La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/11/2016 | FRANCE | N°15/10091

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 17 novembre 2016, 15/10091


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2016



(n° 2016- 369 , 15 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/10091



Décision déférée à la cour : jugement du 10 avril 2015 -tribunal de grande instance de BOBIGNY - RG n° 13/07157





APPELANTS



Monsieur [U] [J]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

né le [Date naissance 1]

1936 à [Localité 1]



Madame [I] [L] EPOUSE [J]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 2] 1944 à [Localité 2] (URSS)



Monsieur [H] [J]

[Adresse 3]

[Adresse 2]

né le [Date naissance ...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2

ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2016

(n° 2016- 369 , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/10091

Décision déférée à la cour : jugement du 10 avril 2015 -tribunal de grande instance de BOBIGNY - RG n° 13/07157

APPELANTS

Monsieur [U] [J]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

né le [Date naissance 1] 1936 à [Localité 1]

Madame [I] [L] EPOUSE [J]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 2] 1944 à [Localité 2] (URSS)

Monsieur [H] [J]

[Adresse 3]

[Adresse 2]

né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 3] (ISRAEL)

Madame [Z] [N] EPOUSE [J]

[Adresse 3]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 4]

Monsieur [D] [J]

[Adresse 4]

[Adresse 2]

né le [Date naissance 4] 1972 à [Localité 5]

Madame [S] [D]

[Adresse 4]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 5] 1971 à [Localité 6]

Représentés et assistés par Me Frédéric BIBAL de l'ASSOCIATION ARPEJ', avocat au barreau de PARIS, toque : J103

Mademoiselle [A] [J] représentée légalement par ses parents, Monsieur [H] [J], né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 3] (ISRAEL), et Madame [Z] [N] épouse [J], née le [Date naissance 2] 1968 au [Localité 7]

[Adresse 3]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 6] 1999 à [Localité 6]

Représentée et assisté par Me Frédéric BIBAL de l'ASSOCIATION ARPEJ', avocat au barreau de PARIS, toque : J103

Mademoiselle [R] [J] représentée légalement par ses parents, Monsieur [H] [J], né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 3] (ISRAEL), et Madame [Z] [N] épouse [J], née le [Date naissance 2] 1968 au [Localité 7]

[Adresse 3]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 7] 2003 à [Localité 6]

Représentée et assisté par Me Frédéric BIBAL de l'ASSOCIATION ARPEJ', avocat au barreau de PARIS, toque : J103

Mademoiselle [X] [J] représentée légalement par ses parents, Monsieur [D] [J], né le [Date naissance 4] 1972 à [Localité 5], et Madame [S] [D], née le [Date naissance 5] 1971 à [Localité 6].

[Adresse 4]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 2] 2001 à PARIS [Localité 8]

Représentée et assistée par Me Frédéric BIBAL de l'ASSOCIATION ARPEJ', avocat au barreau de PARIS, toque : J103

Monsieur [N] [J] représenté légalement par ses parents, Monsieur [D] [J], né le [Date naissance 4] 1972 à [Localité 5], et Madame [S] [D], née le [Date naissance 5] 1971 à [Localité 6].

[Adresse 4]

[Adresse 2]

né le [Date naissance 8] 2003 à PARIS [Localité 8]

Représenté et assisté par Me Frédéric BIBAL de l'ASSOCIATION ARPEJ', avocat au barreau de PARIS, toque : J103

Monsieur [E] [J] représentée légalement par ses parents, Monsieur [D] [J], né le [Date naissance 4] 1972 à [Localité 5], et Madame [S] [D], née le [Date naissance 5] 1971 à [Localité 6].

[Adresse 4]

[Adresse 2]

né le [Date naissance 6] 2007 à [Localité 6]

Représenté et assisté par Me Frédéric BIBAL de l'ASSOCIATION ARPEJ', avocat au barreau de PARIS, toque : J103

INTIMÉES

Etablissement Public ONIAM OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX

Pris en la personne de représentant légal,

[Adresse 5]

[Adresse 6]

N° SIRET : 180 09 2 3 30

Représenté par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

CPAM DU VAL DE MARNE

[Adresse 7]

[Adresse 8]

Citée à personne habilitée

COMPOSITION DE LA COUR :

Mme Isabelle CHESNOT, conseillère, ayant été entendue en son rapport, dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 octobre 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre

Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère

Madame Isabelle CHESNOT, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Josette THIBET

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Hélène POINSEAUX, présidente et par Mme Déborah TOUPILLIER greffière, présente lors du prononcé.

**********

Monsieur [U] [J], né le [Date naissance 1] 1936, professeur de médecine, a subi une intervention de pose de quatre implants dentaires par le docteur [I] à son cabinet. L'intervention s'est déroulée le 25 octobre 2003 à partir de 15 heures sous anesthésie locale. Monsieur [J] a présenté un tableau d'angoisses avec céphalées, cervicalgies, vertige, perte de sensibilité de la main puis coma.

Le SAMU de Paris a pris en charge le patient pour le transférer en grande garde de neurochirurgie à l'Hôpital [Établissement 1] où il séjournera jusqu'au 26 janvier

2004.

Le scanner initial a mis en évidence un hématome protubérantiel avec hémorragie intra ventriculaire du V4. Le diagnostic posé in fine a été celui d'un accident vasculaire

cérébral hémorragique bulbaire secondaire aux injections de Scandicaïne à 2% et de Noradrénaline effectuées par le docteur [I].

le 26 janvier 2004, le patient a été transféré dans le service de rééducation fonctionnelle du CHU [Établissement 2]e qui l'a pris en charge aux titres de la kinésithérapie, de l'orthophonie et de l'ergothérapie.

Monsieur [U] [J] est aujourd'hui atteint de séquelles neurologiques

lourdes, lui ayant fait complètement perdre son autonomie alors que ses facultés intellectuelles sont demeurées intactes. Les suites de son évolution ont été marquées par la survenue itérative de complications respiratoires qui ont nécessité des hospitalisations en services spécialisés.

C'est dans ces conditions que le juge des référés près le tribunal de grande instance de Paris a été saisi par les consorts [J] aux fins d'expertise médicale. Une ordonnance du 19 septembre 2004 prise au contradictoire du docteur [M] [I], de la MGEN et de l'ONIAM a désigné un collège d'experts, à savoir le professeur [C] [O], odontologiste, le professeur [F] [H], anesthésiste réanimateur et le professeur [K] [A], neurologue. Le rapport d'expertise a été rendu le 30 septembre 2005.

Les consorts [J] ont alors assigné l'ONIAM aux fins de solliciter sa condamnation provisionnelle ainsi que l'organisation d'une mesure d'expertise en détermination du préjudice corporel de Monsieur [U] [J].

Par ordonnance du 13 novembre 2006, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris a considéré que l'obligation de l'ONIAM au paiement d'une indemnité provisionnelle se heurtait à une difficulté sérieuse tenant à l'appréciation du lien de causalité entre l'intervention du docteur [I] et l'hémorragie cérébrale, appréciation qui relève de la seule compétence du tribunal et a rejeté la demande de provision. Une expertise a été ordonnée et confiée au docteur [A] pour voir déterminer les préjudices subis.

L'expert a déposé son rapport le 2 décembre 2008.

L'affaire a été retirée du rôle du tribunal de grande instance à la demande des consorts [J] qui ont saisi aux fins d'indemnisation la CCI (anciennement CRCI) Ile-de-France qui a diligenté une expertise médicale confiée aux docteurs [Z], [W] et [K], expertise qui s'est déroulée au seul contradictoire du docteur [I].

Le rapport a été déposé le 13 juillet 2012

Par avis du 11 septembre 2012, la CCI Ile-de-France a considéré qu'il appartenait à l'ONIAM d'indemniser les préjudices subis par Monsieur [U] [J].

Par courrier du 22 novembre 2012, l'ONIAM a indiqué ne pas être en mesure de faire une offre d'indemnisation, considérant qu'il existe une contradiction entre l'avis de la commission et les rapports d'expertise rédigés tant par les experts [Z], [W] et [K], experts nommés par la CCI, que par les professeurs [O], [H] et [A], experts judiciaires, quant au lien retenu entre l'accident vasculaire cérébral et l'injection litigieuse.

C'est dans ces conditions que M. [U] [J], Mme [I] [L] épouse de M. [U] [J], Messieurs [H] et [D] [J], Madame [Z] [N] épouse [J], Madame [S] [D] épouse [J], Mesdemoiselles [A], [R], [X] et Messieurs [N] et [E] [J] représentés par leurs parents ( ci-après les consorts [J] ) ont assigné l'ONIAM devant le tribunal de grande instance de Bobigny aux fins d'indemnisation du préjudice subi par Monsieur [U] [J] et ses proches à la suite de l'accident thérapeutique survenu le 25 octobre 2003 pour un total de 4 004 101,96 euros en réparation des préjudices de M. [U] [J], outre la réparation des préjudices personnels de ses proches.

Par d'un jugement rendu le 10 avril 2015, le tribunal de grande instance de Bobigny a dit que les conditions d'ouverture de l'indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale prévue par l'article L.1142-1 II du code de la santé publique ne sont pas réunies, a débouté les consorts [J] de toutes leurs demandes, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et à exécution provisoire des dispositions du jugement, a rejeté le surplus des demandes et a condamné les consorts [J] à supporter les dépens.

Le tribunal de grande instance a jugé qu'au regard des éléments du dossier, notamment du rapport d'expertise judiciaire des professeurs [O], [H] et [A], « l'imputabilité directe du dommage à l'acte de soins du 25 octobre 2003 exigé par l'article L. 1142-1 II n'est pas démontrée ».

Les consorts [J] ont fait appel de ce jugement par déclaration du 20 mai 2015.

Selon conclusions notifiées par voie électronique le 18 juillet 2016, les appelants demandent à la cour de :

-Dire recevable et bien fondé leur appel ;

Y faisant droit,

-Infirmer le jugement ;

Statuant à nouveau,

-Dire et juger que l'ONIAM est tenu d'indemniser le préjudice subi par Monsieur [U]

[J] et ses proches à la suite de l'accident thérapeutique survenu le 25

octobre 2003,

-Evaluer les préjudices subis par Monsieur [U] [J] selon tableau détaillé au dispositif des conclusions,

-Condamner l'ONIAM à verser à Monsieur [U] [J] la somme de 4.368.590,35 €,

sauf réserves, en réparation de ses préjudices,

-Dire et juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal avec capitalisation annuelle

à compter de la consolidation, le 25 octobre 2006,

-Condamner l'ONIAM à verser à Madame [I] [J] la somme de 30 000 € au titre

de son préjudice d'affection et la somme de 40.000,00 €, au titre de son préjudice extra-patrimonial exceptionnel,

-Condamner l'ONIAM à verser à Messieurs [H] et [D] [J] la somme de 30 000 € chacun au titre de leur préjudice d'affection,

-Condamner l'ONIAM à verser à Madame [Z] [N] épouse [J] et à Madame [S] [D] la somme de 10 000 € chacune au titre de leur préjudice d'affection,

-Condamner l'ONIAM à verser aux parents, ès qualités de représentants de leurs

enfants mineurs [A], [R], [X], [N] et [E] [J] la somme de 10 000 €, au titre de leur préjudice d'affection,

-Condamner l'ONIAM à verser aux consorts [J] la somme de 4 000 € au titre de

leurs frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile,

-Condamner l'ONIAM aux dépens,

-Dire l'arrêt à intervenir commun et opposable à la CPAM du Val-de-Marne.

A l'appui de leur appel, les consorts [J] considèrent que le tribunal a de manière erronée fondé la causalité juridique tout comme la causalité scientifique sur une certitude scientifique alors que tant la causalité juridique que la causalité médicale ne reposent que sur des fortes présomptions et des probabilités, qu'en effet, en matière d'accident médical, la loi du 4 mars 2002 n'exige pas un lien de causalité stricto sensu entre dommage et acte médical mais énonce la nécessité d'un lien d'imputation du premier au second, l'imputabilité étant plus large que la causalité juridique de droit commun. Ils affirment qu'il existe un faisceau d'indices sérieux et concordants en faveur d'un lien direct et certain entre l'AVC subi par M. [J] et le produit anesthésique injecté par le docteur [I] et que le juge ne peut se retrancher derrière l'absence de certitude sur l'existence de la causalité pour fonder sa décision.

S'agissant des préjudices dont il est demandé réparation, les appelants appliquent la nomenclature 'Dintilhac' et se fondent sur le rapport d'expertise du 13 juillet 2012 rendu par le collège d'experts désigné par la CCI d'Ile de France.

Selon conclusions notifiées par RPAV le 5 septembre 2016, l'ONIAM demande à la cour au visa des articles L. 1142-1 I et II et L. 1142-17 du code de la santé publique de :

A titre principal

-Juger que l'imputabilité directe et certaine du dommage à l'acte de soins du 25 octobre 2003 exigé par l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique n'est pas démontrée,

-Constater qu'en l'état, les conditions légales d'une indemnisation au titre de la

solidarité nationale ne peuvent être considérées comme réunies,

-Dire et juger les consorts [J] mal fondés en leur appel,

-Confirmer le jugement rendu le 10 avril 2015 par le tribunal de grande instance de

Bobigny,

-Débouter les consorts [J] de leurs demandes ;

A titre subsidiaire,

-Constater qu'une indemnisation par l'ONIAM s'entend sous déduction des

prestations des organismes sociaux et autres prestations reçues qui ne sont pas connues

en l'état,

-Réduire la demande de remboursement au titre de frais divers et restés à charge, sans

qu'elle n'excède en l'état la somme de 7 027,27 euros,

-Débouter Monsieur [J] de sa demande au titre d'une incidence professionnelle ; à défaut la réduire à de plus justes proportions,

-Réduire à de plus justes proportions l'indemnisation des préjudices extra-

patrimoniaux qui n'excédera pas les montants fixés au dispositif ;

-Débouter les proches de Monsieur [J] de leur demande d'indemnisation qui ne peut prospérer au titre de la solidarité nationale ;

-Condamner les demandeurs aux dépens dont recouvrement au besoin par la Selarl

PMG, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Pour l'essentiel, l'ONIAM rappelle l'objectif poursuivi par la loi du 4 mars 2002, les préjudices subis, pour être indemnisables par la solidarité nationale, devant notamment être directement imputables à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins. Il soutient qu'une causalité directe et certaine entre le dommage et l'acte médical est exigée, qu'une simple possibilité ou coïncidence ne peut suffire à constituer l'existence d'un lien direct entre les préjudices et l'acte de soins incriminé.

Il affirme qu'en l'espèce, les premiers juges ont à juste titre relevé que les expertises n'ont pas fait la démonstration formelle d'un lien direct et certain entre les injections d'anesthésique local et l'AVC, le mécanisme de la constitution de l'hémorragie intracérébrale subie par M. [J] ne pouvant pas être connu de manière certaine.

A titre subsidiaire, sur les préjudices, l'ONIAM présente le référentiel sur lequel il se base pour proposer les indemnisations et qui a été revalorisé au 1er janvier 2016, rappelle les dispositions de l'article L.1142-17 du code de la santé publique sur les créances des organismes sociaux et discute notamment l'indemnisation sollicitée au titre de la tierce personne au regard des différentes aides financières d'assistance, versées ou à verser à M. [J].

Enfin, l'ONIAM indique que la loi du 4 mars 2002 exclut expressément l'indemnisation des victimes par ricochet lorsque la victime d'un accident médical non fautif n'est pas décédée.

L'ordonnance clôturant l'instruction de l'affaire a été rendue le 7 septembre 2016.

La caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne bien que régulièrement citée à personne habilitée selon exploit du 19 octobre 2015 n'a pas constitué avocat devant la cour.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur les conditions de la prise en charge de l'accident médical par l'ONIAM :

Il ressort des pièces soumises à la cour que les circonstances ayant entraîné les séquelles neurologiques subies par M. [J] sont les suivantes : l'intervention d'implantologie sous anesthésie locale a eu lieu le 25 octobre 2003 au cabinet du docteur [I], chirurgien dentiste ; elle a débuté à 15 heures ; les premiers signes d'hypersensibilité sont apparus chez le patient vers 16 heures 20 après la pose du deuxième implant et environ une heure après la première injection d'anesthésie locale de SNA ( Scandicaïne noradrénalinéeR) ; il a été administré à M. [J] une seconde injection d'environ deux capsules SNA sans réaction particulière ; le docteur [I] a alors terminé la pose du 3ème implant ; vers 16 heures 50, M. [J] s'est plaint de cervicalgies et de céphalées et a sollicité du Voltarène que le chirurgien-dentiste a refusé de lui donner ; vers 17 heures, M. [J] a perdu partiellement la sensibilité de sa main gauche et sa douleur cervicale a augmenté ; le docteur [I] a alors décidé d'appeler le SAMU ; vers 17 heures 10, M. [J] a perdu connaissance et le SAMU l'a pris en charge à 17 heures 20.

Il est alors rapidement diagnostiqué que M. [J] a été victime d'un accident vasculaire du tronc cérébral de type hémorragique.

L'article L. 1142-1 II du code de la santé publique dispose que :

' Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé

comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.

Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. '

En l'espèce, il n'est pas discuté entre les parties et il est établi par les expertises médicales versées aux débats que M. [J] a été victime d'un accident médical survenu sans faute de la part du chirurgien-dentiste et que les conséquences de cet accident remplissent les critères d'anormalité et de gravité exigés pour ouvrir droit à indemnisation par la solidarité nationale.

Le débat porte sur l'exigence posée par le législateur d'un accident médical (ou d'une affection iatrogène ou d'une infection nosocomiale) directement imputable à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins.

En l'absence de certitudes médicales permettant d'affirmer ou d'exclure qu'un

dommage corporel survenu au cours ou dans les suites d'un acte de soins est imputable à

cet acte, il appartient au juge, saisi d'une demande indemnitaire sur le fondement des

dispositions citées ci-dessus, de se fonder sur l'ensemble des éléments pertinents

résultant de l'instruction pour déterminer si, dans les circonstances de l'affaire, cette

imputabilité peut être retenue.

Pour ce faire, la cour dispose de trois rapports d'expertise médicale.

Aux termes de leur rapport daté du 30 septembre 2005 qui n'a pas été établi au contradictoire de l'ONIAM mais qui lui a été régulièrement communiqué dans le cadre de la présente instance lui permettant ainsi d'en discuter les termes, les professeurs [C] [O], [F] [H] et [K] [A], experts désignés par ordonnance de référé, ont fait les observations et conclusions suivantes :

-Le choix de l'anesthésique local ( SNA ) et la dose ( inférieure à plus de la moitié de la dose maximum recommandée ) injectée à M. [J] étaient adaptés ; M. [J] n'avait jamais présenté aucune réaction aux injections précédentes du même produit à la même dose ;

-la survenue d'un AVC de type hémorragique a déjà été décrite après l'injection d'une solution d'anesthésique local associé à un vasoconstricteur dans le cadre de la chirurgie dentaire ; cependant, eu égard aux millions de patients traités, ces accidents sont tout à fait exceptionnels. L'hypertension artérielle et le diabète sont des facteurs de risque des AVC hémorragiques mais en l'espèce, le patient n'était pas considéré comme hypertendu. Il est cependant possible que la conjonction de l'anxiété du patient, de la durée de l'intervention et de l'injection de SNA soit responsable d'une poussée d'hypertension qui a pu être le mécanisme déclenchant l'hémorragie cérébrale ;

-'En ce qui concerne la cause de l'hémorragie cérébrale, l'hypothèse d'une importante poussée d'hypertension artérielle provoquée par les anesthésiques locaux n'est pas démontrée..' au vu des prises de tension effectuées par le SAMU à 17H20, 17H55 et durant l'heure suivante. ' On ne peut bien entendu pas exclure qu'il y ait eu dans les minutes précédentes une élévation plus importante. Il n'y a pas d'antécédent connu d'hypertension artérielle.' ;

-' Il n'y a pas d'antécédents en faveur de symptômes neurologiques, a minima d'une pathologie du tronc cérébral en rapport, notamment, avec une malformation vasculaire. Le scanner n'en a pas montré. Cependant, si elle est de très petit volume, elle peut être détruite lors du saignement.

Il y a peut-être eu conjonction de plusieurs facteurs : anxiété, poussée tensionnelle, taux de prothrombine un peu bas, utilisation prolongée de Voltarène, facteur de risque vasculaire.'

A la lecture du rapport établi le 13 juillet 2012 par les docteurs [Z] et [W] et le professeur [K] désignés par la CCI au contradictoire de l'ONIAM, la cour retient que :

-Le docteur [I] expose qu'il soignait habituellement le professeur [J] et qu'à plusieurs reprises, il lui a administré l'anesthésique local SNS sans aucune complication ;

-' le mécanisme de survenue de cet accident hémorragique cérébral n'est pas parfaitement clair dans la mesure où le mécanisme intime de la constitution de cette hémorragie intra cérébrale ne peut être affirmé avec certitude. Monsieur [J] a présenté au moment de la constitution de l'accident neurologique une poussée hypertensive manifeste. Cependant, cette poussée hypertensive peut aussi bien être cause que conséquence neurologique. Un hématome intra cérébral et notamment du tronc cérébral pouvant parfaitement être responsable d'une poussée hypertensive.'

-M. [J] ne présentait pas par ailleurs de facteur de risque vasculaire avéré connu en dehors d'un diabète de type II qui paraissait assez modéré (...) Aucun facteur étiologique particulier (...)

-'L'hypothèse d'un effet toxique de l'anesthésie locale ne peut être non plus éliminée puisque des hémorragies du type de celle qui est survenue chez Monsieur [J] ont été rapportées dans la littérature à la suite de l'utilisation d'anesthésiques locaux noradrénalisés.'

-'On ne peut bien sûr éliminer formellement qu'il eut pu exister un micro anévrisme qui, sous l'effet d'une poussée hypertensive ou par effet direct du produit anesthésique, ait pu favoriser la survenue d'un saignement.'

-il n'a pas été procédé à une investigation par artériographie en raison du danger possible pour le patient et du fait qu'il est fréquent que l'hémorragie s'étant produite, l'éventuel micro-anévrisme soit collabé et ne soit plus individualisable ou visible.

-' les modalités de constitution de cet accident hémorragique cérébral ne peuvent être précises de façon certaine.'

-' l'accident neurologique est survenu lors de la 2ème injection de produit anesthésiant. De ce fait, il est possible que l'accident soit lié à l'anesthésie.'

-' (...) le lien entre cette anesthésie locale et la survenue de l'accident hémorragique doit être retenu au vu de la mention dans la littérature d'accident de ce type dans les suites d'anesthésies locales avec ce type de produit et sans qu'il y ait de faute particulière dans les posologies utilisées et la conduite de l'anesthésie locale.'

La cour constate qu'à titre conclusif, les experts retiennent que ' le fait que des accidents de ce type soient très rarement rapportés dans la littérature n'est pas un argument suffisant pour écarter un lien de causalité entre l'anesthésie locale et l'accident survenu chez M. [J] ' et que ' les préjudices subis par le patient sont directement imputables à un acte anesthésique et ont été occasionnés par un accident médical.'

Dans son rapport d'expertise en date du 2 décembre 2008, le professeur [A], neurologue, désigné en qualité d'expert par ordonnance du juge de la mise en état près le tribunal de grande instance de Paris du 13 novembre 2006 a relevé les éléments suivants :

-l'état antérieur de M. [J] est constitué d'un diabète non insulino-dépendant bien équilibré par un traitement médicamenteux, d'une hypercholestérolémie traitée par TAHOR 10 et de douleurs cervicales et/ou céphalées traitée par VOLTARENE 100 ; les bilans effectués avant l'intervention dentaire à la demande du docteur [Z] [J] sont normaux sur le plan cardio-vasculaire, avec une tension à 130/82 mm Hg en position couchée, ainsi que sur le plan sanguin ; M. [J] était en surcharge pondérale ;

-' Si les troubles neurologiques actuels sont une conséquence certaine de l'hémorragie cérébrale survenue le 25.10.03, il n'y a pas d'explication certaine concernant l'origine de l'hémorragie cérébrale.'

-Il n'y a pas dans le cas de M. [U] [J] de mise en évidence d'une malformation vasculaire à l'origine de l'hémorragie cérébrale. Le contexte ne justifiait pas qu'on pratique une exploration neurovasculaire qui n'aurait pas eu de conséquence thérapeutique. Au demeurant, une petite malformation vasculaire pouvait être détruite par l'hémorragie. L'absence d'antécédent neurologique ne permet pas d'écarter formellement l'éventualité d'une malformation vasculaire.

-au terme de la synthèse tant des éléments propres au cas de M. [J] que de la littérature médicale, ' il n'a pas été retrouvé une cause unique et certaine à l'origine de l'hémorragie cérébrale.'

-Parmi les éléments ayant pu jouer un rôle dans la survenue de l'hémorragie, on peut citer une élévation tensionnelle artérielle étant rappelé qu'à son arrivée, le SAMU a mesuré la tension à 182/109, le diabète, l'anxiété souvent accompagnée de troubles neurovégétatifs, la baisse du taux de prothrombine à 61% (mais qui est redevenu normal le lendemain), l'utilisation prolongée de Voltarène qui a un effet antiagrégant plaquettaire, une légère perturbation de la fonction hépatique.

-'La conjonction de plusieurs facteurs tels qu'ils ont été décrits et la préexistence d'une malformation vasculaire est l'explication la plus satisfaisante.', étant précisé que ' cela reste une hypothèse car l'existence d'une malformation vasculaire n'a pas été prouvée.'

Au surplus, les consorts [J] produisent aux débats deux avis médicaux rédigés l'un par le docteur [G] [M] anesthésiste réanimateur en date du 3 mars 2009 et l'autre par le professeur [P] [V], neurologue spécialiste des AVC sur l'hémorragie du tronc cérébral en date du 10 juillet 2015.

Ces éléments d'information dont la cour apprécie souverainement la valeur et la portée lui permettent de retenir que :

-si les complications à type d'AVC sont rares au cours des anesthésies locales utilisant de la Noradrénaline, on ne peut pour autant exclure ce mécanisme comme cause de l'AVC survenu chez M. [J] ;

-il y a bien eu poussée hypertensive au cabinet dentaire, le patient ne souffrant pas habituellement d'hypertension et la tension contrôlée par le SAMU à son arrivée plaidant pour une poussée plus importante et brève ;

-d'une manière générale, les éléments essentiels à l'identification de la cause d'un AVC sont :

les antécédents médicaux, les circonstances de survenue, les symptômes éprouvés par le patient, la description des signes initiaux par l'entourage, les données de l'examen clinique, les données des examens complémentaires, le suivi, en particulier lorsqu'aucune cause potentielle n'a été mise en évidence à la phase aiguë de l'accident vasculaire cérébral ;

-dans le cas particulier de M. [J] , il n'y a aucun facteur de risques habituels d'hémorragie tels que hypertension artérielle chronique, traitements antithrombotiques, maladie hémorragique etc ;

-selon le docteur [M], le diabète a pu jouer un rôle, la Noradrénaline étant contre-indiquée en cas de diabète déséquilibré alors que le professeur [V] indique que le diabète est un facteur de risque prouvé d'infarctus cérébral mais pas d'hémorragie cérébrale.

-la description des symptômes par le chirurgien dentiste et les données cliniques récoltées pendant les hospitalisations n'apportent aucune éclairage sur l'étiologie de l'hémorragie ;

-la présence d'une cause structurelle d'hémorragie telle qu'une malformation vasculaire ou une tumeur peut être raisonnablement exclue en l'absence de toute récidive hémorragique durant les douze années de suivi ; il en est de même de la présence de maladie des petites artères cérébrales, étant au surplus observé que M. [J] ne souffrait pas d'hypertension artérielle chronique cause la plus fréquente d'une telle maladie et premier facteur favorisant des hémorragies cérébrales ;

-la très brève baisse du taux de prothrombine ne peut être tenue pour responsable d'un saignement, ce qui est également le cas pour les modifications des enzymes hépatiques.

Ces éléments médicaux permettent à la cour de constater que les circonstances de temps et de lieu de survenue de l'hémorragie du tronc cérébral sont claires, soit le 25 octobre 2003 vers 16 heures 50 pendant un acte de chirurgie dentaire effectué sous anesthésie locale contenant de la Noradrénaline mais que sur le plan médical, l'étiologie de cette hémorragie ne peut être fixée avec certitude.

Toutefois, selon le professeur [P] [V] (pièce 51), une telle incertitude préside dans la grande majorité des hémorragies cérébrales et le corps médical doit se contenter de présomptions tirées des éléments connus de l'affection, tout comme le juge doit admettre les présomptions graves, précises et concordantes pour établir un fait, dans les cas seulement où la loi admet la preuve par tout moyen et en l'absence de présomptions établies par la loi en application de l'article 1353 ancien du code civil.

Or, en l'espèce, il doit être relevé que :

-Aucun des antécédents médicaux de M. [J] ( diabète non insulino-dépendant bien équilibré par un traitement médicamenteux, hypercholestérolémie traitée par TAHOR 10, douleurs cervicales et/ou céphalées, surcharge pondérale ) ne peut être à l'origine de l'hémorragie en l'état actuel de la science, une réserve étant toutefois faite en raison de la prise régulière de VOLTARENE 100 pour traiter les douleurs sans que pour autant il en résulte une certitude scientifique ;

-M. [J] ne présentait aucun des facteurs de risques habituels d'hémorragie cérébrale tels que l'hypertension artérielle chronique, les traitements antithrombotiques, une maladie hémorragique ;

-avant l'intervention dentaire, il n'a été observé par les proches de M. [J] aucun signe précurseur d'AVC ;

-l'AVC est survenu pendant l'acte de chirurgie dentaire qui nécessitait une anesthésie locale par emploi de Noradrénaline, à partir du moment où une seconde injection de produit lui a été faite ;

-la littérature médicale mentionne des cas d'accident de ce type dans les suites d'anesthésies locales avec ce type de produit ; si ces cas sont rares, ils ne rendent pas moins plausible que l'AVC de M. [J] soit dû au produit anesthésiant ;

-l'anxiété de M. [J] liée à cette longue intervention dentaire a pu être l'un des facteurs de l'accident cérébral ;

-les symptômes éprouvés par le patient ne sont connus qu'à travers les observations du chirurgien dentiste puis du SAMU ; la céphalée a pu marquer le début du saignement ou a été le symptôme du pic tensionnel entraînant l'hémorragie ; il y a eu de manière certaine une élévation tensionnelle artérielle puisqu'à son arrivée, le SAMU a mesuré la tension à 182/109 mais cette élévation peut être la cause ou la conséquence de l'hémorragie ;

-les légères irrégularités observées sur le taux de prothrombine et le nombre de transaminases ne peuvent être tenues pour responsables de l'apparition d'une hémorragie ;

-la présence d'une cause structurelle d'hémorragie telle qu'une malformation vasculaire ou une tumeur ainsi que celle d'une maladie des petites artères cérébrales peuvent être raisonnablement exclues en l'absence de toute récidive hémorragique durant les douze années de suivi ; par ailleurs, aucune hypertension soudaine et brutale n'a été observée depuis le 25 octobre 2003.

Il résulte de ces éléments, tout particulièrement du rapport chronologique étroit entre l'acte d'anesthésie et l'accident médical subi par un patient qui ne présentait aucun risque particulier d'AVC alors que des cas d'accidents semblables ont déjà pu se produire lors d'une anesthésie locale faisant appel au même produit, et sans que les apparentes contradictions entre les conclusions expertales soient un obstacle, un faisceau d'indices sérieux et concordants en faveur d'un lien d'imputabilité de l'accident médical subi par M. [J] à l'intervention dentaire sous anesthésie locale.

Le jugement déféré doit être infirmé.

Sur les préjudices :

A titre liminaire, la cour indique d'une part que l'appréciation des préjudices se fera au vu des trois rapports d'expertise précités ainsi que des avis médicaux produits par M. [J] et non pas du seul rapport d'expertise du 13 juillet 2012 comme sollicité par l'appelant, et d'autre part que lorsqu'une capitalisation sera nécessaire pour déterminer les indemnités réparant des préjudices futurs, le barème de capitalisation publié par la Gazette du Palais en mars 2013 au taux de 1,20% qui est le mieux adapté aux données économiques et sociologiques actuelles, sera employé conformément à la demande de la victime.

La liquidation des préjudices se fera selon la nomenclature Dintilhac.

Enfin, il sera rappelé que l'article L. 1142-17 du code de la santé publique qui ne prévoit pas

de remboursement par l'ONIAM des créances des organismes sociaux, précise en son alinéa 2 que l'indemnisation doit se faire 'déduction faite des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 précitée, et plus généralement des

indemnités de toute natures reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du

même préjudice'.

Préjudices patrimoniaux

' temporaires avant consolidation :

-Dépenses de santé actuelles :

M. [J] affirme que sont restées à sa charge des dépenses de santé -soins dentaires, matériel adapté, cache pour oeil gauche, matériel de correction auditive- dont le montant s'élève à la somme totale de 7 285,45 €.

M. [J] à qui il appartient de prouver la réalité et l'étendue de son préjudice n'établit pas que ces sommes sont restées totalement à sa charge.

A défaut de connaître les sommes versées par la MGEN laquelle par courrier en date du 4 février 2016, indique avoir archivé le dossier, la cour ne peut faire doit à la demande de remboursement de ces dépenses.

Par ailleurs, ainsi que le fait observer l'ONIAM, certaines dépenses de soins dentaires ne sont pas en lien direct avec l'accident médical, en l'état des pièces médicales produites aux débats.

Pour mémoire, il est établi que la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne présente une créance de 375 861,47 euros.

-Frais divers :

M. [J] fait état de divers frais restés à sa charge au titre de l'assistance aux opérations d'expertise (1 600 €), de l'adaptation du logement (3 607 €) et de matériels (informatique, loupe, matériel de frappe et de reconnaissance vocale, matelas et sommier pour 2 710,27 €).

La cour n'est pas en mesure de vérifier si l'achat du matelas et du sommier a un lien direct et exclusif avec l'état de santé de M. [J] du fait de l'accident médical.

Dans ces conditions et à défaut de contestation par l'ONIAM, il y a lieu de retenir la somme de 7097,27 €.

-Tierce personne :

Dès la survenue de l'accident médical, Monsieur [J] a du avoir recours à une aide humaine permanente 24H/24 pour tous les soins à la personne et les activités quotidiennes. Il n'a pu être laissé seul lors de son retour à domicile le 6 juin 2005 et jusqu'à sa consolidation que les parties s'accordent pour fixer au 25 octobre 2006, soit pendant 464 jours en tenant compte des périodes d'hospitalisation. La tierce personne qui peut être un membre de la famille a été nécessaire de manière active pendant douze heures par jour et par sa présence les douze autres heures.

Afin de tenir compte des jours fériés et des congés payés, l'indemnité doit être calculée sur la base de 412 jours par an, ainsi que le propose l'ONIAM. Mais il n'est pas justifié de fixer l'indemnité sur la base de 26 heures de présence par jour en raison de la nécessité d'être deux pour les transferts, une présence calculée sur 24 heures par jour étant suffisante dès lors que M. [J] a des activités qui ne demandent aucune présence de tierce personne notamment lorsqu'il est pris en charge par des professionnels ( kinésithérapie, orthophonie ). En l'absence de justificatifs liés à l'embauche d'une ou plusieurs personnes salariées, le taux horaire qui correspond aux besoins est de 15 € pour l'aide active et de 11 € pour la présence au domicile, soit un coût moyen de 13 € par heure.

Il n'est pas établi que sur cette période, M. [J] a perçu des prestations sociales.

Il en résulte que le coût annuel d'une tierce personne s'élève à la somme de 128 544 € ( 24H x 13 € x 412 jours).

Pour la période avant consolidation, il est du la somme de 163 409,36 € (128 544/365 x 464 jours )

' permanents après consolidation :

-Dépenses de santé futures, frais de logement adapté, frais de véhicule adapté :

M. [J] réserve ses demande au titre de ces postes de préjudice.

Pour mémoire, il sera noté que la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne présente une créance de 176 364,90 euros représentant les frais d'hospitalisation et les frais futurs capitalisés ( médicaments et appareillages ).

-Tierce personne :

Les experts médicaux concluent tous que M. [J] est dans l'incapacité totale, définitive et absolue d'assumer seul tous les actes de la vie quotidienne, aussi bien les actes de soins à sa personne que ceux d'entretien de la maison ou d'activités occupationnelles.

Il a donc besoin de l'aide constante d'une tierce personne 24H/24 selon la répartition suivante : 12 heures de tierce personne active et 12 heures de présence.

Les conditions de calcul de cette indemnité jusqu'au 11 décembre 2016, date prévisible de la liquidation choisie par les deux parties, seront reprises à l'identique par rapport à celles retenues pour l'indemnité de tierce personne temporaire de sorte que le coût annuel doit être fixé à 128 544 €.

La période avant liquidation comprend 3700 jours dont il faut déduire les périodes d'hospitalisation mentionnées dans le rapport du docteur [A] pendant 144 jours, soit 3 556 jours.

En application du principe de réparation intégral du préjudice, la réparation du dommage ne peut excéder le montant du préjudice. Ainsi, sera portée en déduction l'APA qui a été touchée par Monsieur [J] à hauteur de 127,91 euros par mois à compter du 1er avril 2013 (pièce des demandeurs n°63) et qui servie en exécution d'une obligation de solidarité, constitue une prestation indemnitaire.

L'indemnité de tierce personne pour la période échue s'élève donc à la somme de 128 544 € / 365 x 3 556 jours = 1 252 335,52 euros de laquelle il convient de déduire le montant de l'APA échue, soit 127,91 € par mois à partir du 1er avril 2013, soit 127,91 x 45 mois = 5 755,95 €.

L'ONIAM devra verser au titre de la tierce personne échue au 11 décembre 2016 la somme de 1 246 579,57 €.

A partir du 12 décembre 2016, s'agissant d'une personne âgée de 80 ans à cette date, l'indemnisation au titre de l'assistance par une tierce personne sera allouée sous la forme d'une rente annuelle qui constitue la réparation la mieux adaptée à la situation de M. [J] d'un montant de 127 009,08 euros représentant le coût annuel de la présence d'une tierce personne après déduction de l'APA annuelle ( 1 534,92 € ) ainsi que le propose l'ONIAM.

-l'incidence professionnelle :

Ce poste de préjudice correspond aux séquelles qui limitent les possibilités professionnelles ou rendent l'activité professionnelle antérieure plus fatigante ou plus pénible; Il a pour objet d'indemniser non la perte de revenus liée à l'invalidité, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à l' obligation de devoir abandonner la profession qu'elle exerçait avant le dommage au profit d'une autre qu'elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap. Il permet également d'indemniser le risque de perte d'emploi qui pèse sur une personne atteinte d'un handicap, la perte de chance de bénéficier d'une promotion, la perte de gains espérés à l'issue d'une formation scolaire ou professionnelle, les frais nécessaires à un retour de la victime à la vie professionnelle et la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap.

En l'espèce, M. [J] ne justifie pas d'un tel préjudice dès lors qu'il était à la retraite à la date de l'accident médical, qu'il affirme mais sans l'établir qu'il participait à des conférences en qualité d'orateur rémunéré, que la perte de tout contact avec son milieu professionnel dans lequel il était une référence relève du déficit fonctionnel permanent, qu'il n'établit pas que son ouvrage Guide de thérapeutique n'est plus distribué ou mis à jour du fait de son accident médical.

Dans ces conditions, M. [J] qui réclame la somme de 100 000 € au titre de l'incidence professionnelle sera débouté de ce chef de demande.

Préjudices extra-patrimoniaux

' temporaires avant consolidation :

-Le déficit fonctionnel temporaire :

Il inclut pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d'agrément, éventuellement le préjudice sexuel temporaire. L'évaluation des troubles dans les conditions d'existence tient compte de la durée de l'incapacité temporaire, du taux de cette incapacité (totale ou partielle), des conditions plus ou moins pénibles de cette incapacité.

M. [J] qui a perdu de façon brutale toutes ses capacités physiques et qui a connu une très longue période d'hospitalisation puis un retour à domicile mais souvent interrompu par des séjours hospitaliers a subi un déficit fonctionnel temporaire total du 25 octobre 2003 jusqu'à sa consolidation le 25 octobre 2006.

L'indemnisation qu'il sollicite à hauteur de 1 000 € par mois prend justement en considération l'ampleur de son préjudice.

Il lui sera dès lors accordé la somme sollicitée de 35 566,67 €.

-Souffrances endurées :

Aux termes des conclusions de leurs rapports, l'expert médical [A] a fixé ce poste de préjudice à 5,5/7 alors que le collège d'experts médicaux [Z], [W] et [K] l'a évalué à 6/7. Ces experts sans se contredire ont ainsi estimé que M. [J] avait subi une souffrance importante.

Compte-tenu des circonstances de l'accident médical, de la longueur et de l'importance du parcours hospitalier enduré par M. [J] avant la consolidation mais aussi lors des épisodes de complications respiratoires itératives et du retentissement moral des conséquences brutales de l'accident alors qu'il a conservé toutes ses facultés intellectuelles, il lui sera accordé la somme de 35 000 euros en réparation de ses souffrances.

-Préjudice esthétique temporaire :

M. [J] a été atteint dès le jour de l'accident de troubles physiques et moteurs majeurs le contraignant à se montrer à autrui dans un état particulièrement dégradé.

Les experts [Z], [W] et [K] ont conclu qu'en 'Prenant en compte le confinement en fauteuil roulant, l'hémiplégie droite, la déformation faciale, la dysarthrie majeure', le préjudice esthétique temporaire est de 6/7.

Compte-tenu de ces éléments, le préjudice subi par M. [J] doit être fixé à la somme de 8 000 €.

' permanents après consolidation :

-Déficit fonctionnel permanent :

L'expert [A] a fixé le taux du déficit fonctionnel permanent à 95%, taux déjà retenu par la CCI dans son avis du 11 septembre 2012 et non discuté par l'ONIAM.

Compte-tenu de l'âge de M. [J], né le [Date naissance 1] 1936, à la date de la consolidation, soit 70 ans, son indemnisation doit être fixée à la somme de 215 000 € conformément à la demande.

-Préjudice d'agrément :

Il est évident que M. [J] subit un préjudice d'agrément majeur puisque, notamment, il a été privé de son travail d'édition et de son loisir de peinture et qu'il ne peut plus échanger avec son entourage tant familial qu'au sein de la sphère médicale.

Il lui sera accordé la somme de 25 000 € en réparation de ce préjudice.

-Préjudice esthétique :

l'expert médical [A] a qualifié ce poste de préjudice comme important ( 6/7). Il sera justement indemnisé par l'octroi de la somme de 25 000 € demandée par l'appelant.

-Préjudice sexuel :

compte-tenu des éléments de la cause, ce préjudice qui a été qualifié de total par l'expert judiciaire [A], doit donner lieu à une indemnisation à hauteur de 15 000 €.

-Préjudices exceptionnels :

M. [J] ne justifie pas de tels préjudices qui n'auraient pas été indemnisés au titre d'un autre poste.

En effet, la conservation totale de ses facultés intellectuelles, alors qu'au surplus, il est médecin, entraîne des souffrances morales qui ont été prises en considération dans l'indemnisation accordée à ce titre. De même, les complications respiratoires itératives constituent des séquelles qui ont été indemnisées au titre des souffrances endurées et des déficits fonctionnels.

La demande formée par M. [J] à ce titre doit être rejetée.

Les préjudices subis par M. [J] et dont la réparation est demandée par la présente instance seront indemnisés par l'ONIAM par le versement d'un capital de 1 902 661,95 € et d'une rente annuelle de 127 009,08 euros.

Préjudices des proches

La loi du 4 mars 2002 -modifiée par la loi du 9 août 2004- dont est issu l'article L. 1142-1-II précité du code de la santé publique exclut expressément l'indemnisation des victimes par ricochet lorsque la victime d'un accident médical non fautif n'est pas décédée, ce qui est le cas en l'espèce.

Ainsi, il ne sera pas fait droit aux demandes aux fins d'indemnisation de leurs préjudices personnels en lien avec l'accident médical subi par M. [J], formées par Mme [I] [L] épouse de M. [U] [J], Messieurs [H] et [D] [J], Madame [Z] [N] épouse [J], Madame [S] [D] épouse [J], Mesdemoiselles [A], [R], [X] et Messieurs [N] et [E] [J] représentés par leurs parents.

Sur les autres demandes :

L'ONIAM qui succombe supportera les dépens.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [J] les frais irrépétibles engagés pour la présente procédure. Il lui sera accordé la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par décision réputée contradictoire par mise à disposition au greffe

Infirme le jugement rendu le 10 avril 2015 par le tribunal de grande instance de Bobigny sauf en ce qu'il a dit que les conditions d'ouverture de l'indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale prévues par l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique ne sont pas remplies à l'égard de Mme [I] [L] épouse de M. [U] [J], Messieurs [H] et [D] [J], Madame [Z] [N] épouse [J], Madame [S] [D] épouse [J], Mesdemoiselles [A], [R], [X] et Messieurs [N] et [E] [J] représentés par leurs parents et en ce qu'il les a déboutés de toutes leurs demandes ;

Statuant à nouveau,

Dit que les conditions d'ouverture de l'indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale prévues par l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique sont remplies à l'égard de M. [U] [J] ;

Condamne l'ONIAM à verser à M. [U] [J], en réparation de ses préjudices corporels, la somme de 1 902 661,95 €, ainsi qu'une rente annuelle de 127 009,08 euros à partir du 12 décembre 2016 ;

Disons que la somme de 1 902 661,95 € produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et que les intérêts échus depuis plus d'une année seront capitalisés en application de l'article 1154 ancien du code civil ;

Condamne l'ONIAM à verser à M. [U] [J] la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne l'ONIAM aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Dit le présent arrêt commun à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-marne.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 15/10091
Date de la décision : 17/11/2016

Références :

Cour d'appel de Paris C2, arrêt n°15/10091 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-11-17;15.10091 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award