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20/04/2017 | FRANCE | N°13/06451

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 20 avril 2017, 13/06451


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRÊT DU 20 avril 2017

(n° 239 , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/06451



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Juin 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX RG n° 11/00360



APPELANTE

Madame [Q] [R]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le [Date naissance 1] 1949

comparante e

n personne, assistée de Me Céline NUNES, avocat au barreau de MEAUX



INTIMEE

SA ORPEA 'RESIDENCE [Adresse 2]'

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Gilles BONLARRON, avocat au ba...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRÊT DU 20 avril 2017

(n° 239 , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/06451

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Juin 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX RG n° 11/00360

APPELANTE

Madame [Q] [R]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le [Date naissance 1] 1949

comparante en personne, assistée de Me Céline NUNES, avocat au barreau de MEAUX

INTIMEE

SA ORPEA 'RESIDENCE [Adresse 2]'

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Gilles BONLARRON, avocat au barreau de PARIS, toque : L0303

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 26 Janvier 2017, en audience publique, double rapporteur devant la Cour composée de :

Madame Catherine BEZIO, Président de chambre

M. Mourad CHENAF, Conseiller

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Catherine BEZIO, Président de chambre

M. Mourad CHENAF, conseiller

Mme Patricia DUFOUR, conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Véronique BESSERMAN-FRADIN, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Catherine BEZIO, Président et par Madame Véronique BESSERMAN-FRADIN, greffière présente lors du prononcé.

EXPOSE DU LITIGE :

Vu le jugement en date du 17 juin 2013 par lequel le Conseil de Prud'hommes de MEAUX, statuant dans le litige opposant Madame [Q] [R] à son employeur, la société ORPEA, a dit que la salariée n'établit avoir été victime de harcèlement moral pouvant justifier la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes;

Vu les conclusions enregistrées par le greffe le 26 janvier 2017, soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la salariée, appelante, contestant un avertissement notifié le 17 mars 2011, affirmant ne pas avoir été réglée de ses nombreuses heures supplémentaires effectuées au sein de la résidence et avoir été victime de faits de harcèlement moral dans des conditions justifiant le prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail avec les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, demande à la Cour d'infirmer la décision déférée en ce qu'elle a rejeté sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et ses demandes indemnitaires ;

Madame [Q] [R] demande à la Cour de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur en invoquant les griefs suivants :

- Défaut de paiement des heures supplémentaires

- Travail dissimulé

- Harcèlement moral

Elle sollicite en conséquence la condamnation de la SA ORPEA à lui verser les sommes suivantes :

- 52 487,68 € à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires, outre la somme de 5249,77 € au titre des congés payés afférents ;

- 21 471,32 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé ;

- 24 720 € au titre des astreintes prononcées par l'ordonnance du bureau de conciliation le 12 mai 2012 ;

- 42 950,64 € à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 11 277,30 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 1127,73 € au titre des congés payés afférents ;

- 53 098,71 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les conclusions en date du 26 janvier 2017, reprises oralement à l'audience, aux termes desquelles l'employeur intimé, contestant l'allégation d'un harcèlement moral invoqué par la salariée au soutien de son action en résiliation judiciaire de son contrat de travail, ainsi que le défaut de paiement d'heures supplémentaires, faisant valoir que le licenciement pour inaptitude a été notifié à l'intéressée après recherche d'un reclassement et étude de la proposition faite par le médecin du travail, sollicite l'infirmation du jugement entrepris et demande que la salariée soit déboutée de l'intégralité de ses demandes.

A la suite des débats, les parties ont été entendues en leurs dires et observations et avisées que l'affaire a été mise en délibéré pour un arrêt rendu le 30 mars 2017.

SUR CE, LA COUR

Madame [Q] [R] a été embauchée initialement par la Résidence [Adresse 2] suivant contrat à durée déterminée du 13 novembre 2007 en qualité d'infirmière, coefficient 330 à temps partiel et moyennant une rémunération mensuel brut de 2158,20 €.

La salariée est devenue surveillante de l'établissement selon contrat à durée indéterminée à temps complet du 1er janvier 2008.

Au mois d'octobre 2009, le contrat de travail de Madame [R] a été repris par le Groupe ORPEA a la suite de l'acquisition de la résidence [Adresse 2].

A compter du mois de janvier 2011, Madame [R] a été placée en arrêt de travail. Elle n'a plus repris son poste de travail.

Selon courrier du 17 mars 2011, la SA ORPEA a notifié à Madame [R] un avertissement pour divers manquements professionnels qu'elle a contesté par courrier du 12 avril 2011.

Au dernier état, Madame [R] exerçait les fonctions d'infirmière coordonnatrice et percevait un salaire mensuel moyen brut de 3759,10 €.

La SA ORPEA occupe habituellement plus de 11 salariés et applique la convention collective de l'hospitalisation privée à but lucratif.

Le 29 mars 2011, Madame [Q] [R] a saisi le Conseil de Prud'hommes de MEAUX pour dénoncer le harcèlement moral dont elle soutient avoir été victime et obtenir en conséquence la résiliation judiciaire de son contrat de travail avec toutes conséquences de droit.

Le 15 octobre 2013, a la demande de Madame [R], une visite médicale de reprise a été organisée au terme de laquelle, le Médecin du travail a déclaré Madame [R] inapte au poste dans le contexte organisationnel, serait apte à un poste similaire dans un autre établissement selon avis du 29 octobre 2013.

Par la suite, la SA ORPEA a convoqué Madame [R] pour lui proposer un reclassement au sein du Groupe ORPEA. La salariée ne sait pas présentée à ces convocations avant de faire connaître à son employeur qu'elle refusait les propositions de reclassement.

Madame [R] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 13 novembre 2013 auquel elle ne s'est pas présentée et a été licenciée en cours d'instance, selon courrier du 28 février 2014, pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.

Selon ordonnance de référé du 26 juin 2015, le Conseil de Prud'hommes de MEAUX a ordonné à la SA ORPEA de payer à Madame [R] la somme provisionnelle de 11 719,88 € à titre d'indemnité de licenciement, 500 € à titre de dommages et intérêts pour absence d'information sur le changement de mutuelle, outre la somme de 800 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Sur la demande de liquidation de l'astreinte :

Madame [R] demande à la Cour de constater que la SA ORPEA n'a pas entièrement satisfait à l'injonction donnée par le bureau de conciliation de produire aux débats l'intégralité des fiches d'heures en sa possession , sous astreinte de 40 € par jour de retard, et par voie de conséquence de liquider l'astreinte en condamnant la SA ORPEA à lui verser la somme de 24 720 €.

Cependant, la SA ORPEA démontre avoir communiqué à Madame [R] l'ensemble des fiches de présence en sa possession pour la période considérée.

Par ailleurs, il n'est pas démontré que la SA ORPEA a délibérément refusé de communiquer certains documents antérieurs à 2010 pour faire obstacle aux droits de la salarié qui au demeurant à pu produire aux débats un tableau récapitulatif des heures supplémentaires revendiquées très détaillé.

La demande de liquidation de l'astreinte est par conséquent rejetée.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail :

L'article L 1222-1 du code du travail stipule que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. La résiliation judiciaire prononcée à l'initiative du salarié en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle ne sanctionne que les manquements de l'employeur faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail qui doivent s'analyser à la date à laquelle le juge se prononce.

Dans l'hypothèse d'une action en résiliation judiciaire suivie en cours d'instance d'un licenciement, l'examen de la résiliation judiciaire revêt un caractère préalable, dans la mesure où si la résiliation du contrat est prononcée, le licenciement ultérieurement notifié par l'employeur se trouve privé d'effet et la date d'effet de la résiliation est dans un tel cas fixée à la date de rupture effective du contrat, soit celle de la notification du licenciement.

L'examen de la légitimité du licenciement n'a donc lieu d'être opéré qu'en cas de rejet de la demande de résiliation judiciaire.

Au soutien de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, Madame [Q] [R] reproche à la SA ORPEA les griefs suivants:

- Défaut de paiement des heures supplémentaires

- Travail dissimulé

- Harcèlement moral

Sur les heures supplémentaires :

Aux termes de l'article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

Il y a heures supplémentaires dès lors que les heures de travail au-delà de la durée légale ont été accomplies à la demande de l'employeur. Il en est de même lorsque ce dernier en a au moins tacitement admis la réalisation ou lorsque ce n'est que le résultat de la quantité ou de la nature du travail demandé au salarié.

En l'espèce, Madame [R] expose que pendant toute la relation contractuelle, elle a toujours réalisé de nombreuses heures supplémentaires qui ne lui ont pas été réglées dans leur intégralité, qu'elle était la seule encadrante et qu'à ce titre, elle était la seule salariée à pouvoir pallier à l'absence de certains salariés pendant les pauses déjeuner, que pour sa part, elle ne pouvait au mieux prendre des pauses que de 15 à 30 minutes, que le rythme de travail effréné qui lui était imposé est à l'origine de sa dépression et de son inaptitude médicale au poste, qu'ainsi elle était contrainte de travailler les dimanches, les jours fériés ainsi que pendant les repos de jours fériés travaillés.

Pour étayer ses dires, Madame [R] produit ses fiches individuelles de présence qu'elle remplissait et remettait à son employeur, ses bulletins de salaire et un récapitulatif des heures supplémentaires revendiquées pour les années 2007 à 2011, ainsi qu'un mode de calcul.

Madame [R] évalue ainsi sa demande de rappel de salaire à la somme totale de 52 487,68 € pour les années 2007 à 2011, se décomposant comme suit :

- 28 390,74 € au titre des heures supplémentaires,

- 2839,077 € au titre des congés payés afférents,

- 21 589,15 € au titre du repos compensateurs,

- 2158,92 € au titre des congés payés afférents,

- 952,60 € au titre des dimanches travaillés,

- 95,26 € au titre des congés payés afférents,

- 368,35 € au titre des jours fériés travaillés

- 36,83 € au titre des congés payés afférents,

- 1186,84 € au titre des repos pour jours fériés travaillés

- 118,68 € au titre des congés payés afférents,

Il s'ensuit que la salariée produit des éléments préalables qui peuvent être discutés par l'employeur et qui sont de nature à étayer sa demande.

L'employeur expose que le décompte établi par Madame [R] ne peut être pris en compte pour les années 2008 à 2010 du fait des mentions incomplètes sur le registre de présence, que l'analyse des cahiers d'émargement utilisés au sein de la résidence [Adresse 2] permet de retenir que Madame [R] ne mentionnait pas ses temps de pause ce qu'elle a été contrainte de faire à compter de l'année 2010 avec la mise en place de fiches individuelles de présence instaurée par la SA ORPEA, que les feuilles d'émargement mises en place ne sauraient constituer un suivi des heures de travail supplémentaires effectuées par les salariés, mais un moyen de contrôler la présence des salariés dans l'entreprise et de prévenir des situations de travail excessif, qu'enfin, aucune heure supplémentaire n'a pu être accomplie sans l'accord de l'employeur.

Il convient de constater d'une part que les pièces produites par la salariée démontrent qu'elle a effectué des heures non rémunérées au-delà de la durée contractuelle fixée à 151,67 heures par mois et que l'employeur est dans l'impossibilité de produire, comme il en a l'obligation légale, un système fiable permettant de vérifier le temps de travail réellement effectué par Madame [R].

La salariée produit un décompte mensuel de ses heures supplémentaires détaillé suffisant pour étayer sa demande mais les pièces produites ne suffisent pas à prouver le quantum des sommes réclamées. En effet, il est établi que la salariée a perçu des compléments de salaire pour les dimanches et les jours fériés ainsi que pour des heures supplémentaires à raison d'une moyenne mensuelle de 20 heures comme cela apparaît sur ses bulletins de salaire pour les années 2008 à 2009 et qu'elle a bénéficié de jours de repos compensateurs à compter du mois de mars 2009 pour les heures supplémentaires effectuées.

De plus, s'il ressort des éléments versés au débat que les journées du salarié commençaient au plus tôt à 8h00 pour se finir vers 19h30, il n'est pas établi que la salariée aurait travaillé en dehors de ces horaires ou pendant ses jours de repos, ni qu'elle n'a jamais bénéficié de la pause méridienne, les attestations produites en ce sens n'étant pas suffisamment crédibles et circonstanciées.

L'analyse des éléments versés au débat permet de fixer le quantum d'heures supplémentaires pour l'ensemble de la période d'exécution du contrat de travail à la somme de 12 790 € au titre des heures supplémentaires, outre la somme de 1279 € au titre des congés payés afférents.

Sur la base d'un contingent annuel d'heures supplémentaires fixé à 130 heurs par an, la Cour est en mesure d'évaluer les sommes dues à Madame [R] au titre du repos compensateur à 7215 €, ainsi que celle dues au titre des congés payés afférents à la somme de 721,50 €.

Madame [R] est déboutée du surplus de ses demandes de ce chef.

Sur le travail dissimulé :

En application de l'article L 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour l'employeur, soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L1221-10 du code du travail relatif à la déclaration préalable d'embauche, soit de se soustraire intentionnellement à la formalité prévue à l'article L 3243-2, relatif à la délivrance du bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli. L'article L 8223-1 du code du travail sanctionne le travail dissimulé, 'd'une indemnité forfaitaire allouée au salarié égale à 6 mois de salaire, à moins que l'application d'autres règles légales ou de stipulations conventionnelles ne conduise à une solution plus favorable'.

Au cas d'espèce, le caractère intentionnel du travail dissimulé ne peut se déduire de la seule absence de mention de la totalité des heures supplémentaires sur les bulletins de paie comme le soutient Madame [R].

Een conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté Madame [R] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé.

Sur le harcèlement moral :

Le harcèlement moral dont un salarié a été victime dans le cadre de son contrat de travail caractérise en principe un manquement de l'employeur à ses obligations d'une gravité suffisante pour justifier à lui seul le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail avec tous les effets attachés à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1154-1 du même code la salariée a la charge d'établir des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe ensuite à la partie défenderesse de prouver que les faits qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte du premier de ces textes que les faits susceptibles de laisser présumer une situation de harcèlement moral au travail sont caractérisés, lorsqu'ils émanent de l'employeur, par des décisions, actes ou agissements répétés, révélateurs d'un abus d'autorité, ayant pour objet ou pour effet d'emporter une dégradation des conditions de travail du salarié dans des conditions susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En l'espèce, Madame [R] invoque les faits suivants :

- Elle a été accusée de plusieurs dysfonctionnements lors d'une réunion qui s'est tenue le 22 octobre 2010 en présence de tout le personnel encadrant

- Il lui a été notamment reproché d'orienter des patients de la résidence [Adresse 2] vers son époux qui était kinésithérapeute libéral alors que son intervention à la résidence a été sollicitée par le Docteur [L] en raison de l'absence des kinésithérapeutes qui intervenaient régulièrement auprès des patients

- Le Directeur Régional n'a pas hésité à la dénigrer et à remettre en cause sa probité et son professionnalisme

- La direction de la Résidence [Adresse 2] a refusé la prise en charge de sa mère alors qu'il y avait 8 chambres de libres et qu'il n'existait aucun risque de conflits d'intérêts comme soutenu par la direction

- Elle a fait l'objet d'un avertissement injustifié en mars 2011 alors qu'elle n'avait jamais rencontré de difficulté avec sa hiérarchie auparavant comme en atteste ses entretiens individuels d'évaluation qui démontre son investissement important et ses grandes compétences professionnelles

- Au demeurant, l'employeur lui reproche des faits qui auraient été portés à sa connaissance dès le mois de juin 2010, soit plus de six mois avant la notification de l'avertissement en violation des dispositions de l'article L 1332-4 du code de travail

- A la suite du licenciement de l'ancien directeur et de la démission du médecin coordonnateur, elle s'est retrouvée seule salariée encadrante en sa qualité d'infirmière coordonnatrice ce qui a entraîné une surcharge de travail importante

- Elle a été amené à remplacer certains salariés et à réaliser de nombreuses toilettes de patients et à aider au service en salle de restauration

- Elle a été victime de deux accidents du travail en janvier et mars 2010 ce qui a conduit le médecin du travail a prescrire des restrictions dans le port de charges ou dans la réalisation des toilettes des patients

- Compte tenu du sous-effectif chronique, l'employeur a manqué à son obligation de sécurité résultat en ne respectant pas les restrictions visées par le médecin du travail

- Cette surcharge de travail et les mauvaises conditions de travail ont eu des répercussions sur son état de santé

Pour étayer ses affirmations, Madame [R] produit notamment un courriel du Docteur [L] adressé au directeur régional en date du 2 juillet 2010, les courriers qu'elle a adressés au directeur régional les 8 et 15 novembre 2010 pour dénoncer l'attitude du Directeur Régional et faire était de divers dysfonctionnements dans la résidence [Adresse 2], son courrier recommandé adressé à la résidence [Adresse 2] en date du 27 janvier 2011 et la réponse de la résidence en date du 10 février 2011 au sujet du placement de sa mère, l'avertissement notifié le 17 mars 2011, le plan d'actions communiqué par la nouvelle directrice, sa fiche métier, le courrier de la cpam de seine et marne en date du 14 avril 2011, des attestations de salariés, les avis d'arrêt de travail et les prescriptions médicales, la liste des rendez-vous avec un psychologue, les fiches d'aptitude médicale, les entretiens d'évaluation

Madame [Q] [R] établit ainsi suffisamment des faits répétés qui, pris et appréciés dans leur ensemble, sont de nature à laisser présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral en présence de laquelle l'employeur se doit d'établir que les comportements et faits qui lui sont reprochés sont étrangers à tout harcèlement moral.

L'employeur fait valoir :

- Madame [R] a demandé à son époux, kinésithérapeute libéral, d'intervenir en juillet 2010 à la résidence en l'absence des kinésithérapeutes qui intervenaient habituellement ce qui a causé une altercation verbale avec une cons'ur à son retour de congé

- Un violent conflit a été déclenché par un courrier daté du 30 août 2010 de Monsieur [R] qui a en outre déposé une plainte au pénal contre ses confrères qui à leur tour ont adressé des courriers contentieux à Monsieur [R]

- Ce conflit entre les kinésithérapeutes a perduré jusqu'en novembre 2010 ce qui a amené la direction a abordé cette difficulté lors des réunions de service en en présence de l'équipe encadrante

- Madame [R] n'a nullement été mise en cause de façon agressive ou déplacée même si celle-ci a pu légitiment pu se sentir mal à l'aise

- Dans les différents courriers qu'elle a adressés à la direction, Madame [R] amalgame les tensions nées entre les kinésithérapeutes et son époux avec d'autres difficultés liées à une mésentente avec les kinésithérapeutes intervenants à la résidence [Adresse 2]

- La direction a immédiatement contesté n'avoir jamais remis en cause sa probité ou son professionnalisme et lui a rappelé que son employeur est étranger à la polémique concernant son époux et ses confrères

- Aucune pièce communiquée par Madame [R] n'établit que la direction l'a mise en cause ou a jeté le discrédit sur son professionnalisme

- Il est mensonger comme le soutient Madame [R] de soutenir que la direction a refusé d'accueillir sa mère à la résidence [Adresse 2] pour la déstabiliser alors que le directeur régional a indiqué à Madame [R] son impossibilité d'accueillir sa mère et son souhait de trouver une autre solution au sein du groupe

- Madame [R] n'a jamais cru devoir répondre à la proposition de Monsieur [F] de rechercher une solution d'hébergement pour sa mère dans un établissement du Groupe

- L'avertissement notifié le 17 mars 2011 fait suite aux audits réalisés par le médecin coordonnateur régional qui dans un compte rendu du 6 décembre 2010 fait état de manquements et dysfonctionnements dans la prise en charge des patients imputables à Madame [R]

- La simple remise d'un avertissement, qui n'a rien a voir avec le conflit qui a opposé son époux aux autres kinésithérapeutes, ne saurait constituer un agissement constitutif de harcèlement

En l'état des explications et des pièces des parties, il apparaît que la direction de la résidence [Adresse 2] a notifié à Madame [R] un avertissement le 17 mars 2011, dans lequel il est mentionné, un manque de suivi de l'alimentation des résidents, des non-conformités dans le matériel d'urgence ayant conduit à l'évacuation d'un patient pour détresse respiratoire en janvier 2011, un mauvais rangement des fiches de soins infirmier, le non-respect des protocoles dans la préparation des médicaments, une rupture d'approvisionnement des médicaments et l'absence de réunion hebdomadaire, que ces constations résultent de différents audits réalisés par le médecin coordonnateur régional de novembre à décembre 2010, à propos desquels aucune critique sérieuse ne peut être retenue et qui ne sont pas utilement contredits par les propres observations de Madame [R], que par ailleurs les faits visés dans le courrier de notification sont totalement étrangers au conflit ayant opposé son époux avec les kinésithérapeutes intervenant à la résidence, qu'aucun élément produit aux débats ne permet de soutenir que cet avertissement fondé matériellement lui a été notifié pour la déstabiliser ou pour exercer des pressions pour qu'elle quitte la société ORPEA, alors que la salariée a cessé de se mettre à la disposition de l'employeur depuis le mois de janvier 2011.

De plus, la notification d'un avertissement, y compris après des années de services irréprochables, ne saurait constituer un agissement constitutif de harcèlement moral.

Comme l'a justement relevé le Conseil de Prud'hommes, l'employeur est totalement étranger au conflit violent entre son époux et les kinésithérapeutes intervenant habituellement à la résidence, qui par son ampleur et ses conséquences sur le bon fonctionnement de la résidence, notamment en raison des menaces de plainte au pénal émanant de l'époux de Monsieur [R], a nécessité l'intervention de la direction lors de réunions de travail pour rétablir une collaboration sereine entre les kinésithérapeutes et l'équipe encadrante de la résidence.

Aucune pièce probante communiquée aux débats ne permet d'établir qu'à cette occasion le Directeur Régional a dénigré ou a remis en cause la probité et le professionnalisme de Madame [R] en présence d'autres salariés, ni que la direction a refusé, sans motif légitime, de prendre en charge sa mère à la Résidence [Adresse 2] pour la déstabiliser, alors que celle-ci n'a pas répondu au courrier en date du 10 février 2011 du Directeur l'invitant expressément à rechercher une solution d'accueil de sa mère dans un des établissements du groupe après lui avoir expliqué qu'il était dans l'incapacité de prendre en charge sa mère dans l'établissement [Adresse 2].

Madame [R] est défaillante à démontrer qu'elle été mise en cause de façon agressive ou déplacée en raison de son intervention auprès de son époux pour qu'il intervienne en l'absence des autres kinésithérapeutes. Par ailleurs, il résulte de l'analyse des courriers adressés à la direction que Madame [R] amalgame les tensions nées entre les kinésithérapeutes et son époux avec d'autres difficultés liées à une mésentente avec les kinésithérapeutes intervenants à la résidence [Adresse 2].

Au contraire, le Directeur Régional indique dans son courrier du 22 novembre 2010 à Madame [R] qu'il comprend que sa situation personnelle soit difficile et qu'elle a légitiment pu se sentir mal à l'aise en sa qualité d'épouse de l'un des protagonistes du conflit entre les professionnels de santé et termine son courrier du 22 novembre 2010 en ses termes « Nous n'avons naturellement aucun doute quant à votre implication professionnelle et comptons poursuivre une collaboration fructueuse avec vous. »

A la suite des difficultés exprimées par Madame [R] dans l'exercice de ses attributions en raison du conflit entre les kinésithérapeutes, il n'est pas contesté que le directeur régional a demandé selon courriel du 22 octobre 2010 à Monsieur [C] qu'il organise une visite médicale de Madame [R] auprès du médecin du travail.

De plus, les documents médicaux communiqués par Madame [R] sont insuffisants et manquent de précision et de clarté pour démontrer l'existence d'un lien de causalité entre les conditions de travail au sein de la résidence [Adresse 2] et le syndrome dépressif dont souffre Madame [R], ni que le surmenage allégué résulte des heures supplémentaires effectuées au sein de la résidence [Adresse 2], les avis du médecin du travail datés d'octobre 2013, soit plus de 2 ans et 8 mois après le dernier jour travaillé par la salariée ne permettent pas de démontrer que l'inaptitude professionnelle serait consécutive aux conditions de travail de Madame [R] et au climat social dans la résidence à la suite du conflit entre les kinésithérapeutes qui a débuté en août 2010 et a perduré jusqu'en novembre 2010.

Enfin, Madame [R] est défaillante à établir que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne respectant pas les restrictions visées par le médecin du travail à la suite de ses deux accidents du travail en janvier et mars 2010.

L'employeur démontre ainsi que les faits matériellement établis par Madame [R] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. La demande de dommages et intérêts relative au harcèlement est par conséquent être rejetée.

En définitive, seul le défaut de rémunération de la totalité des heures supplémentaires, tel que caractérisé ci-dessus, constitue en soi un manquement suffisamment grave de l'employeur ne permettant pas à Madame [Q] [R] de poursuivre son contrat de travail au sein de l'entreprise.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré en faisant droit à l'action de la salariée tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail étant précisé que la date d'effet de cette rupture doit être fixée au 28 février 2014, date de notification du licenciement pour inaptitude physique prononcé ultérieurement à la saisine par la salariée du Conseil de Prud'hommes.

Produisant tous les effets d'un licenciement prononcé sans cause réelle et sérieuse, Madame [Q] [R] peut prétendre aux indemnités de rupture appréciés sur le fondement des articles L.1235-1 à L.1235-3 du code du travail.

Compte tenu de l'âge et de l'ancienneté de la salariée, de sa rémunération et de la taille de l'entreprise, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il convient d'allouer à Madame [R] la somme de 42 950,64 € à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Madame [R] est déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral faute pour elle de démontrer que la rupture de son contrat de travail serait intervenue dans des conditions brutales et vexatoires.

Le droit de la salariée au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, non spécifiquement contestés dans leur quantum, est fixé comme suit :

- 11 277,30 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 1127,73 € au titre des congés payés afférents 

En application des articles 44 et 47 de la convention collective de l'Hospitalisation privée définissant la notion d'ancienneté et le mode de calcul de l'indemnité conventionnelle de licenciement et l'article 90,4 de l'annexe du 10 décembre 2002 prévoyant une reprise de l'ancienneté acquise par le salarié dans ses précédents emplois au sein d'établissements hospitalier accueillant des personnes âgées, la Cour estime justifié le montant de la somme réclamée à ce titre par l'appelant soit 53098,71 euros.

Sur la remise de documents :

Il sera ordonné à la SA ORPEA de remettre à Madame [R] un certificat de travail, une attestation POLE EMPLOI et des bulletins de salaire conformes à la présente décision.

Aucune circonstance de l'espèce ne conduit à assortir cette disposition d'une mesure d'astreinte.

Sur les dépens et frais irrépétibles :

L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de la salariée et d'allouer à celle-ci une indemnité d'un montant de 2500 €.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'employeur les frais irrépétibles exposés par lui.

La société ORPEA, partie succombante, est condamnée aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

Infirme en toutes ses dispositions, le jugement du Conseil de Prud'hommes de MEAUX en ce qu'il a rejetté la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [Q] [R] aux torts exclusifs de la SA ORPEA;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [Q] [R] à compter du 28 février 2010;

Dit que la rupture du contrat de travail Madame [Q] [R] est imputable à la société ORPEA et doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Condamne la société ORPEA à payer à Madame [Q] [R] les sommes suivantes :

-12 790 € au titre des heures supplémentaires ;

-1279 € au titre des congés payés afférents ;

-7215 € au titre du repos compensateur ;

-721,50 € au titre des congés payés afférents ;

-11 277,30 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

-1127,73 € au titre des congés payés afférents ;

-53 098,71 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

-42 950,64 € à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêt au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation du Conseil de Prud'hommes, et les sommes à caractère indemnitaire, à compter et dans la proportion de la décision qui les a prononcées ;

Ordonne à la SA ORPEA de remettre à Madame [Q] [R] les documents sociaux conformes à la présente décision ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la SA ORPEA à payer à Madame [Q] [R] la somme de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SA ORPEA de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SA ORPEA aux entiers dépens de l'instance.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 13/06451
Date de la décision : 20/04/2017

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°13/06451 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-04-20;13.06451 ?
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