Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 11 JANVIER 2018
(n° 2018 - , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/07377
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Mars 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/17896
APPELANT
Monsieur [G] [D]
Né le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2016/016289 du 22/06/2016 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
Représenté par Me Barbara DELEUZE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1213, substitué à l'audience par Me Teddy COHEN, avocat au barreau de PARIS, toque : D2096
INTIME
Monsieur [Z] [U]
Né le [Date naissance 2] 1967 à [Localité 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065
Assisté à l'audience de Me Patrick DE FONTBRESSIN de la SELARL FONTBRESSIN AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1305
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 novembre 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre et de Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère, chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre
Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère
Madame Isabelle CHESNOT, conseillère
qui en ont délibéré
Greffière, lors des débats : Madame Fatima-Zohra AMARA
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Hélène POINSEAUX, présidente et par Mme Fatima-Zohra AMARA, greffière présente lors du prononcé.
***********
Vu l'appel interjeté le 25 mars 2016, par M. [G] [D] d'un jugement en date du 9 mars 2016, par lequel le tribunal de grande instance de Paris a débouté M. [D] de l'ensemble des ses demandes dirigées contre M. [U], expert judiciaire, en réparation des préjudices causés par les erreurs commises par celui-ci dans les conclusions de son rapport d'expertise du 13 novembre 2012 et l'a condamné à lui payer une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 10 novembre 2017 aux termes desquelles M. [G] [D] demande à la cour, au visa des articles 1382 et 1383 du code civil, d'infirmer le jugement déféré et statuant à nouveau :
- Dire et juger que M. [Z] [U] a engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard de M. [G] [D],
- dire que celui-ci a commis des fautes délictuelles dans l'accomplissement de la mission qui lui a été confiée par ordonnance du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Bobigny du 24 juillet 2012 ayant abouti au rapport d'expertise déposé le 13 novembre 2012,
- dire que ces fautes sont à l'origine d'un préjudice pour M. [G] [D], de sorte qu'elles engagent la responsabilité civile de M. [Z] [U] sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
En conséquence,
- condamner M. [Z] [U] à réparer l'intégralité du préjudice subi par M. [D] :
' 10 000 000 € au titre de la perte de chance liée au préjudice corporel,
'100 000 € en réparation du préjudice matériel,
' 10 000 000 € en réparation du préjudice moral,
' 4 193 132 € au titre de la perte de chance liée au préjudice professionnel,
sommes augmentées des intérêts légaux à compter de la date de délivrance de la présente assignation,
- débouter M. [U] de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts fondée sur le caractère abusif de la présente procédure,
- le condamner à lui verser la somme de 10 000 euros, par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,
A titre subsidiaire, il est demandé à la cour :
- Désigner, tel expert ou collège d'experts qu'il lui plaira,
- débouter M. [Z] [U] de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions tant irrecevable que subsidiairement mal fondé,
- le condamner aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront la taxe de 150 euros selon le décret n° 2011-2012 du 28 septembre 2011 et le condamner à payer à M. [G] [D] la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 13 novembre 2017, par M. [Z] [U] tendant à voir, pour l'essentiel, confirmer le jugement déféré et y ajoutant :
- Condamner M. [G] [D] à lui payer la somme de 5 000 euros en réparation des troubles occasionnés par la présente procédure, eu égard à son caractère abusif,
- le condamner à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des dépens de l'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par Maître Etevenard.
Vu l'ordonnance sur incident du magistrat chargé de la mise en état du 23 mars 2017 qui a débouté M. [D] d'une demande d'expertise portant sur l'expertise de M. [U] et l'a condamné à payer à ce dernier une somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR :
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties, il convient de rappeler que :
* Le 21 août 2009 à 00 h 55, à 1'intersection de la [Adresse 3] et de la [Adresse 4], s'est produit un accident de la circulation impliquant le véhicule automobile de marque Mercedes, modèle Classe E, conduit par Mme [H] [O], et la motocyclette de marque Suzuki, modèle Hayabusa, conduite par M. [G] [D], qui transportait une passagère, Mme [N] [V] ; M. [D] a été grièvement blessé et garde des séquelles de cet accident ;
* le 24 juillet 2012, le juge d'instruction saisi de l'accident a désigné M. [U] en qualité d'expert lequel a déposé un rapport le 13 novembre 2012 concluant que la cause principale de l'accident est une vitesse non adaptée de la motocyclette ;
* le 24 juillet 2013, le juge d'instruction a désigné deux autres experts, M. [P] [H] et M. [F] [B], lesquels, après une reconstitution de l'accident, ont déposé un rapport concluant également à une vitesse excessive de la moto, mais aussi à une manoeuvre dangereuse de la conductrice adverse ;
* le 28 août 2015 le juge d'instruction a prononcé un non-lieu, confirmé par la cour d'appel par un arrêt du 25 novembre 2015 ;
* le 28 novembre 2014, M. [D] a fait assigner M. [U] en réparation du préjudice causé par les nombreuses erreurs, traduisant un manque de sérieux, de diligence et de prudence à l'origine d'une évaluation erronée de la causalité de l'accident ;
* le 9 mars 2016 est intervenu le jugement dont appel.
M. [D] fait valoir que l'expert désigné par une juridiction engage sa responsabilité personnelle à raison des fautes commises dans l'accomplissement de sa mission, conformément aux règles de droit commun de la responsabilité civile, que M. [U] n'a pas employé une méthode de travail sérieuse, que son rapport révèle des insuffisances et grossières erreurs techniques que n'aurait pas commis un autre expert normalement avisé.
Il relève une première faute tenant au calcul aberrant et erroné de la vitesse de la moto et reproche en second lieu à l'expert d'avoir fait usage, pour étayer sa démonstration, d'une photo qu'il a
délibérément présentée comme contemporaine de l'accident, alors qu'elle a été prise trois ans après les faits.
M. [D] estime que ce rapport d'expertise a été à l'origine des réquisitions de non-lieu du parquet et que le lien de causalité est d'autant plus évident que le rapport d'expertise très technique s'imposait par son caractère affirmatif, de sorte qu'il ne peut être remis en cause que par l'intervention d'autres experts, et que toute la procédure d'indemnisation des préjudices de M. [D] s'en est donc trouvée affectée, puisque celui-ci n'a pas pu se constituer partie civile devant la juridiction répressive de jugement.
M. [U] répond que les experts [H] et [B] désignés par ordonnance du juge d'instruction du 6 novembre 2013 ont déposé le 4 février 2015 un rapport qui concluait que l'origine de cet accident relève d'un défaut de maîtrise de la part de M. [D] et d'une conduite inadaptée de la part des deux conducteurs impliqués.
Il ajoute que l'ordonnance de non-lieu confirmée par la cour d'appel indique qu'il résulte des constatations, des témoignages et des expertises 'que M. [D] roulait à une vitesse très excessive et n'a pas marqué l'arrêt imposé au stop.
Il précise que son rapport, qui n'a pas fait l'objet d'une annulation, ni de grief de la part du juge d'instruction et de la chambre de l'instruction, exclusif de toute faute, n'a constitué qu'un élément parmi les autres pièces du dossier pénal ayant été de nature à déterminer la juridiction répressive quant au rejet de la constitution de partie civile de M. [D], le juge n'étant en aucune manière lié par les conclusions de l'expert, ainsi que n'a pas manqué de le souligner le tribunal en première instance.
Il est constant que tout expert judiciaire est tenu d'être normalement prudent, diligent, attentif et informé, et d'accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité.
La responsabilité personnelle d'un expert judiciaire peut être engagée, à raison des fautes qu'il a commises dans l'accomplissement de sa mission, conformément au droit commun de la responsabilité civile.
Il appartient à M. [D] de démontrer l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre cette faute et le préjudice allégué.
Sur la faute
Il ressort de la lecture de l'ensemble des rapports produits que l'accident s'est produit à l'intersection de la [Adresse 3] empruntée par M. [D] et de la [Adresse 4]e empruntée par Mme [O].
Il ressort des différentes photographies annexées qu'à l'angle de ces deux rues se trouve un bâtiment industriel sur lequel est apposé un panneau 'Novacolor' côté [Adresse 3] par laquelle la moto est arrivée.
Il résulte du croquis établi par les services de police le jour de l'accident que les corps de M. [D] et de sa passagère ont glissé sur la chaussée pour aller s'encastrer dans des poteaux métalliques protégeant le coin opposé dans la [Adresse 4].
C'est dès lors d'une manière tout à fait erronée que l'expert, se trompant de sens, a situé la position des corps des victimes sous le panneau 'Novacolor', la photographie annexée à son rapport où l'on voit deux poteaux ainsi que le panneau 'stop' pliés à la suite d'un choc n'ayant aucun rapport avec l'accident du 21 août 2009, le point de choc se situant au-delà de la ligne blanche du 'stop' bien visible sur la photo.
Il s'en déduit que le raisonnement de l'expert pour calculer la vitesse de la motocyclette à partir de la vitesse d'éjection des motocyclistes elle même calculée à partir de l'énergie nécessaire pour plier les poteaux n'est pas pertinent.
Cependant il résulte des déclarations de la passagère de la motocyclette elle-même que M. [D] 'ne roulait pas vite entre 70 et 90 km/h'.
S'agissant des photographies des lieux de l'accident sur lesquelles l'expert a travaillé, il ressort des écritures de M. [D] qu'elles ont été prises par ce dernier en juin 2012 en vue de préparer son audition et remises au juge d'instruction pour être intégrées à la procédure.
Dans ces conditions, il ne peut être reproché à l'expert d'avoir volontairement utilisé des documents photographiques postérieurs à l'accident en les présentant délibérément comme contemporains de celui-ci.
M. [D] reproche également à l'expert de n'avoir pas relevé qu'un airbag ne se déclenche qu'en cas de décélération brutale de sorte qu'il était impossible que la vitesse de la voiture ne soit que de 10 kilomètres heure.
Il estime que M. [U] n'a pas correctement pris en considération les déformations du capot moteur et de la face avant gauche lesquelles démontrent une composante vitesse dans le sens longitudinal du véhicule dans le sens de la circulation.
Le rapport d'accident précise que les services de police ont relevé une trace de gomme correspondant à une motocyclette dans son sens d'avancement et M. [D] reproche à l'expert de n'avoir fait aucun comparatif avec les roues de sa moto avant de se servir de cet élément pour en évaluer la vitesse.
Les experts en accidentologie [H] et [B], désignés eux aussi par le juge d'instruction, ont opéré une reconstitution des faits tels qu'ils ont pu raisonnablement se produire au vu des éléments recueillis au moment de l'accident.
Ces experts sont formels sur le fait que c'est la moto qui a heurté le véhicule et non le contraire, que le choc a été latéral, seul l'airbag latéral s'étant déclenché, que le véhicule Mercedes qui s'apprêtait à tourner à gauche n'était pas dans son couloir de circulation et avait délibérément coupé l'intersection.
S'agissant de la trace de freinage, les experts ont relevé l'absence de système de freinage ABS d'origine sur la moto et indiqué que, par conséquent, lors d'un freinage appuyé, des traces de pneumatiques pouvaient être laissées sur la chaussée, ce qui a été le cas. Ils ont relevé que sur les plans des lieux dressés par les policiers qui ne sont pas cotés, la trace de frein paraît s'arrêter immédiatement avant la bande blanche du 'Stop' et que cela résulte du fait que c'est la roue arrière de la moto qui s'est bloquée.
Cette seconde expertise a établi qu'au moment de la collision, la vitesse de la moto était comprise entre 37 et 41 km/h et celle du véhicule Mercedes quasiment nulle, initialement les vitesses étant respectivement de 75 Km/h pour la moto et 25 Km/h pour le véhicule Mercedes, et a conclu que les causes de l'accident apparaissent résulter d'une vitesse excessive de la motocyclette au regard de la configuration des lieux et d'une manoeuvre dangereuse de la part de la conductrice du véhicule Mercedes, qui circulait initialement en sens inverse et a anormalement coupé l'intersection où se sont produit les faits.
Cette deuxième expertise a dès lors en partie confirmé les conclusions de M. [U] en dépit de l'erreur manifeste relevée quant au sens de circulation des véhicules et au mode de calcul de la vitesse de la motocyclette.
Sur le lien de causalité
L'ordonnance de non-lieu du 28 août 2015 retient qu'il résulte des constatations, des témoignages et des expertises que M. [D] roulait à une vitesse excessive et n'a pas marqué l'arrêt imposé au 'Stop' et qu'il a donc commis des fautes directes qui ont occasionné l'accident.
Le 25 novembre 2015, la cour d'appel de Paris a confirmé le non-lieu en considérant qu'au-delà des déclarations d'[G] [D], il résulte de la configuration des lieux, de la trace de freinage, de la déformation des véhicules, que le conducteur de la moto n'a pas respecté le signal d'arrêt absolu au stop et qu'à supposer que [H] [O] ait positionné son véhicule sur une voie de circulation en sens inverse pour amorcer un virage, cette manoeuvre ne constitue qu'une faute d'imprudence simple sans causalité certaine avec le dommage, car il n'est pas démontré qu'un positionnement différent aurait permis d'éviter l'accident.
Force est de constater que les erreurs commises par M. [U] dans l'accomplissement de sa mission ne sont pas à l'origine de la décision de non-lieu privant M. [D] de la possibilité de réclamer la réparation de son préjudice matériel et surtout corporel devant la juridiction pénale.
Les avis non contradictoires de M. [A] et de M. [W], qui critiquent sévèrement le travail de leur confrère, ne sont pas de nature à contredire cet état de fait, pas plus que la teneur du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bobigny le 26 septembre 2017 qui, saisi par Mme [O] de la réparation des conséquences de l'accident au plan civil, s'appuyant sur les mêmes éléments de preuve, a réduit le droit à réparation de celle-ci à hauteur de 10% après avoir relevé qu'elle a contribué à son propre dommage en franchissant l'axe médian de la chaussée, ce qui constitue une faute d'imprudence.
Cette juridiction, statuant en application de la loi du 5 juillet 1985, a retenu que le droit à indemnisation de M. [D], conducteur de l'autre véhicule impliqué dans l'accident, était réduit de 50%, en ne retenant pas qu'il était établi que celui-ci avait conduit à une vitesse excessive, mais en tenant pour démontré qu'il n'avait pas marqué l'arrêt au 'Stop', et ordonné une expertise médicale tant sur la personne de Mme [O] que de M. [D] aux fins d'évaluer leurs préjudices corporels respectifs.
Dans ces conditions le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 9 mars 2016 sera confirmé en toutes ses dispositions.
Sur la demande de dommages et intérêts
M. [U] ne démontre pas, au vu des erreurs contenues dans son rapport, que l'exercice par M. [D] de son droit d'appel a pu dégénérer en abus de droit. Il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Sur les autres demandes
L'équité ne commande pas qu'il soit fait droit à la demande présentée en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, M. [U] ayant déjà obtenu une somme de 4 000 euros à ce titre du tribunal de grande instance.
M. [D] sera condamné aux entiers dépens de l'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 9 mars 2016.
Rejette toute autre demande.
Condamne M. [G] [D] aux entiers dépens de l'appel qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE