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05/02/2019 | FRANCE | N°13/02157

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 05 février 2019, 13/02157


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRÊT DU 05 Février 2019

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 13/02157 - N° Portalis 35L7-V-B65-BRDBB



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Janvier 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS section RG n° 09/15567





APPELANTE

SA FRANCE TÉLÉVISIONS

[...]

N° SIRET : 432 766 947

représentée p

ar Me Bruno X..., avocat au barreau de PARIS, toque : E1404



INTIME

M. Paul Y...

[...]

comparant en personne, assisté de Me Joyce Z..., avocat au barreau de PARIS,

toque : B...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRÊT DU 05 Février 2019

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 13/02157 - N° Portalis 35L7-V-B65-BRDBB

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Janvier 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS section RG n° 09/15567

APPELANTE

SA FRANCE TÉLÉVISIONS

[...]

N° SIRET : 432 766 947

représentée par Me Bruno X..., avocat au barreau de PARIS, toque : E1404

INTIME

M. Paul Y...

[...]

comparant en personne, assisté de Me Joyce Z..., avocat au barreau de PARIS,

toque : B0053

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 Mars 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:

Catherine BEZIO, Président de chambre

Patricia DUFOUR, Conseiller

Benoît DEVIGNOT, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Géraldine BERENGUER, lors des débats

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, prorogé ce jour.

- signé pour le Président empêché par Madame Patricia DUFOUR, Conseiller et par Madame Anna TCHADJA ADJE, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PRÉTENTIONS:

Monsieur Paul Y... a commencé à travailler à compter du 17 décembre 1984 pour la SA France 3 Lorraine en qualité de journaliste illustrateur de presse et, à compter de 1988 a rejoint la rédaction nationale de la société France 3. Le 30 septembre 2009, la société FRANCE TELEVISIONS qui, depuis la loi du 5 mars 2009, a réuni en son sein l'ensemble des sociétés de l'audiovisuel public a rompu la relation de travail. Depuis son entrée en fonction, Monsieur Y..., soit en sa qualité d'entrepreneur individuel, soit en sa qualité de gérant associé de la SARL MAORI, avait toujours été payé en honoraires sur la base de factures établies par ses soins ou par sa société.

Contestant la rupture des relations professionnelles et sur le fondement de L. 7112-1 du code du travail posant une présomption de contrat de travail, Monsieur Y... a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 30 novembre 2009 d'une demande tendant, en son dernier état, à le voir dire qu'il avait la qualité de journaliste, requalifier la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée, juger que la rupture des relations s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la SA FRANCE TELEVISIONS au paiement de rappels de salaires, de dommages et intérêts, des indemnités afférentes au licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pou préjudice de retraite et d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 2 novembre 2011, le conseil de prud'hommes s'est déclaré en partage des voix.

Par jugement en date du 30 janvier 2013, le juge départiteur a:

- dit que Monsieur Paul Y... et la société FRANCE TELEVISIONS étaient liés par un contrat de travail,

- dit que la rupture du contrat de travail produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- fixé la salaire moyen mensuel de Monsieur Y... à 6.082,41 €,

- condamné la société FRANCE TELEVISIONS à payer à Monsieur Y... les sommes suivantes:

** 32.509 € de rappel de prime d'ancienneté de 2005 à 2009,

** 30.025,64 € de prime de 13ème mois entre 2005 et 2009,

** 7.659 € de rappel de prime de fin d'année entre 2005 et 2009,

** 30.000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à l'absence congés payés,

** 18.257,23 € d'indemnité compensatrice de préavis,

** 1.825,72 € au titre des congés payés afférents,

** 91.236,15 € d'indemnité de licenciement,

** 80.000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

** 50.000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la perte des droits à la retraite,

- débouté Monsieur Y... de ses autres demandes,

- a rappelé que les créances de nature salariale portaient intérêts au taux légal à compter du 2 décembre 2009, date de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation par la SA FRANCE TELEVISIONS et les créances indemnitaires à compter de la décision,

- a condamné la SA FRANCE TELEVISIONS aux dépens et au paiement de la somme de 1.800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 4 mars 2013, la SA FRANCE TELEVISIONS a fait appel de la décision.

Par arrêt en date du 11 juin 2015, la cour d'appel a:

- dit que Monsieur Paul Y..., en sa qualité d'infographiste devait être assimilé à un journaliste professionnel,

- dit que la relation entre les parties caractérisait l'existence d'un contrat de travail,

- dit que la convention collective nationale des journalistes était applicable à la relation de travail,

- dit que la rupture de la relation professionnelle s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et sérieuse,

Avant dire droit,

- a invité les parties à préciser tous les éléments de classification de Monsieur Y... (indice, échelon...), permettant de déterminer le montant de son salaire conventionnel brut mensuel et, sur cette base, de présenter leurs calculs à la cour concernant les demandes formulées par le salarié.

- a renvoyé l'affaire à l'audience du 3 décembre 2015.

A la suite du pourvoi formé par Monsieur Y... et la SA FRANCE TELEVISIONS, la cour de cassation, par arrêt en date du 25 janvier 2017, a rejeté le pourvoi formé par la SA FRANCE TELEVISIONS au motif «qu'ayant constaté, par motifs propres, que l'intéressé, en apportant une contribution permanente illustrative dans le cadre de l'élaboration des journaux télévisés, était un collaborateur direct de la rédaction, et par motifs adoptés, qu'il en tirait le principal de ses ressources, la cour d'appel a, par une décision motivée et sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision».

De même, la cour a rejeté le pourvoi formé par Monsieur Y... au motif que le moyen était irrecevable la partie du dispositif qu'il critiquait correspondant en réalité à un chef de dispositif avant dire droit.

S'agissant de la présente procédure portant sur les conséquences financières de l'effectivité d'un contrat de travail existant entre les parties, du statut de journaliste de Monsieur Y... et du fait que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la SA FRANCE TELEVISIONS demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a:

- fixé le salaire brut mensuel moyen de Monsieur Y... à somme de 6.082,41 €,

- prononcé à son encontre des condamnations sur la base de ce salaire,

Et, statuant à nouveau,

- de constater que le salaire brut mensuel moyen de l'intimé ne peut excéder un montant de 3.403 €,

- de constater que les indemnités de rupture dues à Monsieur Y... ne peuvent excéder les sommes suivantes:

** 10.209 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

** 1.021 € au titre des congés payés afférents,

** 51. 045 € titre de provision sur indemnité légale de licenciement,

** 23.818 € à titre d'indemnité complémentaire de licenciement,

** 20.418 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

A titre subsidiaire,

** 17.015 € à titre de rappel de prime de 13ème mois,

** 20.415 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice résultant de la non-prise de congés payés,

A titre subsidiaire, au titre du préjudice de retraite, prétendument soulevé,

- de nommer tel expert qu'il plaira de désigner avec pour mission d'évaluer ce prétendu préjudice et dire que les frais d'expertise seront avancés par moitié par chacune des parties,

- de réserver l'examen de ses demandes de dommages et intérêts au titre du prétendu préjudice de retraite jusqu'au résultat de l'expertise,

- de constater le caractère infondé des autres demandes, fins et prétentions de Monsieur Y...,

- d'ordonner la compensation judiciaire des éventuelles sommes allouées par la cour avec les sommes déjà versées à Monsieur Y... dans le cadre de l'exécution provisoire ordonnée en première instance,

En tout état de cause,

- de condamner Monsieur Y... aux dépens, qui seront recouvrés par Maître Frédéric A... en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et au paiement de la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur Y... demande à la cour:

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SA FRANCE TELEVISIONS à lui payer les sommes suivantes:

** 7.659 € à titre de rappel de prime de fin d'année,

** 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice résultant de la non-prise de congés,

** 1.800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- de l'infirmer pour le surplus,

En conséquence,

A titre principal,

- de fixer son salaire mensuel brut à la somme de 7.611 €,

- de condamner la SA FRANCE TELEVISIONS à lui payer:

** 36.511 € à titre de rappel sur prime de 13ème mois,

** 22. 833 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

** 2.283 € au titre des congés payés afférents,

** 114.165 € à titre de provision à valoir sur l'indemnité de licenciement des journalistes,

** 53.277 € au titre de l'indemnité conventionnelle complémentaire de licenciement des journalistes,

** 45.666 € au titre de l'article L. 8223-1 du code du travail,

A titre subsidiaire,

- de fixer son salaire mensuel brut à la somme de 6.339 €,

- de condamner la SA FRANCE TELEVISIONS à lui payer:

** 31.695 € à titre de rappel sur prime de 13ème mois,

** 19.017 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

** 1.901 € au titre des congés payés afférents,

** 95.085 € à titre de provision à valoir sur l'indemnité de licenciement des journalistes,

** 44.373 € au titre de l'indemnité conventionnelle complémentaire de licenciement des journalistes,

** 38.034 € au titre de l'article L. 8223-1 du code du travail,

A titre infiniment subsidiaire,

- de fixer son salaire mensuel brut à la somme de 5.010 €,

- de condamner la SA FRANCE TELEVISIONS à lui payer:

** 25.050 € à titre de rappel sur prime de 13ème mois,

** 15.030 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

** 1.503 € au titre des congés payés afférents,

** 75.150 € à titre de provision à valoir sur l'indemnité de licenciement des journalistes,

** 35.070 € au titre de l'indemnité conventionnelle complémentaire de licenciement des journalistes,

** 30.060 € au titre de l'article L. 8223-1 du code du travail,

En tout état de cause,

- de condamner la SA FRANCE TELEVISIONS à lui payer les sommes suivantes:

** 37.492 € au titre du rappel sur prime d'ancienneté,

** 400.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

** 502.188 € au titre du préjudice de retraite,

- de dire qu'en cas d'expertise du préjudice retraite ordonné les frais d'expertise seront pris en charge par la société FRANCE TELEVISIONS dans leur totalité,

- de renvoyer les parties devant la Commission arbitrale des journalistes pour statuer sur son indemnité de licenciement,

- d'ordonner la remise du certificat de travail sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt,

- d'ordonner la remise de l'attestation Pôle-emploi conforme sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt,

- de débouter la SA FRANCE TELEVISIONS de ses demandes, fins et conclusions,

- de dire que les sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société FRANCE TELEVISIONS de la convocation devant le bureau de conciliation,

- de condamner la société FRANCE TELEVISIONS aux dépens et au paiement de la somme de 7.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier le 8 mars 2018 reprises et complétées à l'audience.

MOTIVATION :

Sur la fixation du salaire de base:

La requalification de la relation de prestations de services en contrat à durée indéterminée, telle que définitivement acquise, a pour effet de replacer Monsieur Y... dans la situation qui aurait été la sienne, s'il avait été recruté depuis l'origine sur la base d'un contrat à durée indéterminée en qualité de journaliste, cette qualité étant définitivement acquise au salarié.

La SA FRANCE TELEVISIONS soutient que l'intimé ne peut prétendre se baser pour la détermination de son salaire, sur les salaires versés aux journalistes statutaires de l'entreprise alors que l'intimé exerçait les fonctions de décorateur graphiste selon la convention collective de la communication et de la production audiovisuelles, puis d'infrographiste, statut de technicien supérieur, en application de l'accord collectif d'entreprise France Télévisions du 28 mai 2013.

Elle précise que sur la base de ces deux accords collectifs, elle a pu établir une «reconstitution de la carrière» concernant Monsieur Y... dont il résulte:

- un positionnement en Groupe 5 ' niveau 12 de l'accord collectif de 2013,

- et un salaire de référence à hauteur de 3.430 €, correspondant à un salaire brut annuel de 40.830,24 €, correspondant à un salaire de base mensuel de 2.777,50 € et une prime d'ancienneté de 618 €.

Il s'avère, toutefois, que les éléments ci-dessus exposés par l'appelante établissent que la fixation du salaire de base, telle que proposée, ne tient pas compte des dispositions de l'arrêt rendu par le cour d'appel de Paris le 11 juin 2015, qui ont acquis autorité de chose jugée à la suite de l'arrêt de la cour de cassation, dont il résulte que Monsieur Y... a été assimilé à un journaliste et que la convention collective nationale des journalistes est applicable à la relation de travail.

Au surplus, il convient de rappeler qu'après avoir statué sur ces éléments, la cour d'appel avait avant dire droit:

«invité les parties à préciser tous les éléments de classification de Monsieur Y... (indice, échelon...) permettant de déterminer le montant de son salaire conventionnel brut mensuel et, sur cette base, de présenter leurs calculs à la cour concernant l'ensemble des demandes formulées par le salarié).

Il y a lieu, néanmoins de constater que, malgré les demandes précises et alors que la présente audience porte sur l'appréciation des conséquences financières de la requalification de la relation de travail en contrat de travail avec le statut de journaliste, la SA FRANCE TELEVISIONS n'apporte aucun élément précis permettant de déterminer, en sa qualité de journaliste et compte-tenu de son ancienneté de 25 ans, à quelle somme peut être fixée le salaire de base de Monsieur Y....

Monsieur Y... expose qu'au sein de toute rédaction, les reportages et sujets d'information sont conçus par:

- des journalistes rédacteurs assurant l'écriture, les interviews et les commentaires,

- des journalistes reporters d'images, captant les images,

- des journalistes illustrateurs de presse ou reporters dessinateurs qui ont la charge d'illustrer l'information en concevant et produisant des dessins, schémas, cartographies, diagrammes, séquences animées...

Il précise, sans être utilement contredit, que le travail qui lui était confié, en tant que journaliste illustrateur, avait pour finalité d'apporter aux téléspectateurs des journaux télévisés et magazines d'information un complément d'infirmation, de faciliter leur compréhension du sujet, d'illustrer des concepts, de renforcer l'angle d'un reportage.

Au vu des éléments précisés, et sans qu'il y ait lieu d'apprécier si des charges sociales étaient déduites des sommes que l'intimé percevait au titre des prestations de services qu'il effectuait comme entrepreneur individuel ou pour la compte de la SARL MAORI, et faute pour l'appelante d'apporter des éléments chiffrés pertinents remettant en cause le bien fondé de la demande, il convient de fixer le salaire mensuel de référence de Monsieur Y... à la somme brute de 7.611 € se décomposant ainsi:

- salaire brute de base: 6.380 €,

- prime d'ancienneté: 646 €,

- prorata de 13ème mois: 585 €.

Le jugement déféré est infirmé en ce qu'il l'a fixé à la somme de 6.082,41 €.

S'agissant des demandes financières de Monsieur Y..., il s'avère que la SA FRANCE TELEVISIONS, pour remettre en cause le bien fondé des demandes formulées par Monsieur Y... en sa qualité de journaliste, ne se fonde que sur les sommes auxquelles il aurait pu, selon elle, prétendre en sa qualité d'infographiste relevant du statut de technicien supérieur.

Dès lors, il n'y aura pas lieu d'apprécier leur bien fondé.

Sur les demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse:

La rupture de la relation de travail s'analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, Monsieur Y... bénéficie d'une indemnité compensatrice de préavis qui, en application des dispositions de l'avenant pour le secteur public de l'audiovisuel de la convention collective des journalistes est égale à trois mois de salaire.

La SA FRANCE TELEVISIONS est condamnée à ce titre à payer à Monsieur Y... la somme de 22.833 €, outre celle de 2.283 € au titre des congés payés afférents. Le jugement déféré est infirmé en ce qu'il a condamné l'appelante au paiement des sommes de 18.257,23 € et 1.825,72 €.

S'agissant de l'indemnité de rupture spécifique aux journalistes et improprement dénommée indemnité de licenciement par l'intimé, et selon les termes de l'article L. 7112-3 du code du travail «Si l'employeur est à l'initiative de la rupture, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d'année de collaboration, des derniers appointements. Le maximum des mensualités est fixé à quinze».

Au surplus, l'article L.7112-4 ajoute «Lorsque l'ancienneté excède quinze années, une commission centrale est saisie pour déterminer l'indemnité due.

Cette commission est composée paritairement d'arbitres désignés par les organisations professionnelles d'employeurs et de salariés. Elle est présidée par un fonctionnaire ou par un magistrat en activité ou retraité....».

Il convient de rappeler à Monsieur Y... qu'il n'incombe pas à la cour de saisir la commission arbitrale et qu'il appartiendra à la partie la plus diligente d'effectuer cette démarche selon les modalités de saisine propre à la structure.

En revanche, la présente cour est compétente pour allouer une éventuelle provision à valoir sur cette indemnité.

Monsieur Y... sollicite à ce titre une provision d'un montant de 114.165 €, correspondant à la somme maximale pouvant être allouée sur le fondement de l'article L. 7112-3, provision dont la détermination entre dans le champ de compétence de la cour.

Au vu des éléments produits, la SA FRANCE TELEVISIONS est condamnée à payer à titre de provision la somme de 50.000 €.

Le jugement déféré est infirmé en ce qu'il a condamné l'appelante au paiement de la somme de 91.236,15 € à titre d'indemnité de licenciement.

Monsieur Y... réclame le paiement d'un complément d' indemnité de licenciement, en sus de l'indemnité de rupture précitée, telle qu'elle résulte de l'article 44-3 de l'avenant pour le secteur public de l'audiovisuel de la convention collective des journalistes qui dispose:

«En dehors du cas de licenciement disciplinaire, tout journaliste licencié percevra, outre l'indemnité calculée conformément à l'article L. 7112-4 du code du travail, une indemnité complémentaire ainsi calculée:

- pour plus de cinq ans d'ancienneté: quatre douzièmes de sa rémunération annuelle;

- pour plus de dix ans d'ancienneté: cinq douzièmes et demi de sa rémunération annuelle;

- pour plus de quinze ans d'ancienneté: sept douzièmes de sa rémunération annuelle...»

La demande étant bien fondé, la SA FRANCE TELEVISIONS est condamnée à lui payer la somme de 53.277 € à titre de complément d'indemnité de licenciement.

S'agissant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse que réclame Monsieur Y..., la SA FRANCE TELEVISIONS affirme, sans le démontrer, que faire droit à cette demande reviendrait à enrichir le salarié alors qu'il ne peut prétendre qu'à la réparation intégrale de son dommage.

Toutefois, l'appelante n'apporte aucun élément juridique probant établissant que l'indemnité de rupture tel que prévue par les articles L. 7112-3 ou L. 7112-4 du code du travail est exclusive de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse telle que prévue par les dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail alors que cette indemnité de rupture remplace uniquement l'indemnité de licenciement.

En conséquence, et sur le fondement de l'article 1235-3 du code du travail, il s'avère que Monsieur Y... bénéficie d'une indemnité pou licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Il réclame à ce titre la somme de 400.000 € et expose que son licenciement lui a causé un préjudice moral compte-tenu du comportement déloyal de l'appelante alors que pendant 25 ans il a travaillé pour cette société, qu'il a fait preuve d'une disponibilité sans faille, se pliant aux exigences de l'entreprise et de l'actualité mais, que celle-ci a rompu les relations lorsqu'il a demandé la régularisation de ses droits, le privant ainsi de tout revenu de remplacement compte-tenu de son statut d'entrepreneur.

L'intimé affirme avoir aussi subi un préjudice de carrière d'autant qu'il était âgé de 52 ans, ne bénéficiait d'aucun autre contact professionnel depuis son entrée à FRANCE 3 et qu'un reclassement en tant que journaliste ou à toute autre fonction était problématique, ajoutant que ses nombreuses recherches d'emploi sont demeurées vaines.

L'intimé précise qu'après son départ, la SA FRANCE TELEVISIONS avait édité une offre d'emploi pour le poste de responsable infographie, statut cadre supérieur, pour lequel il avait candidaté en vain.

Enfin, Monsieur Y... soutient avoir subi un préjudice financier et qu'il s'est retrouvé dans une situation critique privé de toute ressource et de toute allocation de chômage.

Au vu des éléments produits, la cour fixe le préjudice à la somme de 150.000 € et condamne la SA FRANCE TELEVISIONS au paiement de cette somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les autres demandes:

Sur la prime d'ancienneté:

Pour ce qui est du rappel sur prime d'ancienneté, et ainsi que le soutient à juste titre Monsieur Y..., l'article 23-1 de l'avenant pour le secteur public de l'audiovisuel de la convention collective des journalistes dispose que:

«Les salaires de base des journalistes employés dans l'entreprise sont majorés d'une prime d'ancienneté calculée en fonction de l'ancienneté dans la profession:

5% pour 5 ans,

10% pour 10 ans

15% pour 15 ans,

20 % pour 20 ans,

25% pour 25 ans....

Le taux de la prime s'apprécie par rapport au salaire de base de la fonction ou, s'il est plus avantageux, par rapport au salaire de base correspondant à l'indice minimum équivalent à l'ancienneté reconnue dans l'entreprise. L'indice minimum équivalent est celui qui correspond au dernier échelon franchi».

La SA FRANCE TELEVISIONS ne justifiant pas que l'intimé a perçu cette prime, et compte-tenu du bien fondé de la demande établie dans les limites de la prescription, il convient de condamner l'appelante au paiement de la somme de 37.492 € à titre de rappel de prime d'ancienneté.

Le jugement déféré est infirmé en ce qu'il a condamné à ce titre la SA FRANCE TELEVISIONS au paiement de la somme de 32.509 €.

Sur le 13ème mois:

S'agissant du rappel de salaire au titre du 13ème mois, l'article 25 de la convention collective des journalistes dispose que:

«A la fin du mois de décembre, tout journaliste professionnel percevra à titre de salaire, en une seule fois, sauf accord particulier, une somme égale au salaire du mois de décembre».

S'il s'avère que le salaire mensuel de référence tel que fixé ci-dessus a intégré au prorata le rappel de salaire au titre du 13ème mois, il apparaît que Monsieur Y... n'a sollicité aucun rappel de salaire. La demande est donc juridiquement fondée.

Toutefois, et contrairement au calcul effectué par Monsieur Y..., le rappel de salaire correspondant au 13ème mois, tel que sollicité, ne peut être calculé à partir des sommes annuellement perçues de la SA FRANCE TELEVISIONS au titre de ses prestations de services.

En effet, la présente décision ayant fixé son salaire de référence, c'est sur cette base des éléments qui le décomposent, soit 6.380 € à titre de salaire de base et à 646 € au titre de la prime d'ancienneté, étant précisé que le 13ème mois pour l'année 2009 doit tenir compte de la rupture des relations fin octobre.

Il en résulte que la SA FRANCE TELEVISIONS est redevable de:

** 7.026 € au titre de l'année 2005,

** 7.026 € au titre de l'année 2006,

** 7.026 € au titre de l'année 2007,

** 7.026 € au titre de l'année 2008,

** 10/12ème de 7.026 € au titre de l'année 2009, soit 5.855 €

Soit la somme globale de 33.959 €.

Le jugement déféré est infirmé en ce qu'il a condamné à titre de rappel de salaire pour 13ème mois, la SA FRANCE TELEVISIONS au paiement de la somme de 30.025,64 €.

Sur la prime de fin d'année:

Pour ce qui est du rappel sur prime de fin d'année, Monsieur Y... soutient que les journalistes de FRANCE 3 en contrat à durée indéterminée bénéficiaient jusqu'au 31 décembre 2012 d'une prime de fin d'année qui se cumulait avec le paiement d'un 13ème mois dont le montant était fixé pour les années concernées par la demande à somme de 1.531,79 €. La SA FRANCE TELEVISIONS n'apportant aucun élément probant remettant en cause le bien fondé de la demande et le montant revendiqué par l'intimé, elle est condamnée au paiement de la somme de 7.659 €. Le jugement déféré est confirmé en cette disposition.

Sur les dommages et intérêts pour non-prise de congés payés:

Selon les dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail «Le salarié qui justifie avoir travaillé chez le même employeur pendant un temps équivalent à un minimum de dix jours de travail effectif a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur'».

Il résulte de l'application de ce texte que seule l'impossibilité pour un salarié d'exercer le droit à congé annuel pendant la période prévue par la convention collective, du fait de l'employeur, ouvre droit à son profit à la réparation du préjudice qui en résulte.

En l'espèce, Monsieur Y... demande la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné la SA FRANCE TELEVISIONS au paiement de la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la non prise de congés.

La SA FRANCE TELEVISIONS conteste le bien fondé de la demande et déclare que l'intimé pouvait librement organiser son emploi du temps et prendre une période de congés comme il l'entendait.

Il s'avère, toutefois, qu' à la suite de la requalification de la relation de travail, Monsieur Y... est considéré comme ayant été journaliste salarié pendant 25 ans et l'appelante n'apporte aucun élément probant démontrant qu'il a été rempli de ses droits en application des dispositions de l'article L. 3141-3 précité, ce qui a causé à ce dernier un préjudice qui doit être réparé. Le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a condamné l'appelante au paiement de la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur le préjudice de retraite:

Monsieur Y... expose qu'il va subir un important préjudice à ce titre puisque la SA FRANCE TELEVISIONS n'a pas cotisé pour lui aux caisses de retraite du régime général des salariés, ni aux caisses complémentaires des cadres.

Il précise que pour évaluer son préjudice, il a recouru aux services d'un expert qui a repris les rémunérations versées par l'appelante sur la durée de la collaboration ce qui lui a permis d'établir un montant de retraite théorique qu'il aurait dû percevoir en sa qualité de salarié, dont il a déduit le montant de retraite qu'il va percevoir de la Maison des Artistes.

Il ajoute que le rapport fait apparaître un préjudice de retraite à hauteur de 502.188 € et demande la condamnation de la SA France TELEVISIONS au paiement de cette somme.

Outre le fait qu'aucun élément matériel probant n'est produit concernant les sommes que Monsieur Y... doit percevoir de la part de la Maison des Artistes, il convient de constater que,'intimé n'apporte aucun élément probant établissant s'il a cotisé ou non à une caisse de retraite à titre individuel pendant qu'il exerçait des fonctions commerciales et la pension qui, le cas échéant, pourra lui être versée à ce titre.

Au surplus, il convient de rappeler que Monsieur Y... ne peut se prévaloir de la perte de pensions de retraite qu'il aurait dû percevoir sur la base des calculs de l'expert, mais uniquement de la perte de chance de pouvoir bénéficier des droits à la retraite,qui auraient été les siens en qualité de journaliste salarié, au regard de l'aléa relatif, lié notamment à ses capacités physiques et à la possibilité de poursuivre son activité professionnelle.

Sans qu'il ait lieu de désigner un nouvel expert, la cour fixe le préjudice lié à la perte de chance à la somme de 150.000 € et condamne la SA France TELEVISIONS au paiement de cette somme à titre de dommages et intérêts pour perte de la chance du bénéfice de la retraite.

Sur la demande en application de l'article L.8223-1 du code du travail:

En l'espèce, et ainsi que le soutient et le démontre Monsieur Y..., il résulte des pièces de la procédure que la SA FRANCE TELEVISIONS s'est intentionnellement soustraite à ses obligations d'employeur à l'égard des organismes sociaux en embauchant Monsieur Y... en qualité de prestataire de services alors que celui-ci était dans un lien de subordination juridique à l'égard du donneur d'ordre ce qui a justifié la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail.

Dès lors, et sur le fondement de l'article L.8223-1 du code du travail, Monsieur Y... est fondé à solliciter l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé égale à six mois de salaire.

La SA FRANCE TELEVISIONS est condamnée à ce titre au paiement de la somme de 45.666 €.

Il est rappelé que les sommes de nature salariale dues à Monsieur Y... porteront intérêts au taux légal à compter du 2 décembre 2009, date de réception par la société FRANCE TELEVISIONS de la convocation devant le bureau de conciliation et les sommes indemnitaires à compter de la présente décision.

Il est ordonné à la SA FRANCE TELEVISIONS de remettre à Monsieur Y... les documents sociaux, attestation destinée à Pôle emploi et certificat de travail conforme.

Monsieur Y... ne justifiant pas d'un risque de non-exécution de la décision par l'appelante, sa demande de remise des documents sociaux sous astreinte est rejetée.

La société FRANCE TELEVISIONS est condamnée aux dépens.

Pour faire valoir ses droits, Monsieur Y... a dû engager des frais non compris dans les dépens. La SA FRANCE TELEVISIONS est condamnée à lui payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a condamné à ce titre la société FRANCE TELEVISIONS au paiement de la somme de 1.800 €.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

- confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SA FRANCE TELEVISIONS au paiement de la somme de 7.659 € à titre de rappel de prime de fin d'année de 2005 à 2009, 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour non-prise de congés payés et 1.800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'infirme en ses autres dispositions financières,

Statuant à nouveau sur ces dispositions et y ajoutant,

- fixe le salaire de référence de Monsieur Y... à la somme brute mensuelle de 7.611€,

- condamne la SA FRANCE TELEVISIONS à payer à Monsieur Y... les sommes suivantes:

** 22.833 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

** 2.283 € au titre des congés payés afférents,

** 50.000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnité conventionnelle de rupture,

** 53.277 € à titre de complément d'indemnité de licenciement.

** 150.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

** 37.492 € à titre de rappel de prime d'ancienneté,

** 33.959 € à titre de rappel de 13ème mois,

** 150.000 € à titre de dommages et intérêts pour perte chance de perception de retraite,

** 45.666 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- dit que les sommes de nature salariale dues à Monsieur Y... porteront intérêts au taux légal à compter du 2 décembre 2009, date de réception par la société FRANCE TELEVISIONS de la convocation devant le bureau de conciliation et les sommes indemnitaires à compter de la présente décision,

- invite la partie la plus diligente à saisir la commission arbitrale des journalistes aux fins de fixation de l'indemnité de rupture de Monsieur Y...,

- déboute Monsieur Y... su surplus de ses demandes,

- ordonne à la SA France TELEVISIONS de remettre à Monsieur Y... un certificat de travail et l'attestation destinée à Pôle emploi conformes à la présente décision,

- déboute Monsieur Y... de sa demande de remise sous astreinte,

- condamne la société FRANCE TELEVISIONS aux dépens et au paiement à Monsieur Paul Y... de la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE CONSEILLER

P/ LE PRESIDENT EMPÊCHÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 13/02157
Date de la décision : 05/02/2019

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°13/02157 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-02-05;13.02157 ?
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