RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRÊT DU 29 Janvier 2019
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 14/04647 - N° Portalis 35L7-V-B66-BTXRG
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Mars 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL section RG n° F12/00436
APPELANT
M. [K] [P]
[Adresse 1]
[Localité 1]
comparant en personne, assisté de Me Anaïs CARREL, avocat au barreau de PARIS,
toque : G0130
INTIMÉE
Société SAINT HONORE venant aux droits de la SAS GROUPE COSTES par fusion
[Adresse 2]
[Localité 2]
N° SIRET : 307 033 852 00061
représentée par Me Monique CALMELET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0476
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 24 Mai 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :
Catherine BEZIO, Présidente de chambre
Nadège BOSSARD, Conseillère
Benoît DEVIGNOT, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Géraldine BERENGUER, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, prorogé ce jour.
- signé pour le Président empêché par Monsieur Benoît DEVIGNOT, Conseiller et par Madame Anna TCHADJA ADJE, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Statuant sur l'appel formé par M.[K] [P] à la suite du jugement en date du 6 mars 2014 par lequel le conseil de prud'hommes de Créteil a débouté M.[P] de l'ensemble de ses demandes dirigées contre son ancien employeur, la société GROUPE COSTES ;
Vu les conclusions remises et soutenues à l'audience du 24 mai 2018 par M.[P], tendant à ce que la cour, infirmant le jugement entrepris,
à titre principal, dise nul le licenciement de M.[P] et condamne la société GROUPE COSTES, devenue désormais société SAINT HONORE, au paiement des sommes suivantes :
-129 842, 88 € « à titre d'indemnité sans cause réelle et sérieuse »
-162 303, 60 € à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur dont M.[P] aurait dû bénéficier
-100 000 € de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire
-31 719, 29 € de dommages et intérêts pour privation des accessoires conventionnels et contractuels auxquels il avait droit
-6615, 34 € de rappel de salaire pendant la mise à pied consrvatoire, outre 661, 53 € de congés payés afférents
-15 956, 28 € d'indemnité compensatrice de congés payés
-828, 97 € au titre des jours de RTT qui lui restaient dus outre 82, 90 € de congés payés afférents
-16 230, 36 € au titre du préavis dont il a été privé outre 1623 , 04 € de congés payés afférents
-16 681, 23 € d'indemnité conventionnelle de licenciement
-4280, 40 € de dommages et intérêts pour privation abusive de son droit individuel à la formation (DIF)
à titre subsidiaire, lui accorde les sommes qui précèdent, à lexception de la seconde d'entre elles, sur le fondement non plus d' un licenciement nul mais d'un licenciement dépourvu de cause
avec en tout état de cause, intérêts au taux légal à compter de la rupture, capitalisés et allocation de la sommede 10 000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les écritures développées à la barre par la société SAINT HONORE venant, après fusion avec la société GROUPE COSTES, aux droits de celle-ci, qui prie la cour de juger :
-que la prise du statut protecteur dont se prévaut M.[P] est entachée de fraude
-que le licenciement pour faute lourde de M.[P] est justifié
-que, subsidiairement, le montant des demandes de M.[P] doit être sensiblement réduit, voire supprimé
-que M.[P] doit être condamné à lui payer la somme de 5000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
SUR CE LA COUR
Sur les faits et la procédure
Considérant qu'il résulte des pièces et conclusions des parties que M.[P] a été engagé, à compter du 18 mars 2002, par la société COSTES GESTION, devenue la société GROUPE COSTES et actuellement société SAINT HONORE, en qualité de responsable des ressources humaines , la convention collective applicable étant la convention SYNTEC ;
que M.[P] a été élu conseiller prudhomal le 3 décembre 2008 ;
que par lettre du 16 mai 2011 la société GROUPE COSTES a convoqué M.[P] à un entretien préalable à son éventuel licenciement et lui a notifié une mise à pied conservatoire avant de le licencier pour faute lourde selon lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 26 juin 2011 ;
que M.[P] a saisi le conseil de prud'hommes le 8 février 2012, en invoquant, à titre principal, la nullité de son licenciement -au motif qu'il était protégé par son mandat de conseiller prudhomal et que l'autorisation de l'inspecteur du travail n'avait pas été requise préalablement à son licenciement ' et subsidiairement le caractère injustifié de la rupture de son contrat de travail ;
que par le jugement entrepris, le conseil de prud'hommes a rejeté toutes les demandes de M.[P], estimant que la fraude reprochée par la société GROUPE COSTES à M.[P], quant à l'existence du mandat dont celui-ci se prévalait, n'était pas établie mais aussi, qu'il n'était pas prouvé que la société GROUPE COSTES avait été informée du mandat électif de M.[P], et qu'au fond, les griefs imputés à M.[P] dans la lettre de licenciement justifiaient le licenciement pour faute lourde contesté ;
Sur le statut protecteur de M.[P]
Considérant que devant la cour, la société SAINT HONORE, aux droits de la société GROUPE COSTES, reprend le moyen tiré de la fraude commise par M.[P] quant au statut protecteur qu'invoque celui-ci ;
qu'elle soutient, en effet, n'avoir jamais été informée par M.[P] de l'existence de son mandat de conseiller prudhomal et conclut que le statut protecteur inhérent à ce mandat ne lui est pas opposable ; qu'elle indique n'avoir eu cette information que par la lettre de M.[P] du 17 août 2011 évoquant sans autre précision son « statut protecteur » -à laquelle elle a répondu le 1er septembre suivant qu'elle ignorait l'existence de ce statut- et finalement , de façon expresse, dans la correspondance du salarié du 10 février 2012, portant à sa connaissance la saisine du conseil de prud'hommes ;
que la société SAINT HONORE ajoute que M.[P] a produit, pendant la procédure prudhomale, en premier lieu, certains documents revêtus de la signature du PDG de la société GROUPE COSTES , dont, un dossier de candidature aux élections prudhomales, qui ont été jugés, selon un expert judiciaire, comme portant la signature contrefaite de M.COSTES ; qu'en second lieu, M.[P] a produit le 9 septembre 2013, une correspondance établie deux ans plus tôt, le 14 mars 2011, sur papier à en-tête de l'HOTEL COSTES, signée de M.COSTES, mentionnant sa qualité de conseiller prudhomal , constitutif, en réalité, selon la société GROUPE COSTES, d'un abus de blanc seing imputable à M.[P] ;
que la société SAINT HONORE en conclut que M.[P] a obtenu le bénéfice du statut protecteur en fraude « selon une stratégie parfaitement identifiable de la part du salarié et préméditée, dès l'origine, pour échapper aux conséquences de ses agissements » ;
que, de son côté, M.[P] prétend que la société GROUPE COSTES était parfaitement informée de sa qualité de conseiller prudhomal, ainsi que le prouvent les documents qu'il verse aux débats, signés de la main de M .COSTES, notamment la correspondance du 14 mars 2011, jugée authentique par expertise et d'ailleurs non contestée par la société GROUPE COSTES devenue la société SAINT HONORE, puisque celle-ci invoque un abus de blanc seing ;
Considérant que, comme devant les premiers juges, M.[P] soutient donc que son licenciement aurait dû être autorisé par l'inspecteur du travail puisqu'il bénéficiait du statut protecteur lié à son mandat de conseiller prudhomal ; que la société SAINT HONORE soutient, elle, que ce mandat a été obtenu par fraude et ne peut engendrer aucune protection ;
qu'avant de savoir si le mandat litigieux revêt un caractère frauduleux , encore faut-il déterminer, au préalable, si la société GROUPE COSTES avait connaissance de ce mandat, puisque dans la négative, le statut protecteur de M.[P] ne lui serait pas opposable, sans qu'il soit alors utile de rechercher si l'obtention de ce statut était frauduleuse ou non ;
Or considérant que le salarié, titulaire d'un mandat de conseiller prud'homme, mentionné à l'article L. 2411-1-17 du Code du travail, ne peut se prévaloir de cette protection que si, au plus tard lors de l'entretien préalable au licenciement -ou, s'il s'agit d'une rupture ne nécessitant pas un entretien préalable, au plus tard avant la notification de l'acte de rupture- il a informé l'employeur de l'existence de ce mandat ou s'il rapporte la preuve que l'employeur en avait alors connaissance ;
que M.[P] ne prétendant pas avoir informé la société GROUPE COSTES de son élection en qualité de juge prudhomal, il lui revient donc de prouver que la société GROUPE COSTES avait connaissance de celle-ci ;
Considérant que l'instance pénale engagée contre M.[P] par la société GROUPE COSTES, pour abus de blanc seing et faux -à propos des lettres d'embauche, comme salariée, de l'épouse de M.[P] a donné lieu à un jugement de relaxe en date du 1er septembre 2015 -M.COSTES ayant indiqué qu'il signait énormément de documents sans en prendre toujours connaissance ;
que cependant, la signature de M.COSTES, figurant apparemment sur la lettre de candidature de M.[P] aux élections prud'homales, a été, elle, reconnue non authentique par expertise diligentée à la demande de M.COSTES ;
qu'enfin, le document précité du 14 mars 2011 dont M.[P] -faisant allusion au mandat prudhomal de ce dernier- a, lui aussi, fait l'objet d'une expertise graphologique concluant, certes, à l'authenticité de la signature mais son exemplaire original, soumis à la cour par l'appelant, n'apparaît pas correspondre à celui qui a été présenté à l'expert puisque ce dernier évoque une signature tracée au « stylo à bille », alors que l'exemplaire en possession de la cour présente une impression sans trace d'encre ni de pression ;
Considérant qu'il résulte des énonciations qui précèdent qu'en l'absence d'élément probant, la connaissance par la société GROUPE COSTES de la qualité de conseiller prud'homme de M.[P], avant le licenciement de celui-ci, ne revêt aucun caractère certain ; que dans ces conditions, M.[P] qui n'a fait état de cette qualité auprès de son employeur que postérieurement à son licenciement ne saurait opposer son statut protecteur à la société SAINTE HONORE ;
Sur les griefs reprochés à M.[P]
Considérant que les premiers juges ont estimé que les reproches énoncé dans la lettre de licenciement étaient précis et détaillés et caractérisaient une faute lourde , qu'ils étaient contestés par M.[P] mais que ce dernier ne présentait pas de justification ;
qu'il y a lieu d'ajouter que la preuve de la faute lourde incombe au seul employeur ;
Considérant que la lettre de licenciement datée du 26 juin 2011 retient à l'encontre de M.[P] les faits suivants :
-utilisation frauduleuse du tampon portant la signature du directeur général de la société (M.[Q]) pour signer des virements à hauteur de 80 000 € ainsi qu'un chèque de 10 000 €, au profit de l'association GE FILIANCE , présidée par M.[P] ;
-participation , sans en avoir informé son employeur, à une société SST CONSEIL qui facturait plusieurs de ses filiales
-signature par M.[P] d'un contrat collectif d'assurance de « frais santé » et d'autres contrats, pour le compte de plusieurs sociétés, clientes ou filiales du GROUPE COSTES, représentées par ce même M.[P], avec une société, SST CONSEIL, dont ce dernier était, à l'insu de son enployeur, l'associé majoritaire, qui ont entraîné des facturations ignorées du GROUPE COSTES ;
-découverte d'une mise à disposition de personnel, au profit de cette société, par une association RESO 75, depuis janvier 2011
-découverte de ce que M.[P] était associé depuis 2008, de diverses sociétés de conseil et de sociétés financières
-découverte de l'engagement salarié de l'épouse de M.[P] dont le contrat de travail porte la signature de M.COSTES, soumise à l'expertise et au jugement du tribunal correctionnel du 1er septembre 2015, qui, comme dit ci-dessus, a relaxé M.[P], poursuivi pour avoir falsifié les lettres d'engagement de Mme [P] dont la lettre de licenciement qui se référait aux bulletins de paye seulement, ne faisait pas état ;
Considérant que la réalité des divers contrats conclus par M.[P] n'est ni contestable, ni contestée ; que l'appelant objecte seulement que la société GROUPE COSTES n'a jamais contesté les contrats et factures litigieux avant que ne lui soit réclamé en 2014 le paiement de certaines factures ;
Considérant toutefois, qu' au delà de la souscription des contrats qui lui est reprochée, le grief imputé à M.[P] a trait à l'ignorance par la société GROUPE COSTES de
l' implication personnelle de M.[P] dans les sociétés et organes divers , contractant avec son employeur, le GROUPE COSTES, et les clients de celui-ci ;
que la conclusion de la lettre de licenciement est claire sur ce point :
« vous ne vous êtes pas expliqué (...) sur le et / ou les contrats d'asurance que vous avez fait souscrire par l'intermédiaire de votre société SST, les factures de cette même société (...), les différentes sociétés que vous avez fondées à notre insu et conflit d'intérêt avec notre société, concurremment à vos obligations contractuelles (...) »
et aussi: « vous avez bénéficié de fonds considérables sans aucune légitimité ni autorisation, par le biais de structures que vous avez occultées à notre égard (...) » ;
Or force est bien de constater que face à la découverte des fonctions exercées par M.[P] au sein des groupements concernés, invoquée par la société GROUPE COSTES dans la lettre de licenciement, et aussi dans deux correspondances antérieures des 18 et 30 mai 2011, M.[P] laisse sans réponse, y compris dans ses conclusions, cette légitime interrogation de son employeur, évoquant à juste titre une situation de conflit d'intérêt ; que M.[P] ne prétend à aucun moment qu'il aurait informé son employeur des paticipations litigieuses ;
Considérant que si l'embauche de son épouse, comme l'utilisation du tampon de la société, peuvent ne pas apparaître établies -en l'absence d'élément certain probant- la dissimulation de son intérêt personnel par M.[P] dans la réalisation d'opérations financières mettant en cause le fonctionnement de la société GROUPE COSTES, caractérise, elle, à la charge de M.[P], une déloyauté incontestable, preuve de la détermination du salarié à faire prévaloir, dans l'exécution de son contrat de travail, son intérêt sur celui de l'employeur ;
que la licenciement pour faute lourde de l'appelant est donc justifié ; que le jugement entrepris doit être confirmé ;
Considérant que les premiers juges seront aussi approuvés d'avoir rejeté le surplus des demandes de M.[P] qui ne justifie d'aucun élément ni préjudice, au soutien de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et inobservation des dispositions relatives au DIF, tandis que sa réclamation formée au titre des RTT n'est pas établie ;
Considérant que l'équité commande de laisser à la charge de la société GROUPE COSTES, devenue SAINT HONORE, ses frais irréptibles ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris ;
Dit n' y avoir pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne [P] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE CONSEILLER
P/ LE PRESIDENT EMPECHE