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25/01/2018 | FRANCE | N°16/20118

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 25 janvier 2018, 16/20118


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRÊT DU 25 JANVIER 2018



SAISINE SUR RENVOI APRÈS CASSATION



(n°2018 - , 15 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/20118



Décision déférée à la Cour :

Arrêt du 06 Avril 2016 -Cour de Cassation de PARIS -Civ 1er- n°355 F-D

Arrêt du 06 Janvier 2015- Cour d'appel de REIMS- Chambre civile-1ère Section- RG 13-01202


Jugement du 22 Mars 2013- Tribunal de grande instance de TROYES





APPELANT



Monsieur [K] [X]

Né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 2]


...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2

ARRÊT DU 25 JANVIER 2018

SAISINE SUR RENVOI APRÈS CASSATION

(n°2018 - , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/20118

Décision déférée à la Cour :

Arrêt du 06 Avril 2016 -Cour de Cassation de PARIS -Civ 1er- n°355 F-D

Arrêt du 06 Janvier 2015- Cour d'appel de REIMS- Chambre civile-1ère Section- RG 13-01202

Jugement du 22 Mars 2013- Tribunal de grande instance de TROYES

APPELANT

Monsieur [K] [X]

Né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

Représenté par Me Marc GIOMMONI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0855

Assisté de Me Elsa QUIBEL, avocat au barreau de PARIS, toque B0855 substituant Me Me Marc GIOMMONI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0855

INTIMES

Monsieur [S] [W]

Né le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 2]

[Adresse 3]

[Adresse 4]

Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assisté de Me Nathalie SCHMELCK, avocat au barreau de PARIS, toque : A39

AXA FRANCE IARD, prise en la personne de ses représentants légaux

N° SIRET : 722 057 460 01971

[Adresse 5]

[Adresse 6]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assistée de Me Vincent BOIZARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P456

LA CPAM DE L'AUBE ET DE LA HAUTE MARNE, prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 7]

[Adresse 8]

Défaillante, régulièrement avisée le 20 octobre 2017 par procès-verbal de remise à personne habilitée

Compagnie d'assurances PRO BTP, prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 9]

[Adresse 10]

Défaillante, non assignée

LA MUTUELLE DE L'EST, prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 11]

[Adresse 12]

Défaillante, régulièrement avisée le 19 octobre 2017 par procès-verbal de remise à personne habilitée

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 Décembre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Marie-Hélène POINSEAUX, Présidente de Chambre

Mme Annick HECQ-CAUQUIL, Conseillère

Mme Isabelle CHESNOT, Conseillère

qui en ont délibéré

Rapport ayant été fait oralement par Mme Isabelle CHESNOT, Conseillère conformément aux dispositions de l'article 785 du code de procédure civile,

Greffier, lors des débats : Mme Sabrina RAHMOUNI

ARRÊT :

- rendu par défaut

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente et par Madame Fatima-Zohra AMARA, greffière présente lors du prononcé.

M. [K] [X], né le [Date naissance 1] 1950, a subi, le 20 décembre 2002, un examen préventif auprès du centre de santé de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne, ayant relevé des difficultés de miction ainsi qu'une prostate légèrement augmentée au toucher rectal.

Ces résultats ont été transmis au docteur [S] [W], médecin traitant de M. [X] qui a continué à le consulter régulièrement, notamment pour la surveillance du traitement d'hypertension.

Le 2 octobre 2007, un urologue auquel le docteur [W] avait adressé son patient à la suite de douleurs, de troubles urinaires et de la réalisation d'examens biologiques, a constaté une grosse prostate nodulaire et ordonné des examens complémentaires qui ont révélé une prolifération carcinomateuse massive s'accompagnant de métastases au niveau des os du bassin et d'un ganglion. En raison du stade avancé du cancer, il ne lui a pas été proposé de traitement chirurgical et M. [X] a subi une série de traitements, notamment par chimiothérapie, radiothérapie et hormonothérapie.

M. [X] a sollicité une mesure d'expertise auprès du juge des référés près le tribunal de grande instance de Troyes. Par ordonnance du 6 mai 2008, les docteurs [N] [C], généraliste, et [U] [P], urologue, ont été désignés. Ils ont rendu un rapport provisoire le 13 janvier 2009 et leur rapport définitif le 2 août 2011, concluant à l'existence d'une faute du docteur [W] en relation de causalité avec une perte de chance subie par le patient, faute consistant à ne pas avoir réalisé, dans les années ayant suivi les premiers signes en 2002, le diagnostic d'une pathologie prostatique par un dosage d'antigènes prostatiques et par toucher rectal.

Par une ordonnance de référé du 19 mai 2009, le président du tribunal de grande instance de Troyes a condamné le docteur [S] [W] et son assureur, la société Axa, à verser à M. [X] la somme de 15 000 € à titre d'indemnité provisionnelle, outre celle de  

2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur appel du docteur [S] [W] et de la société Axa, la cour d'appel de Reims a, par un arrêt du 17 mai 2010, confirmé l'ordonnance du 19 mai 2009 en toutes ses dispositions et, y ajoutant, a condamné le docteur [W] et la société Axa France Iard à verser à M. [X] une indemnité complémentaire d'un montant de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Reprochant au docteur [W] un retard de diagnostic fautif, M. [X] l'a assigné ainsi que la société Axa France IARD, son assureur, devant le tribunal de grande instance de Troyes en responsabilité et indemnisation, la CPAM de la Haute-Marne demandant le remboursement de ses débours, en présence de la Mutuelle de l'est et de la caisse d'assurance Pro BTP.

Par jugement du 22 mars 2013, le tribunal de grande instance de Troyes a :

- Rejeté la demande de M. [X] tendant au prononcé de la nullité des rapports d'expertise déposés par les docteurs [P] et [C], les 13 janvier 2009 et 2 août 2011,

- écarté des débats les deux rapports d'expertise déposés par les docteurs [P] et [C] les 13 janvier 2009 et 2 août 2011,

- débouté M. [K] [X] et la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-

Marne de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre de M. [S] [W] et de la

société Axa France IARD,

- dit n 'y avoir lieu à prononcé de l'exécution provisoire,

- dit n 'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné solidairement M. [K] [X] et la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise, dont distraction au profit de la SCP Couturier Plotton Vangeesdaele, avocats au Barreau de Troyes, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le tribunal de grande instance a essentiellement relevé que les rapports d'expertise en question laissaient un doute sur la nature exacte de la faute reprochée à M. [W], que leurs conclusions étaient dépourvues d'assise médicale et que l'évaluation du préjudice ainsi que le lien de causalité avec la faute reprochée étaient empreints de nombreuses contradictions, retenu que la HAS ne préconisait pas un dépistage systématique dit de masse par antigène PSA et que les symptômes présentés par M. [X] pouvaient être évocateurs aussi bien d'une hypertrophie bénigne de la prostate que d'un cancer, de sorte que ces éléments n'auraient pas justifié la prescription d'un dosage PSA en l'absence de tout signe clinique spécifique du cancer, et enfin estimé qu'il n'était pas démontré, au regard des symptômes présentés par M. [X], que M. [W] aurait dû procéder à des investigations plus poussées que celles qu'il avait réalisées ou fait réaliser.

Saisie par M. [X], la cour d'appel de Reims a rendu le 6 janvier 2015 un arrêt confirmatif, l'Association nationale des malades du cancer de la prostate, intervenue volontairement à l'instance en cours d'appel, étant déclarée recevable en son intervention mais déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Sur pourvoi de M. [X], la Cour de cassation a rendu le 6 avril 2016 un arrêt par lequel elle :

- Casse et annule, mais seulement en ce qu 'il rejette les demandes de M. [X] à l'encontre de M. [W] et de la société Axa France IARD, l'arrêt rendu le 6 janvier 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Reims, remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris,

- condamne M. [W] et la société Axa France IARD aux dépens,

- vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande, les condamne à

payer à M. [X] la somme globale de 3 000 euros.

La Cour de cassation a, au visa des articles L.1142-1 I, R.4127-32 et R.4127-33 du code de la santé publique, décidé que : 'pour rejeter les demandes de M. [X] à l'égard de M. [W], l'arrêt retient que, si l'intéressé affirme s'être, de manière régulière, plaint de la persistance de troubles urinaires de 2003 à 2007, ce qui aurait dû, selon lui, conduire son médecin à des investigations complémentaires consistant à doser l'antigène prostatique et à pratiquer un nouveau toucher rectal, la preuve de doléances et de symptômes antérieurs à 2007 n'est pas rapportée ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'il le lui était demandé, si, au regard des résultats de l'examen de santé pratiqué en 2002, mentionnant des signes cliniques susceptibles d'évoluer vers un cancer de la prostate, M. [W] avait satisfait à son obligation de surveillance, indépendamment d'éventuelles doléances du patient, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.'

La cour d'appel de Paris a été saisie par M. [X], selon déclaration du 1er août 2016.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 décembre 2016, M. [X] demande à la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- dire et juger que le docteur [W] a été à l'origine d'un retard de diagnostic fautif, lui ayant causé un préjudice,

-condamner le docteur [W], in solidum avec sa société d'assurance Axa, à lui verser les sommes suivantes :

Préjudices patrimoniaux :

-Perte de gains professionnels actuels 60 423 euros

-Perte de gains professionnels futurs jusqu'à 65 ans 108 985 euros

-Perte de gains professionnels futurs à partir de 65 ans 118 890 euros

-Tierce personne 8 579 euros

Préjudices extra patrimoniaux :

-Déficit Fonctionnel Temporaire 3 087 euros

-Souffrances endurées 15 000 Euros

-Déficit fonctionnel Permanent 15 000 euros

-Préjudice esthétique 1 500 euros

-Préjudice sexuel 25 000 euros

-Préjudice d'agrément 10 000 euros

-Perte de chance 20 000 euros,

- dire que ces sommes produiront intérêt au double du taux de l'intérêt légal à compter du 27 septembre 2011,

- ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil.

- dire que ces condamnations interviendront en deniers ou quittances, afin de tenir compte de la provision perçue à hauteur de la somme de 15 000 euros,

-dire la décision à intervenir opposable aux organismes sociaux,

-débouter le docteur [W] et la société Axa de leurs demandes,

-condamner in solidum le docteur [W] et son assureur Axa à payer à M. [X] la somme de 10 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner le docteur [W] et la société Axa in solidum aux entiers dépens qui comprendront ceux des instances de première instance et d'appe1, ainsi que les frais et

honoraires d'expert.

Selon conclusions notifiées par voie électronique le 18 septembre 2007, le docteur [W] sollicite de la cour, au visa des articles 1147 ancien du code civil et L.1142-1 du code de la santé publique, outre divers constater qui ne sont que la reprise de ses moyens, qu'elle :

- Ecarte des débats les rapports d'expertise des docteurs [C] et [P] des 13

janvier 2009 et 2 août 2011,

- confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Subsidiairement, y ajoutant,

- dise et juge que le préjudice de M. [K] [X] et en particulier les conséquences de son cancer, son évolution et la survenance de métastases osseuses n'ont pas de lien avec l'absence de prescription de dosage de PSA et de toucher rectal entre 2003 et jusqu'à 2007,

en conséquence,

- déboute M. [K] [X], la CPAM ou tout succombant de l'ensemble de leurs demandes diligentées à son encontre,

en tout état de cause,

- condamne M. [K] [X] ou tout succombant à verser au docteur [S] [W] la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise, qui seront recouvrés directement par la SCP Baechlin, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 novembre 2017, la société Axa France IARD prie la cour de :

-A titre principal, débouter M. [X] de toutes ses demandes, fins et conclusions, la preuve d'une faute n'étant pas rapportée,

- confirmer ainsi le jugement entrepris en toutes ces dispositions,

- à titre subsidiaire, débouter M. [X] de toutes ses demandes, fins et conclusions, la preuve d'une relation de causalité entre la faute alléguée et le dommage revendiqué n'étant pas rapportée,

- à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où une faute serait retenue, dire que le dommage en relation avec celle-ci ne peut s'entendre que d'une perte de chance de guérison,

- dire que l'évaluation du dommage, hors application d'un taux de perte de chance, sera la suivante :

- pertes de gains professionnels actuelles : 29 413,6 € (déduction devant être faite de la créance des tiers payeurs)

- tierce personne : 3 370 €

- perte de gains professionnels futurs : 0

- au titre des préjudices extra ' patrimoniaux, un total de : 15 058 €,

- dire que la perte de chance devra être définie par expertise et/ou selon évaluation versée aux débats fixée à 30 %,

- débouter M. [X] de la demande qu'il formule au titre des frais irrépétibles,

- reconventionnellement, le condamner à verser au requérant ( en réalité, concluant) la somme de 3 000 € au titre des dispositions de l'article 700 code de procédure civile,

- le condamner enfin aux entiers dépens.

La caisse primaire d'assurance maladie de l'Aube et de la haute Marne et la Mutuelle de l'Est, respectivement assignées devant la cour d'appel par actes d'huissier du 20 octobre 2017 (délivré à personne habilitée) et du 19 octobre 2017 (délivré à personne habilitée) n'ont pas comparu.

La société d'assurance PRO BTP, quant à elle n'a pas été assignée.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DECISION :

Il importe de rappeler à titre liminaire qu'en vertu des dispositions de l'article 638 du code de procédure civile, la juridiction de renvoi juge à nouveau l'affaire en fait et en droit à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation de sorte que le litige est désormais circonscrit à la question, seule visée par la cassation, du rejet des demandes de M. [X] à l'encontre de M. [W] et de la société Axa France IARD.

M. [X] expose que de 2002 à 2007, il a régulièrement consulté le docteur [W], le voyant à tous le moins tous les trois mois pour la surveillance de son traitement d'hypertension, qu'au cours de ces visites, il s'est souvent plaint de troubles urinaires mais aussi de malaises pouvant aller jusqu'à la perte de connaissance, d'un état de fatigue inhabituelle et d'un manque de performance, que lorsqu'il a consulté un urologue sur recommandation du docteur [W] en septembre 2007, il était atteint d'un cancer en état très avancé ayant entraîné des métastases dans les os, de dangerosité 9 sur une échelle de 10, ne permettant plus un traitement chirurgical, qu'en raison de son état de fatigue et des nombreux traitements médicaux, il n'a plus été en mesure de diriger efficacement son entreprise créée en 2004 qu'il a été contraint de vendre et a fait valoir de façon anticipée ses droits à la retraite à compter du 1er février 2010, soit à l'âge de 60 ans.

Il considère qu'il n'y a pas lieu d'écarter le rapport d'expertise judiciaire, les avis médicaux produits aux débats permettant, sans nouvelle expertise ou complément d'expertise, d'informer utilement la cour sur les données médicales du dossier.

Il soutient, en évitant de faire l'amalgame entre dépistage et diagnostic, que le docteur [W] aurait du, en présence des symptômes cliniques et fonctionnels observés en décembre 2002 qui pouvaient relever d'un tableau symptomatique d'un cancer, pratiquer l'une au moins des quatre facultés de diagnostic reconnues pour détecter cette maladie : l'interrogatoire du patient, le toucher rectal, le dosage de taux de PSA, la demande d'une consultation d'urologie, et qu'il s'est trompé en mettant son état de fatigue présenté en 2006 sur le compte d'une dépression nerveuse, alors que ces symptômes pouvaient traduire une évolution vers un cancer généralisé.

Le docteur [W] précise sur les faits que M. [X] l'a consulté pour la première fois le 4 décembre 2002 pour des coliques néphrétiques, que les gênes pour uriner et la légère augmentation de la prostate n'ont pas particulièrement alerté le médecin de la CPAM qui a examiné M. [X] le 20 décembre suivant au point qu'il n'a fait aucune recommandation de suivi sur le plan urologique, que jusqu'en 2007, M. [X] l'a régulièrement consulté sans se plaindre de troubles urinaires, qu'il n'a évoqué des douleurs osseuses et un problème urinaire que lors de la consultation du 3 septembre 2007 ce qui l'a amené à prescrire un dosage de PSA et d'autres investigations médicales.

Il affirme que la cour ne peut se fonder sur les rapports d'expertise judiciaire en raison des doutes sur les compétences professionnelles de l'un des experts, de l'absence de référence réelle à la littérature médicale, de la manipulation des données scientifiques qui sont citées de manière erronée par les experts et enfin des contradictions observées dans les constatations expertales sur la faute du médecin et sur le lien de causalité avec les préjudices.

Il soutient qu'en l'absence de signes évocateurs d'un cancer de la prostate en décembre 2002, il n'avait pas l'obligation de procéder début 2003 à un dosage de PSA et à un toucher rectal en vue d'un diagnostic alors qu'au surplus, le tableau clinique rattachait les troubles urinaires de M. [X] aux coliques néphrétiques, que le patient n'ayant plus jamais évoqué des troubles mictionnels jusqu'en 2007, il n'avait pas à mettre en place un dépistage lequel, qu'il soit de masse ou individuel, n'était pas préconisé aux termes des recommandations de l'ANAES de 1998 et 2004 puis de l'HAS, qu'enfin, à supposer une faute établie, il n'existe aucun lien de causalité entre l'absence de dosage de PSA et de toucher rectal entre 2003 et 2007 et le stade d'évolution du cancer subi par M. [X] puisque le dépistage précoce du cancer de la prostate n'apporte pas de bénéfice en termes de guérison.

La société Axa fait observer sur les faits que le dossier médical tenu par le docteur [W] est parfaitement renseigné, qu'il n'était pas anormal que M. [X], traité pour les coliques néphrétiques au moyen d'un diurétique, puisse décrire des troubles urinaires lors de son examen au centre médical de la CPAM, que lorsque M. [X] a fait état d'une nouvelle symptomatologie en juillet 2007, son médecin traitant l'a aussitôt noté au dossier et a entrepris une démarche diagnostique.

Elle critique le travail des experts judiciaires qui ont confondu dépistage et diagnostic, font des erreurs de raisonnement et d'analyse des données scientifiques et formulent des affirmations contradictoires, demandant que le rapport d'expertise soit écarté.

Elle fait valoir que les recommandations scientifiques parues en 1998 et complétées en 2004 vont à l'encontre d'un dépistage systématique du cancer de la prostate, y compris chez les hommes de plus de 50 ans, qu'en 2003, le dosage PSA individuel ne s'imposait pas en présence d'un patient ne présentant pas des signes cliniques évocateurs d'un tel cancer et qu'il n'est pas établi que de 2003 à 2007, M. [X] se soit plaint de troubles urinaires ou de douleurs, de sorte qu'aucun manquement ne peut être relevé à l'encontre du médecin traitant dans le suivi de son patient.

En dernier lieu, la société Axa souligne que le lien de causalité avec les préjudices allégués et la faute supposée du médecin n'est pas établi dès lors qu'il n'existe aucune certitude qu'en 2003, M. [X] était déjà atteint par la maladie et, qu'en raison du caractère particulièrement agressif de son cancer, celui-ci aurait certainement du subir une alliance de chimiothérapie et de radiothérapie, qu'au demeurant, le préjudice ne peut s'analyser que comme une perte de chance.

L'article L. 1142-1 I du code de la santé publique réserve la responsabilité des professionnels de santé au titre des conséquences dommageables des actes de prévention, de diagnostic ou de soins aux cas dans lesquels ils ont commis une faute.

La preuve de l'existence d'une faute doit être apportée par le patient dès lors que les professionnels de santé ne sont soumis qu'à une obligation de moyens et non de résultat, à l'égard de leurs patients.

L'existence d'une faute dans l'élaboration d'un diagnostic doit être appréciée au regard des exigences posées par les articles :

- L. 1110-5 du code de la santé publique selon lequel 'Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées (...)'

- R. 4127-32 et R. 4127-33 du code de la santé publique, transposant les articles 32 et 33

du code de déontologie médicale, énonçant respectivement que : 'Dès lors qu'il a accepté

de répondre à une demande, le médecin s'engage à assurer personnellement au patient

des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en

faisant appel, s'il y a lieu, à l'aide de tiers compétents' et que 'Le médecin doit toujours

élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en

s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées

et, s'il y a lieu, de concours appropriés.'

En l'espèce, il appartient à M. [X] de rapporter la preuve que le docteur [W] a manqué à ses obligations d'une part, en s'abstenant début 2003 de toute investigation aux fins de diagnostic portant sur le cancer de la prostate, et d'autre part en n'opérant, de 2003 à 2007, aucune surveillance particulière de l'évolution de sa prostate alors qu'il se plaignait de troubles urinaires et d'une grande fatigue.

Afin d'administrer cette preuve, M. [X] s'appuie sur de nombreux éléments au rang desquels figurent les rapports d'expertise judiciaire déposés les 13 janvier 2009 sur la responsabilité du praticien et 2 août 2011 sur les préjudices corporels subis par M. [X]. A cet égard, le tribunal de grande instance a parfaitement relevé qu'en application de l'article 246 du code de procédure civile, le juge dispose d'un pouvoir souverain d'appréciation quant à la valeur probante des constatations et conclusions des experts judiciaires. Il en résulte qu'ayant pris connaissance des nombreuses critiques formulées à l'encontre de ces rapports, la cour en appréciera l'objectivité, la valeur et la portée au regard des autres éléments de preuve produits aux débats. Il ne sera pas fait droit à la demande du docteur [W] tendant à voir écarter les dits rapports d'expertise judiciaire, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

Il ressort du dossier individuel de M. [X] tenu par le docteur [W] et du compte-rendu d'examen opéré le 20 décembre 2002 par le centre d'examens de santé de la CPAM de l'Yonne que M. [X] a consulté le docteur [W] pour la première fois le 4 décembre 2002 pour des coliques néphrétiques, que lors de cette consultation, le patient a évoqué une hématurie 'il y a huit jours' et une douleur très vive du flanc gauche sans qu'il soit fait état de troubles urinaires, que le médecin de la CPAM a noté au titre des antécédents personnels médicaux des 'colique(s) néphrétique(s)', relevé au titre des 'signes fonctionnels' des difficultés mictionnelles et des mictions nocturnes et constaté une 'prostate légèrement augmentée au toucher rectal', qu'en synthèse de cet examen périodique de santé, il était conseillé à M. [X] de 'joindre rapidement un médecin afin que soient prises en compte des anomalies concernant :

-tension artérielle élevée

-facteur de risque familial colique

coloscopie à faire pratiquer

On note également des anomalies concernant :

-apnée du sommeil

-troubles urinaires

Nous attirons votre attention sur le fait que les éléments ci-après sont des anomalies à surveiller, ou bien, ils peuvent constituer un facteur de risques :

-déficit auditif'

Il est constant que cette synthèse ayant été adressée au docteur [W], ce dernier a demandé à M. [X] de consulter un gastro-entérologue et un cardiologue mais n'a formulé aucune prescription, ni procédé à aucun examen au regard des troubles urinaires et de l'état de la prostate.

La cour constate qu'il n'existe que des éléments très succincts sur l'état de santé de M. [X] en décembre 2002, à savoir des difficultés mictionnelles et des mictions nocturnes déclarées au médecin de la CPAM, la présence d'une 'prostate légèrement augmentée au toucher rectal' lors de l'examen clinique effectué par ce dernier, ainsi qu'une hématurie survenue fin novembre suivie de coliques néphrétiques ayant motivé la consultation auprès du docteur [W] le 4 décembre et entraîné la récupération de trois calculs le 9 suivant.

Or, il résulte du document de l'ANAES intitulé 'Opportunité d'un dépistage systématique du cancer de la prostate par le dosage de l'antigène spécifique de la prostate' de mai 1998 complété par les recommandations pour la pratique clinique éditées par la même agence en septembre 2004 que 'le cancer de la prostate localisé ne donne pas de signes urinaires' sauf à un stade très évolué, que 'les troubles urinaires habituellement attribués à la prostate sont essentiellement le fait de l'adénome prostatique, tumeur bénigne très fréquente mais qui peut co-exister avec le cancer'.

En outre, le contexte clinique du mois de décembre 2002 entraînait à rattacher l'hématurie de la fin de mois de novembre et les troubles urinaires déclarés au médecin de la CPAM à l'épisode de coliques néphrétiques diagnostiquées par le docteur [W] le 4 décembre.

Par ailleurs, il ne fait pas débat sur le plan médical qu'après 50 ans, la prostate augmente de volume entraînant une hypertrophie bénigne, que lorsque la prostate est souple, homogène et de forme régulière sans douleur à la palpation, il ne peut être suspecté de cancer, cette pathologie entraînant une modification de la prostate qui devient ferme ou dure.

Dès lors, il convient d'affirmer qu'en l'absence d'indication particulière portant sur la consistance de la prostate, l'examen effectué au centre de la CPAM n'avait révélé aucune symptomatologie d'un cancer de cet organe. Dès lors, les signes urinaires déclarés par M. [X] ne pouvaient à eux seuls signer l'existence d'un cancer.

En dernier lieu, il doit être rappelé que le centre médical de la CPAM s'est contenté de mentionner la présence d'une prostate légèrement augmentée et de noter les troubles urinaires à titre d'anomalie, sans attirer particulièrement l'attention du patient sur ce point et sans préconiser une intervention médicale particulière. Cet avis médical ne dispensait pas le docteur [W] de procéder lui-même à l'évaluation de l'état de santé de son patient, mais permet à la cour d'observer que les particularités présentées par M. [X] n'ont pas plus inquiété le médecin de la CPAM que le médecin traitant.

En définitive, dès lors que la présence simultanée de troubles urinaires pouvant être affectés aux coliques néphrétiques et d'une prostate légèrement augmentée au toucher rectal, mais asymptomatique, ne permettait pas de suspecter une pathologie cancéreuse déclarée, il ne peut être reproché au médecin de ne pas avoir immédiatement prescrit un dosage de PSA lequel, au vu des éléments de littérature médicale produits aux débats, ne permet pas à lui seul de confirmer ou d'infirmer l'existence d'un cancer.

En revanche, le docteur [W] était tenu, en sa qualité de médecin habituel de M. [X] pendant les années 2003 à 2007, d'opérer une surveillance consciencieuse de son état de santé.

Il ne peut lui être imputé à faute de ne pas avoir opéré un dépistage systématique du cancer de la prostate sur M. [X], dès lors qu'il résulte des recommandations de l'ANAES en 1998 que les études portant sur le dépistage systématique de masse ne permettent pas de conclure non plus sur l'opportunité d'un dépistage individuel, en l'absence de tout symptôme.

Mais, ayant eu connaissance des résultats de l'examen pratiqué en décembre 2002, lequel mentionnait des troubles urinaires au titre des anomalies et faisait état d'une prostate légèrement augmentée, et indépendamment des plaintes éventuelles du patient, il lui appartenait d'assurer un suivi spécifique de celui-ci en procédant ou faisant procéder par un autre praticien à des examens ultérieurs, notamment à un toucher rectal périodique seul susceptible de contrôler la consistance de la prostate et en interrogeant son patient sur la persistance de troubles urinaires ou sur l'apparition de douleurs osseuses. Par ailleurs, les doléances de M. [X] portant sur une fatigue inexpliquée et des épisodes de malaises lors des consultations des 11 mars 2004, 19 juin 2004, 3 mars 2005, 14 avril 2005 et principalement 23 juin 2005 étaient suffisantes à alerter le docteur [W], qui dans le cadre d'investigations plus poussées, aurait du se poser la question du cancer de la prostate, lequel constitue le cancer le plus fréquent chez les hommes de plus de 50 ans, et l'amener à faire des investigations plus poussées dans cette direction ou à adresser M. [X] à un urologue.

Ce défaut de surveillance n'a entraîné pour M. [X] qu'une perte de chance d'obtenir un diagnostic plus précoce de la maladie, ainsi qu'une perte de chance de bénéficier d'un traitement plus efficace et moins lourd.

L'appréciation de la première de ces pertes de chance impose de déterminer la date à laquelle il était possible, au vu des données actuelles de la science, de poser le diagnostic de la maladie.

La cour relève que le cancer dont était atteint M. [X] était agressif, d'un type rare qui ne permet pas d'avancer des éléments statistiques, et qu'à la date de sa découverte, il avait déjà entraîné des métastases dans les os, mais ne peut retenir l'affirmation du professeur [O] [Y], urologue, selon lequel 'sachant que la progression du cancer de la prostate correspond en moyenne à un doublement de volume tumoral tous les deux ans, il est clair que la maladie devait exister fin 2002", en l'état des constatations objectives qui ne permettent pas de déterminer le volume exact de la prostate qui est décrite comme une 'grosse prostate, nodulaire et suspecte' par l'urologue ayant examiné M. [X] le 2 octobre 2007.

Dans ces conditions, et au vu des éléments produits aux débats, il y a lieu de retenir la date à laquelle M. [X] a ressenti une fatigue inhabituelle avec malaises, signant l'atteinte de son organisme par la maladie cancéreuse, soit selon les mentions figurant au dossier médical, conformes aux déclaration de M. [X], à partir de mars 2004 ( consultation du 11 mars 2004 ).

S'agissant de la perte de chance de bénéficier d'un traitement plus efficace et moins lourd, M. [X] aurait pu, grâce à un diagnostic plus précoce, bénéficier d'un traitement chirurgical radical suivi d'une courte chimiothérapie, selon l'avis des experts judiciaires non contesté par les parties, alors qu'il a été contraint de subir une tri-thérapie ( chimio-, radio- et hormono- ), lesdits experts notant que 'La radiothérapie a été à l'origine de phénomènes douloureux vésicaux et d'une asthénie et laisse comme séquelle une diminution du volume de la vessie avec une moindre souplesse qui se traduit par des mictions rapprochées et impérieuses' et que 'L'hormonothérapie est responsable d'une impuissance avec perte de libido ainsi que d'une fatigabilité avec hypersudation à l'effort ainsi que d'une discrète gynécomastie', ce traitement étant toujours en cours lors du dépôt du rapport le 2 août 2011, mais force est aussi de constater que selon les données médicales communiquées à la cour, notamment les recommandations éditées par l'ANAES en septembre 2004 dans leur partie 'Argumentaire', 'A l'heure actuelle, la littérature ne permet pas de répondre précisément si un traitement immédiat à un stade précoce améliore le pronostic individuel. La littérature ne permet pas non plus de conclure au bénéfice supérieur de l'une ou l'autre des options thérapeutiques (prostatectomie totale, radiothérapie externe et curiethérapie), en particulier dans le cadre d'un diagnostic à un stade précoce. En effet, il n'existe pas d'études randomisées comparant les différents traitements entre eux .'

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la faute du docteur [W] a entraîné pour M. [X] une perte de chance correspondant à 30% des préjudices réellement subis.

Les experts judiciaires ont fixé la date de consolidation de l'état de santé de M. [X] au 1er novembre 2009, date de sa mise en invalidité de 1ère catégorie, et estimé que celui-ci a subi les préjudices suivants en lien avec le retard de diagnostic :

- une période de déficit fonctionnel temporaire total de 9 journées, suivie d'une période d'incapacité temporaire partielle à 50% de 63 jours, puis à 25% de 176 jours, enfin de 10% pendant 184 jours,

- un déficit fonctionnel permanent de 5%,

- des pertes de gains professionnels actuels et futurs,

- une nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne pendant 383 heures,

- un pretium doloris évalué à 4/7,

- un préjudice esthétique évalué à 1/7,

- un préjudice d'agrément et un préjudice sexuel.

M. [X], né le [Date naissance 1] 1950, exerçait à l'époque des faits une activité professionnelle d'expertise en bâtiments et en problèmes mécaniques pour des sociétés d'assurance.

Dans ces conditions, il convient de fixer ainsi qu'il sera ci-après indiqué les divers préjudices de la victime, étant précisé qu'aucun des organismes de sécurité sociale appelés en la cause n'a comparu devant la cour, de sorte qu'il n'y aura pas lieu à application de l'article 25 de la loi n°2006-1640 du 21 décembre 2006, et constaté que le docteur [W] n'a pas conclu sur l'évaluation des préjudices.

PRÉJUDICES PATRIMONIAUX :

1)Pertes de gains professionnels actuels :

M. [X] propose que soient retranchés des 307 jours d'arrêt de travail le nombre de jours qui auraient été arrêtés pour maladie en cas de chirurgie prostatique, soit 90 jours, de sorte qu'il sollicite l'indemnisation de 217 jours à temps plein, auxquels il convient d'ajouter l'arrêt de travail à mi-temps thérapeutique de 185 jours et 1/2 soit, 92,5 jours pleins. Il demande l'indemnisation de 309,5 jours de travail, fixant au regard de ses chiffres d'affaires pour les années 2005 et 2006, son gain professionnel à 221,96 euros par jour.

Après déduction des indemnités journalières perçues de la CPAM de l'Aube à hauteur de 8 273,51 euros, il fixe sa perte de gains professionnels à la somme de 60 423 euros.

La société Axa France IARD conteste le revenu moyen tel que calculé par M. [X] en faisant valoir que ce dernier n'a retenu que ses deux meilleures années alors que ses revenus professionnels ont été très fluctuants de 2003 à 2007 en raison d'un licenciement, d'une période de chômage et de la création d'une activité nouvelle. La société d'assurance qui ne conteste pas les périodes d'incapacité retenues par les experts judiciaires propose d'indemniser la perte de revenus à hauteur de 29 413,6 euros, rappelant que cette somme doit nécessairement être affectée d'un coefficient de perte de chance pour pouvoir représenter le préjudice réparable.

Ce poste de préjudice a vocation à indemniser les pertes économiques subies par la victime pendant la période d'incapacité totale et/ou partielle jusqu'à sa consolidation.

En l'espèce, les parties ne contestent pas les périodes d'arrêt de travail retenues par les experts judiciaires, soit 217 jours à temps plein et 185,5 jours à temps partiel ( 50% ).

La perte de gains doit être calculée par référence aux gains perçus lors de l'année précédant l'arrêt de travail, soit l'année 2006 pour M. [X] dont la pathologie a été découverte en octobre 2007 avec démarrage immédiat d'un traitement invalidant. M. [X] justifie d'un revenu salarial de 49 313 euros, ainsi que du versement de dividendes de 26 724 euros. La perte réelle de gains ne porte que sur les salaires, les dividendes étant versées à M. [X] en sa qualité d'associé de la société et non en rémunération de son travail.

Les gains perdus s'élèvent donc à 41 848,50 euros ( 49 313 : 365 x 217 jours + 49 313 : 365 x 185,5 jours /2 ), somme de laquelle il convient de déduire les indemnités journalières versées par la CPAM de l'Aube à hauteur de 8 273,51 euros.

Après application du taux de perte de chance ( 30% ), le préjudice subi par M. [X] sera indemnisé par le versement de la somme de 10 072,50 euros.

2)Perte de gains professionnels futurs et incidence professionnelle :

M. [X] expose qu'en raison de son état de santé, il a été contraint de céder sa société, que les repreneurs lui ont permis de conserver une activité réduite en qualité de salarié, qu'il a du prendre sa retraite de manière anticipée à partir de 60 ans, continuant alors son activité sous le statut d'auto-entrepreneur. Il considère que, de la consolidation à l'âge légal de la retraite ( 65 ans ), soit au 10 janvier 2015, il a subi une perte de revenus de 21 797 euros par an, soit un total de 108 985 euros 'pour les cinq années de 2010 à 2014", qu'à partir du 10 janvier 2015, il subit un manque à gagner en raison de la réduction de sa pension de retraite, entraînant un préjudice s'élevant à un capital calculé à titre viager de 118 890 euros.

La société Axa France IARD fait valoir que les raisons du départ à la retraite de M. [X] ne sont pas connues, que cette décision a pu être prévue lors de la vente de la société intervenue en décembre 2007, que le prix de vente des parts sociales de M. [X] n'est pas connu, que par ailleurs, il ne ressort pas des constatations expertales que M. [X], qui ne subit qu'un déficit fonctionnel permanent de 5%, ne serait plus apte à travailler, que tout au plus, M. [X] ne peut prétendre qu'à un mi-temps thérapeutique, entraînant une perte de revenus de 31 000 euros sur la base d'un revenu annuel de 62 000 euros, que dès lors qu'il perçoit une retraite d'un montant équivalent, il ne peut prétendre à aucun préjudice réparable.

Il ressort du rapport d'expertise judiciaire, non contesté sur ce point, qu'après consolidation de son état, M. [X] subit à titre permanent un déficit fonctionnel de 5% résultant d'une 'discrète limitation de rotation interne de la hanche gauche et des contraintes du traitement actuellement poursuivi ainsi que du caractère fréquent et impérieux des mictions'. Les autres conclusions des experts judiciaires sur la perte de gains professionnels futurs ne ressortent pas de leur domaine de compétence, sont rédigés en mode conditionnel en reprenant les déclarations de M. [X] et au demeurant, comme il a déjà été dit, ne lient pas la cour.

M. [X] ne justifie pas que ces séquelles l'ont empêché, même partiellement, d'exercer ses activités d'expert en bâtiments et en problèmes mécaniques. Il n'établit pas plus qu'il a été contraint de céder sa société d'expertise, puis de partir à la retraite de manière anticipée, en raison de sa maladie.

Dans ces conditions, les demandes formées au titre de la perte de gains professionnels après consolidation et de l'incidence professionnelle seront rejetées.

3)Tierce personne :

Reprenant les conclusions des experts judiciaires, M. [X] fait valoir qu'il a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne pendant 383 heures en raison de la carence du médecin et qu'à raison d'un salaire net horaire de 22,40 euros, il doit être indemnisé à hauteur de 8 579 euros.

La société Axa France IARD ne conteste pas le nombre d'heures retenu par les experts judiciaires et propose la somme de 3 370 euros à titre d'indemnisation hors application du taux de perte de chance.

Le poste de préjudice d'assistance par tierce personne sera justement évalué en appliquant un taux horaire de 16 euros, M. [X] ayant besoin d'une aide pour les activités ménagères, notamment pour manipuler son bois de chauffage, et d'une petite aide à l'habillage, et non d'une aide spécialisée pour personne en situation de handicap.

L'entier préjudice étant réparé par la somme de 6 128 euros ( 383 h x 16 ), il sera accordé à M. [X] la somme de 1 838,4 euros après application du taux de perte de chance.

PRÉJUDICES EXTRA PATRIMONIAUX :

1) Déficits fonctionnels :

M. [X] sollicite une indemnisation à hauteur de 3 087 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire en appliquant une somme forfaitaire de 30 euros par jour de déficit total et de 15 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, en faisant valoir qu'il a subi des soins lourds ayant des conséquences graves sur sa vie quotidienne et son espérance de vie, qu'il y a lieu de tenir compte du préjudice moral lié à un pronostic de vie incertain, qu'il subit des limitations morphologique au niveau de la hanche et de la vessie, qu'il a du faire face à des choix à opérer entre différents traitements ayant des effets secondaires, de sorte que son déficit fonctionnel permanent ne peut être inférieur à 10 %, le point de rente devant être fixé à 1 500 euros.

La société Axa propose la somme de 2 058 euros au titre du déficit temporaire et de 4 575 euros au titre du déficit fonctionnel permanent.

Il ressort du rapport d'expertise judiciaire que M. [X] a subi un déficit fonctionnel temporaire total de 9 jours, partiel à 50% de 63 jours, partiel à 25 % de 176 jours et partiel à 10% de 184 jours.

L'indemnisation de ce préjudice sera justement évalué à hauteur de 25 euros par jour en raison de la lourdeur et du nombre des traitements ayant des effets secondaires négatifs sur la qualité de la vie. De ce fait, le préjudice est indemnisable par l'octroi de la somme de 2 572,5 euros ( 25 x 9 + 25 x 63 : 2 + 25 x 176 x 25% + 25 x 184 x 10% ) de sorte qu'après application du taux de perte de chance, il sera accordé la somme de 771,75 euros.

Le déficit fonctionnel permanent a été fixé à 5% par les experts judiciaires. Le préjudice moral dont fait état M. [X] est une composante de ce poste de préjudice dès lors qu'il est subi après consolidation. Il est certain que M. [X] subit un préjudice particulier lié à la gravité et au degré d'avancement du cancer dont il a été atteint, entraînant la crainte d'une récidive.

Compte-tenu de la présence des séquelles décrites par les experts, soit la discrète limitation de rotation interne de la hanche gauche, les contraintes du traitement hormonal toujours poursuivi ainsi que les fréquentes et impérieuses mictions, il y a lieu de fixer le taux du déficit fonctionnel permanent à 10%.

Compte-tenu de l'âge de M. [X] à la date de consolidation ( 59 ans ), le point de déficit fonctionnel doit être fixé à 1 420 euros, de sorte que l'entier préjudice serait indemnisé par la somme de 14 200 euros et qu'après application du taux de perte de chance, il sera accordé à M. [X] la somme de 4 260 euros.

2) Souffrances endurées :

M. [X] sollicite qu'il lui soit accordé la somme de 15 000 euros à ce titre. La société Axa considère que l'indemnisation ne pourrait pas être supérieure à 7 000 euros hors application du taux de perte de chance.

Il s'agit d'indemniser les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, dignité et intimité présentées et des traitements, interventions, hospitalisations qu'elle a subis depuis l'accident jusqu'à la consolidation.

Les experts judiciaires les évaluent à 4 sur une échelle de 7. Cette juste évaluation qui tient compte des douleurs osseuses pendant deux mois, des effets secondaires de la radiothérapie, de l'augmentation de sa fatigabilité en raison des trois traitements, mais aussi des souffrances psychologiques liées à l'annonce d'un cancer agressif et en phase avancée, doit entraîner une indemnisation par l'octroi de la somme de 20 000 euros.

Après application du taux de perte de chance, il sera accordé la somme de 6 000 euros.

3) Préjudice esthétique définitif :

M. [X] sollicite une indemnisation à hauteur de 1 500 euros, la société Axa propose la somme de 1 000 euros avant application du taux de perte de chance.

Au vu des éléments du dossier, et notamment de l'expertise judiciaire, ce poste de préjudice évalué à 1 sur une échelle de 7 par les experts judiciaires doit être indemnisé à hauteur de 1 500 euros, de sorte qu'après application du taux de perte de chance, M. [X] se verra accordé la somme de 450 euros.

4) Préjudice sexuel :

M. [X] fixe la réparation de son préjudice à la somme de 25 000 euros en faisant valoir que son préjudice sexuel est essentiellement la conséquence du traitement hormonal qui devra être pris à vie et qui le prive de toute relation sexuelle.

La société Axa expose que pour un préjudice affectant les trois aspects de la fonction sexuelle ( atteinte aux organes sexuels, perte de plaisir, impossibilité ou difficulté à procréer ) chez une personne jeune, il est accordé la somme de 50 000 euros, qu'en l'espèce, en cas de chirurgie précoce, il existait pour M. [X] un fort risque d'impuissance et compte-tenu de l'agressivité du cancer, une chimiothérapie et/ou hormonothérapie auraient pu être nécessaires. Elle propose une indemnisation à hauteur de 5 000 euros avant application du taux de perte de chance.

Il ressort du rapport d'expertise judiciaire qu'en cas de chirurgie précoce, M. [X] avait un fort risque d'impuissance, mais gardait sa libido et un traitement injectable pouvait lui rendre des érections et que le traitement administré lui a fait perdre toute libido et a entraîné une impuissance.

La réparation de ce poste de préjudice chez un homme âgé de 59 ans sera justement évaluée à la somme de 12 000 euros.

Après application du taux de perte de chance, il sera accordé à M. [X] la somme de 3 600 euros.

5) Préjudice d'agrément :

M. [X] fait valoir qu'il a été contraint de limiter ses activités sportives de moitié dans un premier temps et qu'aujourd'hui, il ne peut plus pratiquer aucun sport du fait de l'hormonothérapie qui induit une grande fatigabilité avec une hyper-sudation.

La société Axa considère qu'en raison de l'atteinte physique extrêmement limitée décrite par les experts, il y a lieu de rejeter ce poste de préjudice.

Le préjudice d'agrément répare l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir.

Il est établi par la mention figurant dans le dossier médical de M. [X] tenu par le docteur [W] et par une attestation émanant du comité d'organisation de la course Paris-Versailles que M. [X] pratiquait régulièrement la course à pied.

Compte-tenu du fait que ce sport reste accessible à tous les âges de la vie, mais aussi des séquelles subies par M. [X] qui ne constituent pas une contre-indication à la pratique de ce sport, seuls les effets secondaires de l'hormonothérapie étant un frein à cette activité physique, il y lieu de dire que ce poste de préjudice sera justement réparé par l'octroi de la somme de 2 000 euros.

Après application du taux de perte de chance, il sera accordé à M. [X] la somme de 600 euros.

En dernier lieu, il ne sera pas fait droit à la demande distincte formée par M. [X] en réparation d'une perte de chance en l'absence de preuve d'un préjudice spécifique qui n'aurait pas encore été indemnisé.

S'agissant de dettes indemnitaires, les intérêts demandés sur les sommes accordées seront calculés au taux légal à compter du présent arrêt, les circonstances de la cause n'imposant pas qu'il soit dérogé à la règle de principe édictée par l'article 1153-1 devenu 1231-7 du code civil.

La capitalisation des intérêts, dès lors qu'elle est demandée, sera accordée.

La provision déjà versée à M. [X] à hauteur de 15 000 euros sera déduite des sommes dues.

Le docteur [W] et la société Axa France IARD qui succombent supporteront les dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire.

Il serait inéquitable de laisser totalement à la charge de M. [X] les frais irrépétibles engagés pour la présente procédure. Il lui sera accordé la somme de 7 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par décision rendue par défaut,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de nullité des rapports d'expertise judiciaire ;

Infirme le jugement déféré en ses autres dispositions ;

En conséquence, statuant à nouveau,

Dit que le docteur [K] [W] a manqué à son obligation de surveillance ;

Dit que ce manquement a entraîné pour M. [X] une perte de chance d'obtenir un diagnostic plus précoce de la maladie, ainsi qu'une perte de chance de bénéficier d'un traitement plus efficace et moins lourd ;

Condamne le docteur [W] et la société Axa France IARD solidairement à payer à M. [X] les sommes suivantes en réparation de ses préjudices :

- pertes de gains professionnels actuels : 10 072,50 euros ;

- tierce personne : 1 838,40 euros ;

- déficit fonctionnel temporaire : 771,75 euros ;

- déficit fonctionnel permanent : 4 260 euros ;

- souffrances endurées : 6 000 euros ;

- préjudice esthétique : 450 euros ;

- préjudice sexuel : 3 600 euros ;

- préjudice d'agrément : 600 euros ;

Dit que la provision versée à M. [X] viendra en déduction de ces sommes ;

Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et qu'ils seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 devenu 1343-2 du code civil ;

Dit le présent arrêt opposable à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aube et de la haute Marne ;

Condamne le docteur [W] et la société Axa France IARD in solidum à verser à M. [X] la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne le docteur [W] et la société Axa France IARD in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais de l'expertise judiciaire ;

Rejette toute autre demande.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 16/20118
Date de la décision : 25/01/2018

Références :

Cour d'appel de Paris C2, arrêt n°16/20118 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-01-25;16.20118 ?
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