Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 20 AVRIL 2017
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/12018
Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Mai 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/11900
APPELANT
Monsieur [N] [E] né le [Date naissance 1] 1983 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Bernard SCHBATH, avocat au barreau de PARIS, toque : E0177
INTIMÉE
SAS GALERIE CHARLES RATTON & GUY LADRIERE
prise en la personne de ses représentants légaux
N° SIRET : 327 147 351 00016
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0010
assistée de Me Pierre-André NETTER, avocat au barreau de PARIS, toque : E0996
COMPOSITION DE LA COUR :
Madame Isabelle CHESNOT, conseillère, ayant préalablement été entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 mars 2017, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre
Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère
Madame Isabelle CHESNOT, conseillère
qui en ont délibéré
Assistée de M. Olivier HUGUEN, magistrat en stage, en application des articles 19 et 41-3 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée.
Greffière, lors des débats : Mme Fatima-Zohra AMARA
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Hélène POINSEAUX, présidente et par Mme Mélanie PATE, greffière présente lors du prononcé.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M. [N] [E] a acheté une statuette représentant Saint Matthieu pour la somme de 1 000 euros le 22 octobre 2009 et l'a revendue le 29 octobre suivant à la société galerie [H] [R] & [K] [D] au prix de 10 000 euros.
Le 25 octobre 2010, la galerie [H] [R] & [K] [D] a été contrainte de restituer la statuette sans contrepartie à l'Etat français, après que les services du ministère de la culture et de la communication l'ont informée qu'elle provenait de la cathédrale [Établissement 1] à [Localité 2] et avait été dérobée.
Auparavant, M. [E], à l'époque étudiant en histoire de l'art, s'était porté acquéreur en 2007 d'un vase minoen représentant une scène d'hommage.
Par courrier d'avocat du 13 novembre 2012, invoquant un dépôt-vente, le vase étant en possession de la galerie [H] [R] & [K] [D], M. [E] a mis en demeure cette dernière de lui justifier des démarches entreprises pour vendre le bien et à défaut, de lui restituer le vase.
Par courrier d'avocat en réponse, daté du 16 novembre suivant, la galerie [H] [R] & [K] [D] a contesté les faits tels que relatés par M. [E] et a affirmé que le vase lui avait été remis en dédommagement de la perte subie dans le cadre de la vente de la statuette volée.
C'est dans ce contexte que M. [E] a fait citer la galerie [H] [R] & [K] [D] devant le tribunal de grande instance de Paris en vue d'obtenir la restitution du vase minoen et à défaut, une indemnisation.
Le 29 mai 2015, le tribunal de grande instance de Paris a rendu un jugement dont le dispositif est le suivant :
« Déclare recevable l'action en restitution et en indemnisation engagée par M. [N] [E] à l'encontre de la Galerie [H] [R] & [K] [D].
Déboute M. [N] [E] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la Galerie [H] [R] & [K] [D].
Condamne M. [N] [E] à payer à la Galerie [H] [R] & [K] [D] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Déboute la Galerie [H] [R] & [K] [D] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision.
Condamne M. [N] [E] aux entiers dépens. »
M. [E] a fait appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 9 juin 2015.
Au terme de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 31 janvier 2017, l'appelant demande à la cour, au visa des articles 1315, 1915, 1932, et 1933 du code civil, L.110-3 du code de commerce et l'article 700 du code de procédure civile, outre divers dire et juger qui ne sont que la reprise des moyens, de :
-confirmer le jugement en ce qu'il l'a dit recevable en son action,
-réformer le jugement pour le surplus ;
A titre principal,
-ordonner à la Galerie [H] [R] & [K] [D] de lui restituer le gobelet minoen;
A titre subsidiaire,
-condamner la Galerie [H] [R] & [K] [D] à lui verser la somme de 2.000.000 d'euros, valeur matérielle du gobelet minoen,
En tout état de cause,
-lui donner acte de ce qu'il s'en rapporte sur le bien fondé de l'indemnisation de la Galerie [H] [R] & [K] [D] au titre de la cession de la statue de St-Matthieu,
-débouter la Galerie [R] & [K] [D] de ses demandes, fins et conclusions,
-condamner la Galerie [H] [R] & [K] [D] à lui verser la somme de 25.000 euros à titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 février 2017, la société par actions simplifiées Galerie [H] [R] et [K] [D] sollicite de la cour, outre des dire et juger ou constater qui ne constituent pas des demandes, qu'elle :
-Réforme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré M. [E] recevable en son action;
Statuant à nouveau,
-déclare irrecevable M. [E] en son action, faute d'intérêt légitime à agir ;
A défaut,
-confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [E] de ses demandes de restitution et d'indemnisation et condamné M. [E] au paiement de la somme de 10 000 € en remboursement de la statuette de St Matthieu, outre intérêts légaux ;
Y ajoutant,
- condamne M. [E] à lui payer les sommes de :
- 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire au visa de l'article 559 du code de procédure civile,
- 25 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile,
- les entiers dépens de première instance et d'appel.
Après rabat de l'ordonnance de clôture à l'audience du 2 mars 2017, les conclusions notifiées par la Galerie [H] [R] & [K] [D] le 13 février 2017 ont été déclarées recevables, puis l'instruction de l'affaire a été clôturée à nouveau.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la recevabilité de l'action :
M. [E], qui soutient qu'il est resté propriétaire du vase minoen dont il demande la restitution, et subsidiairement l'indemnisation, a un intérêt légitime à agir à l'encontre de la galerie [H] [R] et [K] [D] qui, selon lui, est restée dépositaire de l'objet.
L'affirmation faite par la galerie [H] [R] et [K] [D], selon laquelle le vase aurait été vendu à M. [K] [D] à titre personnel, constitue de la part de l'intimée un argument de défense au fond qui ne peut avoir aucune incidence sur la recevabilité de l'action engagée à son encontre.
La fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir doit être rejetée et le jugement déféré, qui a déclaré l'action recevable, confirmé.
Sur la demande de restitution du vase minoen :
Ainsi que l'ont pertinemment relevé les premiers juges, le contrat de dépôt-vente invoqué par M. [E], conclu entre une personne physique non commerçante à l'époque et la SAS galerie [H] [R] et [K] [D], qui a la qualité de commerçant, a la nature d'un acte mixte dont la preuve, régie par l'article
L.110-3 du code de commerce, est libre sur l'action dirigée à l'encontre des commerçants.
En conséquence, M. [E] qui, en application de l'ancien article 1315 du code civil, a la charge de prouver la nature et du contenu de ce contrat, peut rapporter cette preuve par tous moyens, notamment par présomptions.
Les parties ne discutent pas le fait que le vase minoen était en possession de M. [E] qui s'en est dessaisi pour le remettre à M. [K] [D] en 2007 ou 2008, en tout état de cause avant le 29 septembre 2009, date de la vente de la statue de Saint Matthieu.
Elles s'opposent sur la nature du contrat ayant opéré ce transfert de possession et sur les parties au contrat.
Force est de constater en premier lieu que M. [E] présente le bordereau d'adjudication n°7023 de la société de ventes volontaires [P] [L] portant sur un 'VASE' pour le prix de 20 euros ( 25 euros avec les frais ) en date du 12 octobre 2007, que l'apparence de ce document ne permet pas de douter de son authenticité, que l'appelant n'a jamais varié dans ses explications et a toujours évoqué un achat aux enchères publiques à la date du 12 octobre 2007, que l'attestation libellée par M. [T] [O] et complétée par sa carte nationale d'identité n'est pas conforme aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile, mais présente des garanties suffisantes pour convaincre la cour de la véracité des explications données quant à l'indication du nom patronymique '[O]' -au demeurant correctement orthographié en majuscules- sur le bordereau d'adjudication. M. [E] établit donc qu'il était propriétaire du vase dit minoen, objet du litige, lorsqu'il l'a remis à la galerie [H] [R] et [K] [D]. Au demeurant, il n'est pas inutile de noter qu'en alléguant une vente du vase au profit de M. [D], la galerie [H] [R] et [K] [D] reconnaît la qualité de propriétaire de M. [E].
Par ailleurs, les courriels du 12 septembre 2012 ( pièces n° 8, 9 et 10 de l'appelant) écrits par les parties, évoquent bien un contrat de dépôt-vente. En effet, dans le premier courriel, M. [E] contacte la galerie afin que vous m'informiez de l'avancement de la cession du gobelet minoen ; dans son courriel de réponse, M. [K] [D] lui rappelle sa dette relative à la statue de saint Matthieu et déclare n'accepter pour l'avenir que des messages concernant les modalités de remboursement de la somme que vous me devez mais comme il a déjà été dit, ne conteste pas la demande portant sur la vente du vase minoen ; il ne peut être tiré aucun enseignement de l'utilisation par M. [E] du terme 'revente' dans la phrase : j'espère vivement que vous saurez tenir vos engagements sur la revente prévue du gobelet minoen qui n'évoque pas plus une seconde vente à la suite de celle passé au profit de M. [D] que celle qui pourrait se faire par l'intermédiaire de la galerie à la suite de la vente aux enchères qui a permis à M. [E] d'acquérir le vase.
Enfin, un objet d'antiquité ne peut être remis à un antiquaire professionnel qu'en vertu d'un contrat de vente, d'un contrat de dépôt-vente ou d'un contrat de restauration. Or, en l'espèce, la galerie ne nie pas avoir eu la possession du vase, mais présente des explications ayant varié dans le temps et ne produit aucun écrit qui, à l'instar des exemplaires versés aux débats de 'contrat de confié' ( pièces n°34 et 35 ), de dépôt vente ( pièces n° 6 et 36 ) et d''achat d'objet de moitié' ( pièce n°37 ), ainsi que des extraits du livre de police que l'antiquaire doit renseigner pour tout objet pouvant faire l'objet d'une transaction ( pièces n°5 et 6 ), établirait le type de contrat ayant entraîné la remise du vase à M. [K] [D], en son nom propre ou en sa qualité de gérant de la galerie.
A titre de défense, la galerie [H] [R] et [K] [D] prétend qu'il existe un contrat de vente entre M. [E] et M. [K] [D] à titre personnel, et non en sa qualité de représentant légal de la galerie. Mais elle n'établit pas l'existence d'un tel contrat qui, de nature civile puisque conclu entre deux personnes non commerçantes et portant sur un objet d'une valeur supérieure à 1 500 euros, doit être prouvé selon les conditions posées par l'article 1341 ancien devenu 1359 du code civil, soit par un écrit. Or, alors même que M. [K] [D], professionnel de la vente d'antiquités, ne pouvait ignorer l'importance d'établir un écrit faisant foi de la vente, force est de constater que l'intimée se contente d'affirmer l'existence d'une vente sans en justifier. En effet, si dans un courriel posté le 12 septembre 2012 à l'adresse de la galerie, mais destiné à M. [K] [D], M. [E] écrit que A ce sujet, j'attends toujours le papier indiquant notre propriété commune sur le gobelet. Je me tiens à votre disposition pour venir le chercher, cette affirmation n'a la valeur que d'un commencement de preuve par écrit. Or, elle n'est corroborée par aucun autre élément extrinsèque, est désavouée par le courriel précédent de M. [K] [D], qui, en réponse à la demande de M. [E] portant sur la revente du vase confié en dépôt à la galerie, rappelle le litige relatif à la statue de saint Matthieu, mais ne revendique pas une quelconque propriété sur le vase, et ne caractérise qu'insuffisamment la nature et l'objet du contrat qui aurait permis à M. [K] [D] d'acquérir une partie de la propriété du vase minoen. La galerie [H] [R] et [K] [D] ne peut donc utilement faire valoir que le vase dont s'agit est devenu par l'effet d'une vente la propriété exclusive de M. [K] [D] et que M. [E] n'est plus fondé à en solliciter la restitution.
Dès lors qu'il n'est pas allégué que la vase a été confié à l'antiquaire pour restauration, la cour relève donc qu'il existe une présomption d'une remise à la galerie [H] [R] et [K] [D] dans le cadre d'un dépôt vente.
Dans ces conditions, après avoir dit que M. [E] a bien remis le vase minoen à la galerie d'antiquités en sa qualité de propriétaire, observé que la galerie [H] [R] et [K] [D] n'a jamais contesté cette remise, ni revendiqué une quelconque propriété avant l'entrée en conflit et l'intervention des avocats, entraînant alors des changements dans sa position sur ses droits sur le vase, et relevé une présomption tirée des faits de la cause, la cour juge que le vase minoen appartenant à M. [E] doit lui être restitué par la galerie [H] [R] et [K] [D], de sorte que le jugement déféré est infirmé.
Sur la demande d'indemnisation formée par la galerie [H] [R] et [K] [D]:
Il est constant entre les parties que M. [E] a vendu à la galerie [H] [R] et [K] [D] une statue de saint Matthieu pour le prix de 10 000 euros, mais que cette statue s'avérant provenir de la cathédrale [Établissement 1] à [Localité 2] et avoir été dérobée, a du être restituée à l'Etat français.
M. [E], qui déclare s'en rapporter à justice, n'élève aucune contestation à l'encontre de la demande d'indemnisation formée à bon droit par la galerie [H] [R] et [K] [D] à hauteur de la somme de 10 000 euros représentant le prix de vente.
Les premiers juges ont fait une juste application de la loi, soit des articles 1626 et 1630 du code civil, en condamnant M. [E] à payer à la galerie [H] [R] et [K] [D] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts. Le jugement déféré sera confirmé, étant précisé qu'une créance indemnitaire produit des intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, de sorte que, sans qu'il soit nécessaire de statuer spécifiquement sur ce point, la somme de 10 000 euros produira des intérêts au taux légal à compter du 29 mai 2015.
Sur les autres demandes :
Compte-tenu du sens du présent arrêt, la demande de dommages et intérêts à hauteur de 35 000 euros pour procédure abusive et vexatoire au visa de l'article 559 du code de procédure civile doit être rejetée.
Les circonstances de la cause et l'équité commande qu'il ne soit pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou de l'autre des parties.
La galerie [H] [R] et [K] [D] , qui succombe sur la demande principale en cause d'appel, supportera les dépens de l'instance.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par décision contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a dit l'action de M. [E] recevable et en ce qu'il a condamné M. [E] à verser à la Galerie [H] [R] et [K] [D] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Statuant à nouveau,
Condamne la SAS Galerie Charles Ratton et [K] [D] à restituer le vase minoen à M. [N] [E] ;
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne la SAS Galerie Charles Ratton et [K] [D] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE