Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 10 JANVIER 2019
(n° 2019 - 08, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/09439 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3JAA
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Avril 2017 -Tribunal de Grande Instance de TGI PARIS - RG n° 15/08855
APPELANTE
Madame Zohra X...
Née le [...]
[...]
Représentée et assistée à l'audience de Me Hadrien Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : E0871
INTIMES
Monsieur Rémy Z...
Né le [...] à STRASBOURG
Institut de Chirurgie du Pied [...]
Représenté par Me Michel A... de la B..., avocat au barreau de PARIS, toque : L0020
Assisté à l'audience de Me Georges C... de l'AARPI C... & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : A0105
LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE, prise en la personne de son représentant légal
[...]
Défaillante, régulièrement avisée le 20 juin 2017 par procès-verbal de remise à personne habilitée
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 Novembre 2018, en audience publique, devant la cour composée de:
Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre
Madame Patricia LEFEVRE, conseillère
Madame Marie-José BOU, conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Patricia LEFEVRE, conseillère dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Madame Fatima-Zohra AMARA
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre et par Madame Fatima-Zohra AMARA, greffière présente lors du prononcé.
**************
Le 23 mars 2001, Mme Zohra X..., née [...], a subi, sur son lieu de travail alors qu'elle était restauratrice, la chute d'un objet lourd sur son pied droit, dont il est résulté une facture poly-fragmentaire de la 2ème phalange du gros orteil droit. Elle a bénéficié d'une attelle et de traitements antalgiques. Les radiographies réalisées à cette occasion ont confirmé la fracture, la présence de deux halli valgi, et d'une arthrose.
Se plaignant de douleurs, Mme Zohra X... a consulté son médecin traitant qui a préconisé des radiographies, lesquelles, réalisées le 28 février 2006, ont fait apparaître une absence d'aggravation de l'hallux valgus, une arthrose toujours présente et une élévation de la tête du 1er métatarsien en charge. Le praticien l'a dirigée vers l'hôpital Bichat, où le 13 juin 2006, elle a consulté le docteur Rémy Z.... Celui-ci a constaté une douleur mécanique du pied droit, un hallux rigidus bilatéral symptomatique à droite, avec raideur de la métatarso-phalangienne dont les amplitudes étaient limitées, ainsi que des halli valgi avec, du côté droit, une élévation de la tête de métatarsien supérieure de 7mm par rapport au côté gauche. Il lui a proposé de réaliser une cure d'hallux valgus avec abaissement de la tête de 1er métatarsien et raccourcissement du métatarsien et une ostéotomie distale des rayons latéraux par chirurgie mini-invasive des 2, 3 et 4èmes orteils (ou DDMO) entraînant un raccourcissement-élévation des métatarsiens opérés.
Le docteur Z... a procédé à son intervention, le 26 juin suivant dans un cadre libéral à la polyclinique Aumont de Versailles. L'ostéotomie distale prévue (DDMO) n'a pas été réalisée.
Il a procédé à une reprise chirurgicale, le 21 août 2006, consistant en une arthrodèse de l'inter-phalangienne proximale du 2ème orteil avec synthèse par broche axiale, Mme Zohra X... se plaignant d'un excès de longueur du 2ème rayon et d'un varus persistant. La broche a été retirée le 21 septembre 2006.
Les suites ont été marquées par des douleurs au niveau du 2ème métatarsien et un enraidissement de la jambe et du pied droit. Un syndrome neuro-algo-dystrophique a, alors, été diagnostiqué et a nécessité le port de chaussures de Barouk et l'usage de cannes anglaises.
Mme Zohra X... a été victime de deux accidents du travail, le 12 septembre 2007 (écrasement du 5ème orteil du pied droit sans fracture) et le 8 janvier 2008 (lombalgies apparues alors qu'elle soulevait une personne en sur-poids). Elle n'a pas repris son activité professionnelle après le second accident et elle a été déclarée inapte par la médecine du travail, le 30 juillet 2009 puis licenciée pour inaptitude, le 17 septembre 2009.
Une échographie du pied droit pratiquée, le 10 décembre 2010, a mis en évidence un conflit avec le tendon extenseur du gros orteil en raison de la saillie dorsale d'une des vis du premier métatarsien, ainsi qu'une bursite au niveau du 3ème espace intermétatarsien. Une ablation de la vis a été proposée à Mme Zohra X... qui l'a refusée.
C'est dans ce contexte que Mme Zohra X... a sollicité et obtenu l'organisation d'une expertise médicale. Le docteur D... désigné par ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Versailles en date du 17 janvier 2013, a déposé son rapport le 4 septembre suivant.
Par actes extra-judiciaires en date du 16 juin 2015, Mme Zohra X... a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris en responsabilité et indemnisation de son préjudice, le docteur Z... ainsi que la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine.
Par jugement en date du 24 avril 2017, le tribunal a débouté Mme Zohra X... de ses demandes et l'a condamnée aux dépens ainsi qu'à payer au docteur Z... la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, déclarant la décision commune à la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, le 12 juillet 2017 notifiées à l'intimé constitué et signifiées le 17 juillet suivant à la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine, Mme Zohra X... demande à la cour, au visa de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, de juger que la prise en charge du docteur Z... a été fautive et est à l'origine de 60% de ses préjudices et en conséquence, à titre principal, de le condamner au paiement des sommes suivantes :
- la somme de 293 217,50 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux,
- la somme de 32 622,00 euros au titre de ses préjudices extra patrimoniaux,
subsidiairement, si la cour retenait une imputabilité de l'incidence professionnelle réduite, compte tenu de lombalgies :
- la somme de 291 330,98 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux,
- la somme de 32 622,00 euros au titre de ses préjudices extra patrimoniaux.
Elle réclame également l'allocation d'une indemnité de procédure de 5 000 euros, la condamnation du docteur Z... aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et que l'arrêt à intervenir soit déclaré commun à la Caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, le 5 septembre 2017, le docteur Z... soutient la confirmation du jugement déféré. Il demande à la cour de débouter Mme Zohra X... de ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, aux dépens de la procédure en ce compris les frais d'expertise.
Subsidiairement, il prétend que sa responsabilité n'est engagée qu'à hauteur de 10%, taux qu'il demande à la cour d'appliquer à l'ensemble des condamnations éventuellement prononcées, sollicitant également que soit fixé à 30% le taux d'imputabilité des préjudices professionnels, taux à appliquer aux postes de préjudice afférents et que les demandes indemnitaires soient réduites à plus justes proportions.
La déclaration d'appel a été signifiée à la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine, par acte du 20 juin 2017 remis à personne habilitée.
La clôture est intervenue le 7 novembre 2018.
SUR CE, LA COUR,
Considérant que pour soutenir que le docteur Z... a commis des fautes dans sa prise en charge, Mme Zohra X... cite les conclusions de l'expert judiciaire, dont elle dit qu'il regrette que l'ostéotomie distale des rayons latéraux n'ait pas été réalisée ; qu'elle relève qu'il retient également l'absence de prescription à titre diagnostique ou thérapeutique d'une semelle orthopédique et une information incomplète ou une incompréhension entre patiente et praticien ; qu'elle ajoute qu'une meilleure information sur les risques de l'intervention aurait pu éviter les suites opératoires ;
Que le docteur Z... conteste toute faute en pré, per ou post-opératoire et relève que l'expert judiciaire a admis, après son dire, qu'il avait légitimement renoncé à pratiquer l'ostéotomie distale des rayons latéraux ; qu'il ajoute que des semelles orthopédiques avaient été prescrites sans succès ; qu'enfin, il conteste tout manquement à son devoir d'information et conclut à l'absence de preuve d'un lien de causalité entre les séquelles constatées et son geste chirurgical ;
Considérant que le contrat médical met à la charge du médecin l'obligation de dispenser au patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux donnes acquises de la science à la date de son intervention, cette obligation concernant tant l'indication du traitement que sa réalisation et son suivi ;
Considérant que si, en pages 5 et 6 de son pré-rapport et de son rapport définitif, l'expert judiciaire impute aux interventions chirurgicales pratiquées par le docteur Z..., 60% du préjudice corporel de Mme Zohra X... (le surplus étant imputable aux autres accidents dont elle a été victime) et conclut que cette imputabilité repose sur :
- une absence de prescription pré-opératoire d'une semelle orthopédique adaptée à titre diagnostique et/ou thérapeutique,
- un manque d'information ou de compréhension entre la demanderesse et le chirurgien lors des deux interventions,
- la réalisation d'un geste incomplet, initialement prévu, entraînant une arthrodèse (blocage de l'articulation) discutable de l'inter-phalangienne proximale du 2ème orteil,
il a, en page 17 de son rapport définitif, répondu aux dires des conseils des parties, admettant qu'au cours de la première intervention le docteur Z... a jugé en per opératoire son geste satisfaisant. La chirurgie se veut d'être minimaliste pour éviter des suites plus compliquées. Il a préféré attendre un 2ème temps pour la reprise éventuelle du 2ème rayon. Cette attitude ne représente pas une faute chirurgicale ni d'indication ni de technique ;
Qu'il explicite cette position en disant qu'il n'est pas rare que des patients viennent consulter pour un trouble statique de l'avant-pied dont la douleur se manifeste comme en l'espèce, sur un orteil particulier (dans le cas de Mme Zohra X... une douleur du 3ème orteil) mais que la chirurgie à pour but de rétablir l'équilibre de l'avant-pied et l'on ne peut traiter cet équilibre qu'en pratiquant une chirurgie plus invasive et que Mme Zohra X... présentait des halli valgi bilatéraux, dont l'un à gauche avec surélévation de la tête du GO (gros orteil). C'est bien son AT (accident du travail) initial qui en était la cause d'où le geste thérapeutique réalisé en rabaissant la tête du GO ;
Qu'il a, ainsi clairement abandonné son dernier grief, Mme Zohra X... ne pouvant pas fonder l'existence d'une faute en paraphrasant les conclusions initiales du docteur D..., le tribunal ayant justement retenu que le renoncement du chirurgien à une partie de l'intervention qui avait été convenue avec sa patiente, avait été guidé par ses constatations en per-opératoires et le souci de lui éviter des suites chirurgicales inutilement lourdes, ce qui n'est nullement fautif ;
Qu'au surplus, l'expert retient que l'enraidissement de la métatarso-phalangienne de l'hallux est dû à l'absence d'une rééducation pourtant prescrite ; qu'il impute les douleurs diffuses de l'avant-pied dont se plaint Mme Zohra X... à la survenue d'un syndrome neuro-algo-dystrophique qui, certes est en rapport avec l'intervention, mais qui constitue
un phénomène aléatoire qui ne peut être considéré comme fautif, s'agissant d'un syndrome non prévisible ; qu'enfin, il souligne que la migration de la vis proximale distale n'est pas imputable à faute, la migration de matériel étant un phénomène courant ; qu'enfin, il écarte tout lien de causalité s'agissant des lombalgies et la notion de lombo-sciatique L5 gauche dont souffre Mme Zohra X... ; qu'il s'ensuit que Mme Zohra X... échoue tant dans la preuve du caractère fautif du renoncement du chirurgien à un des gestes initialement prévus que dans celle du lien entre cette prétendue faute et les phénomènes douloureux et invalidants dont elle se plaint ;
Considérant que, s'agissant de l'absence de prescription pré-opératoire d'une semelle orthopédique adaptée à titre diagnostique et/ou thérapeutique, Mme Zohra X... ne conteste pas la prescription sans succès, en 2002, de semelles orthopédiques, étant au surplus relevé qu'aucune démonstration n'est faite qu'une nouvelle prescription aurait permis d'éviter l'opération ou en aurait modifier les indications, les griefs de Mme Zohra X... se rapportant d'ailleurs, non au choix opératoire mais à l'absence de réalisation d'un geste initialement convenu et accepté ;
Considérant enfin, que si l'expert fait état d'un défaut d'information ou d'une incompréhension entre le praticien, focalisé sur l'hallux valgus et la patiente dont les doléances étaient des douleurs sous le 3ème orteil, il écarte clairement dans sa réponse aux dires des parties, rappelée ci-dessus, une intervention limitée à ce troisième orteil dans la mesure où la chirurgie à pour but de rétablir l'équilibre de l'avant-pied et l'on ne peut traiter cet équilibre qu'en pratiquant une chirurgie plus invasive ;
Que, nonobstant la remise par Mme Zohra X... d'un document signé attestant de son consentement libre et éclairé, notamment sur les risques et complications potentielles de la chirurgie préconisée, celle-ci se contente d'alléguer qu'une meilleure information sur les risques de l'intervention aurait pu éviter les suites opératoires, mais ne prétend pas et encore moins ne démontre que, mieux informée, elle aurait renoncé à l'opération envisagée; que dès lors, elle ne prouve ni la faute, ni son lien de causalité avec le préjudice corporel dont il est demandé réparation ;
Considérant que la décision déférée sera confirmée, dans toutes ses dispositions, y compris la charge des dépens et dans l'évaluation qui a été faite de l'indemnité de procédure mise à la charge de Mme Zohra X... ; qu'en cause d'appel, celle-ci devra rembourser les frais irrépétibles du docteur Z... et sera condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant en dernier ressort, par arrêt réputé contradictoire et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 24 avril 2017 ;
Y ajoutant,
Condamne Mme Zohra X... à payer à M. Remy Z... la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE