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31/05/2017 | FRANCE | N°15/16146

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 7, 31 mai 2017, 15/16146


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 7



ARRET DU 31 MAI 2017



(n° 19 , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/16146



Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juillet 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/06156





APPELANT



Monsieur [X] [Q]

[Adresse 1]

[Localité 1]



Représenté et assisté p

ar Me David DASSA - LE DEIST, avocat au barreau de PARIS, toque : E1616





INTIMES



Monsieur [O] [U]

[Adresse 2]

[Localité 2] / FRANCE

né le [Date naissance 1] 1996 à [Localité 3]



Représenté et assi...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 7

ARRET DU 31 MAI 2017

(n° 19 , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/16146

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juillet 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/06156

APPELANT

Monsieur [X] [Q]

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représenté et assisté par Me David DASSA - LE DEIST, avocat au barreau de PARIS, toque : E1616

INTIMES

Monsieur [O] [U]

[Adresse 2]

[Localité 2] / FRANCE

né le [Date naissance 1] 1996 à [Localité 3]

Représenté et assisté par Me Léa FORESTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R143

Maître [Y] [X] es qualité de mandataire liquidateur de la SARLU EDITIONS [D] [A] en suite du jugement du Tribunal de commerce de PARIS du 22 avril 2014 - Hors la cause suite à l'ordonnance de caducité d'appel prononcée par le conseiller de la mise en état le 26 octobre 2017

[Adresse 3]

[Localité 4]

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 Février 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Sophie PORTIER, Présidente de chambre

M. Pierre DILLANGE, Conseiller

Mme Sophie- Hélène CHATEAU, Conseillère

qui en ont délibéré sur le rapport de Sophie-Hélène CHATEAU

Greffier, lors des débats : Mme Maria IBNOU TOUZI TAZI

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Sophie PORTIER, président et par Mme Maria IBNOU TOUZI TAZI, greffier présent lors du prononcé.

*

* *

Les éditions [D] [A] ont publié un livre d'[O] [U], intitulé « le Front National des villes & le Front National des champs ».

[X] [Q] a fait assigner, le 23 avril 2014, la SARLU Editions [D] [A], alors représentée par son administrateur judiciaire, Maître [N] et [V] et [E] [U], en qualité de représentants légaux de leur fils mineur [O] [U], sur le fondement de l'article 9 du Code civil, en raison de la révélation de l'homosexualité du demandeur, notamment contenue à la page 120 du livre.

Par jugement du 8 juillet 2015, le tribunal de grande instance de Paris, a, à titre liminaire, rappelé que, saisi par le demandeur, le juge des référés avait ordonné la suppression de passages qu'il avait jugé attentatoires à la vie privée mais que cette ordonnance avait été partiellement infirmée par un arrêt en date du 19 décembre suivant, devenu définitif, le pourvoi formé par le demandeur ayant été rejeté par un arrêt de la Cour de Cassation en date du 9 avril 2015.

Il a ensuite rappelé les passages de l'ouvrage dans lesquels est évoquée l'homosexualité du demandeur, qui figurent dans un chapitre commençant à la page 119 intitulé : « La flamme arc-en-ciel ».

Après avoir énoncé qu'en vertu de l'article 9 du Code civil, toute personne a droit au respect de sa vie privée et que la vie sentimentale et la sexualité appartiennent à la sphère la plus intime de la vie privée mais que ce droit peut cependant céder devant les nécessités de la liberté d'expression lorsque la diffusion des informations ou des images est légitime au regard de ces nécessités et participe à un débat d'intérêt général, ainsi que l'exigent les articles 8 et 9 de la CEDH, le tribunal a estimé que, contrairement à ce que soutenaient les défendeurs, cet aspect de la vie privée du demandeur n'avait pas déjà été publiquement évoqué. Il a jugé qu'en revanche, le demandeur étant secrétaire général du Front National et l'évocation incriminée figurant dans un ouvrage portant sur un sujet d'intérêt général, cette évocation était légitime dès lors qu'elle se rapportait à l'évolution d'un parti politique ayant montré des signes d'ouverture à l'égard des homosexuels à l'occasion de l'adoption de la loi relative au mariage des personnes de même sexe.

Il a débouté en conséquence [X] [Q] de ses demandes et l'a condamné à verser aux défendeurs [V] et [E] [U], ès qualités de représentant légaux de leur fils [O], la somme de 2500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

[X] [Q] a interjeté appel de ce jugement par acte du 24 juillet 2015.

Par conclusions signifiées le 22 février 2016, [X] [Q] sollicite l'infirmation du jugement et la condamnation d'[O] [U], devenu majeur, et celle de maître [Y] [X], en qualité de mandataire liquidateur de la SARLU Editions [D] [A], à lui payer solidairement la somme de 30 000 € de dommages-intérêts ainsi que celle de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

Par conclusions signifiées le 23 décembre 2015, [O] [U] sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et, y ajoutant, la condamnation de [X] [Q] à lui payer la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance,

SUR CE,

Considérant qu'il n'est pas contesté que la sexualité et les orientations sexuelles font partie de la sphère la plus intime de la vie privée qui doit être protégée aux termes de l'article 9 du Code civil ;

Considérant qu'il ne peut être soutenu que l'homosexualité de [X] [Q] aurait été publiquement révélée avant la publication du livre de Monsieur [U], que ce soit par un article publié le 21 novembre 2011 sur le site [Site Web 1] intitulé « Le poids de la triade » ou par un article posté le 26 juin 2011 sur le site [Site Web 2] ; que, s'agissant de sites relativement confidentiels qui ne sont pas nécessairement consultés par les personnes qui en sont la cible, ni par leur entourage, l'absence de réaction de leur part ne saurait suffire à caractériser une acceptation implicite de ce qui y serait prétendument révélé ou évoqué ; qu'au surplus, en l'espèce, le responsable du site [Site Web 1] a bien été assigné par [X] [Q], en février 2012 et condamné pour violation de la vie privée par jugement du 30 octobre 2013, confirmé par la cour d'appel ; qu'en ce qui concerne l'autre site, tout aussi confidentiel, les termes outranciers de l'article ne peuvent être considérés comme revêtant une quelconque crédibilité et par la même être démonstratifs d'une acceptation par [X] [Q] de l'évocation de son homosexualité ; qu'outre qu'aucun autre élément n'est produit démontrant de la part de ce dernier un quelconque assentiment à ce que son orientation sexuelle soit évoquée, il ressort des termes mêmes de l'ouvrage que, selon l'auteur, [X] [Q] ne souhaitait nullement, à la veille des élections, que son homosexualité soit « du jour au lendemain révélée au grand jour », précise qu'il n'était « donc pas prêt à faire son coming out surtout à la veille d'une élection qui pourrait enfin le voir triompher », que rares étaient les habitants d'[Localité 5] qui connaissaient son homosexualité, que seule « la sphère politico médiatique » de cette ville aurait été au courant de cette orientation et ajoute même que la réticence des médias à évoquer son homosexualité se comprend bien évidemment « dans la mesure où ceci relève avant tout de sa vie privée » ; qu'il en résulte donc clairement que, selon l'auteur lui-même, même s'il prête à cette discrétion des motifs purement politiques, [X] [Q] s'est toujours efforcé de ne pas faire état publiquement de cet aspect de sa vie privée et que la divulgation reprochée porte, ce dont l'auteur ne disconvient également pas, gravement atteinte à l'un des aspects les plus intimes de sa vie privée, ainsi que le tribunal l'a retenu ;

Considérant qu'il convient donc d'apprécier si, en l'espèce, le droit du public à être informé de l'homosexualité de [X] [Q] prime sur le droit à l'intimité de sa vie privée, ces deux droits à valeur constitutionnelle, ainsi que le rappelle la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, devant être mis en balance, en tenant compte de ce que le droit d'être informé s'apprécie plus largement lorsque les informations relevant de la sphère de la vie privée concernent une personne jouant un rôle dans la vie publique, mais que néanmoins certaines limites ne doivent pas être franchies, sauf à admettre que la seule appartenance au monde politique et, notamment, l'exercice de fonctions électives, permettrait de tout savoir sur les intéressés, même ce qui relève du registre le plus intime de leur vie privée ;

Considérant que l'intimé fait valoir, à ce titre, que les fonctions politiques de premier plan exercées par [X] [Q], secrétaire général du Front National depuis le 16 janvier 2011, les mandats de conseiller municipal d'[Localité 5] puis de conseiller régional du Nord-Pas-de-Calais qu'il a occupés avant de remporter, ainsi que l'auteur le prédisait, celui de maire de la commune d'[Localité 5], font que celui-ci incarne le Front National aux yeux du grand public ; que cette circonscription, ainsi que la région Nord-Pas-de-Calais Picardie, est l'un des fiefs du Front National et que c'est en raison de cette spécificité que l'auteur a choisi d'évoquer l'homosexualité de [X] [Q] afin de mettre cette information en perspective avec l'attitude de [T] [F] à l'occasion du débat sur la loi dite « du mariage pour tous » ; qu'il n'est pas contestable que [T] [F] a fait montre dans les médias d'un positionnement drastiquement plus ouvert sur la question des droits des homosexuels que ne l'était celui de son père et que la défense de la cause homosexuelle a été perçue depuis peu par l'extrême droite comme un formidable relai, plus moderne et plus jeune, de leurs thèmes traditionnels ; qu'il participe donc d'un débat d'intérêt général que de chercher les raisons qui ont pu concourir à l'appropriation progressive par le Front National de la défense des droits des homosexuels et, dans le cadre de cette recherche, d'évoquer l'homosexualité de certains cadres du parti ; que telles sont, d'ailleurs, les raisons pour lesquelles la cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 19 décembre 2013 infirmant l'ordonnance du juge des référés, a estimé que « l'évocation de l'homosexualité de Monsieur [Q] et de la supposée influence de cette orientation sexuelle sur la politique du Front National est de nature à apporter une contribution un débat d'intérêt général puisque, dans un contexte de fort clivage entre la gauche et la droite parlementaire à l'occasion de l'adoption de la loi relative au mariage des personnes de même sexe, le Front National a montré des signes d'ouverture à l'égard des homosexuels, ce qui a donné lieu à des questionnements publics sur les relations entre la droite nationaliste et les homosexuels,... » motivation approuvée par la Cour de Cassation qui énonce, dans son arrêt du 9 avril 2015, que la cour a «.. ainsi apprécié le rapport raisonnable de proportionnalité existant entre le but légitime poursuivi par l'auteur, libre de s'exprimer et de faire état de l'information critiquée et la protection de la vie privée... », décisions auxquelles s'est expressément référé le jugement soumis à la cour ; qu'il doit être relevé en outre que l'orientation sexuelle du demandeur est évoquée en des termes strictement mesurés et pleinement respectueux, sans jugement de valeur ni intention de nuire ;

Considérant que l'appelant fait valoir que le raisonnement du tribunal se résume à dire que l'homosexualité d'un responsable politique est susceptible d'avoir des répercussions sur le positionnement de son parti, ce qui légitimerait le droit de savoir du public, aucune autre motivation n'étant apportée autre que la pétition de principe selon laquelle l'évocation de cette homosexualité pourrait expliquer mécaniquement cette évolution, alors qu'en l'espèce, il n'a jamais été démontré ni par l'intimé, ni par le tribunal, que cette divulgation aurait été utile et que, par exemple, Monsieur [Q], aurait pu peser, à raison de sa qualité de secrétaire général du Front National, dans l'évolution supposée de son parti sur cette question ; qu'en réalité la clé d'explication que permettrait de donner, selon l'auteur, la révélation de l'homosexualité de Monsieur [Q] au positionnement relativement neutre du Front National concernant le mariage homosexuel, relève d'un raisonnement intrinsèquement homophobe parce qu'il conduit à penser que, parce qu'il est homosexuel, il conduit les affaires publiques en fonction des intérêts particuliers de la communauté homosexuelle, parce qu'il singularise Monsieur [Q] à raison de sa sexualité et le place d'autorité dans une communauté à laquelle il n'a jamais déclaré appartenir et à laquelle il n'a jamais entendu être associé, et parce qu'il implique que, parce qu'il est homosexuel, il serait pour le mariage entre personnes du même sexe ou tout du moins ne serait pas opposé par principe à ce mariage, alors qu'il n'a fait aucune intervention publique sur ce thème et surtout n 'a pas entendu dévoiler son orientation sexuelle à l'occasion des débats relatifs au mariage des homosexuels ; qu'enfin, aucun élément n'est rapporté dans le livre qui pourrait étayer l'affirmation et la rendre légitime, au sens de l'article 10 de la CEDH et du critère de proportionnalité, selon laquelle en qualité de secrétaire général du Front National, il aurait exercé une influence sur la ligne politique de son parti ;

Considérant qu'il revient à la cour d'apprécier si les interrogations de l'auteur sur les motifs de l'évolution d'un parti politique, qu'il présente comme plutôt homophobe à l'origine, et l'influence que pourrait exercer à ce titre l'appartenance de plusieurs de ses membres dirigeants à la communauté homosexuelle, sujet relevant certes du débat d'intérêt général, justifiaient de révéler l'homosexualité de [X] [Q], dont il n'est pas contestable qu'il était devenu un membre influent de ce parti, sinon emblématique, dans la région du Nord-Pas-de-Calais et en passe de gagner les élections municipales d'[Localité 5] ;

Considérant, étant rappelé qu'il n'est pas contesté que l'intéressé ne s'est jamais publiquement exprimé sur un sujet lié de près ou de loin à une appartenance sexuelle quelconque et que le seul article de presse qu'il produit, s'agissant du mariage pour tous, parait plutôt démontrer qu'il n'était nullement en faveur du projet de loi, sa seule appartenance au Front National et les responsabilités qu'il y exerce n'apparaissent pas à la cour suffire à estimer qu'il était légitime, comme relevant de l'information due au public et aux électeurs, notamment de la ville d'[Localité 5], de révéler son homosexualité, en raison de l'influence supposée que cette orientation exercerait sur le positionnement du parti ; que sans méconnaître qu'il était légitime, comme relevant du débat d'intérêt général, de s'interroger sur l'évolution du Front National, s'agissant notamment de son positionnement dans le débat relatif au mariage pour tous et plus généralement, de la lutte contre l'homophobie, et sans évidemment qu'il puisse être fait grief à l'auteur de ne pas s'être livré à des investigations aux fins de démontrer l'influence réelle exercée par [X] [Q] sur le positionnement du Front National, il ne pouvait, pour illustrer sa démonstration, choisir de révéler l'orientation sexuelle de l'intéressé en partant du principe, pour le moins sommaire, qu'il a participé, du fait de son appartenance à la communauté homosexuelle, à l'orientation du parti s'agissant, notamment, du projet de loi sur le mariage pour tous ;

Considérant que le jugement sera en conséquence infirmé, la révélation de l'homosexualité de [X] [Q] n'apparaissant pas être justifiée par l'intérêt légitime du public d'être informé sur l'évolution du parti politique auquel il appartient, ni proportionnée à la gravité de l'atteinte portée à la sphère la plus intime de sa vie privée ;

Considérant que le préjudice moral résultant de cette atteinte subie par [X] [Q] sera justement réparé par l'allocation de la somme de 4000 € à titre de dommages-intérêts à laquelle sera condamné [O] [U], qui sera également condamné aux entiers dépens ainsi qu'à verser la somme de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés devant le tribunal et la cour et non compris dans les dépens,

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré,

Condamne [O] [U] à verser à [X] [Q] la somme de 4000 € de dommages-intérêts, ainsi que celle de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel,

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire à la motivation ci-dessus exposée.

LE PRÉSIDENTLE GREFFIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 15/16146
Date de la décision : 31/05/2017

Références :

Cour d'appel de Paris C7, arrêt n°15/16146 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-05-31;15.16146 ?
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