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23/11/2017 | FRANCE | N°16/19083

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 23 novembre 2017, 16/19083


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRÊT DU 23 NOVEMBRE 2017



(n° 2017- , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/19083



Décision déférée à la Cour : Arrêt rendu le 10 septembre 2015 - Cour de Cassation - Pourvoi n° B 14-24.690

Arrêt rendu le 12 juin 2014 - Cour d'appel de VERSAILLES - RG n° 12/04337

Jugement rendu le 15 Juin 2012 -Tribunal de Gra

nde Instance de NANTERRE - RG n° 10/02591





APPELANTS



Monsieur [S], [A], [K], [J] [Y]

Né le [Date naissance 1] 1952 à[Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 2]



ET
...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2

ARRÊT DU 23 NOVEMBRE 2017

(n° 2017- , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/19083

Décision déférée à la Cour : Arrêt rendu le 10 septembre 2015 - Cour de Cassation - Pourvoi n° B 14-24.690

Arrêt rendu le 12 juin 2014 - Cour d'appel de VERSAILLES - RG n° 12/04337

Jugement rendu le 15 Juin 2012 -Tribunal de Grande Instance de NANTERRE - RG n° 10/02591

APPELANTS

Monsieur [S], [A], [K], [J] [Y]

Né le [Date naissance 1] 1952 à[Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

ET

Monsieur [I], [K], [E] [Y]

Né le [Date naissance 2] 1954 à [Localité 2]

[Adresse 3]

[Adresse 2]

Représentés par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistés à l'audience de Me Cyril LAROCHE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1605

INTIMÉE

La COMMUNE DE COLOMBES

[Adresse 4]

[Adresse 5]

Représentée par Me Anne-marie MAUPAS OUDINOT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0653

Assistée à l'audience de Me Laurent SERY de la SELAS ADAMAS-AFFAIRES PUBLIQUES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0291

INTERVENANT VOLONTAIRE :

Monsieur [D], [B], [P] [Y]

Né le [Date naissance 3] 1990 à [Localité 3]

[Adresse 6]

[Adresse 7]

Représenté par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assisté à l'audience deMe Cyril LAROCHE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1605

COMPOSITION DE LA COUR :

Madame Isabelle CHESNOT, conseillère, ayant préalablement été entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 octobre 2017, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre

Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère

Madame Isabelle CHESNOT, conseillère

qui en ont délibéré

Greffière, lors des débats : Madame Fatima-Zohra AMARA

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente et par Madame Fatima-Zohra AMARA, greffière présente lors du prononcé.

***************

La Ville de Colombes a conclu le 25 juin 1979 avec MM. [K] [Y], [I] [Y], [S] [Y] et [P] [N] un contrat de délégation de l'exploitation des marchés aux comestibles communaux ( marchés du [Adresse 8], [Adresse 9] et de [Adresse 10] ), notamment la charge et le monopole de percevoir les droits de place, de stationnement, de déchargement et autres taxes dues par les usagers.

Ce contrat a fait l'objet de plusieurs avenants pour modifier le périmètre des marchés et prévoir, dans une certaine mesure, une augmentation des droits de place perçus par les consorts [Y] et [N].

Au décès de Madame [N], trois de ses héritiers, [I], [S] et [P] [Y], ont poursuivi l'exécution du contrat. [P] [Y] étant décédée en [Date décès 1], son fils M. [D] [Y], seul héritier, est venu aux droits de sa mère.

En 1987, dans le but de rationaliser l'exploitation de l'entreprise et de la représenter auprès des villes avec lesquelles l'indivision était liée par contrat, les indivisaires ont constitué la société anonyme Les Fils de Madame [N]. Ils ont, par un acte sous-seing-privé en date du 30 novembre 1987, donné à cette société, dénommée [N] Gestion depuis 2003, un mandat général de gestion des divers contrats de délégation qu'ils avaient conclus indivisément.

Le contrat de délégation de l'exploitation des marchés communaux de Colombes mettait à la charge des délégataires, outre le paiement d'une redevance d'exploitation, le financement intégral des travaux d'aménagement du marché du [Adresse 8] par le paiement d'une redevance complémentaire annuelle égale aux annuités des différents emprunts souscrits par la commune pour les travaux d'aménagement du marché du [Adresse 8] lesquels ont été réalisés par la ville.

Aux termes de l'article 30 de ce contrat, Le présent traité aura une durée de 30 ans commençant à courir le 1er octobre 1979 sous réserve de l'approbation préfectorale dans les délais. Il se continuera ensuite par tacite reconduction pour une période de 10 ans à moins que la ville ne préfère rembourser, à la fin des trente premières années, le quart du total des redevances versées, en application de l'article 27, valorisées durant les quinze dernières années d'un intérêt au taux de 9% calculé selon la méthode à intérêts composés.

Par courrier du 29 septembre 2009, après délibération du conseil municipal du 24 septembre précédent, la commune de Colombes a informé la société Les fils de Madame [N] de sa décision de ne pas reconduire le contrat de concession en raison de la nullité de la clause de reconduction tacite prévue par l'alinéa 2 de l'article 30 de la convention qui entraînerait également la nullité des dispositions relatives à l'indemnisation à hauteur de 2 169 585,75 euros réclamée par les consorts [Y] dans le cas où le terme du contrat était fixé au bout de la période initiale de 30 ans soit le 1er octobre 2009.

Devant le refus de la commune de leur verser une indemnité correspondant à la valeur résiduelle de leur contribution financière, MM. [I] [Y] et [S] [Y] 'agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentant des consorts [Y] et [N], concessionnaires de droits communaux, exerçant le commerce sous l'enseigne Les fils de Madame [N]' ont par acte du 18 février 2010, assigné la commune de Colombes devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin de la voir condamner au paiement d'une indemnité de résiliation de 2 169 585,75 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 juillet 2009 et capitalisation des intérêts échus.

Par jugement du 10 juin 2011, le tribunal de grande instance de Nanterre a fait une réouverture des débats et, relevant que la mention 'les consorts [Y] et [N]' était en elle-même insuffisante au regard des prescriptions de l'article 648-2 du code de procédure civile, a enjoint à MM. [I] [Y] et [S] [Y] de préciser l'identité exacte des personnes aux noms desquelles ils indiquent agir et de justifier leurs qualités à les représenter en justice.

Par jugement du 15 juin 2012, le tribunal de grande instance de Nanterre a :

-déclaré irrecevable l'exception de nullité de l'assignation soulevée par la commune de Colombes ;

-déclaré irrecevable, pour défaut de preuve du droit d'agir, l'action de MM. [I] [Y] et [S] [Y] ;

-dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

-condamné MM. [I] [Y] et [S] [Y] aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le tribunal a essentiellement constaté que MM. [I] [Y] et [S] [Y] n'établissaient toujours pas, d'une part que la SARL Les fils de Madame [N] n'aurait pas qualité pour exercer la présente action en justice, d'autre part à supposer que les quatre personnes physiques initialement parties au contrat aient conservé cette qualité, que les demandeurs seraient devenus les deux seules personnes physiques parties au contrat pour s'être fait céder les droits des autres indivisaires.

MM. [I] et [S] [Y] ont fait appel de cette décision.

La cour d'appel de Versailles a, par arrêt du 12 juin 2014, confirmé le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action intentée par les consorts [Y] à l'encontre de la commune de Colombes, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et condamné les appelants aux entiers dépens avec distraction.

Sur pourvoi de MM. [I] [Y] et [S] [Y], la Cour de cassation a, par arrêt du 10 septembre 2015, cassé l'arrêt de la cour d'appel de Versailles en toutes ses dispositions, renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris, condamné la commune de Colombes aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de MM. [I] [Y] et [S] [Y].

Après avoir indiqué que 'pour déclarer irrecevable leur action, après avoir relevé qu'à la suite du décès de [K] [Y] et de la cession par M. [P] [N] de ses parts, l'indivision exploitant la concession était composée de MM. [I] [Y] et [S] [Y] et Mme [P] [Y], l'arrêt énonce qu'il ne résulte d'aucune pièce versée aux débats que celle-ci leur aurait cédé ses droits dans l'indivision ou qu'ils seraient seuls titulaires de l'intégralité des droits indivis et auraient de plein droit qualité pour agir au nom de l'indivision', la Cour de cassation a jugé, au visa de l'article 815-2 du code civil, 'qu'en statuant ainsi, alors que l'action en paiement d'une indemnité de résiliation, consécutive à la décision d'une commune de ne pas reconduire un contrat de concession, entre dans la catégorie des actes conservatoires que tout indivisaire peut accomplir seul, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé'.

La présente cour a été saisie de l'affaire après cassation le 22 septembre 2015.

Par conclusions signifiées le 4 septembre 2017, M. [D] [Y] déclare intervenir volontairement à l'instance.

Au terme de ces mêmes conclusions, MM. [I] [Y], [S] [Y] et [D] [Y] ( ci-après les consorts [Y] ) demandent à la cour de :

- Déclarer recevable et bien fondé M. [D] [Y] en son intervention volontaire ;

-infirmer le jugement entrepris,

Vu les principes qui sous-tendent les dispositions de l'article 1134 du code civil,

Statuant à nouveau,

-condamner la ville de Colombes au paiement d'une indemnité de résiliation de 2 169 585,75 euros, augmentée des intérêts de droit à compter de la date de la demande adressée au maire le 13 juillet 2009, capitalisés année par année conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil par application des stipulations de l'article 30 du contrat et, en tout état de cause, sur le fondement des règles générales applicables aux contrats administratifs ;

-rejeter toutes conclusions contraires de la ville de Colombes ;

-condamner la ville de Colombes à verser une indemnité de 91 170 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

-condamner la ville de Colombes aux entiers dépens de première instance et d'appel et ordonner la distraction au profit de maîtres Pellerin-de Maria-Guerre conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

En premier lieu, ils soutiennent que leur qualité et leur intérêt à agir sont indiscutables en ce que : Le contrat de concession a été expressément conclu avec MM. [E] [Y], [K] [Y] et [P] [N] agissant en leurs noms propres et en indivision, certaines dispositions contractuelles (articles 36 et 41) prenant cette particularité en considération et en insistant sur l'importance de la poursuite de l'exploitation ; au demeurant, ils démontrent au moyen des pièces communiquées qu'ils sont, soit héritiers, soit cessionnaires de droits indivis et qu'ils ont indiscutablement qualité pour agir ensemble ; la Cour de cassation a bien considéré que les membres de l'indivision sont parties au contrat d'exploitation et recevables à agir en cette qualité pour obtenir l'application de la clause indemnitaire de l'article 30 ; la société Les fils de Madame [N] n'a pas qualité à agir, dès lors qu'elle n'est que gestionnaire mandatée par les titulaires des contrats conclus par les différentes personnes physiques ou morales qui constituent le « Groupe [N] » ; ils ne peuvent pas rapporter une preuve négative et démontrer qu'ils n'ont pas cédé le contrat ; la charge de la preuve pèse sur la commune qui leur dénie toute qualité à agir ; les termes employés dans le courrier adressé par la commune aux concessionnaires le 29 septembre 2009 sont insuffisants à prouver l'existence d'une cession du contrat ; la commune a toujours été informée de l'existence d'un mandat au profit de la société Les fils de Madame [N] et elle se contredit dans le cadre de la présente instance pour avoir auparavant, dans une instance opposant les mêmes parties devant le tribunal de grande instance de Nanterre, affirmé que la société Les fils de Madame [N] n'était que mandataire des indivisaires ; il n'y a pas eu cession tacite des droits indivis au profit de la société.

Ils affirment que l'intervention de M. [D] [Y] est recevable puisqu'elle est accessoire et que ce dernier a intérêt à agir en application des dispositions de l'article 330 du code civil, que celui-ci n'élève aucune prétention distincte de celles de MM. [I] et [S] [Y], qu'il intervient en qualité de titulaire de droits indivis sur l'exploitation du traité afin d'obtenir, comme les autres membres de l'indivision, une seule et même indemnité, qu'il a un intérêt légitime à soutenir MM. [I] et [S] [Y] pour la conservation de leurs droits.

En second lieu, sur le fondement de la créance dont ils demandent paiement, les consorts [Y] exposent les arguments suivants :

-Le contrat conclu avec la ville est un contrat administratif particulier, s'agissant d'une délégation de la perception des droits de place assortie de l'obligation de réaliser ou de financer certains travaux ; il ne constitue pas un contrat de concession portant sur un service public, l'activité des marchés étant par essence de nature privée et commerciale ;

-le juge judiciaire est compétent pour trancher les litiges relatifs à l'exécution du contrat en raison d'une clause spéciale d'attribution ;

-selon un principe fondamental du droit des contrats administratifs, le délégataire bénéficie, en fin de contrat et quel que soit le motif de la fin du contrat, même dans l'hypothèse d'une déchéance, d'un droit absolu au versement d'une indemnité qui, a minima, couvre la valeur résiduelle des investissements consentis ; le principe d'indemnisation de la valeur résiduelle des investissements est applicable en cas de résiliation, mais aussi de non renouvellement d'un contrat ;

-la commune intention des parties était que le financement des infrastructures des marchés soit amorti sur une durée de 40 ans ; elle est exprimée à l'article 30 du contrat qui constitue une clause de rachat contractuel à la discrétion de la commune ;

-si le juge judiciaire est compétent pour trancher les litiges relatifs aux contrats de délégation de la perception des droits de place, en revanche, il est incompétent pour apprécier la légalité de leurs clauses ; la contestation de la légalité d'un acte administratif doit donner lieu à un renvoi préjudiciel à la juridiction administrative ; il s'agit d'une exception de procédure au sens de l'article 73 du code de procédure civile et elle est soumise à la prescription prévue par l'article 74 du même code ; en l'espèce, la commune de Colombes est irrecevable à présenter cette exception, faute d'avoir saisi le juge de la mise en état, exclusivement compétent et par des conclusions qui lui sont spécialement adressées et qui ont été régularisées avant toutes conclusions au fond ;

-il y a lieu de faire application du contrat eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles ;

-la légalité de l'article 30 n'est pas affectée par l'interdiction des renouvellements tacites qui est inscrite depuis 1993 à l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales ; l'interdiction des clauses de renouvellement tacite est sans incidence sur les clauses d'indemnisation des investissements non amortis ; en tout état de cause, eu égard à l'exigence de la loyauté des relations contractuelles, l'irrégularité invoquée par la commune de Colombes n'est pas d'une gravité telle qu'il y ait lieu d'écarter l'application du contrat ;

-les parties sont libres de définir la durée d'amortissement des biens financés, sous la seule réserve de l'erreur manifeste d'appréciation ; cette durée peut coïncider ou non avec la durée de l'amortissement comptable des investissements.

Puis, sur le quantum de la créance, les consorts [Y] font valoir que :

-Le montant de l'indemnité a été fixé par le contrat en son article 30 qui exprime la commune intention des parties et doit être mise en 'uvre par le juge ; la commune n'a jamais contesté les bases ou le mécanisme de calcul de l'indemnité dont la valeur en euros représente à la fin de la 30ème année la somme de 2 169 585,75 euros ;

-le calcul prévu par les stipulations de l'article 30 n'est nullement forfaitaire ; il n'y a pas de « disproportion manifeste » entre l'indemnité et le préjudice subi ; en l'espèce, cette indemnité est représentative du préjudice qui résulte des 10 années manquantes sur les quarante prévues et de l'impossibilité de résorber les déficits du fait de l'interruption du contrat avant l'expiration de la durée contractuelle de l'investissement ; la réparation de ce préjudice ne pouvait qu'être égale au quart des sommes investies en monnaie constante, actualisées pour tenir compte du coût du portage du financement de l'investissement qui profite désormais à la ville ;

En dernier lieu, les consorts [Y] s'opposent à la demande d'expertise sollicitée afin de calculer l'indemnité contractuelle, dès lors que les termes du contrat sont clairs et que le calcul de l'indemnité est une simple opération arithmétique.

Selon conclusions signifiées le 19 septembre 2017, la commune de Colombes sollicite de la cour, outre divers dire et juger qui ne sont que la reprise de ses moyens, qu'elle :

A titre principal,

-déclare irrecevable l'intervention volontaire de M. [D] [Y] ;

-confirme le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 15 juin 2012 qui a déclaré les consorts [Y] irrecevables à agir, au visa de l'article 122 du code de procédure civile ;

-en conséquence, déboute les consorts [Y] de l'intégralité de leurs demandes ;

en toute hypothèse,

-dise la demande en paiement d'une indemnité de résiliation non fondée ;

en conséquence,

-déboute les consorts [Y] de l'ensemble de leurs demandes ;

A titre subsidiaire, si la cour estimait fondée la demande d'indemnisation,

-ordonne une mesure d'expertise dans les conditions décrites au dispositif des conclusions aux fins de calcul de l'indemnité au regard de la valeur non amortie des biens de retour ou des investissements supportés par le concessionnaire ou conformément aux clauses contractuelles ;

En tout état de cause,

-condamne in solidum les consorts [Y] à lui verser la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

-condamne in solidum les consorts [Y] aux entiers dépens de première instance, d'appel, de cassation et de renvoi qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

A titre principal, la ville de Colombes soutient au titre de l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de M. [D] [Y] qu'il appartient à ce dernier de démontrer la recevabilité de son intervention, que, comme les autres intimés, il n'a pas qualité à agir relativement au contrat et qu'il ne dispose d'aucun intérêt à agir, le contrat initial ayant été conclu intuitu personae et le changement des cocontractants n'ayant pas été consenti par le conseil municipal qui n'a pas été avisé de la cession du contrat à son profit.

La commune de Colombes relève aussi, à l'instar du tribunal de grande instance de Nanterre, que les consorts [Y] qui ne produisent aucun élément à l'appui de leurs affirmations ne permettent pas au juge de vérifier que contrairement aux apparences, la SARL Les fils de Mme [N] ne serait pas devenue partie contractante et que leurs explications sur le droit à agir de MM. [I] et [S] [Y] étaient tout aussi incertaines. Elle soutient que la Cour de cassation a censuré le raisonnement du juge d'appel, mais n'a pas admis pour autant la qualité à agir des consorts [Y] et n'a pas invalidé le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre. Elle affirme que :

-le traité liant les parties a été tacitement cédé à la SARL Les fils de Madame [N] ; la cession tacite de la part de la personne publique est parfaitement admise en droit administratif ; en l'espèce, une telle cession est bien intervenue, la société Les fils de Madame [N] étant la seule avec laquelle la commune a entretenu des relations régulières et ce, jusqu'à expiration du contrat ;

-à supposer que le contrat n'ait pas été cédé, les consorts [Y] ne démontrent pas avoir qualité pour agir au sens de l'article 32 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire, la commune de Colombes s'oppose à la demande en paiement d'une indemnité en contestant la légalité de l'article 30 du contrat. Elle affirme que le principe de loyauté contractuelle ne peut avoir pour effet d'obtenir l'application d'une stipulation entachée de nullité, ce qui est le cas de l'article 30 dès lors que les clauses prévoyant la reconduction tacite d'un contrat de délégation de service public, même conclues antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 19 janvier 1993, ne peuvent plus être mises en oeuvre lorsque la reconduction intervient postérieurement à cette loi, qu'étant en présence d'une jurisprudence suffisamment établie, le juge judiciaire a parfaitement le pouvoir de constater une telle nullité étant observé qu'aux termes du dispositif de leurs dernières conclusions, les consorts [Y] ne forment aucune demande de question préjudicielle et qu'ils ont eux-mêmes admis que le contrat ne pouvait pas être reconduit à l'expiration de la première période de trente ans, qu'enfin, en l'espèce, il n'y a pas utilisation de la part de la commune d'une faculté de résiliation, mais impossibilité de reconduction de la convention.

Elle fait valoir que si la clause d'indemnisation devait s'appliquer, il appartiendrait au juge de se livrer à une analyse de l'équilibre économique du contrat, qu'en l'espèce, la convention prévoyait expressément que l'amortissement des travaux se ferait sur une durée de trente ans, qu'en réalité, l'amortissement de la construction du marché du petit Colombes s'est réalisé sur 17 ans, de sorte que depuis 1995, les consorts [Y] n'avaient plus aucune dépense d'investissement, que la clause d'indemnisation ne doit pas trouver application dans la mesure où elle prévoit une indemnisation forfaitaire et déconnectée du montant des investissements non amortis et du préjudice réellement subi.

A titre encore plus subsidiaire, la commune sollicite la désignation d'un expert chargé de déterminer le montant réel du préjudice subi par les délégataires que l'indemnisation soit fixée au regard de la valeur non amortie des biens de retour ou des investissements supportés par les concessionnaires ou qu'elle soit calculée selon les termes contractuels.

A défaut d'y avoir été autorisée, la commune de Colombes n'était pas recevable à déposer une note en délibéré de sorte que les notes adressées à la cour le 16 octobre 2017 par la commune de Colombes et en réponse, le 17 suivant, par les consorts [Y] doivent être rejetées des débats.

MOTIFS DE LA DECISION :

La cour constate qu'elle n'est plus saisie de la fin de non-recevoir tirée de la nullité de l'assignation soulevée devant les premiers juges par la commune de Colombes.

Sur la recevabilité de l'action de MM. [I] [Y] et [S] [Y] :

L'action a été introduite devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins d'exécution d'une clause contenue dans le contrat conclu le 25 juin 1979 entre d'une part, MM. [K] [Y], [I]

[Y], [S] [Y] et [P] [N] et d'autre part, la commune de Colombes.

Dès lors qu'il résulte de la simple lecture du contrat que MM. [I] [Y] et [S] [Y] en sont signataires en qualité de cocontractants, il appartient à la commune de Colombes qui soulève l'irrecevabilité de l'action, d'établir que ceux-ci ont perdu tout droit à agir sur le fondement de ce contrat. Peu importe au regard du droit d'agir les conditions dans lesquelles les droits de chacun d'eux au sein de l'indivision formée par les cocontractants ont pu évoluer.

Or, force est de constater que les allégations de la commune portant sur une cession qui serait intervenue, au demeurant sans autorisation formelle donnée par le conseil municipal, au profit d'une 'SARL' Les fils de Madame [N], ne s'appuient sur aucun élément probant, alors que les divers échanges intervenus entre la commune et la société Les fils de Madame [N] dont le papier à en-tête mentionne la forme sociale de SARL, ne peuvent à eux seuls établir que cette société serait devenue cessionnaire des droits résultant du contrat. Ces échanges font au contraire ressortir l'existence d'un mandat de gestion qui aurait pu être donné tacitement par les indivisaires [Y] à la SARL Les fils de Madame [N], en remplacement de la SA Les fils de Madame [N] qui avait obtenu mandat de gestion selon acte du 30 novembre 1987, la SARL devenant ainsi l'interlocuteur privilégié de la ville pour l'exécution du contrat d'exploitation de ses marchés communaux. Du fait de ce fonctionnement, les termes du courrier adressé le 29 septembre 2009 par le maire de Colombes à la société Les fils de Madame [N], sans indiquer s'il s'agit d'une SARL ou d'une SA, n'entretiennent aucune ambiguïté sur la qualité de la société. Il n'est au demeurant pas inutile de noter que :

-Dans les nombreux avenants au contrat signés par la commune et les coexploitants, ces derniers sont identifiés comme étant 'Messieurs [Y] et [N], concessionnaires (...), représentés par leur mandataire La société anonyme Les fils de Madame [N]' ;

-alors que la société Les fils de Madame [N] intervient dans la gestion du contrat depuis le 30 novembre 1987, date de la signature du mandat de gestion accordé par les membres de l'indivision [Y] à la SA Les fils de Madame [N], la commune n'a jamais interpellé la société de gestion sur cette prétendue cession des droits contractuels, alors que prétendant qu'une telle cession ne pouvait pas intervenir sans l'accord du conseil municipal, la commune avait un intérêt majeur à clarifier la situation ; de même, elle n'a jamais fait d'observations à la société de gestion sur la modification de sa forme sociale, la société s'intitulant SARL sur son papier à en-tête alors que le mandat de gestion avait été accordé à une SA laquelle, aux dires des consorts [Y], a été transformée en SAS dénommée [N] Gestion, la cour observant que le numéro SIRET de la SAS est le même que celui qui est mentionné sur le papier à en-tête sous la dénomination SARL Les fils de Madame [N] ;

-dans une instance opposant la société Les fils de Madame [N] à la commune, cette dernière a soutenu que la demanderesse n'était que mandataire des concessionnaires et n'avait donc pas ni intérêt, ni qualité à agir de sorte que sans que pour autant les conditions de l'estoppel soient remplies, la commune ne peut sérieusement prétendre dans le cadre de la présente instance qu'en apparence, cette société était devenue cessionnaire des droits contractuels.

Par ailleurs, il ressort de l'économie et des termes du contrat conclu le 25 juin 1979 que les concessionnaires ont entendu se soumettre pour les rapports entre eux, au régime de l'indivision lequel au regard des dispositions du code civil, ne comporte aucune restriction s'agissant des droits sur lesquels l'indivision est susceptible de porter.

L'action en paiement de l'indemnité contractuelle prévue à l'article 30 du contrat entre dans la catégorie des actes conservatoires que tout indivisaire peut accomplir seul en application de l'article 815-2 du code civil de sorte que l'action de MM. [I] [Y] et [S] [Y] est recevable sans qu'il leur soit nécessaire d'appeler à l'instance l'ensemble des indivisaires.

Dans ces conditions, le jugement déféré qui a déclaré l'action de MM. [I] et [S] [Y] irrecevable pour défaut de preuve du droit d'agir, sera infirmé.

Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de M. [D] [Y] :

M. [D] [Y], qui n'était pas partie au contrat initial, justifie être l'héritier unique de Mme [P] [Y] laquelle avait, en sa qualité d'héritière au décès de son père [K] [Y] qui était cocontractant du contrat de concession, reçu les droits et obligations résultant de ce contrat, en indivision avec ses frères et soeurs, dont [I] [Y].

Or, il résulte des termes de ce contrat que :

-les concessionnaires au nombre de quatre ont déclaré agir 'conjointement et solidairement' ;

-les concessionnaires ne pourront céder leurs droits au présent Traité, si ce n'est à leurs enfants, sans le consentement du Conseil Municipal, (...) (article 35 ) ;

-En cas de décès des Concessionnaires, leurs obligations passeront sur la tête de leurs héritiers ou ayants-droit qui devront poursuivre l'exploitation aux mêmes conditions, à moins qu'ils ne renoncent à la succession, auquel cas le Traité sera résilié sans frais.

La Concession en cause étant une indivision, les co-contractants pourront toujours se substituer à la partie défaillante et continueront l'exploitation pour eux-mêmes (article 36).

Dès lors, M. [D] [Y] justifie être partie au contrat de délégation de l'exploitation des marchés communaux de Colombes en qualité d'héritier et avoir le droit d'agir sur le fondement de ce contrat. L'instance ayant été engagée aux fins de versement d'une indemnité prévue à l'article 30 dudit contrat, M. [D] [Y] a intérêt à intervenir volontairement et à titre principal en cause d'appel en application des articles 329 et 554 du code de procédure civile.

La fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir de M. [D] [Y] doit être rejetée.

Sur la validité de la clause :

Le juge judiciaire est compétent pour connaître des litiges relatifs à l'exécution du contrat de concession conclu le 25 juin 1979 en application de l'article 136 du décret du 17 mai 1809 et doit appliquer, outre les règles de droit administratif, le principe de la force obligatoire des contrats qui entraîne l'exigence de loyauté des relations contractuelles.

La commune de Colombes n'a pas, aux termes du dispositif de ses dernières conclusions et avant toute défense au fond, sollicité le renvoi devant le juge administratif de la question de la validité de la clause contenue à l'article 30 du contrat pas plus que les consorts [Y] ne s'y sont opposés dans le dispositif de leurs dernières conclusions.

Par ailleurs, le juge judiciaire qui peut d'office relever toute question préjudicielle, surseoir à statuer et renvoyer l'examen de cette question au juge compétent doit cependant vérifier qu'il est en présence d'une question qui soulève une difficulté sérieuse et dont la solution est nécessaire au règlement du litige et qu'il n'existe pas de jurisprudence administrative suffisamment établie pour qu'il puisse trancher la contestation.

En l'espèce, après avoir rappelé que la commune de Colombes soulève l'irrégularité de la clause d'indemnisation contenue à l'article 30 du contrat en raison de l'illicéité des renouvellements tacites de contrat, il y a lieu de dire que l'irrégularité invoquée n'est pas d'une gravité telle qu'il y ait lieu d'écarter l'application du contrat, de sorte que l'appréciation de la légalité de cet acte par le juge administratif n'est pas nécessaire à la solution du litige.

Force est de constater à la lecture de l'article dont s'agit qu'après avoir fixé la durée initiale du contrat, soit 30 ans commençant à courir le 1er octobre 1979, il comporte en son alinéa 2 un principe général, celui de la tacite reconduction du contrat par période de 10 ans, et une dérogation au seul bénéfice de la commune qui lui donne la possibilité de préférer ne pas renouveler le contrat moyennant paiement aux concessionnaires d'une indemnité, sans qu'il soit fait référence à l'économie générale du contrat, notamment aux engagements financiers pris par les concessionnaires et à la durée nécessaire d'amortissement des financements qu'ils ont supportés, qui nécessiterait un allongement de la période initiale de validité du contrat.

Dès lors que la loi n°93-122 du 29 janvier 1993, dite 'loi Sapin', fait obstacle à la reconduction tacite de ce contrat de concession à la fin de sa durée initiale, ce que les parties ne discutent pas, le principe général édicté par l'article 30 alinéa 2 ne peut trouver à s'appliquer. Il en résulte que la commune, confrontée à la nécessité de constater que le contrat initialement prévu pour une durée de trente ans était arrivé à son terme, n'a pu 'préférer' rembourser une indemnité pour mettre fin au contrat ; le défaut de renouvellement ne résulte pas d'une décision de la commune, mais des effets de la loi, lui ôtant à cet égard toute possibilité de choix ; les conditions d'application de l'article 30, soit à moins que la ville ne préfère rembourser, et d'octroi de l'indemnité de rupture qu'il contient ne sont pas réunies et la demande de liquidation de l'indemnité ne peut qu'être rejetée.

Sur les autres demandes :

Les consorts [Y] qui succombent supporteront les dépens de l'instance.

Il serait inéquitable de laisser totalement à la charge de la commune de Colombes les frais irrépétibles engagés pour la présente procédure. Il lui sera accordé la somme de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, sur renvoi après cassation,

Infirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre le 15 juin 2012 ;

statuant à nouveau,

Dit recevables M. [I] [Y] et M. [S] [Y] en leur action ;

Dit recevable l'intervention volontaire de M. [D] [Y] en cause d'appel ;

Rejette les demandes formées par M. [I] [Y], M. [S] [Y] et M. [D] [Y] ;

Condamne in solidum M. [I] [Y], M. [S] [Y] et M. [D] [Y] à payer à la commune de Colombes la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum M. [I] [Y], M. [S] [Y] et M. [D] [Y] aux entiers dépens de l'instance, avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 16/19083
Date de la décision : 23/11/2017

Références :

Cour d'appel de Paris C2, arrêt n°16/19083 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-11-23;16.19083 ?
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