..., pour l'évaluation de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Considérant que les intérêts légaux sur les sommes allouées à M.Y... courront comme rappelé au dispositif et se capitaliseront lorsqu'ils seront dus pour une année entière ;
Considérant qu' en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la société TEREOS PARTICIPATIONS qui est est condamnée aux entiers dépens, versera à l'appelant la somme de 5000 € en sus de celle, allouée à ce titre par les premiers juges ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en ce que le conseil de prud'hommes a dit le licenciement de M.Y..., sans cause réelle et sérieuse, a débouté M.Y... de ses demandes de dommages et intérêts formées au titre de la discrimination, de la brutalité de la rupture et de l'inobservation de l'obligation de sécurité, et a condamné la société TEREOS PARTICIPATIONS aux dépens ainsi qu' au paiement, en faveur de M.Y..., de la somme de 500 €, en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Infirme pour le surplus, le jugement entrepris et statuant à nouveau ;
Condamne la société TEREOS PARTICIPATIONS à payer à M.Y...,
-avec intérêts au taux légal à compter du 13 octobre 2014, date de la réception par la société TEREOS PARTICIPATIONS de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes :
*la somme de 90 000 € à titre de rappel de rémunération variable, du 1er avril 2013 au 31 mars 2014, outre 9000 € de congés payés afférents
*la somme de 4500 € à titre de congés payés sur la rémunération variable payée au titre de l'exercice 2012/2013
*la somme de 9000 € à titre de congés payés sur la rémunération variable payée d'octobre 2012 à mars 2013
-avec intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2018, date de l'audience devant la cour où ces condamnations ont été sollicitées pour la première fois,
*la somme de 37 500 € au titre du rappel de rémunération variable, du 1er avril 2014 au 31 mars 2015 prorata temporis, outre 3750 € au titre des congés payés afférents,
*la somme de 10404, 78 € brut à titre de complément d'indemnité de préavis outre 1040,
47 € de congés payés afférents
-avec intérêts au taux légal à compter de ce jour, la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et la somme de 240 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Ordonne à la société TEREOS PARTICIPATIONS de remettre à M.Y... dans le mois suivant la notification du présent arrêt, des bulletins de salaire et une attestation Pôle emploi, conformes audit arrêt ;
Dit que les intérêts au taux légal ci-dessus se capitaliseront lorsqu'ils seront dus pour une année entière ;
Rejette la demande de M.Y... tendant à voir condamner la société TEREOS PARTICIPATIONS à faire, auprès de la société SWISS LIFE, «toutes rectifications nécessaires» ;
Condamne la société TEREOS PARTICIPATIONS aux dépens d'appel et au paiement, au profit de M.Y... de la somme de 5000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE CONSEILLER
Pour le Président empêché