Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 8
ARRÊT DU 14 FÉVRIER 2019
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/14575 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5ZVT
Décision déférée à la cour : jugement du 14 mai 2018 - juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris - RG n° 18/80384
APPELANTE
Société Commissions Import Export (Commisimpex), société de droit congolais, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
Brazzaville (République du Congo)
représentée par Me Jacques-Alexandre Genet de la Selas Archipel, avocat au barreau de Paris, toque : P0122
INTIMÉ
L'agent judiciaire de l'Etat, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Xavier Normand Bodard de la Scp Normand & Associés, avocat au barreau de Paris, toque : P0141
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 23 janvier 2019, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Emmanuelle Lebée, présidente de chambre
M. Gilles Malfre, conseiller, chargé du rapport
M. Bertrand Gouarin, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : M. Sébastien Sabathé
ARRÊT : - contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Emmanuelle Lebée, présidente et par M. Sébastien Sabathé, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Par une sentence arbitrale du 3 décembre 2000, la Cour internationale d'arbitrage de la chambre de commerce internationale a notamment condamné solidairement la république du Congo et la Caisse congolaise d'amortissement à payer à la société Commission Import Export (Commisimpex) la somme de 232 000 000 d'euros en principal, frais et intérêts, arrêtée au 15 octobre 2016. Par arrêt du 23 mai 2002 signifié le 4 juillet 2002, la cour d'appel de Paris a rejeté le recours en annulation introduit contre cette sentence, conférant l'exequatur à ladite sentence arbitrale.
Par une sentence arbitrale du 21 janvier 2013, la même Cour internationale d'arbitrage a notamment condamné la république du Congo à payer à la société Commisimpex au titre des articles 2 et 3 du protocole du 23 août 2003, la somme de 754 000 000 d'euros en principal, frais et intérêts arrêtée au 15 octobre 2016. Par ordonnance du 13 février 2013, cette sentence du 21 janvier 2013 a reçu exequatur par le président du tribunal de grande instance de Paris. Cette sentence exequaturée a été signifiée par acte du 7 mars 2013. Par arrêt du 14 octobre 2014, la cour d'appel de Paris a rejeté le recours en annulation formé à l'encontre de cette sentence arbitrale.
En exécution de ces deux sentences, par actes des 14 novembre et 9 décembre 2016, la société Commisimpex a fait pratiquer deux saisies-attribution entre les mains du contrôleur budgétaire et comptable ministériel du ministère de l'économie et des finances (Cbcm), sur les comptes ouverts au nom de la Banque des États de l'Afrique centrale (Beac), au préjudice de la république du Congo.
Les créances visées par la première saisie sont les suivantes :
« les sommes qui pourraient être détenues, au titre de la convention de coopération monétaire entre les États membres de la Beac et la république française, ainsi que de la convention de compte d'opérations de la Beac - et notamment des comptes 131101-Scbcm, 131102-Scbcm et 131103-Scbcm, formellement ouverts au nom de la Beac mais sur lesquels figurent des sommes appartenant au débiteur (étant précisé qu'en ce cas, le présent acte de saisie ne porte que sur les seules sommes appartenant au débiteur) ».
Celles visées par le seconde saisie sont décrites comme suit :
«'les sommes qui pourraient être détenues, au titre de la convention de coopération monétaire entre les États membres de la Beac et la république française, ainsi que de la convention de compte d'opérations de la Beac et au compte spécial de nivellement conclue entre la Beac et la république Française ' et notamment des comptes ouverts dans les livres du service du Cbcm sous les intitulés « Beac compte d'opérations compte 444521 » et « Beac compte spécial de nivellement compte 444522 », formellement ouverts au nom de la Beac mais sur lesquels figurent des sommes appartenant au débiteur (étant précisé qu'en ce cas, le présent acte de saisie ne porte que sur les seules sommes appartenant au débiteur) ».
Par lettre du 15 novembre 2016, le Cbcm a indiqué : « qu'aucune somme appartenant au débiteur ne peut être individualisée dans les comptes et que les comptes présentés comme relevant de la convention de comptes d'opérations de la Beac cités dans le procès-verbal de saisie-attribution ne me sont pas connus n'étant pas ouverts dans mes écritures ». Par lettre du 12 décembre 2016,'concernant la seconde saisie, il a précisé : « qu'aucune somme appartenant au débiteur ne pouvait être individualisée dans ses comptes ».
Ces saisies ont été régulièrement dénoncées à la république du Congo, qui ne les a pas contestées dans les délais.
Par acte du 10 avril 2017, la société Commisimpex a assigné en référé le Cbcm devant le président du tribunal de grande instance de Paris, afin que lui soit communiqué différents documents, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile. Par ordonnance du 31 octobre 2017, le juge des référés a renvoyé les parties à se pourvoir au fond, le Cbcm ayant fait valoir que les documents sollicités s'inscriraient dans le cadre de la politique extérieure de la France, et ne seraient pas communicables en application de l'article L. 311-5 2°c. du code des relations entre le public et les administrations, en qualifiant de « plausible » l'hypothèse d'une possible individualisation au sein du compte d'opérations du montant des réserves de change par État membre de la Beac et celle d'un manquement du Cbcm à ses obligations de tiers saisi.
C'est dans ces conditions que, par acte du 18 décembre 2017, la société Commisimpex a assigné l'agent judiciaire de l'État devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris, afin qu'il soit condamné à lui payer, en qualité de tiers saisi et à titre de dommages-intérêts, la somme de 1 023 240 977,83 euros, pour déclaration mensongère et inexacte, sollicitant, à titre subsidiaire, une mesure d'expertise afin de rechercher si, à la date des saisies, le tiers saisi détenait à quelque titre que ce soit des sommes appartenant à la république du Congo.
Par jugement du 14 mai 2018, le juge de l'exécution a débouté la société Commisimpex de ses demandes et l'a condamnée à payer la somme de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles.
La société Commisimpex a relevé appel de ce jugement, selon déclaration du 7 juin 2018.
Dans ses dernières conclusions du 10 décembre 2018, elle demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, sollicite qu'une expertise soit ordonnée, afin de rechercher si, à la date de chacune des saisies, le Cbcm détenait, à quelque titre que ce soit, notamment à travers des comptes ouverts dans ses livres au nom de la Beac, des sommes appartenant à la république du Congo ou devant lui revenir, à terme ou sous condition, en précisant, le cas échéant, les montants et modalités de ces créances. Subsidiairement, elle entend que l'État français soit condamné à lui payer la somme de 986 millions d'euros à titre de dommages-intérêts, pour déclarations mensongères et inexactes du tiers saisi. Dans tous les cas, la société Commisimpex s'oppose aux demandes de l'intimé et sollicite qu'il soit condamné à lui payer la somme de 30 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par dernières conclusions du 18 décembre 2018, l'agent judiciaire de l'État poursuit la confirmation du jugement, entend que les saisies-attribution des 14 novembre et 9 décembre 2016 soient annulées, conclut au débouté de toutes les demandes de l'appelante, dont elle sollicite la condamnation au paiement d'une somme de 30 000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel.
SUR CE
L'article L. 153-1 du code monétaire et financier dispose que ne peuvent être saisis les biens de toute nature, notamment les avoirs de réserves de change, que les banques centrales ou les autorités monétaires étrangères détiennent ou gèrent pour leur compte ou celui de l'État ou des États étrangers dont elles relèvent.
Si elle s'inscrit dans les principes posés en matière d'immunité d'exécution, cette disposition prévoit une insaisissabilité des avoirs détenus par les banques centrales étrangères ou organismes de même nature. Ce texte édicte donc une insaisissabilité, étant rappelé que l'immunité est attachée à une personne alors que l'insaisissabilité porte sur des biens.
Le tiers saisi est donc fondé à se prévaloir de cette insaisissabilité, qui n'est pas un moyen de nature personnelle tiré de l'immunité d'exécution. En effet, sa responsabilité étant recherchée sur le fondement des dispositions de l'article R. 211-5 al 2 du code des procédures civiles d'exécution, pour s'opposer aux dommages-intérêts qui lui sont réclamés, le tiers saisi est recevable à se prévaloir des causes d'inefficacité des saisies-attribution, dont l'insaisissabilité.
Contrairement à ce que soutient l'appelante, l'insaisissabilité de l'article L. 153-1 du code monétaire et financier porte non seulement sur les avoirs détenus par les banques centrales étrangères, pour leur propre compte, mais également sur les avoirs détenus pour le compte du ou des États dont elles relèvent. Elle s'applique donc en l'espèce puisque les saisie litigieuses visent les comptes ouverts au nom de la Beac, auprès du Cbcm, la Beac détenant et gérant les réserves de change des pays membres de la Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale dont le Congo.
L'appelante soutient que cette insaisissabilité n'est pas conforme aux dispositions de la convention des Nations unies du 2 décembre 2004 sur les immunités juridictionnelles des États,'reflétant le droit coutumier en la matière, et, partant, au droit à un procès équitable défini à l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'Homme. Elle rappelle à cet égard que la convention de 2004 autorise la saisie des réserves de changes, lorsque l'État débiteur a renoncé, comme en l'espèce, à son immunité d'exécution, et que les dispositions qui lui sont opposées ne constituent pas une restriction légitime et proportionnée au droit à l'exécution des décisions de justice.
Cependant, l'insaisissabilité prévue à l'article L. 153-1 du code monétaire et financier n'est pas absolue dans la mesure où le créancier titulaire d'un titre exécutoire, par exception aux dispositions de l'alinéa 1er de cet article, peut solliciter du juge de l'exécution l'autorisation de poursuivre l'exécution forcée, s'il établit que les biens détenus ou gérés pour son propre compte par la banque centrale ou l'autorité monétaire étrangère font partie d'un patrimoine qu'elle affecte à une activité principale relevant du droit privé. Bien que cette exception ne vise pas expressément les biens détenus ou gérés par une banque centrale, pour le compte d'autres États, l'insaisissabilité de l'article L. 153-1 poursuit dans tous les cas des buts légitimes, à savoir la nécessaire protection des réserves de changes d'États étrangers placés en France ainsi que le fait d'assurer le bon fonctionnement de la Beac. En outre et contrairement à ce que soutient la société Commisimpex, le créancier dispose d'une voie de recours, en mettant en cause la responsabilité de l'État sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour obtenir réparation du préjudice lié à l'insaisissabilité qui lui est opposée. Les dispositions de l'article L. 153-1 du code monétaire et financier ne constituent pas une atteinte disproportionnée au droit à l'exécution, et ne méconnaissent donc pas les exigences du procès équitable.
La demande de dommages-intérêts de l'appelante, fondée sur les dispositions de l'article R.'211-5 al 2 du code des procédures civiles d'exécution, ne saurait donc prospérer, les fonds visés par les deux saisies-attributions étant insaisissables. Il convient donc, à ce motif, de confirmer le jugement entrepris. Ajoutant au jugement, les deux saisies-attribution seront annulées, en ce qu'elles portent sur des biens insaisissables.
Au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, l'appelante sera condamnée à payer la somme de 20 000 euros.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement ;
Y ajoutant ;
Annule les deux saisies-attribution pratiquées par la Sa Commission Import Export, les 14 novembre et 9 décembre 2016 ;
Condamne la Sa Commission Import Export à payer à l'agent judiciaire de l'État la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la Sa Commission Import Export aux dépens d'appel.
LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE