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02/11/2017 | FRANCE | N°14/00153

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 02 novembre 2017, 14/00153


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRÊT DU 02 novembre 2017

(n° 624 , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/00153



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Décembre 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX RG n° 12/00069





APPELANT

Monsieur [O] [P]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1971 à [LocalitÃ

© 2]

comparant en personne, assisté de Me Belkacem TIGRINE, avocat au barreau de PARIS, toque : C 1729



INTIMEE

SCA EURO DISNEY ASSOCIES

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 397 471 ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRÊT DU 02 novembre 2017

(n° 624 , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/00153

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Décembre 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX RG n° 12/00069

APPELANT

Monsieur [O] [P]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Belkacem TIGRINE, avocat au barreau de PARIS, toque : C 1729

INTIMEE

SCA EURO DISNEY ASSOCIES

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 397 471 822 00023

représentée par Me Kheir AFFANE, avocat au barreau de PARIS, toque : A0253

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Mai 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine BEZIO, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Catherine BEZIO, Président de chambre

Mme Patricia DUFOUR, conseiller

Mme Camille-Julia GUILLERMET, Vice-président placé

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Véronique BESSERMAN-FRADIN, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Catherine BEZIO, Président et par Madame Véronique BESSERMAN-FRADIN, greffier de la mise à disposition et à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

Monsieur [O] [P] a été engagé par la SCA Euro Disney Associés (société « Euro Disney ») en qualité d'hôte de sécurité par contrat à durée indéterminée en date du 17 mars 1998.

Le 24 décembre 1999, Monsieur [P] a obtenu un certificat de capacité technique de conducteur cynophile de sécurité.

Par avenant à son contrat de travail, Monsieur [P] exerce, depuis le 01 janvier 2005, le poste de maître chien anti-explosif. Pour ce faire, un chien est mis à sa disposition par son employeur.

Il est salarié protégé.

La chienne affectée à Monsieur [P] est morte le 16 avril 2011. Selon l'employeur, Monsieur [P] était responsable de sa mort. Il s'est vu notifier le 24 juin 2011 une mise à pied disciplinaire d'une durée de trois jours pour non respect des règles d'hygiène et de sécurité en vigueur applicables aux chiens et de non surveillance de l'état de santé de son animal.

Le salarié contestait cette mise à pied par lettre en date du 6 juillet 2011.

La société tardant à remplacer l'animal, l'inspection du travail l'a enjointe, les 5 octobre et 7 novembre 2011, de se conformer aux obligations découlant du contrat de travail et de procurer, en conséquence, un nouveau chien à Monsieur [P].

Le 25 novembre 2011, un nouveau chien a été attribué à Monsieur [P], de race caniche. Monsieur [P] a refusé le chien, arguant du fait qu'il s'agissait là d'une man'uvre tendant à l'humilier.

Un rendez vous a été organisé le 20 décembre 2011 entre Monsieur [P], le responsable ressources humaines et la responsable section syndicale CFDT.

Le 27 décembre 2011, par courriel, Monsieur [P] a demandé de changer de fonctions pour exercer au sein du service de maintenance.

C'est dans ces circonstances que Monsieur [P] a saisi, le 25 janvier 2012, le conseil de prud'hommes de Meaux pour demander l'annulation de la mise à pied disciplinaire ainsi que des dommages et intérêts pour harcèlement moral et non respect par l'employeur de son obligation de sécurité.

Le 2 novembre 2012, par avenant à son contrat de travail, Monsieur [P] était affecté au service maintenance.

Par jugement en date du 5 décembre 2013, le conseil de prud'hommes de Meaux a débouté Monsieur [P] de l'ensemble de ses demandes.

Ce jugement a été notifié aux parties le 12 décembre 2013. Monsieur [P] a interjeté appel le 7 janvier 2014.

Par conclusions déposées et soutenues à l'audience du 9 mai 2017, Monsieur [P] demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, statuant à nouveau, d'annuler la mise à pied disciplinaire et de lui accorder la somme de 80.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement de la société Euro Disney à son obligation de sécurité.

La société Euro Disney sollicite la confirmation du jugement déféré.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés, aux conclusions respectives des parties, visées par le greffier et soutenues oralement lors de l'audience du 9 mai 2017.

MOTIFS

Sur l'annulation de la mise à pied disciplinaire :

Monsieur [P] conclut à l'annulation de la mise à pied disciplinaire, notifiée le 24 juin 2011.

En matière de contestation d'une sanction disciplinaire, conformément aux dispositions de l'article L 1333-1 du code du travail, il appartient au juge d'apprécier si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur doit fournir au juge les éléments qu'il a retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié, le juge forme sa propre conviction. Le juge peut ordonner, si besoin est, toutes les mesures d'instruction utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l'espèce, l'employeur reproche à Monsieur [P] de ne pas avoir apporté tous les soins nécessaires à sa chienne, de ne pas avoir respecté les règles d'hygiène et de sécurité applicables et de ne pas avoir surveillé l'état de santé de l'animal. Ces carences ayant conduit à la mort de la chienne le 16 avril 2011.

Monsieur [P] conteste les faits qui lui sont reprochés.

Il produit plusieurs attestations de ses collègues de travail qui témoignent de l'attention qu'il prodiguait habituellement à sa chienne. Il verse également aux débats l'attestation de la vétérinaire, extérieure à la société, qui s'est occupée de la chienne. Celle-ci indique : « il ne saurait lui être reproché, de notre point de vue, d'avoir négligé sa chienne. Il est venu la voir matin et soir et était présent lors de la transfusion sanguine le 15 avril ».

Il est acquis aux débats que la chienne est morte d'une maladie provoquée par la piqûre d'une tique. Or, l'employeur reconnaît lui même dans ses écritures que « la présence de tiques est un phénomène courant ».

De plus, si l'entretien de la chienne était bien de la responsabilité de Monsieur [P], il ressort des explications fournies qu'elle passait la nuit dans un chenil avec d'autres chiens et l'employeur est, dès lors, d'autant plus mal fondé à imputer l'apparition de la tique à un manquement de Monsieur [P].

Enfin, une piqûre de tique est un événement fortuit qui, en lui-même, ne peut sérieusement et nécessairement être mise à la charge de Monsieur [P].

Dans ces conditions, au regard des avis portés ci-dessus sur la façon dont l'appelant traitait sa chienne, et en l'absence de tout élément communiqué par l'employeur démontrant l'existence d'un manquement de Monsieur [P] en relation avec la mort de la chienne, la cour ne peut qu'annuler la mise à pied disciplinaire contestée et infirmer, sur ce premier point, le jugement entrepris.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral; dans l'affirmative, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au titre des agissements de son employeur, Monsieur [P] invoque tout d'abord, l'accusation portée contre lui, sans fondement -ainsi qu'il vient d'être jugé- d'avoir, par ses manquements, été à l'origine de la mort de sa chienne.

Il soutient que cette accusation mensongère l'a particulièrement affecté et a entraîné un arrêt de travail à compter du 2 mai 2011, prolongé jusqu'au 30 octobre 2011 avec reprise à temps partiel pour raison médicale à partir du 6 septembre 2011.

L'appelant fait valoir, en outre, que lors de la reprise du travail, le 6 septembre 2011 l'employeur a unilatéralement modifié ses conditions de travail : ses fonctions du fait de l'absence de chien, ses horaires, ses congés ainsi que son droit d'utiliser les véhicules de la société.

Il ressort des éléments produits que l'employeur n'a en effet pas fourni de chien à Monsieur [P] du 16 avril au 25 novembre 2011 malgré plusieurs relances de ce dernier et des délégués syndicaux.

Enfin, le nouveau chien fourni était un chien de race caniche et ce remplacement apparaissait sinon, humiliant, comme l'indique l'appelant, à tout le moins ironique.

La sanction infligée et annulée ci-dessus, le long délai pour obtenir le remplacement de sa chienne, les modifications de ses fonctions du fait de l'absence de chien, de ses horaires, de ses congés ainsi que de son droit d'utiliser les véhicules de la société et le choix, pour le moins inattendu, du chien fourni caractérisent, ainsi, des faits qui, pris dans leur ensemble, laissent présumer le harcèlement moral.

L'employeur, de son côté, soutient que la sanction disciplinaire était justifiée. Or il a été démontré ci-avant que cette accusation était infondée. Elle était d'ailleurs particulièrement mal venue puisque Monsieur [P] n'a pu qu'être affecté par la mort de la chienne qu'il avait en charge depuis plusieurs années.

L'employeur répond, ensuite, qu'un nouveau chien n'a pas été mis immédiatement à la disposition de Monsieur [P] car un chien spécialisé dans le recherche d'explosifs est rare et nécessite un certain temps de formation.

La cour constate cependant que c'est la lettre de l'inspection du travail, en date du 5 octobre 2011, qui a conduit l'employeur à proposer un nouveau chien à Monsieur [P] alors même que la société EURO DINEY arguait de délais longs et imprévisibles, et qu'un nouveau chien a été livré à Monsieur [P] moins de deux mois après la réception de la lettre.

Quant à la race du nouveau chien fourni à Monsieur [P], l'employeur soutient, certes, que les caniches sont utilisés dans la détection des explosifs.

Toutefois, le choix d'un tel chien ne correspond pas au chien que possédait antérieurement l'appelant et qui était un un berger belge. Il ne correspond pas non plus au chien que s'est vu remettre un collègue de Monsieur [P], un berger allemand.

La cour associe à ces anomalies inexpliquées, le caractère public de la remise faite à Monsieur [P] de son nouveau chien, et ne peut que conclure au caractère volontairement humiliant de la procédure suivie par l'employeur pour remplacer le chien.

Le choix du caniche ne pouvait ainsi qu'avoir pour effet, sinon pour objet, de placer Monsieur [P] en situation de ridicule et portait en conséquence atteinte à sa dignité.

Enfin, la société EURO DISNEY ne s'explique pas sur la durée du délai subi par Monsieur [P] pour obtenir un avenant à son contrat de travail après qu'il eut formé sa demande de transfert au sein du service maintenance.

Il résulte des énonciations qui précèdent que l'employeur échoue à démontrer que la sanction infligée, les délais subis, les modifications au contrat de travail et la race de chien fournie sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral étant ainsi établi, il n' y a donc pas lieu d'examiner le moyen tiré par l'appelant, de l'inexécution de l'obligation de sécurité..

Compte tenu des circonstances du harcèlement subi, de sa durée, et des conséquences dommageables qu'il a eu pour Monsieur [P], telles qu'elles ressortent des pièces et des explications fournies, notamment de ses arrêts de travail et du fait qu'il ait été contraint d'accepter des modifications à son contrat de travail, le préjudice en résultant pour Monsieur [P] doit être réparé par l'allocation de la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts. Le jugement est infirmé sur ce point.

L'issue du litige conduit la cour à condamner la société Euro Disney à payer à Monsieur [P] la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Annule la mise à pied disciplinaire notifiée à Monsieur [O] [P] le 24 juin 2011,

Condamne la société SCA Euro Disney Associés à verser à Monsieur [O] [P] les sommes suivantes :

- 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

-2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société SCA Euro Disney Associés aux entiers dépens,

Rejette toute autre demande.

La greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 14/00153
Date de la décision : 02/11/2017

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°14/00153 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-11-02;14.00153 ?
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