RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRÊT DU 29 Janvier 2019
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/13922 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZ53M
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 Août 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 14/09471
APPELANTE
Mme [Y] [N]
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Me Candice VIER CAZIER de la SELARL JURALEX AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : D1837
INTIMÉES
Société BANK POLSKA KASA OPIEKI SA
[Adresse 3]
[Localité 4] (POLOGNE)
représentée par Me Lucile AUBERTY JACOLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J114
Société UNICREDIT
[Adresse 1]
[Localité 7]
N° SIRET : 428 760 847
représentée par Me Lucile AUBERTY JACOLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J114
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 Mars 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :
Catherine BEZIO, Présidente de chambre
Nadège BOSSARD, Conseillère
Benoît DEVIGNOT, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile
Greffier : Typhaine RIQUET, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, prorogé ce jour.
- signé pour le Président empêché par Monsieur Benoît DEVIGNOT, Conseiller et par Madame Anna TCHADJA ADJE, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Statuant sur l'appel formé le 3 novembre 2016 par Mme [Y] [N] à la suite du jugement en date du 2 août 2016 par lequel le conseil de prud'hommes de Paris a rejeté toutes les demandes de Mme [N] dirigées contre la société BANK POLSKA KASA OPIEKI, -ci-après dénommée la société BANK POLSKA- et contre la société UNICREDIT SPA ;
Vu les conclusions de Mme [N] signifiées par voie électronique le 5 septembre 2017 tendant à ce que la cour, infirmant le jugement entrepris,
-dise que la société UNICREDIT SPA est son coemployeur, avec la société BANK POLSKA
-juge que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse
-en conséquence, condamne les sociétés précitées à lui payer 239 759, 36 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 22 477, 44 € de dommages et intérêts pour non respect de la priorité de réembauche
-juge que les sociétés intimées n'ont pas respecté les dispositions légales applicables au contrat à durée déterminée, requalifie en contrat à durée indéterminée son contrat à durée déterminée en date du 30 décembre 2011 et ses avenants successifs, et condamne en conséquence les sociétés intimées à lui payer :
*31 410, 75 € à titre d'indemnité de requalification
*31 410, 75 € à titre d'indemnité de préavis
*3141, 08 € à titre de congés payés afférents
*4188, 40 € à titre d'indemnité légale de licenciement
*251 286 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
-l'appelante sollicitant de plus l'allocation de la somme de 5000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions de la société UNICREDIT SPA tendant à la confirmation du jugement entrepris et requérant en conséquence de la cour qu'elle juge que la société BANK POLSKA est l'unique employeur de Mme [N] , que le licenciement économique de celle-ci est justifié, et qu'il n' y a eu ni violation de la priorité de réembauche, ni méconnaissance des dispositions applicables au contrat à durée déterminée ' la société UNICREDIT SPA réclamant de plus la condamnation de Mme [N] à lui verser la somme de 2000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions de la société BANK POLSKA qui prie la cour de confirmer la décision déférée pour les motifs exposés par la société UNICREDIT SPA dans ses écritures susvisées et , comme cette dernière société, conclut subsidiairement à la réduuction sensible du montant des sommes réclamées, avec en tout état de cause allocation de la somme de 2000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
SUR CE LA COUR
Sur les faits et la procédure
Considérant qu'il résulte des écritures et pièces des parties que Mme [N] a été engagée par la société BANK POLSKA , 2ème banque de Pologne, appartenant au groupe UNICREDIT -ayant pour société mère la société italienne UNICREDIT Spa- pour exercer les fonctions d'agent bilingue au sein de la succursale parisienne de cette banque ;
qu'en 2009, le groupe UNICREDIT comptait notamment, en son sein, représentées à [Localité 7], outre la société BANK POLSKA, la banque allemande UNICREDIT Bank AG, la banque italienne UNICREDIT Spa et la banque irlandaise PIONEER ;
qu'en 2010 la politique du groupe a conduit à envisager la fermeture des succursales des trois premières banques citées, dont la société BANK POLSKA ; que s'agissant de la succursale de la société UNICREDIT Spa, les licenciements pour motif économique du personnel sont intervenus dans le courant de l'année 2010 et jusqu'au mois de mars 2011 ;
que, cependant, par deux arrêts -dont il n'est pas allégué qu'ils ne seraient pas définitifs- du 29 avril 2014, cette cour, saisie d'une contestation de leur licenciement par deux salariés de la société UNICREDIT Spa, a jugé que le licenciement des intéressés était dépourvu de cause réelle et sérieuse dans la mesure où l'activité de cette société à [Localité 7] n'avait pas cessé de façon définitive, comme la société le prétendait, et avait été, au contraire, relancée, avec de nouvelles orientations et embauches, après une cessation d'activité que la cour qualifiait de « ponctuelle sinon artificielle » ;
que parallèlement à ce nouveau développement, en effet, de la société UNICREDIT Spa, la succursale parisienne de la société BANK POLSKA faisait, à son tour, l'objet d'une restructuration en septembre 2011, entraînant la suppression de tous les emplois que comptait cet établissement ;
qu'ainsi, tandis que la société UNICREDIT Spa déménageait ses locaux à une nouvelle adresse parisienne et embauchait une vingtaine de salariés de fin 2011 à fin 2012 avant de rouvrir en 2013, la totalité du personnel de la succursale parisienne de la société BANK POLSKA -dont, Mme [N]- était licenciée pour motif économique, le 26 décembre 2011, plus précisément, s'agissant de l'appelante ;
que le 27 décembre 2011, Mme [N] écrivait à la société BANK POLSKA pour lui exprimer sa volonté de bénéficier de la priorité de réembauchage puis signait le 30 décembre 2011 avec la société BANK POLSKA, un protocole d'accord aux termes duquel elle acceptait de conclure un contrat à durée déterminée avec cette société -d'une durée de six mois, renouvelable dans la limite de 12 mois- afin de participer aux opérations de clôture de l'activité de la banque et de fermeture de la succursale ; que le 30 décembre 2011, Mme [N] et la société BANK POLSKA ont ainsi conclu un contrat à durée déterminée qui, à la suite de trois avenants de renouvellement, est venu à expiration le 10 janvier 2014 ;
que Mme [N] a saisi le conseil de prud'hommes le 15 juillet 2014 à l'effet de contester son licenciement économique et de voir requalifier son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, avec allocation des indemnités subséquentes -celles-ci étant réclamées, tant, à la société BANK POLSKA, qu'à la société UNICREDIT Spa, société italienne « mère» du Groupe UNICREDIT, au motif, selon Mme [N], que les deux sociétés étaient ses coemployeurs ;
que par le jugement entrepris, le conseil de prud'hommes a rejeté l'intégralité des prétentions de Mme [N] ;
Sur la motivation
Sur le coemploi
Considérant qu'il n'est pas discuté que le coemploi se caractérise, entre deux sociétés, par l'existence entre celle-ci d' une confusion d'intérêt, d'activité et de direction se manifestant par une immixtion de l'une dans la gestion économique et sociale de l'autre ; que cette immixtion ne résulte pas de la simple et nécessaire coordination des actions économiques des diverses sociétés d'un groupe, sous l'impulsion de la société mère ;
Considérant, certes, que Mme [N] invoque l'existence de dirigeants communs à la BANK POLSKA et à la société UNICREDIT Spa ainsi que la participation majoritaire de la seconde au capital de la première ; que ces éléments ne suffsent pas cependant à établir la confusion définie ci-dessus ;
que Mme [N] ne démontre pas l'immixtion de la société UNICREDIT Spa dans la gestion économique et sociale de la BANK POLSKA ; que les mesures citées par elle au titre de la politique de rémunération et de recrutement du personnel constituent seulement la mise en forme de principes directeurs définis par la société UNICREDIT Spa dans le cadre de la coordination et l'harmonisation des diverses sociétés du groupe sans qu'il soit justifié d'une immixtion de sa part dans la gestion de l'activité économique, propre à la BANK POLSKA ;
que c'est en conséquence à juste titre que le conseil de prud'hommes a écarté la prétention de Mme [N] tendant à voir déclarer l'existence d'un coemploi entre la BANK POLSKA et la société UNICREDIT Spa ;
que si la société UNICREDIT Spa a été à bon droit mise hors de cause par les premiers juges, l'équité commande cependant de laisser à sa charge, ses frais irrépétibles ;
Sur l'obligation de reclassement
Considérant que les premiers juges ont, en revanche, estimé à tort que la BANK POLSKA avait satisfait à son obligation de reclassement de Mme [N] ;
Considérant qu'en effet, après avoir sollicité par lettre du 26 octobre 2011 l'accord éventuel de Mme [N] sur un reclassement dans une succursale située à l'étranger, la BANK POLSKA a notifié à la salariée son licenciement pour motif économique, le 26 décembre suivant, en précisant :
« des recherches ont été entreprises afin d'éviter votre licenciement sans que nous puissions vous proposer de poste correspondant à votre profil au sein du groupe. De votre côté vous n'avez pas souhaité bénéficier du dispositif d reclassement à l'étranger . Nous sommes donc contraints de vous notifier votre licenciement pour motif économique » ;
Or considérant que l'employeur qui procède à un licenciement pour motif économique doit démontrer qu'il a rempli son obligation de reclassement envers le salarié, et fait, en ce sens, tous ses efforts pour parvenir audit reclassement ;
Et considérant que la BANK POLSKA se borne en l'espèce à contester l'argumentation de Mme [N] -selon laquelle il existait des postes au sein de la société UNICREDIT Spa qui ne lui ont pas été proposés- en prétendant que les postes litigieux ont été pourvus par des salariés de la société UNICREDIT Spa et que ceux non pourvus correspondaient à une qualification supérieure ou étrangère à celle de Mme [N] ;
Mais considérant que la BANK POLSKA ne produit aucune pièce de nature à justifier les vaines « recherches » qu'elle prétend avoir entreprises ; qu'en particulier, il n'est fait état d'aucun élément établissant que quelque recherche que ce soit ait été menée auprès de la société UNICREDIT Spa qui, à l'époque du licenciement, était, elle, en retructuration et procédait, ainsi qu'il résulte des pièces aux débats, à de nouvelles embauches ; qu'aucune démarche de reclassement, en direction de l'établissement français de la société UNICREDIT Spa , n'apparaît ainsi avoir été tentée ; que, dans ces conditions, la BANK POLSKA est bien mal fondée à soutenir qu'elle a rempli son obligation de reclassement et, de surcroît, à discuter la qualification de Mme [N] pour occuper des postes -dont elle reconnaît ainsi l'existence sans pouvoir justifier s'être assurée qu'ils n'étaient pas adaptés au profil de Mme [N] ;
Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Considérant que la BANK POLSKA prie la cour de réduire à l'équivalent de deux mois de salaire, le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause, réclamée par l'appelante , en tenant compte notamment de la perception par Mme [N] des allocations de congé de reclassement et de la conclusion d'un contrat à durée déterminée qui a suivi son licenciement pendant une période de deux ans ;
Mais considérant que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse répare le préjudice lié à la perte d'emploi injustifiée ; que la conclusion d'un contrat à durée déterminée au lendemain de son licenciement a néanmoins laissé Mme [N], sans emploi, à l'âge de 54 ans, et depuis, encore et toujours sans emploi ; que compte tenu de l'ancienneté conséquente de l'appelante, 23 ans, et du bouleversement matériel et moral généré par son licenciement , la cour estime être en mesure d'évaluer à 60 000 € l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui lui est due ;
Sur la priorité de réembauchage
Considérant que Mme [N] prétend que la BANK POLSKA aurait violé son obligation de priorité de réembauche mais se prévaut de postes disponibles au sein de la société UNICREDIT Spa ;
que, toutefois, en l'absence de coemploi reconnu entre la BANK POLSKA et la société UNICREDIT Spa, comme dit précédemment, l'obligation de réembauche incombait à la seule la BANK POLSKA de sorte que la demande fondée sur l'existence de postes disponibles dans un périmètre extérieur à celui de cette société , ne peut qu'être écartée ; que sur ce point la décision déférée sera confirmée ;
Sur le contrat à durée déterminée
Considérant que Mme [N] soutient que le contrat à durée déterminée conclu le 30 décembre 2011 avec la BANK POLSKA -et ses avenants ultérieurs- doivent être requalifiés en contrat à durée indéterminée en raison du motif et de la durée du contrat, contraires aux dispositions légales ; qu'elle en déduit que l'expiration du dernier avenant constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse justifiant ses demandes d'indemnités de rupture et de dommages et intérêts pour rupture abusive ;
Mais considérant que la BANK POLSKA rappelle et justifie que, parallèlement à ce contrat de travail -destiné à permettre les opérations de clôture des opérations liées à la fermeture de la banque- a été conclu, ce même 30 décembre 2011, un protocole d'accord par lequel il était convenu que Mme [N], bien que titulaire d'un contrat à durée déterminée, continuerait à bénéficier du congé de reclassement et des mesures prévues par le PSE et déclarait renoncer à toute « contestation en raison d'un C D D » ;
que dans ces conditions la BANK POLSKA excipe de l'irrecevabilité des demandes de Mme [N] relatives au C D D ;
Et considérant que Mme [N] ne répond pas dans ses conclusions à cette fin de non recevoir, ni ne s'explique sur les effets du protocole dont elle ne soulève pas la nullité ;
Considérant que la cour ne peut, dès lors, que faire droit au moyen tiré par la BANK POLSKA des dispositions de l'article 2052 du code civil selon lesquelles le protocole a l'autorité de la chose jugée et fait donc obstacle aux prétentions de Mme [N] ;
Considérant qu' en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile la BANK POLSKA versera à Mme [N] la some de requise de 5000€ ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [N] de ses demandes relatives à son licenciement et condamné Mme [N] aux dépens ;
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
Dit que le licenciement pour motif économique de Mme [N] est sans cause réelle et sérieuse ;
En conséquence, condamne la BANK POLSKA à payer à Mme [N] la somme de 60 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Dit n' y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société UNICREDIT Spa ;
Confirme pour le surplus le jugement entrepris ;
Condamne la BANK POLSKA aux dépens de première instance et d'appel et au paiement, au profit de Mme [N] , de la somme de 5000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile .
LE GREFFIER LE CONSEILLER
P/ LE PRESIDENT EMPECHE