Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 03 MAI 2018
(n° 2018 - 142, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 17/08568
Décision déférée à la Cour : Arrêt du 01 Décembre 2016 -Cour de Cassation de PARIS - Arrêt n° 1741-F-D
Arrêt du 04 septembre 2015 - Cour d'appel de PARIS- RG n° 14/11969
Jugement du 20 mai 2014 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - n° RG : 11/15251
APPELANT
Monsieur [P] [P]
Né le [Date naissance 1] 1945 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Christian VALENTIE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2441
Assisté à l'audience de Me Philippe VINCENT, avocat au barreau de PARIS, toque : C2342
INTIMÉE
Madame [Y] [U]
Née le [Date naissance 2] 1969 à [Localité 3] (TUNISIE)
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée par Me Marie-Laure BONALDI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0936
Assistée à l'audience de Me Georges SAUVEUR, avocat au barreau de PARIS, toque : E1519
COMPOSITION DE LA COUR :
Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère, ayant préalablement été entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 mars 2018, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre
Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère
M. Philippe FUSARO, conseiller
qui en ont délibéré
Greffière, lors des débats : Madame Fatima-Zohra AMARA
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente et par Madame Fatima-Zohra AMARA, greffière présente lors du prononcé.
***************
M. [P] a créé en décembre 1996 la société Orium et a engagé Mme [U] en qualité d'assistante de direction. Suspectant des malversations, M. [P] a déposé plainte contre Mme [U] en 2009.
Par jugement du 18 janvier 2012, le tribunal de grande instance de Paris statuant en matière correctionnelle, a :
Sur l'action publique, déclaré Mme [U] coupable d'abus de confiance à raison de faits commis entre le 9 octobre 2006 et le 9 octobre 2009,
Sur l'action civile,
- déclaré recevable la constitution de partie civile de M. [P] ;
- condamné Mme [U] à lui verser les sommes de 261 835,27 euros en réparation de son préjudice financier outre 1 euro en réparation de son préjudice moral.
Sur appel de M. [P], de Mme [U] et du ministère public, et par arrêt du 27 mai 2014, la cour de Paris a,
sur l'action publique :
- Infirmé pour partie le jugement déféré,
- constaté que les faits commis antérieurement à octobre 2006 étaient prescrits,
- déclaré Mme [U] coupable d'avoir, entre octobre 2006 et octobre 2009 détourné la somme de 11 292,85 euros au préjudice de M. [P],
- relaxé Mme [U] pour le surplus,
sur l'action civile :
- Infirmé le jugement déféré,
- déclaré recevable la constitution de partie civile de M. [P],
- condamné Mme [U] à lui verser la somme de 11 292,85 euros en réparation de
son préjudice matériel outre 1000 euros en réparation de son préjudice moral.
Parallèlement à cette procédure pénale, M. [P] a, par exploit du 24 octobre 2011, assigné Mme [U] et la SCI [U] devant le tribunal de grande instance de Paris. Il a demandé au tribunal de condamner Mme [U] à lui payer la somme de 1 573 415,76 euros à titre d'indemnisation de son préjudice financier et de la condamner, solidairement avec la SCI [U], à lui payer les sommes de 183 683 € à titre d'indemnisation de son préjudicie financier et 50 000 euros au titre de son préjudice moral.
Par jugement du 20 mai 2014, le tribunal de grande instance de Paris a débouté M. [P] de ses demandes tant à l'encontre de Mme [U] qu'à l'encontre de la SCI [U].
Par arrêt du 4 septembre 2015, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement déféré en ce qu'il a déclaré les demandes formées par M. [P] contre Mme [U] irrecevables. L'infirmant pour le surplus, elle a déclaré l'action de M. [P] contre la SCI [U] recevable et non prescrite. Elle a condamné la SCI [U] à payer à M. [P] la somme de 43 046,27 euros.
Par arrêt du 1er décembre 2016 la Cour de cassation a cassé cet arrêt mais seulement en ce qu'il a déclaré les demandes formées par M. [P] à l'encontre de Mme [U] irrecevables et remis, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.
Elle énonce : Attendu que pour déclarer irrecevable, en raison de l'autorité de la chose jugée, la demande d'indemnisation formée par M. [P] en réparation des détournements commis à son préjudice par Mme [U] à compter de l`année 2000, la cour d'appel a retenu que cette demande était identique dans son objet, dans son fondement et dans son montant à celle qu'il avait présentée préalablement devant la juridiction répressive, qui avait donné lieu à une décision définitive;
Qu'en statuant ainsi alors que la chambre correctionnelle de la cour d'appel avait constaté que les faits antérieurs au mois d'octobre 2006 étaient prescrits sur le plan pénal, ce dont il résultait qu'elle n'avait pu se prononcer sur l'action civile que relativement aux faits postérieurs à cette date, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
M. [P] [P] a saisi cette cour le 31 mars 2017.
Par des conclusions signifiées par voie électronique le 30 juin 2017, M. [P] demande à la cour de':
- Infirmer le jugement entrepris,
- dire et juger recevables et bien fondées les demandes formées par M. [P] à l'égard de Mme [Y] [U],
- la condamner à lui payer la somme de 569 093,01 euros au titre des sommes détournées entre 1999 et le 9 octobre 2006,
- la condamner à lui payer la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral,
A titre subsidiaire,
- la condamner à lui payer la somme de 198 941 euros au titre des sommes détournées entre 1999 et le 9 octobre 2006,
A titre infiniment subsidiaire,
- ordonner une expertise aux fins d'évaluer les enrichissements de Mme [U] au détriment de M. [P],
- débouter Mme [U] de toutes ses demandes,
- la condamner à lui payer la somme de 15'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens dont distraction au profit de Maître Valentie.
Mme [U] a constitué avocat mais celui-ci a omis de signifier ses conclusions par voie électronique, il convient dès lors de se référer à ses dernières conclusions signifiées devant la cour d'appel en date du 27 mai 2015 visant à voir :
- Constater l'identité de cause, d'objet et de parties entre l'instance pénale jugée par la 13ème chambre du tribunal de céans (n° d'affaire 1026530291), et celle soumise à la cour de Paris (pôle 5 ' chambre 12, n° 12/02895), d'une part, et la présente instance, d'autre part,
- constater qu'aucune faute de la SCI [U] n'est alléguée,
- constater l'autorité de la chose jugée s'agissant des décisions du 18 janvier 2012 de la 13ème chambre du tribunal de céans et du 27 mai 2014 de la 12ème chambre du pôle 5 de la cour de céans,
- déclarer en conséquence les demandes formulées à l'encontre de Mme [U] irrecevables,
- débouter M. [P] de toutes ses demandes et confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté celui-ci,
A titre subsidiaire,
- constater la prescription de l'action civile,
En tout état de cause,
- condamner M. [P] [P] à payer à Mme [Y] [U] et à la SCI [U], à chacune, une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner M. [P] [P] à payer à Mme [Y] [U] et à la SCI [U], à chacune, une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
SUR CE, LA COUR :
Sur l'autorité de la chose jugée :
L'arrêt de la cour d'appel de Paris du 27 mai 2014, statuant en matière pénale, a constaté que les faits commis antérieurement à octobre 2006 étaient prescrits. Il n'a dès lors pas statué sur les intérêts civils de sorte que l'autorité de la chose jugée ne peut pas être invoquée en ce qui les concerne.
Sur la prescription civile :
La loi n° 208-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile, a ramené le délai de la prescription extinctive de 30 ans de l'article 2224 du code civil des actions personnelles et mobilières à 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Le paragraphe 2 de l'article 26 de cette loi prévoit que les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
Le nouveau délai de 5 ans a commencé à courir le 18 juin 2008 date d'entrée en vigueur de loi, de sorte que l'action diligentée par voie d'assignation du 24 octobre 2011 n'est pas prescrite.
Au fond :
L'arrêt de la cour d'appel du 27 mai 2014 a retenu pour la période non prescrite au vu de l'enquête de police et de la vérification de comptabilité effectuée par l'administration fiscale pour les années 2006 à 2009, que Mme [U] recrutée le 22 août 1997 par la société Orium, outre les fonctions exercées pour cette société, assurait une "gestion personnelle" pour le compte de M. [P], n'ayant jamais été contractuellement définie, pour laquelle celui-ci lui versait une rémunération occulte arbitrée par la cour à 80 000 euros par an, en conséquence de quoi elle a retenu les détournements pour les sommes excédant ce plafond, constatés pour l'année 2008 et limité sa condamnation au remboursement d'une somme de 11 292,85 euros.
M. [P] réclame la condamnation de Mme [U] à lui payer la somme de 569'093,01 euros au titre des sommes détournées entre 1999 et le 9 octobre 2006.
Cette période n'a pas été vérifiée par l'administration fiscale.
M. [P] produit à l'appui de sa prétention un tableau établi pas ses soins récapitulant les chèques émis par Mme [U] à son détriment dont il produit également les photocopies sur une période comprise entre le 24 mai 2001 et le 21 novembre 2006.
Il convient d'ores et déjà de soustraire de ce décompte les chèques de 1 500 euros du 18 novembre 2006 et de 4 000 euros du 21 novembre 2006, qui se trouvent hors période.
Il est établi que Mme [U] était habilitée à utiliser les comptes de M. [P] pour régler certaines dépenses personnelles de celui-ci et que l'une des tâches de l'administration fiscale a été de faire le tri entre les dépenses faites pour le compte de M. [P] et celles personnelles à Mme [U].
Il ressort de l'audition de Mme [U] du 21 septembre 2010, s'agissant de la période non pénalement prescrite, que celle-ci contestait un certain nombre de chèques correspondant à des dépenses d'entretien ou de décoration pour le château de M. [P] ou pour sa fille au profit du docteur [G] ou de la psychologue de celle-ci, le docteur [A], ce qui a été corroboré par les vérifications fiscales. Un certain nombre de ces bénéficiaires se trouvent également dans la liste des chèques antérieurs à octobre 2006.
Dès lors, M. [P], sur lequel pèse la charge de la preuve, ne démontre pas dans quelle proportion les chèques utilisés par Mme [U] dans son seul intérêt dépassent le montant de ce qu'il l'avait autorisée à prélever chaque année en complément de rémunération pour la période antérieure à 2006 qui n'a pas fait l'objet d'un redressement fiscal, ni à son encontre, ni à l'encontre de Mme [U].
Le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 20 mai 2014 sera en conséquence réformé en ce qu'il a déclaré les demandes dirigée à l'encontre de Mme [U] irrecevables et M. [P] sera débouté de ses demandes, sans qu'il soit besoin de faire droit à la demande subsidiaire d'expertise financière sur le montant des sommes détournées, inutile sur la question de l'autorisation de prélèvements.
Sur la demande de dommages et intérêts :
Mme [U] ne démontre pas que l'exercice par M. [P] des voies de recours qui lui sont ouvertes soit dicté par la seule intention de lui nuire, de sorte que celui-ci dégénérerait en abus et sera déboutée de sa demande de ce chef.
Sur les autres demandes :
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [U] la totalité de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire ;
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 20 mai en ce qu'il a déclaré les demandes formées par M. [P] [P] à l'encontre de Mme [Y] [U] irrecevables ;
Statuant à nouveau,
Déboute M. [P] [P] de sa demande en paiement de la la somme de 569 093,01 euros au titre des sommes détournées entre 1999 et le 9 octobre 2006 ;
Déboute Mme [Y] [U] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne M. [P] [P] à payer à Mme [Y] [U] une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens de l'instance.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE