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26/01/2017 | FRANCE | N°15/186747

France | France, Cour d'appel de Paris, C2, 26 janvier 2017, 15/186747


Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 26 JANVIER 2017
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/18674
Décision déférée à la cour : jugement du 28 octobre 2014- Tribunal de grande instance de PARIS-RG no 13/ 04506

APPELANTS

Madame Aïka X... agissant en la personne de ses représentants légaux : Mme Y... épouse Z... et M. Pierre Z...... 20290 BORGO

Madame A... Z...... 20290 BORGO

Monsieur Pierre Z...... 20290 BORGO

Représentés par Me Isabelle PINTO, avocat au barreau de PARIS, toque : E1417 Assistés de Me Anne FREYSSINIER, avocat a

u barreau de PARIS, toque B940

INTIMÉS

Monsieur Denis B...... 92600 ASNIERES SUR SEINE

Défaillant....

Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 26 JANVIER 2017
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/18674
Décision déférée à la cour : jugement du 28 octobre 2014- Tribunal de grande instance de PARIS-RG no 13/ 04506

APPELANTS

Madame Aïka X... agissant en la personne de ses représentants légaux : Mme Y... épouse Z... et M. Pierre Z...... 20290 BORGO

Madame A... Z...... 20290 BORGO

Monsieur Pierre Z...... 20290 BORGO

Représentés par Me Isabelle PINTO, avocat au barreau de PARIS, toque : E1417 Assistés de Me Anne FREYSSINIER, avocat au barreau de PARIS, toque B940

INTIMÉS

Monsieur Denis B...... 92600 ASNIERES SUR SEINE

Défaillant.
Monsieur C... P...... 93420 VILLEPINTE

Défaillant.
Monsieur Oumou D...... 78990 ELANCOURT

Défaillant.
Monsieur Christian E...... 84200 CARPENTRAS né le 07 Août 1957 à SAINTE FOY LES LYONS

Représenté par Me Charlotte MAZY, avocat au barreau de PARIS, toque : P123, substituant Me Farid FARYSSY, avocat au barreau d'Avignon

Madame Anne E... F...... 84200 CARPENTRAS née le 10 Novembre 1954 à AVIGNON

Représentée par Me Charlotte MAZY, avocat au barreau de PARIS, toque : P123, substituant Me Farid FARYSSY, avocat au barreau d'Avignon

Monsieur Richnel G...... 67800 BISCHHEIM

Défaillant.

Madame Joanna H...... 67800 BISCHHEIM

Défaillante.

Etablissement CLINIQUE MEDICALE ET PEDAGOGIQUE EDOUARD RIST prise en la personne de son représentant légal 14 rue Boileau 75016 PARIS/ FRANCE

Représentée et assistée de Me Isabelle ALLEMAND de la SCP SOULIE COSTE-FLORET et AUTRES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0267
Etablissement Public CPAM DE LA HAUTE CORSE pris en la personne de son représentant légal 5 avenue Jean Zuccarelli 20200 BASTIA

Défaillante.

COMPOSITION DE LA COUR :

Madame Isabelle CHESNOT, conseillère, ayant été entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été appelée le 08 décembre 2016, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère Madame Isabelle CHESNOT, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Josette THIBET

ARRÊT :

- défaut-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Hélène POINSEAUX, présidente et par Mme Malika ARBOUCHE, greffier présent lors du prononcé.
*********** La jeune Aïka Carole X..., née le 3 novembre 1991, subissant des séquelles physiques et psychologiques à la suite d'un accident de la circulation survenu le 30 mai 2007, a été admise le 11 juillet 2007 à la clinique médicale et pédagogique Edouard Rist.

Le 25 mars 2008, Aïka X... a été victime de viols et d'agressions sexuelles commis dans les toilettes de la clinique par plusieurs patients mineurs.
Par jugement daté du 10 décembre 2012, le tribunal pour enfants de Paris a déclaré Messieurs C... et R... coupables pour les faits qualifiés d'agression sexuelle commise en réunion et les a condamnés à des peines pénales. Sur l'action civile, la constitution de partie civile de Madame Y... représentante légale de Mademoiselle X... a été déclarée recevable et Messieurs C... et R... ont été condamnés solidairement entre eux et in solidum avec leurs parents à réparer le préjudice subi par la victime. Avant dire droit, sur le préjudice de Mademoiselle X..., une expertise médicale a été ordonnée et confiée au Docteur K.... Selon jugement du 28 avril 2014, définitif à ce jour, le tribunal pour enfants de Paris a reçu Aïka X... et ses représentants légaux en leur constitution de partie civile, a condamné Messieurs C... et R..., mineurs au moment des faits, à verser à Aïka X... la somme de 24 800 € en réparation de son préjudice corporel avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement et à payer 500 € chacun au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale. Le jugement a en outre été déclaré commun à la CPAM.

Par arrêt rendu le 9 octobre 2015 (soit à une date postérieure au jugement déféré devant la présente cour), la cour d'assises des mineurs de Seine-et-Marne statuant sur appel d'une décision rendue le 28 février 2013, a déclaré Messieurs Mamadou L... et Fabrice G... coupables de viols et d'atteintes sexuelles sur la personne de Aïka X..., les a condamnés à des peines pénales et a confirmé l'arrêt déféré ayant acquitté Monsieur Benoît E....
Aïka X..., représentée par sa mère, Madame A... M... Y... épouse Z... ainsi que cette dernière à titre personnel et Monsieur Pierre Z... ont fait citer devant le tribunal de grande instance de Paris la clinique Edouard Rist et la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse aux fins, sur le fondement des articles 1383 et 1384 alinéa 1 du code civil, d'indemnisation de sa perte de chance d'avoir été protégée dans son intégrité physique et de son préjudice moral. La clinique a appelé en intervention forcée Madame Oumou D..., Monsieur Christian et Madame Anne E..., Monsieur G... et Madame Joanna H..., Monsieur P... C... et Monsieur Denis B... en leur qualité de civilement responsables des mineurs poursuivis pour les faits subis par Aïka X....

Le tribunal de grande instance de Paris a par jugement du 28 octobre 2014 :- débouté Mademoiselle Aïka Carole X..., Madame A... M... Y... épousé Z... en son nom personnel et ès qualités de curatrice de Mademoiselle X... et Monsieur Pierre Z... de l'ensemble de leurs demandes ;- déclaré les demandes d'appel en garantie et de communication de coordonnées sollicitées par la clinique médicale et pédagogique Edouard Rist sans objet ;- débouté Monsieur Benoît E... et ses parents Monsieur et Madame E... de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;- dit n'y avoir lieu à allouer des sommes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;- condamné Mademoiselle Aika Carole X..., Madame A... M... Y... épousé Z... en son nom personnel et ès qualités de curatrice de Mademoiselle X... et Monsieur Pierre Z... en tous les dépens de l'instance.

Pour l'essentiel, le tribunal a dit que le litige est de nature contractuelle du fait du contrat de séjour et de soins conclu entre la clinique Edouard Rist et Aïka X... et excluant l'application de l'article 1383 du code civil, que la responsabilité de la clinique ne pouvait être recherchée que sur le fondement de l'article 1147 du code civil. Il a au surplus, relevé que l'obligation de surveillance à la charge de l'établissement n'est qu'une obligation de moyen, que les demandeurs ne rapportent pas la preuve que le centre n'aurait pas tout mis en oeuvre pour assurer cette surveillance et que le lien de causalité n'est pas justifié entre les manquements allégués, à savoir l'omission de donner à Aïka X... un traitement approprié pour éviter sa contamination par le VIH et le fait d'avoir chercher à étouffer l'affaire, et les préjudices qui ne sont qu'éventuels. Sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1 du code civil, le tribunal, après avoir rappelé que cette responsabilité des personnes chargées de gouverner le mode de vie d'un mineur ne peut coexister avec la responsabilité des parents prévue à l'alinéa 4 du même article, a considéré qu'il n'était pas établi que la cohabitation des mineurs avec leurs parents avait cessé, d'autant plus qu'au terme du jugement rendu par le tribunal correctionnel, les parents ont été déclarés civilement responsables de leurs enfants.

Aïka X..., Madame A... M... Y... épouse Z... et Monsieur Pierre Z... ont fait appel de ce jugement selon déclaration au greffe de la cour le 28 novembre 2014.
Après que le conseiller de la mise en état constatant l'absence de remise au greffe des avis de signification aux parties défaillantes a prononcé la caducité partielle de la déclaration d'appel, la cour saisie d'un déféré a, par arrêt du 17 septembre 2015, constaté que tous les actes de procédure ont été signifiés par voie d'huissier dans le délai de deux mois de l'article 909 du code de procédure civile et par suite, infirmé l'ordonnance déférée et dit n'y avoir lieu à caducité partielle, l'instance se poursuivant alors entre l'ensemble des parties au jugement frappé d'appel.
Par conclusions signifiées le 8 février 2016, Aïka X... " pris en ses représentants légaux Mme Y... épouse Z... et M. Pierre Z... " demande à la cour, au visa des articles 1383 et 1384 alinéa 1er du code civil, de :- déclarer responsable la clinique Edouard Rist à son égard ;- constater la mise en cause de la CPAM de Haute-Corse ;- condamner la clinique Edouard Rist à l'indemniser à hauteur de 76 206, 13 euros au titre de la perte de chance et du préjudice moral enduré ;- condamner la clinique Edouard Rist à lui payer au titre des frais matériels engagés la somme de 3 006, 13 € ;- condamner la clinique Edouard Rist à payer à ses parents la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Freyssinier.

Aïka X... soutient que la responsabilité de la clinique médicale Edouard Rist peut être recherchée de façon autonome par rapport à la question de la culpabilité des auteurs des faits. Elle affirme que la directrice de la clinique n'a pas correctement évalué les risques d'atteintes physiques que sa patiente pouvait encourir en raison notamment de ses troubles du comportement la rendant incapable d'appréhender la notion de danger, qu'elle a affecté un personnel insuffisant pour la surveillance des patients, qu'elle a sciemment tardé à organiser les premiers soins qui lui étaient nécessaires et a cherché à étouffer l'affaire ce qui a entraîné de fortes perturbations dans la matérialité des preuves et la recherche de la vérité. Par ailleurs, elle indique qu'elle n'entend pas rechercher la responsabilité des parents des mineurs coupables des faits de sorte qu'il n'y a pas concurrence entre responsables de plein droit. Elle affirme que la clinique avait bien la garde de ces jeunes dès lors qu'elle avait le pouvoir d'organiser, de diriger, de contrôler leur mode de vie et ce notamment en fonction des pathologies de chaque patient, que cette responsabilité de plein droit est engagée sauf force majeure qui n'est pas établie en l'espèce. Elle considère que les manquements de la clinique lui ont fait perdre une chance d'être protégée dans son intégrité physique alors qu'elle était gravement malade et avait besoin d'une prise en charge totale de son quotidien, que ce préjudice est différent du préjudice corporel et résulte du seul comportement de la clinique qui doit répondre des personnes sur lesquelles elle exerçait un pouvoir effectif.

La clinique Edouard Rist, en l'état de ses dernières conclusions signifiées le 12 février 2016, forme les demandes suivantes :- dire et juger Mademoiselle X... et ses parents irrecevables en leurs demandes ; En tout état de cause,- confirmer la décision rendue par le tribunal de grande instance de Paris le 28 octobre 2014 en ce qu'il a débouté Mademoiselle X... et ses parents ;- dire et juger que Messieurs Q..., Giani R..., Mamadou L... et Fabrice G... étaient sous la garde de leurs parents au moment des faits, lesquels sont civilement responsables des actes de leurs enfants mineurs ; Subsidiairement,- dire et juger que le préjudice de Mademoiselle X... a d'ores et déjà été fixé par le tribunal correctionnel suivant décision définitive du 28 avril 2014 à la somme de 24 800 € ;- en conséquence, débouter Mademoiselle X... de toutes autres demandes ; En tout état de cause,- condamner les parents des auteurs de l'agression, Madame D..., Monsieur G... et Madame H..., Monsieur C..., Monsieur B..., à relever et garantir la clinique Edouard Rist de toute condamnation pouvant intervenir à son encontre ;- faire sommation à Madame D..., Monsieur G... et Madame H..., Monsieur C..., Monsieur B... de communiquer les coordonnées de leur assureur responsabilité civile ; Vu l'arrêt rendu par la Cour d'Assises le 9 octobre 2015,- lui donner acte de son désistement à l'encontre de Monsieur et Madame E..., assignés en leur qualité de civilement responsables de leur fils Benoit E... ;- condamner tout succombant au paiement d'une somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.

La clinique Edouard Rist soulève l'irrecevabilité des demandes formées par Aïka X... afin d'obtenir réparation d'un préjudice qui a déjà été indemnisé par jugement du tribunal correctionnel en date du 28 avril 2014. Sur la responsabilité pour faute, le clinique soutient qu'elle ne peut être recherchée que sur le fondement contractuel, qu'au surplus, les fautes alléguées par Aïka X... ne sont pas établies. Sur la responsabilité de plein droit pour fait d'autrui, la clinique rappelle que les patients sont sous le régime de l'hospitalisation libre, qu'il n'est pas démontré que la garde des patients coupables des faits lui avait été transférée, que bien au contraire, le tribunal correctionnel a condamné les parents en leur qualité de civilement responsables, que pour cette raison, ils ont été sommés de produire leurs polices d'assurance en responsabilité civile et ont été appelés en intervention forcée à la présente instance, qu'au demeurant, Aïka X... entend se désister de sa demande à l'encontre des parents de Benoit E... qui a été acquitté par la cour d'assises statuant en appel. Enfin, la clinique affirme que la demande indemnitaire formée par Aïka X... fait double emploi avec les sommes accordées par le tribunal correctionnel au titre de son préjudice corporel. Elle relève aussi que l'expert judiciaire désigné dans la procédure pénale considère que de nombreux postes de préjudice relèvent de la perte de chance " plutôt due à l'accident qu'au viol ".

Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 octobre 2016, Monsieur Christian E... et Madame Anne F... épouse E..., agissant tant pour leur compte que pour le compte de leur enfant mineur, M. Benoît E..., demandent à la cour de :- Constater que les conséquences dommageables subis par Benoît E... et sa famille sont dus au manquement de l'établissement Edouard Rist,- débouter la clinique Edouard Rist de toutes ses demandes, fins et conclusions,- prendre acte de son désistement tardif à l'égard de la famille E...,- les dire et juger non responsables des faits imputés,- dire et juger Monsieur Benoît E... non responsable des faits reprochés.- condamner la clinique Edouard Rist ou tout succombant à porter et leur payer la somme de 5000 € chacun pour procédure abusive en ce qu'elle est manifestement et prévisiblement mal fondée,- condamner la clinique Edouard Rist ou tout succombant à porter et payer à Monsieur Benoît E... la somme de 5000 € pour procédure abusive en ce qu'elle est manifestement et prévisiblement mal fondée,- condamner la clinique Edouard Rist ou tout succombant à porter et payer la somme de 25000 € de dommages et intérêts à Benoit E...,- condamner la clinique Edouard Rist ou tout autre succombant à porter et payer la somme de 15000 € à chacun des parents au titre des dommages et intérêts ;- condamner la clinique Edouard Rist ou tout autre succombant à leur porter et payer la somme de 5000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,- condamner la clinique Edouard Rist ou tout autre succombant à porter et payer la somme de 2500 € à Monsieur Benoît E... en application de l'article 700 du Code civil,- condamner la clinique Edouard Rist ou tout autre succombant à supporter les entiers frais et dépens de l'instance.

Régulièrement cités par exploits d'huissier de justice, la CPAM de Corse (30 mars 2015 délivré à personne habilitée), Monsieur Denis B... (26 mars 2015 à domicile), Monsieur G... (30 mars 2015 à domicile), Madame Joanna H... (30 mars 2015 à domicile), Madame Oumou D... (24 mars 2015 à sa personne), Monsieur C... P... (25 mars 2015 à sa personne) n'ont pas constitué avocat. La présente décisions sera rendue par défaut.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 février 2016.
A l'audience de plaidoiries, la cour a appelé les parties à lui adresser une note en délibéré portant sur l'application au présent litige de l'article 550 du code de procédure civile. Il a aussi autorisé l'avocat des appelants à justifier de la qualité de curatrice de Madame A... épouse Z.... Les appelants, la clinique Edouard Rist et les époux E... ont fait parvenir leurs notes écrites respectivement les 9 décembre 2016, 5 et 9 janvier 2017. Il a été justifié du placement de Aïka X... sous la curatelle simple de sa mère, Madame A... Y... épouse Z... selon jugement du 12 juin 2012.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la recevabilité de l'appel formé par les époux E... à l'encontre de la clinique Edouard Rist :
Il est constant que par déclaration du 28 novembre 2014, les consorts X... ont interjeté un appel total à l'encontre du jugement rendu le 28 octobre 2014, que la clinique Edouard Rist, intimée appelant en garantie les époux E... leur a fait signifier la déclaration d'appel et ses premières conclusions par exploit d'huissier du 26 mars 2015, que les consorts X... se sont désistés de leur appel à l'encontre des époux E... par conclusions signifiées par acte d'huissier du 15 février 2016, que les époux E... ont constitué avocat dans l'instance d'appel le 1er juillet 2016 et ont conclu le 17 octobre 2016.
En application de l'article 909 du code de procédure civile auquel renvoie l'article 550 du même code, les époux E..., intimés par la clinique Edouard Rist, disposaient d'un délai de 2 mois à compter du 26 mars 2015 pour conclure et relever appel incident à l'encontre de la clinique.
Il en résulte l'irrecevabilité de leurs conclusions signifiées tardivement de sorte que la cour n'est saisie d'aucune demande des époux E....
Sur la fin de non recevoir :
Il ressort des motifs et du dispositif des écritures de la clinique Edouard Rist qu'elle demande à la cour de relever l'irrecevabilité des demandes d'indemnisation formées par Aïka X... en soutenant que la jeune victime ne peut prétendre à indemnisation de ses préjudices par la juridiction civile puisque selon décisions des juridictions pénales, elle a déjà obtenu réparation de ses préjudices corporels. Force est toutefois de constater que les conditions de l'autorité de la chose jugée, posées par l'article 1351 du code civil, ne sont pas remplies, la cause des demandes d'indemnisation et les parties en litige n'étant pas les mêmes à la présente instance et devant les juridictions pénales. En effet, la cour est actuellement saisie d'une action formée par Aïka X... à l'encontre de la clinique Edouard Rist aux fins d'indemnisation de préjudices spécifiques résultant de l'attitude du centre médico-hospitalier lors des faits criminels dont elle a été victime. Ces préjudices sont distincts des préjudices corporels subis du fait des agressions et indemnisés par les parents des agresseurs mineurs en leur qualité de civilement responsables sur condamnation des juridictions pénales. La cour constate qu'en réalité, la clinique Edouard Rist ne fait pas valoir une cause d'irrecevabilité mais une défense au fond. Il y a donc lieu de rejeter cette fin de non recevoir, le bien fondé des demandes indemnitaires devant être apprécié ci-après lors de la discussion au fond.

Sur la responsabilité de la clinique Edouard Rist :
Les premiers juges ont fait une analyse pertinente des liens juridiques existant entre la clinique Edouard Rist et ses patients en relevant l'existence d'un contrat de séjour et de soins entre le centre médico-pédagogique et le patient, ou ses représentants légaux si le patient est mineur. Aïka X... ne peut donc pas agir à l'encontre de la clinique Edouard Rist sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil. Par ailleurs, les parents des mineurs auteurs des faits de viol et d'agression sexuelle ont été dans le cadre des instances pénales déclarés civilement responsables des faits commis par leurs enfants mineurs sur le fondement de l'article 1384 alinéa 4 ancien du code civil. Il a ainsi été jugé que les parents avaient gardé le contrôle de leurs enfants, étant observé que ces derniers résidaient dans le centre médico-pédagogique dans le cadre d'une hospitalisation libre, décidée par leurs parents. Dès lors, les appelants ne peuvent venir rechercher devant une juridiction civile la responsabilité de plein droit de la clinique Edouard Rist sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er ancien du code civil en considérant que le centre médico-pédagogique était chargé d'organiser et de contrôler le mode de vie des mineurs coupables des agressions. En effet, les responsabilités du fait d'autrui sont alternatives et non pas cumulatives.

En vertu des dispositions de l'article L 1142-1 du code de la santé publique, le contrat d'hospitalisation et de soins met à la charge de l'établissement de santé notamment l'obligation d'exercer une surveillance sur les patients hospitalisés et de s'assurer par des moyens matériels et humains adaptés de leur sécurité. Cette obligation qui n'est que de moyens est toutefois renforcée lorsqu'il s'agit, comme dans le cas de Aïka X..., d'un patient dont l'état de santé altère ses capacités tant physiques que mentales.

Il appartient à l'appelante de rapporter la preuve que le centre n'a pas tout mis en oeuvre pour assurer sa surveillance et sa sécurité. Pour ce faire, elle produit aux débats les rapports d'expertise médicale établis dans le cadre des procédures pénales et des procès-verbaux rédigés par la brigade de protection des mineurs.
Il est ainsi établi que les services de police n'ont été avisés des faits que le lendemain, mercredi 26 mars 2008, dans l'après-midi par le docteur T..., médecin exerçant à la clinique Edouard Rist et chargé du suivi de Aïka X..., que la directrice de la clinique, Madame U..., nécessairement avertie des faits dans la soirée du mardi 25 mars, n'en a pas avisé les services de police puis a fait preuve de lourdes réticences tant pour permettre aux services enquêteurs d'accéder aux lieux que pour révéler les identités des patients qui pourraient être impliqués. Il est aussi avéré que le soir des faits, les jeunes avaient organisé une fête dans une chambre, qu'ils y ont consommé de l'alcool, que Aïka X... souhaitant fumer une cigarette s'est rendue dans le bâtiment Colombet, que cette partie de la clinique ne doit pas normalement être fréquentée le soir par les patients, que la présence de lumière dans ce bâtiment a incité une éducatrice de la clinique à s'y rendre, qu'elle a alors découvert Aïka X... en état de choc et l'a prise en charge en la reconduisant dans sa chambre, avisant le personnel infirmier de la situation. Enfin, il est constant qu'avant l'intervention des enquêteurs, les toilettes et la chambre dans laquelle se déroulait la fête organisée par les jeunes patients ont été nettoyées, rendant ainsi inutiles toutes investigations scientifiques et que Aïka X... n'a été prise en charge sur le plan médical que le mercredi à partir de 13 heures 15, heure à laquelle le service des urgences médico-judiciaires a réclamé la présence de la jeune patiente afin de commencer au plus vite un traitement de prévention anti-rétroviral, certains de jeunes désignés comme les agresseurs étant atteints du sida. En dernier lieu, il échet de rappeler que Aïka X... était hospitalisée à la clinique Edouard Rist à la suite d'un accident de la voie publique ayant entraîné un poly-traumatisme dont un traumatisme crânien grave et qu'elle subissait au moment des faits d'agression des troubles cognitifs et psycho-comportementaux secondaires à ce traumatisme crânien.

En permettant que des patients mineurs puissent organiser une fête alcoolisée dans une chambre puis qu'ils aient accès à une partie des bâtiments non ouverte aux patients pendant la soirée, la clinique Edouard Rist a commis des manquements à son obligation de sécurité à l'égard d'une patiente mineure qui, en raison de ses troubles, se trouvait en situation de grande vulnérabilité laquelle a été aggravée par l'absorption d'alcool. Ces manquements ont entraîné pour Aïka X... non le préjudice d'avoir été victime des agressions mais une perte de chance d'avoir pu les éviter. Compte-tenu des circonstances de la cause, il convient d'évaluer l'indemnisation à laquelle elle peut prétendre de ce chef à la somme de 8 000 euros, laquelle réparera son entier préjudice.

En revanche, Aïka X... n'établit pas que les autres fautes commises par la clinique, à savoir la tardiveté de la plainte auprès des services de police et la remise en état des lieux avant investigations policières, ont entraîné pour elle des préjudices. Force est en effet de constater en l'état des pièces versées aux débats que les agissements de la clinique et de sa directrice sont relatés par les services de police mais que Aïka X... n'en fait jamais état dans ses déclarations et que l'expert psychiatre mandaté pour examiner la jeune victime n'a pas caractérisé de traumatisme en lien avec le positionnement du centre médico-pédagogique immédiatement après la commission des faits. Par ailleurs, c'est par des motifs pertinents que les premiers juges ont relevé que le manquement de la clinique à administrer dans les plus brefs délais à Aïka X... un traitement approprié en vue d'éviter la contamination par le virus du Sida n'est en lien qu'avec un préjudice éventuel qui n'est pas indemnisable.
En dernier lieu, les époux Z... qui agissent à titre personnel ne prouvent pas les préjudices qu'ils ont eux même subis du fait fautif de la clinique. Leurs demandes de dommages et intérêts seront rejetées.
Sur l'appel en garantie et la demande de production de pièces :
Compte-tenu du sens de la présente décision, la clinique Edouard Rist ne répond que de ses propres manquements et non des agissements de ses patients mineurs. Son appel en garantie à l'encontre des parents des agresseurs ainsi que la demande de production aux débats des attestations d'assurance en responsabilité civile deviennent sans objet de sorte que le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
Sur les autres demandes :
La clinique Edouard Rist qui succombe supportera les dépens. Il serait inéquitable de laisser à la charge de Aïka X... assistée par sa curatrice Madame Y... épouse Z... les frais irrépétibles engagés pour la présente procédure. Il lui sera accordé la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par décision rendue par défaut, mise à disposition au greffe
Donne acte à la clinique Edouard Rist de son désistement d'appel à l'encontre de Monsieur et Madame E... ès qualités de représentant légal de leur fils Benoît E... ;
Constate l'irrecevabilité des conclusions notifiées par les époux E... agissant à titre personnel et ès qualités de représentant légal de leur fils Benoît E... ; constate qu'en conséquence, la cour n'est saisie d'aucune demande ni d'aucun appel incident de leur part ;
Rejette la fin de non recevoir soulevée par la clinique Edouard Rist à l'encontre des demandes indemnitaires formées par Aïka X... ;
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté les demandes formées à titre personnel par Madame Y... épouse Z... et par Monsieur Z... et en ce qu'il a déclaré les demandes d'appel en garantie et de communication de coordonnées sollicitées par la clinique Edouard Rist sans objet ;
En conséquence, statuant à nouveau
Dit que la clinique Edouard Rist a commis des fautes ayant entraîné pour Aïka X... une perte de chance ;
Condamne la clinique Edouard Rist à verser à Aïka X... assistée de sa curatrice Madame Y... épouse Z... la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Condamne la clinique Edouard Rist à payer à Aïka X... assistée de sa curatrice Madame Y... épouse Z... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la clinique Edouard Rist aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : C2
Numéro d'arrêt : 15/186747
Date de la décision : 26/01/2017
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2017-01-26;15.186747 ?
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