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03/05/2018 | FRANCE | N°17/09302

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 8, 03 mai 2018, 17/09302


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 8



ARRÊT DU 03 MAI 2018



(n° 257/18 , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 17/09302



Décision déférée à la cour : jugement du 09 mai 2017 - juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris - RG n° 17/80647





APPELANTE



République du Congo, agissant poursuites et diligences

de son ministre de la justice, des droits humains et de la promotion des peuples autochtones

Ministère de la Justice

[Adresse 6]

[Localité 7] (République du Congo)



représentée par Me...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 8

ARRÊT DU 03 MAI 2018

(n° 257/18 , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 17/09302

Décision déférée à la cour : jugement du 09 mai 2017 - juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris - RG n° 17/80647

APPELANTE

République du Congo, agissant poursuites et diligences de son ministre de la justice, des droits humains et de la promotion des peuples autochtones

Ministère de la Justice

[Adresse 6]

[Localité 7] (République du Congo)

représentée par Me Patricia Hardouin de la Selar 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de Paris, toque : L0056

ayant pour avocat plaidant Me Kevin Grossmann, avocat au barreau de Paris, toque : D2019

INTIMÉS

Société Commissions Import Export (Commisimpex), société de droit congolais

[Adresse 5]

[Localité 7] (République du Congo)

représentée par Me Jacques-Alexandre Genet de la Selas Archipel, avocat au barreau de Paris, toque : P0122

ayant pour avocat plaidant Me Michaël Schlesinger, avocat au barreau de Paris, toque : P0122

Sas EDF Africa Services, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIRET : 790 101 877 00021

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Alain Fisselier de la Scp AFG, avocat au barreau de Paris, toque : L0044

ayant pour avocat plaidant Me Laura Terdjman, avocat au barreau de Paris

Madame le Procureur général - service civil

[Adresse 1]

[Localité 4]

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 mars 2018, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Emmanuelle Lebée, présidente de chambre, chargée du rapport

M. Gilles Malfre, conseiller

M. Bertrand Gouarin, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : M. Sébastien Sabathé

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Emmanuelle Lebée, présidente, et par M. Sébastien Sabathé, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu la déclaration d'appel en date du 9 mai 2017 formée par la République du Congo et celle du 24 mai 2017 formée par la société EDF Africa Services et l'ordonnance de jonction de ces instances ;

Vu les conclusions récapitulatives de la République du Congo, en date du 7 mars 2018, tendant à voir déclarer irrecevables les demandes, fins et prétentions de la société Commisimpex au titre de la saisie-attribution du 15 novembre 2016, ordonner mainlevée de celle-ci, infirmer le jugement du 9 mai 2017 en ce qu'il a validé la saisie-attribution et en ordonner la mainlevée, en ce qu'il a condamné la République du Congo à payer une indemnité de procédure, condamner la société Commisimpex à payer à la République du Congo la somme de 15 000 euros pour abus de saisie et celle de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens'dont la distraction est demandée ;

Vu les conclusions récapitulatives de la société de droit congolais Commisimpex, en date du 7 mars 2018, tendant à voir confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le juge de l'exécution de Paris le 9 mai 2017, débouter la République du Congo et la société EDF Africa Services de leurs demandes, les condamner in solidum aux dépens d'appel et au paiement d'une somme de 30 000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel ;

Vu les conclusions récapitulatives de la société EDF Africa Services, en date du 28 août 2017, tendant à voir réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, ordonner la mainlevée de la saisie-attribution, condamner la société Commisimpex à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens';

Vu les conclusions du ministère public, en date du 5 mars 2018, tendant à voir confirmer le premier jugement entrepris sur le rejet de la fin de non recevoir fondée sur l'estoppel, infirmer le premier jugement ce qu'il a validé la saisie-attribution, et statuer sur la nullité de ladite saisie';

Pour plus ample exposé du litige, il est fait renvoi aux écritures visées.

SUR CE :

Le 15 novembre 2016, en exécution de deux sentences arbitrales rendue les 3 décembre 2000 et 21 janvier 2013, sous les auspices de la Chambre de commerce internationale, toutes deux revêtues de l'exequatur, la société Commissions Import Export (Commisimpex), auprès de laquelle la République du Congo s'était engagée, le 3 mars 1993, à renoncer définitivement et irrévocablement à toute immunité de juridiction et d'exécution, a fait pratiquer une saisie-attribution entre les mains de la société EDF Africa Services.

Le 21 novembre 2016, la société EDF Africa Services a déclaré les sommes dont sa succursale, dénommée Hema Congo, était redevable à l'égard de la République du Congo, à savoir exclusivement des dettes fiscales, et a émis les plus expresses réserves quant au caractère saisissable de celles-ci.

Le 17 février 2017, la République du Congo a saisi le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris afin d'obtenir la nullité et la mainlevée de la mesure.

Statuant en collégialité, le juge de l'exécution, par jugement du 9 mai 2017, a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'estoppel soulevée par la République du Congo, débouté celle-ci et la société EDF Africa Services de leurs demandes et les a condamnées in solidum à une indemnité de procédure. C'est la décision attaquée.

Les premiers juges ont motivé leur décision en considérant que, dès lors que la République du Congo avait renoncé expressément à son immunité d'exécution, elle ne pouvait soutenir que les créances fiscales, localisées en France, étaient insaisissables.

Sur la fin de non-recevoir tirée de l'estoppel':

À l'appui de ce chef de demande, la République du Congo soutient, en substance, que la société Commisimpex a, par le passé, adopté un comportement diamétralement contraire à la position soutenue devant le juge de l'exécution parisien, qu'elle a, par trois fois au moins, spontanément donné mainlevée de saisies-attributions en reconnaissant l'insaisissabilité des créances de nature fiscale et sociale, que le maintien de la saisie litigieuse était donc incontestablement de nature à induire en erreur la République du Congo sur ses intentions, de sorte que les prétentions de la saisissante auraient dû être déclarées irrecevables, conformément au principe de l'estoppel, consacré par la jurisprudence, selon lequel «'nul ne peut se contredire au détriment d'autrui'».

En réplique, la société Commisimpex fait valoir qu'elle n'a jamais adopté de positions juridiquement incompatibles, qu'elle n'a jamais reconnu que des créances fiscales et sociales dues par une société française à un État étranger ne seraient pas localisées en France, ni même qu'un État étranger ne pouvait renoncer à son immunité que de façon expresse « et spéciale », puisqu'elle a systématiquement contesté l'argumentation soutenue par la République du Congo.

À l'audience de plaidoiries, la cour a invité les parties à présenter leurs observations sur la question de savoir si l'exercice d'une mesure d'exécution s'analysait en une action à laquelle on pouvait opposer une fin de non-recevoir.

Selon l'article 122 du code de procédure civile, la fin de non-recevoir est un moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond. Une mesure d'exécution forcée ne constitue pas en soi une action ou une prétention à laquelle on peut opposer une fin de non-recevoir. En l'absence d'action intentée par la société Commisimpex, la fin de non-recevoir soulevée par la République du Congo dans l'instance en contestation de la saisie-attribution, avant que son adversaire ait soulevé le moindre moyen en défense ou formé la moindre prétention à titre reconventionnel, manque par le fait qui aurait pu lui servir de base.

Au surplus, la cour relève, comme les premiers juges, que les écritures précédentes du créancier poursuivant devant d'autres juridictions n'ont pu induire en erreur la République du Congo sur ses intentions.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir fondée sur l'estoppel.

Au fond :

Aux termes de l'article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution, le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution.

En l'espèce, il n'est pas discuté que la société Commisimpex dispose d'un titre exécutoire à l'encontre de la République du Congo.

Il résulte de l'article L. 111-1 du même code que la société Commisimpex peut contraindre celle-ci, dont la défaillance n'est pas contestée, à exécuter ses obligations à son égard par des mesures d'exécution forcée à moins que la débitrice ne bénéficie d'une immunité d'exécution.

L'article L. 211-1 prévoit que le créancier peut saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent.

Il convient donc d'examiner, d'abord, si la saisie-attribution a pu porter effet, c'est-à-dire si la créance saisie, de nature fiscale, était localisée en France avant d'examiner, ensuite, si la République du Congo bénéficiait d'une immunité d'exécution.

Sur ce premier point, la République du Congo soutient que le principe de territorialité des voies d'exécution, ensemble le principe de territorialité du recouvrement de l'impôt, impliquent que les créances de nature fiscale et sociale soient nécessairement et uniquement localisées sur le territoire de l'État sur lequel s'exerce l'activité donnant lieu à ladite imposition de sorte que de telles créances ne sauraient valablement être appréhendées sur le territoire d'un autre État, que considérer présentes sur le territoire français, donc rendre saisissables en France les créances fiscales d'un État étranger, reviendrait à permettre le recouvrement de l'impôt étranger sur le sol français, ce qui contrevient au principe de territorialité du recouvrement de l'impôt et porte atteinte à la souveraineté de l'État étranger.

La société EDF Africa Services conclut dans le même sens, invoquant également le risque de double imposition découlant des effets de la saisie-attribution litigieuse.

Cependant, il s'agit, ainsi qu'il a été dit plus haut, de déterminer, dans un premier temps, si la créance saisie se trouve localisée en France, conformément au principe de territorialité des mesures d'exécution.

Dès lors que le litige ne concerne pas l'exercice, en France, de mesures de contraintes en vue du recouvrement par la République du Congo de créances fiscales et que les sommes saisies ne portent pas sur la ressource fiscale ou le produit de l'impôt en eux-mêmes, mais sur une dette fiscale d'un tiers, le principe de territorialité du recouvrement de l'impôt est vainement invoqué par celle-ci et par le tiers saisi.

Comme le soutient la société Commisimpex le principe de l'unicité de patrimoine permet de localiser les créances du débiteur saisi sur le tiers saisi au siège social de ce dernier, ainsi que celui-ci l'a bien compris puisqu'il a déclaré les dettes qu'il avait à l'égard de la République du Congo et dont il est seul redevable, sa succursale n'ayant pas la personnalité morale, peu important les réserves qu'il ait émises relatives à leur saisissabilité.

La saisie-attribution a donc porté effet sur des dettes localisées en France.

Le risque de double-imposition invoqué par le tiers saisi n'est pas une cause de la nullité de la saisie mais une conséquence éventuelle de celle-ci dont le juge de l'exécution n'a pas à connaître.

Il convient, dans un second temps, de déterminer si la République du Congo bénéficie d'une immunité d'exécution.

Il convient de rappeler que la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 est inapplicable aux faits de l'espèce, son entrée en vigueur étant postérieure à la saisie-attribution litigieuse et que les parties invoquent vainement l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 10 janvier 2018 (RG 16/22494) qui concerne les mesures d'exécution forcée pouvant être mises en 'uvre sur les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique des États étrangers ou de leurs postes consulaires, de leurs missions spéciales ou de leurs missions auprès des organisations internationales.

À l'appui de son appel, la République du Congo soutient qu'elle bénéficie d'une immunité d'exécution, qu'en effet elle n'a jamais accepté d'affecter ses créances fiscales au paiement des créances prétendument détenues par la société Commisimpex, que les créances régaliennes saisies ne sont de nature ni civile ni commerciale et que la créance, cause de la saisie, n'a aucun lien avec l'objet de la saisie.

Cependant, la République du Congo ne conteste pas avoir remis à la société Commisimpex, le 3 mars 1993, différentes lettres d'engagement par lesquelles elle a, notamment « renonc[é] définitivement et irrévocablement à invoquer dans le cadre du règlement d'un litige en relation avec les engagements objet de [la lettre d'engagement] toute immunité de juridiction ainsi que toute immunité d'exécution ». Elle a donc expressément consenti, dans le cadre du litige l'opposant à la société Commisimpex, à l'application d'une mesure d'exécution forcée visant un bien lui appartenant.

Il n'est pas soutenu que les biens saisis seraient utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique ou des postes consulaires de la République du Congo, de ses missions spéciales ou de ses missions auprès des organisations internationales. Dès lors, conformément aux principes du droit international coutumier, repris par la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016, en présence d'une renonciation expresse de la République du Congo à son immunité d'exécution, peu importe que les biens saisis soient spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés à des fins non commerciales, qu'il s'agisse de créances fiscales et que la créance cause de la saisie n'ait aucun lien avec l'objet de la saisie.

Il convient donc de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté les demandes de nullité et de mainlevée de la saisie-attribution du 16 novembre 2016 et débouté la République du Congo de sa demande de dommages-intérêts.

Sur les dommages-intérêts':

La République du Congo sollicite la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour saisie abusive.

La solution du litige exclut qu'il soit fait droit à ce chef de demande.

Sur les dépens et les frais irrépétibles':

La République du Congo qui succombe doit être condamnée aux dépens, déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée, à ce même titre, à payer à l'intimée la somme de 15 000 euros.

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la société EDF Africa Services.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement ;

Y ajoutant,

Condamne la République du Congo aux dépens ainsi qu'à payer à la société Commisimpex la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

Rejette toute autre demande ;

LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 17/09302
Date de la décision : 03/05/2018

Références :

Cour d'appel de Paris G8, arrêt n°17/09302 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-05-03;17.09302 ?
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