RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 11
L. 552-10 du Code de l'entrée et du séjour
des étrangers et du droit d'asile
ORDONNANCE DU 19 JANVIER 2019
(314 - 1 pages)
Numéro d'inscription au numéro général : B N° RG 19/00294 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7DGH
Décision déférée : ordonnance rendue le 17 janvier 2019, à 13h16, par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris
Nous, Alain Chêne, conseiller, à la cour d'appel de Paris, agissant par délégation du premier président de cette cour, assisté de Fatima-zohra Amara, greffière aux débats et au prononcé de l'ordonnance,
APPELANTS:
1°) LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE PRÈS LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS,
MINISTÈRE PUBLIC, en la personne de Mme Brigitte CHEMIN, avocat général,
2°) LE PRÉFET DE POLICE,
représenté par Me Me Yolène BAHU du cabinet Arco - Legal, avocats au barreau de Paris,
INTIMÉ:
M. [V] [W] né le [Date naissance 1] 1991 à [Localité 1], de nationalité Tunisienne,
RETENU au centre de rétention de [Localité 2] / [Localité 3],
assisté de Me Ruben Garcia de la Seleurl Garcia Avocats, avocat au barreau de Paris,
ORDONNANCE :
- contradictoire,
- prononcée en audience publique,
- Vu l'arrêté portant obligation de quitter sans délai le territoire français et placement en rétention pris le 15 janvier 2019 par le préfet de police à l'encontre de Monsieur [V] [W], notifié le jour même à 20h15 ;
- Vu la requête du préfet de police du 17 janvier 2018 aux fins de prolongation de la rétention, enregistrée par le greffe du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris à 8h12 ;
- Vu l'ordonnance du 17 janvier 2019, à 13h16, du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris, constatant l'irrégularité de la procédure, disant n'y avoir lieu à mesure de surveillance et de contrôle, rappelant à l'intéressé qu'il a l'obligation de quitter le territoire national, informant l'intéressé qu'il est maintenu à disposition de la justice pendant un délai de dix heures à compter de la notification de la présente ordonnance au procureur de la République;
- Vu l'appel de ladite ordonnance interjeté le 17 janvier 2019 à 15h53 et 15h59 par le procureur de la république près le tribunal de grande instance de Paris, avec demande d'effet suspensif ;
- Vu l'appel de ladite ordonnance, interjeté le 18 janvier 2019, à 11h22, par le préfet de police ;
- Vu l'ordonnance du 18 janvier 2019 conférant un caractère suspensif au recours du procureur de la République ;
- Vu la décision de jonction, par mention au dossier, des deux appels ;
- Vu les observations :
- de l'avocat général tendant à l'infirmation de l'ordonnance ;
- du conseil de la préfecture lequel, s'associant à l'argumentation développée par le ministère public, nous demande d'infirmer l'ordonnance et de prolonger la rétention pour une durée de 28 jours ;
- de M. [V] [W], assisté de son conseil qui demande la confirmation de l'ordonnance ;
SUR QUOI,
La cour considère que c'est à tort que le premier juge a constaté l'irrégularité de la procédure au motif que la garde à vue de M. [V] [W] aurait été prolongée sans justification tirée de la procédure judiciaire et, en réalité, pour les seuls besoins de la procédure administrative.
Sur l'exception de nullité tirée d'une prolongation abusive de la garde à vue à des fins administratives :
Il ressort du procès-verbal de notification de fin de la garde à vue que, placé en garde à vue pour 24 heures depuis le 13 janvier 2019 à 20h30, et la mesure ayant été prolongée pour 24 heures le 14 janvier 2019 à compter de 20h30, M. [V] [W] a été entendu en présence de son avocat le 15 janvier 2019 de 9h30 à 10h10, et une perquisition de son domicile a eu lieu en sa présence, mais sans celle de son avocat, le même jour, de 15h45 à 16 heures.
Dans ces conditions, M. [V] [W] ne peut valablement soutenir que la prolongation de la garde à vue a été détournée de sa finalité puisque, pendant le temps de celle-ci, deux actes d'enquête ont été effectués.
Les mentions précédemment rappelées du procès-verbal de fin de garde à vue valent jusqu'à preuve contraire, étant observé qu'elles sont, en l'espèce, tout-à-fait précises, ce qui interdit de croire sérieusement qu'elles pourraient être stéréotypées. Le fait que les procès-verbaux correspondant aux actes d'enquête mentionnés ne figurent pas au dossier de la procédure civile ne suffit pas à permettre de douter de leur effectivité, étant observé que ces actes, comme tous les autres effectués au cours de l'enquête pénale, ont été expressément rappelés à M. [V] [W] lors de la notification de la fin de la garde à vue et qu'après avoir relu le procès-verbal de cette notification, il l'a signé.
Le moyen, qui manque en fait, sera rejeté.
Sur les autres moyens soulevés par voie de conclusions d'intimé :
- sur l'exercice des droits entre le 17 janvier 2019 à 13h16 et l'heure de retour au centre de rétention administrative :
L'ordonnance du premier juge, qui mettait un terme à la rétention, a été rendue le 17 janvier 2019 à 13h16, avis étant donné à M. [V] [W], contrairement à ce qu'il soutient dans les écritures de son conseil, qu'il était maintenu à la disposition de la justice pendant un délai de 10 heures à compter de la notification de cette décision au procureur de la République et que, pendant ce délai, il pouvait exercer ses droits, à savoir, contacter un avocat, contacter un tiers, rencontrer un médecin et s'alimenter, ces mentions figurant au pied de l'ordonnance querellée, dont une copie lui a été remise.
Ces dispositions procédurales, prévues par l'article R 552-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, avaient seulement pour effet que la mainlevée de la rétention ordonnée par le premier juge était suspendue à l'exercice éventuel de la faculté donnée au procureur de la République de former appel en sollicitant du premier président ou de son délégué qu'il déclare l'appel suspensif.
Aucun élément du dossier de la procédure ne suggère que M. [V] [W] n'aurait pu exercer les droits qui lui ont été notifiés - sauf, inévitablement, en conséquence des dispositions nouvelles introduites par la loi du 10 septembre 2018, pendant le transfert, lorsque, comme les autres retenus, il a été, à l'issue de l'audience du juge des libertés et de la détention, reconduit au centre de rétention administrative.
Et il faut bien constater que M. [V] [W] a exercé ses droits, puisqu'il s'est fait assister en cause d'appel par un avocat qu'il a choisi, lequel a pu, dans le délai d'appel, déposer des conclusions d'intimé.
M. [V] [W] ne rapporte pas ainsi la preuve de l'irrégularité qu'il invoque.
Le moyen, dès lors, en application de l'article 9 du code de procédure civile, ne peut qu'être rejeté.
- Sur l'exception de nullité tirée de ce que le contrôle d'identité serait illégal :
Il ressort du procès-verbal d'interpellation dressé le 13 janvier 2019 à vingt heures que, les policiers patrouillant en tenue civile sur le territoire du [Localité 4], ont remarqué, à l'angle de [Adresse 1] et [Adresse 2], un individu, plus tard identifié comme étant M. [V] [W], qui manifestait une particulière nervosité, faisant les cent pas et ne cessant de regarder dans les deux sens de [Adresse 1], et ce, jusqu'à ce que, quelques instants plus tard, un autre individu le rejoigne et qu'après une discussion, ils procèdent à un échange, le second individu remettant à M. [V] [W] plusieurs billets de banque, et celui-ci lui remettant discrètement plusieurs petits objets.
Au vu de ces éléments convergents,- la méfiance manifestée par mis en cause lors de l'échange, la remise préalable de plusieurs billets de banque - et donc nécessairement d'un paiement quelque peu substantiel -, en contrepartie d'objets de petite taille et multiples - les policiers ont pu valablement soupçonner la commission d'une cession de produits stupéfiants, comme que le résultat du contrôle, qu'ils ont en conséquence diligenté, a d'ailleurs permis de l'établir.
Le moyen sera rejeté.
- Sur l'exception de nullité tirée du défaut de mention de ce que le parquet aurait été avisé de la garde à vue supplétive :
Il résulte du procès-verbal dressé le 13 janvier 2019 à 21h4 que M. [V] [W] a fait l'objet d'un garde à vue supplétive pour des faits qualifiés de recel de vol commis le 13janvier 2019.
Comme le fait valoir M. [V] [W], aucune mention n'est faite dans ce procès-verbal de l'avis donné au procureur de la République de cette garde à vue supplétive et aucune autre pièce n'a été versé au dossier de la procédure qui viendrait l'établir.
Cependant, étant observé que cette garde à vue supplétive ne pouvait emporter et n'a emporté aucune conséquence sur la durée de la garde à vue initialement notifiée, et au regard des pleins pouvoirs du procureur de la République d'appréciation de l'opportunité des poursuites et de la qualification des faits au terme de l'enquête de flagrance, M. [V] [W] ne rapporte pas la preuve que l'illégalité qu'il invoque, à la supposer avérée, a eu pour effet de porter atteinte à ses droits.
Par suite, le moyen soulevé ne saurait, par application de l'article L 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, emporter la mainlevée de la mesure de rétention.
- Sur l'exception de nullité tirée de la tardiveté des diligences afférentes à l'exercice du droit d'être examiné d'un médecin :
Il ressort du procès-verbal de notification de prolongation de la garde à vue dressé le 14 janvier 2019 à 19h35 que M. [V] [W] a demandé à faire l'objet d'un examen médical.
Or un procès-verbal ultérieur mentionne que le directeur des UMJ de [Localité 5] a été requis le même jour à l'effet de procéder ou faire procéder à cet examen. Cependant ce procès-verbal ne comporte aucune mention de l'heure à laquelle il a été établi, de telle sorte qu'il est impossible de vérifier que cette diligence a été effectuée dans un délai de trois heures, comme le prévoit l'article 63-3 du code de procédure pénale et ce, alors qu'il résulte du certificat du médecin qu'il n'a été procédé à l'examen demandé que le lendemain à 10h30.
Il n'est cependant pas établi, dès lors que le médecin ne fait état, dans son certificat, d'aucune incompatibilité avec la garde à vue et qu'il ne mentionne pas la nécessité du moindre traitement médical, que cette irrégularité a eu pour effet de porter atteinte aux droits de M. [V] [W].
En conséquence, elle ne saurait, par application de l'article L 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, emporter la mainlevée de la mesure de rétention.
- Sur l'exception de nullité tirée de la durée du transfert au centre de rétention après la notification du placement en rétention :
Il résulte des pièces de la procédure que son placement en rétention, avec les droits afférents, a été notifié à M. [V] [W] le 15 janvier 2019 à 20h15 au commissariat du XIIème arrondissement, 80 avenue Daumesnil, et que celui-ci est arrivé au centre de rétention administrative de [Localité 3] le même jour à 20h25.
Eu égard à la brièveté du trajet entre des lieux situés à peu de distance, dans le même secteur géographique, un transfert, non pas de cinq minutes, comme l'invoque M. [V] [W] dans les écritures de son avocat, mais de dix minutes, n'apparaît pas ni impossible, ni même anormal.
Par suite, le moyen sera rejeté.
Sur les fins de non recevoir :
Au regard de ce qui précède, il n'est pas démontré que, dans le cadre de la procédure civile dont le juge des libertés et de la détention a été saisi, le procès-verbal d'audition du 15 janvier 2019 et le procès-verbal de la perquisition à laquelle il a été procédé le même jour à 15h45 soient des pièces justificatives utiles au sens de l'article R 552-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
S'agissant de l'avis à avocat, il résulte du procès-verbal de notification de la fin de la garde à vue qu'aucun acte d'enquête pour lequel M. [V] [W] pouvait se faire assister de son avocat n'a eu lieu avant qu'il ne puisse s'entretenir avec celui-ci et que lorsque cet acte a eu lieu, une autidion à laquelle il a été procédé le 15 janvier 2019, l'avocat était présent aux côté de son client, après avoir pu s'entretenir avec lui.
Dans ces conditions, l'avis au bâtonnier de l'ordre des avocats ne saurait constituer une pièce justificative utile au sens de l'article R 552-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par suite, les fins de non recevoir seront rejetées.
En conséquence,
Il convient d'infirmer l'ordonnance querellée et, statuant à nouveau, de rejeter les exceptions de nullité, de rejeter les fins de non recevoir, de déclarer recevable la requête du préfet de police et d'ordonner la prolongation de la rétention administrative de M. [V] [W] pour une durée maximale de vingt-huit jours.
PAR CES MOTIFS
INFIRMONS l'ordonnance,
Statuant à nouveau,
REJETONS les exceptions de nullité,
REJETONS les fins de non-recevoir,
DÉCLARONS recevable la requête du Préfet de police,
ORDONNONS la prolongation de la rétention administrative de M. [V] [W] pour une durée maximale de 28 jours,
ORDONNONS la remise immédiate au procureur général d'une expédition de la présente ordonnance.
Fait à Paris le 19 janvier 2019 à
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,
REÇU NOTIFICATION DE L'ORDONNANCE ET DE L'EXERCICE DES VOIES DE RECOURS :
Pour information :
L'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.
Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d'attente ou la rétention et au ministère public.
Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.
Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.
Le préfet ou son représentantL'intéressé
L'avocat de l'intéresséL'avocat général