Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 8
ARRÊT DU 18 OCTOBRE 2018
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/16434 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B37JK
Décision déférée à la cour : jugement du 07 juillet 2017 -juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Créteil - RG n° 17/01202
APPELANTE
Sarl Société d'Exploitation du Practice de Villiers-sur-Marne (SEPV), représentée par son gérant en exercice et tous représentants légaux, domiciliés audit siège en cette qualité
N° SIRET : 453 362 311 00020
[...]
[...]
représentée par Me Laurence B... , avocat au barreau de Paris, toque : P0241
ayant pour avocat plaidant Me Anthony X..., avocat au barreau de Paris ; substitué à l'audience par Me Philippe Y..., avocat au barreau de Paris, toque : P0225
INTIMÉ
Etablissement Public d'Aménagement de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée (EPAMARNE)
N° SIRET : 308 213 768 00010
[...]
[...]
représenté par Me Frédéric C... & Thomas - Avocats, avocat au barreau de Paris, toque : B1055
ayant pour avocat plaidant Me Guillaume Z..., avocat au barreau de Paris, toque : J067
PARTIE INTERVENANTE
Monsieur Emmanuel A...
né le [...] à Neuilly sur Seine (92200)
[...]
représentée par Me Laurence B... , avocat au barreau de Paris, toque : P0241
ayant pour avocat plaidant Me Anthony X..., avocat au barreau de Paris ; substitué à l'audience par Me Philippe Y..., avocat au barreau de Paris, toque : P0225
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 septembre 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Bertrand Gouarin, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Emmanuelle Lebée, présidente de chambre
M. Gilles Malfre, conseiller
M. Bertrand Gouarin, conseiller
Greffier, lors des débats : M. Sébastien Sabathé
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Emmanuelle Lebée, présidente, et par M. Sébastien Sabathé, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Par soumission du 21 septembre 2004, la Société d'Exploitation du Practice de Villiers-sur-Marne (SEPV) a été autorisée par l'État à occuper des terrains cadastrés [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...] et [...], situés sur la commune de Villiers-sur-Marne, notamment [...] , et ce pour y exploiter un club de golf pour une durée de dix ans.
Ces terrains ayant été attribués le 10 janvier 2014 à l'Établissement Public d'Aménagement de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée (EPAMARNE), la SEPV a conclu avec ce dernier, le 24 novembre 2014, une convention d'occupation précaire de ces terrains pour une durée de deux ans à compter du 1er octobre 2014.
Par jugement du 22 décembre 2016 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Meaux a, notamment, ordonné l'expulsion de la SEPV et de tous occupants de son chef au besoin avec le concours de la force publique, et a autorisé l'EPAMARNE à faire procéder à l'enlèvement de tous meubles et objets se trouvant sur les parcelles aux frais et aux risques de la SEPV, qui a interjeté appel de cette décision, lequel est actuellement encore en cours. Cette décision a été signifiée à la SEPV le 4 janvier 2017.
En exécution de cette décision, l'EPAMARNE a fait délivrer, le 4 janvier 2017, à la SEPV un commandement d'avoir à quitter les lieux dans un délai d'un mois.
Par acte d'huissier du 1er février 2017, la SEPV a fait assigner l'EPAMARNE devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Créteil aux fins, notamment, d'obtenir l'arrêt de la procédure d'expulsion pour un délai de six mois.
Le 23 février 2017, l'EPAMARNE a fait procéder à l'expulsion de la SEPV avec le concours de la force publique.
Par jugement du 7 juillet 2017, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Créteil a débouté la SEPV de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à l'EPAMARNE la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par déclaration du 16 août 2017, la SEPV a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions du 19 septembre 2018, la SEPV demande à la cour, outre des demandes de «'constater'» qui ne constituent pas des prétentions, de dire recevable l'intervention volontaire de M. A..., de dire et juger que l'objet du litige n'a pas disparu, d'infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, d'écarter des débats les mentions du procès-verbal d'huissier de justice du 3 mars 2017 concernant M. A... n'ayant pu être vérifiées du fait de leur caractère extrinsèque, de prononcer la nullité de la procédure d'expulsion diligentée le 23 février 2017, de prononcer la nullité du procès-verbal d'expulsion du 24 février 2017, de débouter l'EPAMARNE de toutes ses demandes, de condamner l'EPARMARNE à payer à la SEPV les sommes de 136330 euros de dommages-intérêts au titre de la destruction de ses bâtiments modulaires, de 20 000 euros de dommages-intérêts au titre du «'préjudice subi en raison de l'irrégularité de la procédure d'expulsion'», de 3 000 euros de dommages-intérêts au titre de son «'préjudice lié à l'attitude dilatoire et abusive d'EPAMARNE'», de condamner l'EPAMARNE à payer à M. A... les sommes de 1 002,93 euros au titre de «'son préjudice lié à l'organisation et au coût de son déménagement à Soorts-Hossegor en urgence'», de 1 377,39 euros au titre de son préjudice lié à la perte ou à la casse de ses meubles lors de l'expulsion, de 10 000 euros au titre de son préjudice moral, en tout état de cause, de condamner l'EPAMARNE à payer à la SEPV la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner l'intimé à payer à M. A... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Mme B..., avocate, selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions du 20 septembre 2018, l'EPAMARNE demande à la cour de débouter la SEPV et M. A... de toutes leurs demandes, de confirmer le jugement attaqué et de condamner «'conjointement et solidairement'» la SEPV et M.A... à lui verser les sommes de 10 000 euros pour procédure abusive et de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est référé aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
La clôture est intervenue le 20 septembre 2018.
SUR CE
Sur la recevabilité de l'appel :
L'EPAMARNE évoque dans les motifs de ses conclusions le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'appel sans, toutefois, en tirer de conséquence juridique dans son dispositif. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur ce moyen.
Sur l'intervention volontaire de M. A... :
Selon l'article 554 du code de procédure civile, peuvent intervenir en cause d'appel, dès lors qu'elles y ont intérêt, les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité, à condition que l'intervention se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant, ces dispositions ne permettant pas à un tiers de demander, par voie d'intervention en appel, réparation du préjudice personnel que lui ont occasionné les faits débattus en première instance en formant des demandes personnelles n'ayant pas subi l'épreuve du premier degré de juridiction.
M. A..., par ailleurs gérant de la SEPV, entend intervenir volontairement en cause d'appel et forme à l'encontre de l'EPAMARNE des demandes d'indemnisation de préjudices personnels qui résulteraient de son expulsion de son logement de fonction situé dans les locaux du club de golf exploité par la SEPV.
Les demandes formées par M. A... procédant directement de la demande originaire et tendant aux mêmes fins, son intervention volontaire sera déclarée recevable.
Sur la validité de la procédure d'expulsion :
Selon l'article L. 412-1 du code des procédures civiles d'exécution, si l'expulsion porte sur un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu'à l'expiration d'un délai de deux mois qui suit le commandement, sans préjudice des dispositions des articles L. 412-3 à L. 412-7 du même code.
Le premier juge a retenu que, si les locaux situés [...] constituaient la résidence principale de M. A..., ce dernier aurait été déjà présent sur place à l'arrivée de l'huissier de justice, alors que le procès-verbal d'expulsion du 23 février 2017, dont les mentions font foi jusqu'à inscription de faux, mentionne que M. A... arrive à 8 h 02 et ouvre la grille, qu'il ne ressort pas de la description des lieux que ceux-ci sont affectés à l'habitation principale de M. A..., la seule présence d'un matelas ne suffisant pas à caractériser une habitation permanente, que, s'il est produit diverses lettres adressées à M. A... par l'administration fiscale mentionnant l'adresse où l'expulsion a été réalisée, ces lettres mentionnent aussi une autre adresse à Soorts-Hoosegor et que l'extrait K bis de la SEPV mentionne que M. A..., son gérant, est domicilié [...] , l'huissier de justice procédant à l'expulsion indiquant que ses objets personnels sont identifiés par M. A... afin d'être emportés à Paris au domicile de M. et Mme A... ou à Hossegor, lieu de leur résidence secondaire, ou à Champigny au garde-meuble. Le premier juge a considéré qu'en tout état de cause, si M. A... avait sa résidence principale dans les locaux du club de golf géré par la SEPV, ce serait en infraction avec la soumission du 21 octobre 2004 et la convention d'occupation précaire du 24 novembre 2014, qui prévoient que les terrains concédés le sont uniquement pour la pratique du golf, ce qui interdit toute habitation.
La SEPV et M. A... soutiennent que ce dernier a fixé sa résidence principale dans les locaux objets de l'expulsion depuis 2008 à titre de logement de fonction, que ce fait est démontré par ses avis d'imposition à cette adresse pour les années 2009 à 2016, ses relevés bancaires, les factures d'achat de meubles et d'appareils électroménagers en 2008 pour un montant de 1 377,39 euros, sa déclaration de choix de médecin traitant, ses bulletins de paie, sa correspondance avec le RSI, sa mutuelle ainsi que par sa déclaration aux centres des impôts de Paris 16ème et de Champigny-sur-Marne faisant état de sa nouvelle résidence principale et les documents relatifs à son véhicule personnel. Ils font valoir que la mention au registre du commerce et des sociétés du [...] comme adresse de M. A... en sa qualité de gérant de la SEPV résulte d'une simple omission. Ils contestent les mentions des actes d'huissier, exposant que M. A... a divorcé de son épouse en 2008 et n'occupe plus l'appartement situé [...] depuis octobre 2008. Ils font valoir que le procès-verbal d'expulsion fait état de la présence sur les lieux d'une plaque de cuisson et d'un four, de linge, d'une machine à laver, d'un réfrigérateur, d'une cave à vin outre le matelas relevé par le premier juge, qui constituent des effets personnels de M. A.... Ils soutiennent que la construction d'un logement de fonction figurait sur le permis de construire et que la présence permanente d'un personnel de la SEPV résultait des conventions passées avec l'État puis l'EPAMARNE. Ils font valoir le non-respect de la trêve hivernale.
L'EPAMARNE fait sienne l'argumentation du premier juge.
C'est à tort que le premier juge a estimé que le délai prévu par l'article L. 412-1 du code des procédures civiles d'exécution n'était pas applicable à la procédure d'expulsion de la SEPV.
En effet, il ressort des plans des locaux de la SEPV que ceux-ci comprenaient dès l'origine, outre les locaux du club de golf, un appartement. Si l'avantage constitué par un logement de fonction n'est pas mentionné sur les bulletins de paie de M. A..., il résulte des pièces versées aux débats que ce dernier est domicilié [...] depuis octobre 2008 auprès des services fiscaux, de son organisme social, en paie la taxe d'habitation et que cette adresse figure sur les documents administratifs afférents à son véhicule personnel.
Il ressort des procès-verbaux d'expulsion du 24 février 2017 et du procès-verbal de constat du 3 mars 2017, dont les mentions font foi jusqu'à preuve contraire en vertu de l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945, que dans les locaux administratifs du club de golf exploité par la SEPV, l'huissier de justice instrumentaire a relevé la présence de deux bureaux, d'armoires de rangement de documents administratifs, de matériels informatiques, de 12 cartons de comptabilité, de deux caisses enregistreuses, l'une de l'accueil, l'autre du restaurant du club mais aussi d'un matelas, d'une cuisine composée d'une plaque de cuisson et four, de linge, d'une machine à laver, d'un réfrigérateur et d'une cave à vin, que, le 3 mars 2017, M. A... a repris possession de nombreux vêtements personnels, de son sac de golf, d'une couette ainsi que d'un oreiller et que, dans cette pièce, se trouvait une centrale vapeur et un nécessaire de toilette.
M. A... établit ainsi qu'il avait son domicile dans les locaux de la SEPV objets de la procédure d'expulsion litigieuse, peu important qu'il se soit momentanément absenté de son logement le jour de l'expulsion.
Faute de respecter le délai de deux mois prévu à l'article L. 412-1 du code des procédures civiles d'exécution, la procédure d'expulsion doit être annulée sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens. Le jugement entrepris sera donc infirmé en toutes ses dispositions.
Faute pour la SEPV de caractériser la réalité et la nature du «'préjudice subi en raison de l'irrégularité de la procédure d'expulsion'» qu'elle invoque, sa demande de dommages-intérêts de ce chef sera rejetée.
Faute d'établir le caractère «'dilatoire et abusif'» de «'l'attitude'» de l'EPAMARNE, la SEPV sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts de ce chef.
S'agissant du préjudice matériel subi par la SEPV du fait de son expulsion, l'appelante produit des factures d'installation de son club house en 2005 pour un montant total de 184 879,80 euros HT et une évaluation de la valeur résiduelle de ces installations, dont la destruction lors de l'expulsion n'est pas contestée par l'intimé, à la somme de 136330 euros par son expert-comptable, non utilement contestée par l'EPAMARNE, qui se borne à invoquer une absence de lien de causalité dès lors que ces installations ont été réalisées avant la conclusion de la convention de 2014, alors que le préjudice matériel subi par la SEPV résulte de la réalisation par l'EPAMARNE de son expulsion en violation des conditions posées par l'article L. 412-1 du code des procédures civiles d'exécution.
L'EPAMARNE sera condamné à verser à la SEPV la somme de 136 330 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel.
Faute d'établir avoir personnellement supporté les frais afférents à son déménagement, M. A... sera débouté de sa demande de dommages-intérêts au titre de ses frais de déménagement.
Faute de démontrer la présence dans les locaux objets de l'expulsion et la détérioration de meubles lui appartenant, M. A... sera débouté de sa demande de dommages-intérêts au titre de «'la casse de ses meubles'».
Au regard des circonstances de l'expulsion réalisée sans respect du délai légal, il y a lieu de condamner l'EPAMARNE à payer à M. A... la somme de 1 500 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.
La solution du litige conduit à rejeter la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par l'EPAMARNE.
Succombant, l'EPAMARNE sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'équité justifie que l'EPAMARNE soit condamné à payer à la SEPV et à M.A... chacun la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Déclare recevable l'intervention volontaire de M. A... ;
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Prononce l'annulation de la procédure d'expulsion ;
Condamne l'EPAMARNE à verser à la SEPV la somme de 136 330 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel';
Condamne l'EPAMARNE à payer à M. A... la somme de 1 500 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral';
Rejette toute autre demande';
Condamne l'EPAMARNE aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne l'EPAMARNE à verser à la SEPV et à M. A... chacun la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE