Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 8
ARRÊT DU 12 AVRIL 2018
(n° 221/18 , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/21080
Décision déférée à la cour : jugement du 18 août 2014 -juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris - RG n° 14/80889
DEMANDEURS
Monsieur [A] [N]
né le [Date naissance 1] 1943 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Localité 2])
Société [A] [N] & Associates prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3])
représentés par Me Christophe Pachalis, avocat au barreau de Paris, toque : K148
ayant pour avocat plaidant Me Vonnick Le Guillou, avocat au barreau de Paris, toque : R235 ainsi que Me Audrey Lemniai, avocat au barreau de Paris
DÉFENDEURS
Madame [T] [Q]
née le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 4] (Viêt Nam du Sud)
[Adresse 3]
[Localité 5]
Monsieur [W] [L]
né le [Date naissance 3] 1987 à [Localité 6] ([Localité 7])
[Adresse 4]
[Localité 8]
Madame [I] [L]
née le [Date naissance 4] 1996 à [Localité 9] ([Localité 9])
[Adresse 3]
[Localité 5]
Madame [O] [L]
née le [Date naissance 5] 1992 à [Localité 6] ([Localité 10])
[Adresse 5]
Londres (Royaume-Uni)
représentés par Me François Teytaud de l'AARPI Teytaud-Saleh, avocat au barreau de Paris, toque : J125
ayant pour avocat plaidant Me Eric Serre, avocat au barreau de Paris, toque : B1080
Madame le Procureur général près la cour d'appel de Paris
[Adresse 6]
[Localité 11]
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 mars 2018, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Emmanuelle Lebée, présidente de chambre, chargée du rapport
M. Gilles Malfre, conseiller
M. Bertrand Gouarin, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : M. Sébastien Sabathé
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Emmanuelle Lebée, présidente et par M. Sébastien Sabathé, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu la déclaration d'appel en date du 10 novembre 2014 ;
Vu les conclusions récapitulatives de M. [N] et de la société [A] [N], en date du 15 février 2018, tendant à voir dire recevable leur appel formé à l'encontre du jugement prononcé le 18 août 2014 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris, à le voir réformer en toutes ses dispositions, à titre principal, à voir déclarer recevable le recours en révision dirigé contre le jugement rendu le 10 janvier 2012 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris, en conséquence, rétracter ledit jugement et statuant à nouveau, déclarer M. [L] (sic) irrecevable en sa demande de liquidation de l'astreinte pour défaut de qualité et d'intérêt à agir, rejeter la demande reconventionnelle de dommages-intérêts des consorts [L], en tout état de cause, condamner M. [L] (sic) au paiement d'une somme de 50 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens tant de la présente instance que de celle ayant conduit à la décision révisée ;
Vu les conclusions récapitulatives des consorts [L], en date du 28 février 2018, tendant à voir juger nuls ou caducs l'acte introductif d'instance du 25 février 2014, les deux déclarations d'appel des 10 et 19 novembre 2014, ainsi que l'assignation aux fins de reprise d'instance du 5 octobre 2016, à défaut, juger les appelants irrecevables en leur recours en révision, en tout état de cause, confirmer le jugement, débouter en conséquence M. [N] et la société [A] [N] & Associates, les condamner in solidum à leur payer un montant de dix mille euros à titre d'amende civile, un montant de cent mille euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour jugeait recevable le recours en révision, confirmer le juger dont la révision est demandée, les condamner à leur payer la somme de 2 274 539 euros au titre de la liquidation de l'astreinte, les condamner in solidum à leur payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont la distraction est demandée';
Vu la note en délibéré de M. [N] et de la société [A] [N] & Associates, en date du 16 mars 2018 ;
Vu la note en délibéré des consorts [L], en date du 20 mars 2018 ;
Pour plus ample exposé du litige, il est fait renvoi aux écritures visées.
SUR CE :
Par arrêt contradictoire en date du 29 septembre 2001, la cour d'appel de Paris a, notamment, déclaré M. [U] [L] recevable à agir en contrefaçon et concurrence déloyale, dit que les ouvrages de [Q] [Y] et de la RMN, constituant les catalogues raisonnés de l''uvre de Picasso, sont des 'uvres protégeables par les droits d'auteur tant en ce qui concerne les 'uvres photographiques qui y sont reproduites qu'en ce qui concerne leur présentation spécifique, dit qu'en reproduisant sans autorisation les photographies de ces catalogues dans les ouvrages 'Picasso's painting, Watercolors, Drawingand sculptures : from cubism to neoclassicism 1917-1919" et 'Picasso's painting, Watercolors, Drawing and sculptures : neoclassicism I - 1920 -1921", M. [N] et la société [A] [N] & Associates, se sont rendus coupables de contrefaçon et ont porté atteinte aux droits de M. [L] et de la RMN, a fait défense à M. [N] et à la société [A] [N] & Associates de faire usage de quelque manière que ce soit des photographies susvisées sous astreinte de 10 000 francs par infraction constatée, dans les huit jours suivant signification de la décision.
Le fonds de commerce exploité par M. [U] [L] a été cédé à la société Edition Cahiers d'Art le 20 décembre 2001, détenue par MM. [J] et [U] [L].
Par assignation signifiée le 20 septembre 2011, M. [U] [L] a introduit devant le tribunal de grande instance de Paris une instance en contrefaçon à l'encontre de M. [N] et à la société [A] [N] & Associates qui a abouti à un jugement réputé contradictoire, en date du 31 janvier 2013, déclarant irrecevable l'action du demandeur, faute de qualité à agir.
Par jugement en date du 10 janvier 2012, réputé contradictoire, rendu sur assignation en date du 22 juillet 2011, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a, notamment, liquidé l'astreinte prononcée par la cour d'appel de Paris le 26 septembre 2001 à la somme de 2 000 000 euros, condamné in solidum M. [N] et la société [A] [N] & Associates à payer à M. [U] [L] la somme de 2 000 000 euros au titre de la liquidation de cette astreinte.
Le 14 mars 2014, M. [N] et la société [N] & Associates ont donné assignation à M. [U] [L] à comparaître devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir rétracter et mettre à néant le jugement rendu le 10 janvier 2012, statuer à nouveau, déclarer M. [U] [L] irrecevable en sa demande de liquidation d'astreinte pour défaut de qualité/et ou d'intérêt à agir en ce qu'elle porte sur des infractions postérieures à la cession du fonds de commerce en décembre 2001, de le voir condamner au paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice de la décision obtenue par fraude et/ou rétention d'une pièce décisive ainsi qu'au paiement des dépens et d'une indemnité de procédure.
Cette assignation avait été signifiée au ministère public le 17 mars 2014 et en appel le 20 janvier 2015, conformément aux dispositions de l'article 600 du code de procédure civile.
Par jugement du 18 août 2014, le juge de l'exécution a déclaré irrecevable le recours en révision, rejeté la demande de dommages-intérêts formée par M. [N] et la société [A] [N] & Associates, la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par M. [U] [L] et a condamné les demandeurs à la révision aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure.
C'est la décision attaquée.
À la suite du décès, le 8 avril 2015, de M. [U] [L], les appelants ont repris, le 5 octobre 2016, l'instance à l'égard de ses ayants-droits, sa veuve et ses trois enfants, les consorts [L].
Sur les exceptions de procédure soulevées par les intimés :
Les consorts [L] invoquent la nullité des actes introductifs d'instance et des actes d'appel au motif que l'adresse indiquée, 401 China Basin street à San Francisco, Californie, n'existe pas et soutiennent qu'elle est fictive, frauduleuse et que cette adresse n'existait plus au cadastre de San Francisco à la date de l'introduction de l'instance. Ils en déduisent l'irrecevabilité de la procédure de révision.
Les appelants répliquent que le nom de la rue a été changé en celui de [Adresse 7] et que l'adresse actuelle, qu'ils mentionnent dans leurs dernières écritures, est le [Adresse 7], qu'il n'y a ni irrégularité ni grief et enfin que cette exception, non soulevée devant le premier juge, est tardive.
L'irrecevabilité invoquée par les consorts [L] s'analyse en une exception qui doit, conformément aux dispositions de l'article 74 du code de procédure civile être soulevée simultanément et avant toute défense au fond. Tel n'est pas le cas puisque M. [L] ne l'a pas invoquée devant le premier juge. L'exception relative à la nullité des actes introductifs d'instance est donc irrecevable.
En tout état de cause, l'indication dans les dernières conclusions des intimés de l'adresse exacte de la société [A] [N] & Associates a régularisé les actes critiqués de sorte que, conformément à l'article 115 du code de procédure civile, la nullité invoquée est couverte. L'appel est donc recevable.
Au fond':
Sur la recevabilité du recours en révision':
Aux termes de l'article 593 du code de procédure civile, le recours en révision tend à faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée pour qu'il soit statué en fait et en droit.
L'article 595 du même code dispose que le recours en révision n'est ouvert que pour l'une des causes suivantes :
1. s'il se révèle après le jugement que la décision a été surprise par la fraude
de la partie au profit de laquelle elle a été rendue'; (...)
Dans tous ces cas le recours n'est recevable que si son auteur n'a pu sans faute de sa part, faire valoir la cause qu'il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée.
En l'espèce, c'est la première des causes prévues qui est invoquée par les appelants qui soutiennent, dans leur acte introductif de l'instance en révision, que la cession du fonds de commerce effectuée par M. [U] [L], comprenant selon eux les droits de propriété intellectuelle, objet de l'astreinte instituée par l'arrêt du 26 septembre 2001, constitue une cause de révision du jugement de liquidation d'astreinte du 10 janvier 2012, dans la mesure où cette cession rendait, selon eux, M. [U] [L] irrecevable en sa demande de liquidation d'astreinte et qu'ils n'en ont eu connaissance que le 27 novembre 2013, lorsque leur a été transmis, dans le cadre de la procédure d'exequatur, le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 31 janvier 2013 qui avait déclaré M. [L] irrecevable à agir en contrefaçon en raison de cette cession de son fonds de commerce.
Enfin, l'article 596 du code de procédure civile dispose que le délai du recours en révision est de deux mois et court à partir du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu'elle invoque.
Le premier juge a retenu, comme l'avaient admis devant lui les deux parties, que la date de signification de cette décision à parquet, le 24 janvier 2012, a fait courir le délai d'appel de quinze jours, augmenté de deux mois de sorte que le jugement est passé en force de chose jugée à l'expiration de celui-ci, soit le 8 avril 2012.
A l'audience de plaidoirie, la cour a mis dans le débat le moyen tiré du caractère non définitif du jugement dont la révision est demandée et de la régularité de sa signification au regard de la convention de La Haye du 15 novembre 1965 et a invité les parties à présenter leurs observations.
Le premier alinéa de l'article 684 du code de procédure civile prévoit une remise à parquet, «'sauf dans le cas où un règlement communautaire ou un traité international autorise l'huissier de justice ou le greffe à transmettre directement [l']acte à son destinataire ou à une autorité compétente de l' État requis.'»
Les États-Unis d'Amérique ont ratifié la convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, également ratifiée par la France, ce qui exclut que la signification du jugement à parquet ait pu valablement faire courir le délai d'appel à l'encontre du jugement.
Conformément à l'article 2 de la convention, les États-Unis ont désigné comme autorité centrale compétente pour effectuer la signification, une société opérant sous le nom de Process Forwarding International (PFI) et ont déclaré que les demandes de signification doivent être accompagnées d'une traduction appropriée en anglais, ainsi que les documents de support.
En l'espèce, il n'est pas discuté que l'huissier de justice, autorité centrale désignée par la France pour effectuer les significations internationales, a adressé à PFI le formulaire de signification sans l'accompagner d'une traduction du jugement.
À supposer, ce que contestent les intimés, que PFI ait exigé, à la date de la signification, la traduction en anglais de l'acte, objet de la signification, les appelants n'invoquent aucun grief tiré de cette absence de traduction et, a fortiori, n'en établissent aucun. S'ils critiquent le défaut de diligences de PFI dans la signification du jugement dont la révision est demandée, ils n'en déduisent pas pour autant, y compris dans leur note en délibéré, que la signification n'était pas valide et n'avait pas fait courir le délai d'appel.
En l'absence de grief pouvant résulter d'une absence de traduction, il y a lieu de considérer que la notification était régulière et que le jugement dont la révision est demandée est définitif.
Sur la date à laquelle les appelants ont eu connaissance de la cause de la révision :
Les appelants soutiennent, en substance, qu'ils n'ont pu avoir véritablement connaissance des implications de la cession sur le droit d'agir de M. [L] qu'à partir du jour où ces éléments, et en particulier le jugement du 31 janvier 2013 relevant son absence d'intérêt à agir au titre du fonds de commerce cédé, leur ont été transmis, avec une traduction en anglais, dans le cadre de la procédure d'exequatur, soit le 27 novembre 2013.
Les intimés répliquent que, dès lors qu'elle a été publiée, la cession est opposable erga omnes, que les appelants ont fait le choix, en 2011 et 2012, de ne pas comparaître devant un tribunal français, que les appelants ne peuvent invoquer le défaut de traduction des actes signifiés dès lors que M. [N] parle français, qu'ils ont, soit refusé les notifications, soit, pour M. [N], été destinataires d'une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 2 novembre 2011, constituant une réception volontaire au sens de la convention de La Haye, les États-Unis n'ayant jamais formulé de réserves impliquant les traductions, contenant une copie de l'assignation du 20 septembre 2011 mentionnant la cession.
En l'espèce les appelants admettent avoir reçu le 2 novembre 2011 l'assignation en contrefaçon faisant état de l'assignation. Certes, l'assignation n'était pas traduite, mais l'article 596 du code de procédure civile subordonne le point de départ du délai pour agir en révision à la «' connaissance'» de la cause, d'appréciation souveraine, peu important, à cet égard, la régularité de la notification dès lors que sa réception est certaine. Il résulte suffisamment des éléments de la cause, notamment des déclarations de l'intéressé lors d'un contre-interrogatoire au cours de la procédure d'exequatur, non contestées dans les écritures des appelants, que M. [N], par ailleurs dirigeant de la société [A] [N] & Associates, lit et comprend la langue française, de sorte qu'il avait connaissance, dès le 2 novembre 2011, de la cause que les appelants invoquent à l'appui de leur recours en révision.
Il leur appartenait donc de faire appel du jugement du 10 janvier 2012.
Le jugement sera confirmé.
Sur les dommages-intérêts':
Les consorts [L] sollicitent la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Le droit d'exercer une action en justice ou une voie de recours ne dégénère en abus que s'il révèle de la part de son auteur une intention maligne, une erreur grossière ou une légèreté blâmable dans l'appréciation de ses droits. Tel n'apparaît pas le cas en l'espèce. un tel abus de la part des appelants ne pouvant se déduire de l'échec de leur action.
En outre, les consorts [L] ne rapportent pas la preuve d'un préjudice distinct de celui résultant de l'obligation de défendre à la procédure.
La demande de dommages-intérêts n'est par conséquent pas justifiée. Le jugement sera confirmé de ce chef et toute demande formée à hauteur d'appel sera rejetée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles':
Les appelants qui succombent doivent être condamnés aux dépens, déboutés de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnés à payer aux intimés une somme de 5 000 euros en application de ces dernières dispositions.
PAR CES MOTIFS
Déclare recevable l'appel';
Confirme le jugement ;
Y ajoutant,
Condamne M. [N] et la société [A] [N] & Associates à payer aux intimés la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens qui pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile';
Rejette toute autre demande ;
LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE