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20/09/2016 | FRANCE | N°15/14684

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 8, 20 septembre 2016, 15/14684


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 8



ARRÊT DU 20 SEPTEMBRE 2016



(n° , 11 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : 15/14684



Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de PARIS en date du 24 Juin 2015 - RG n° 14-45963 - JONCTION avec RG n° 15/14697.



APPELANT



Monsieur [U] [O]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 1

]



Représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

ayant pour avocat plaidant Me Romain PASCAL du cabinet DTA, avoc...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRÊT DU 20 SEPTEMBRE 2016

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/14684

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de PARIS en date du 24 Juin 2015 - RG n° 14-45963 - JONCTION avec RG n° 15/14697.

APPELANT

Monsieur [U] [O]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 1]

Représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

ayant pour avocat plaidant Me Romain PASCAL du cabinet DTA, avocat au barreau de PARIS, toque A 0042

INTIMÉS

Monsieur [D] [P]

demeurant [Adresse 2]

[Localité 2]

Représenté par Me Alain NOSTEN de la SCP GROC - NOSTEN, avocat au barreau de PARIS, toque : E1624 substitué par Me DESERT Pierre de la SCP GROC et NOSTEN avocat au barreau de PARIS, toque : E 1624

LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL

en ses bureaux au Palais de Justice de PARIS 34 quai des Orfèvres

75055 PARIS Cédex 01

PARTIE INTERVENANTE

SELARL EMJ

prise en la personne de Maître [G] [X], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la Société RESIDEA,

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 422 332 460,

dont le siège social était situé [Adresse 1]

[Adresse 3]

[Localité 3]

Représentée par Me Caroline HATET-SAUVAL de la SCP SCP NABOUDET - HATET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0046

ayant pour avocat plaidant Me Isilde QUENAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : C 1515

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 Mai 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Christine HEBERT-PAGEOT, Présidente de chambre

M. Laurent BEDOUET, Conseiller

Mme Isabelle ROHART-MESSAGER, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Pervenche HALDRIC

MINISTÈRE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au Ministère Public représenté lors des débats par Monsieur Marc BRISSET-FOUCAULT , avocat général qui a été entendu en ses observations.

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Christine HEBERT-PAGEOT, président et par Mme Mariam ELGARNI-BESSA, greffier présent lors du prononcé.

*

La société Résidéa SAS a été créée en 1999, elle avait pour activité la gestion de résidences de services et de résidences hôtelières.

Elle poursuivait notamment le développement et la gestion de plusieurs projets de location comprenant la rénovation ou la construction d'un complexe immobilier et la cession de lots à des investisseurs privés.

Elle a ainsi procédé à l'acquisition d'un ensemble immobilier à [Localité 4] (56).

Des cessions à des investisseurs privés, dans le cadre d'un programme de défiscalisation sont intervenues pour un prix total de 2 300 000 euros.

La société n'a pas pu financer la poursuite de son programme faute de fonds propres.

M [U] [O], dirigeant de Résidéa et par ailleurs dirigeant du groupe Probono lequel est entré au capital de la société Résidéa en septembre 2008, a décidé de se désengager de la société Résidéa et de céder le capital à M [D] [P] à la fin de l'année 2010 lequel est devenu dirigeant le 22 octobre 2010.

M [P] a déposé une déclaration de cessation des paiements le 1er juin 2011.

Par jugement en date du 14 juin 2011, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la société, fixé la date de la cessation des paiements au 30 avril 2010 et désigné la Selarl EMJ, prise en la personne de Maître [G] [X], comme liquidateur judiciaire.

Le procureur de la République a fait citer MM [O] et [P] devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir celui-ci les condamner à une sanction.

Par jugement en date du 24 juin 2015, le tribunal (n°de RG 2014045963) a condamné, avec exécution provisoire, M [O] à 12 ans de faillite personnelle et M [P] à une peine de 5 ans d'interdiction de gérer.

Par déclaration au greffe de cette cour en date du 3 juillet 2015, M [O] a relevé appel de cette décision, M [P] et le procureur général étant intimés (n°de RG 15/14684 devant la cour), la Selarl EMJ intervenant volontairement à la procédure.

Par un autre jugement du 24 juin 2015, le tribunal de commerce de Paris (n°de RG 2014034224), a, sur assignation de la Selarl EMJ en date du 2 juin 2014 prise en la personne de Maître [G] [X], après avoir constaté que l'insuffisance d'actif de la société Résidea s'élève à la somme de 1 598 844,19 euros, condamné M [O] à payer cette somme à Maître [G] [X], es qualités, avec exécution provisoire, outre 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration au greffe en date du 3 juillet2015 M [O] a également relevé appel de cette décision M [P] et la Selarl EMJ étant intimés (n°de RG 15/14697 devant la cour).

Les deux instances enrôlées devant la cour sous les numéros 15/14684 et 15/14697 seront jointes dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'argumentation développée par les parties sur les sanctions patrimoniales et personnelles étant indivisible.

Par conclusions signifiées le 2 mai 2016, M [O] demande à la cour :

- dans l'instance relative aux sanctions personnelles (RG 15/14684), de dire que son appel est recevable et bien fondé, d'infirmer le jugement du tribunal en toutes ses dispositions et à titre subsidiaire de réduire la durée de la mesure de faillite personnelle prononcée contre lui,

-dans l'instance relative aux sanctions patrimoniales (RG 15/14697) de dire que son appel est recevable et bien fondé, d'infirmer le jugement du tribunal de commerce dans toutes ses dispositions et de déclarer la Selarl EMJ irrecevable en son action, subsidiairement de dire que la demande de sanction est mal fondée, d'infirmer la décision le condamnant à combler l'insuffisance d'actif, très subsidiairement de réduire à de plus justes proportions la condamnation de première instance, en tout état de cause de condamner la Selarl EMJ à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Par conclusions signifiées les 29 février et 28 avril 2016, la Selarl EMJ, es qualités, demande à la cour :

- dans l'instance relative aux sanctions patrimoniales (RG 15/14684) , de dire qu'elle est recevable en la personne de Maître [G] [X], es qualités, et bien fondée en son intervention volontaire, de confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce en toutes ses dispositions et de condamner MM [O] et [P] au paiement de la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de prorédure civile,

-dans l'instance relative aux sanctions pécuniaires (RG 15/14697), de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de M [O] et en toutes ses dispositions, sauf sur le quantum, de l'infirmer de ce chef et de condamner M [O] à lui payer la somme de 1 813 363,60 euros outre les intérêts et avec anatocisme et 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions signifiées les 4 décembre 2015 et 26 janvier 2016, M [P] demande à la cour :

- dans l'instance relative aux sanctions personnelles (RG 15/14684) d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné à une interdiction de gérer d'une durée de 5 ans,

-dans l'instance relative aux sanctions pécuniaires (RG 15/14697) de prendre acte qu'aucune demande n'est formulée contre lui et de confirmer le jugement du tribunal de commerce le concernant.

A l'audience du 11 mai 2016, M l'avocat général a indiqué s'associer aux demandes de Maître [G] [X] es qualités.

SUR CE,

-Sur la recevabilité de l'action, la validité de la vérification des créance et l'insuffisance d'actif

M [O] conclut à l'irrecevabilité de l'action initiée par le mandataire judiciaire dans l'instance relative aux sanctions patrimoniales ( 15/14697).

Il soutient dans les deux instances (15/14684 et 15/14697) qu'il n'y a pas eu de vérification de passif valable car elle a été effectuée en dehors de la présence du débiteur de sorte que l'état des créances est nul, aucune créance n'ayant été valablement admise, et qu'ainsi, en l'absence d'insuffisance d'actif, le mandataire judiciaire à l'origine des poursuites ne justifie pas d'un intérêt à agir susceptible de rendre son action recevable.

Il ajoute que la procédure collective a été menée de façon contestable, que l'état des créances n'a pas été déposé dans les délai fixés par le tribunal et que l'insuffisance d'actif retenue est inexacte, certaines créances ayant été retenues à tort.

Il fait valoir que l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme a été violé en ce qu'il n'a pas disposé d'un droit au recours effectif contre l'état des créances, le recours de l 'article R 624-8 du code de commerce étant expiré.

Il est toutefois établi par les pièces au débat que la vérification des créances opérée par Maître [X], s'est déroulée avec M [D] [P] qui a été invité à faire valoir ses observations au fur et mesure du déroulement des opérations et les a effectivement fait valoir.

M [P] étant le dirigeant de la société au moment des opérations de vérification, c'est de manière inopérante que M [O] soutient que cette vérification est entachée de nullité comme ayant été accomplie hors de la présence du débiteur alors que n'étant plus dirigeant de la société depuis 2010 il n'avait plus qualité pour la représenter et procéder aux opérations de vérification.

C'est donc vainement, et au vu de l'état des créances privilégiées et chirographaires publié les 29 décembre 2013 et 31 décembre 2014, que M [O] soutient que l'insuffisance d'actif ne serait pas établie.

C'est en tout état de cause à tort, que M [O] prétend pouvoir remettre en cause, dans la présente instance, la régularité de l'état des créances qui a été publié, et le montant du passif, en contestant notamment l'admission de certaines d'entres elles.

A cet égard, il ne saurait utilement invoquer l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme pour prétendre qu'il n'a pas disposé du droit effectif à un recours juridictionnel.

En effet, en sa qualité de tiers à la procédure, il pouvait saisir le juge commissaire d'une réclamation à l'encontre de l'état des créances conformément à l'article R 624-8 du code de commerce.

Ne l'ayant pas fait et ne s'étant en conséquence pas vu opposer une quelconque irrecevabilité de ladite réclamation au motif que le délai de son exercice aurait été dépassé il ne saurait se plaindre de l'absence d'un droit au recours effectif à l'encontre de l'état des créances qu'il n'a pas contesté en temps utile en mettant en oeuvre les voies de recours offertes par la loi à cette fin.

Les décisions d'admission des créances, aujourd'hui définitives s'imposent à lui et ne peuvent plus être mises en cause.

Compte tenu de ce qui précède et des pièces produites aux débats, l'insuffisance d'actif s'élève désormais à la somme de 1 878 870,64 euros.

-Sur les fautes de gestion

Aux termes de l'article L 651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supportée, en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.(...).

La Selarl EMJ reproche à M [O] un retard apporté au dépôt de la déclaration de paiement tandis que M [O] conteste que ce retard ait entrainé une augmentation du passif.

La tardiveté de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal fixé à l'article L 640-4 du code de commerce, susceptible de constituer une faute de gestion, s'apprécie au regard de la seule date de cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans un jugement de report, laquelle s'impose tant en matière de sanction pécuniaire que dans l'instance en sanction personnelle.

En l'espèce le tribunal a fixé, dans son jugement du 14 juin 2011, la date de cessation des paiements au 30 avril 2010, non modifiée ultérieurement par un jugement de report, alors que M [P] a déclaré l'état de cessation des paiements de la société Résidea au tribunal de commerce le 1er juin 2011, de sorte que le caractère tardif de la déclaration de cessation des paiements est établi.

Il n'est pas contesté qu'à la date du 30 avril 2010, le passif, s'élevait déjà à une somme supérieure à 280 000 euros alors que les disponibilités de la société étaient d'environ

20 000 euros.

Dès lors, compte tenu du montant du passif et de la faiblesse de l'actif il appartenait aux dirigeants successifs et notamment à M [O] à qui ce grief est seul reproché au titre des sanctions personnelles, de déclarer la cessation des paiements à cette date et non de quitter la direction de la société sans avoir déposé une déclaration de cessation de paiement, et d'attendre la poursuite abusive de l'activité déficitaire de la société dans ces conditions ayant conduit à l'aggravation de l'insuffisance d'actif à hauteur de 299 108 euros, conformément au décompte précis, figurant dans la requête en sanction du procureur de la République.

La Selarl EMJ es qualités, reproche par ailleurs à M [O] diverses opérations de gestion contraire à l'intérêt de la société Résidea.

Il en va ainsi tout d'abord des conditions de la vente des actifs de la société Holihome.

La société Holihome, propriétaire d'un ensemble immobilier dans lequel elle exploitait un parc résidentiel de loisirs de 58 mobil-homes, et crédit-preneur, en vertu d'un crédit bail immobilier, portant sur 21 appartements, était détenue par les époux [I].

Le 6 décembre 2007, un protocole d'accord de cession des titres d'Holihome a été signé par les époux [I] au profit de la société Résidea pour un montant de 1 647 233 euros avec remboursement de leurs comptes courants d'associés de 143 781 euros et une garantie de passif de 150 000 euros.

Le même jour, Holihome et le crédit-bailleur sont convenus de la résiliation amiable du contrat de crédit bail contre paiement des arriérés et versement de 150 000 euros.

Un bail précaire a été signé entre la société Solma et Holihome, celle-ci continuant à exploiter la résidence.

Concomitamment, Holihome a cédé l'immeuble dont elle était propriétaire à la société Solma pour 2 500 000 euros.

La Selarl EMJ soutient sans être contestée que le prix de cession a été versé non à Holihome mais à Résidéa et que la perception de cette somme est passée sur le compte courant de Holihome dans les livres de Résidéa et a servi à payer, la cession des actions acquises par Residéa auprès des époux [I], pour 1 647 233 euros, à rembourser aux époux [I] leur compte courant pour 143 781 euros, à payer la garantie de passif de

150 000 euros outre les honoraires d'avocats et d'expert-comptable pour 106 540 euros, à effectuer un remboursement auprès de la société Tamaris, société du groupe Probono

pour 150 000 euros, et a permis à M [O] de se rembourser son compte courant d'associé pour 100 000 euros.

M [O] indique que le projet tel qu'il a été mené offrait de hautes potentialités de promotion immobilières, qu'un résultat brut d'exploitation confortable pouvait être espéré, que ce n'est qu'à la défaveur d'événements imprévisibles que les difficultés de Résidea sont apparues.

Il ajoute qu'il ne saurait lui être reproché à la fois d'avoir acquis l'actif de sa filiale et de l'avoir payé de manière appropriée. Il ne conteste aucune de ces opérations financières ni leur montant.

Il est établi qu'en acquérant la société Holihome, la société Résidéa a utilisé la trésorerie de sa filiale à des fins personnelles qui ont précipité la liquidation judiciaire de ladite filiale qui n'a pas été remboursée de son compte courant d'associé dans les livres de Résidéa.

Compte tenu de la participation de Résidéa dans Hollihome, l'opération effectuée a en outre abouti à l'anéantissement d'un actif de Résidéa, (les titres) valorisé à 1 750 000 euros sur la déclaration de cessation des paiements de cette dernière, désormais d'une valeur nulle ou quasi nulle, compte tenu de la liquidation de sa filiale.

La destruction de l'actif de la société Résidéa ainsi opéré constitue une faute de gestion qui a aggravé l'insuffisance d'actif à hauteur de 1 750 000 euros.

Par ailleurs, l'opération ainsi menée contrevient de façon manifeste aux dispositions de l'article L 225-216 du code de commerce, lequel prévoit qu'une société ne peut avancer des fonds, accorder des prêts ou consentir une sureté en vue de la souscription ou de l'achat de ses propres actions par un tiers, dans la mesure ou Résidéa a utilisé la trésorerie de Holihome pour payer la cession des actions de cette dernière.

La responsabilité de M [O], en sa qualité de dirigeant de la société à l'époque de l'opération est ainsi engagée en ce qu'elle est à l'origine de l'insuffisance d'actif ainsi créée à hauteur du montant visé.

La Selarl EMJ reproche en outre à M [O] une opération survenue en 2009.

Résidéa a acquis un ensemble immobilier à [Localité 4]. Ne disposant pas de fonds propres suffisants pour effectuer le programme de réhabilitation prévu, elle a cédé à 15 investisseurs privés 15 maisons afin de le financer.

Ayant perçu de ce chef la somme de 2 334 783,36 euros, la Selarl EMJ reproche à la société Résidea d'avoir réparti le produit de ses ventes entre différentes sociétés dirigées par M [O] : 195 000 euros pour la société Bois Joli, 135 000 euros pour la société Tamaris, 700 000 euros pour la société Senex, 155 000 euros pour la société CCI et d'avoir en outre versé 132 000 euros aux investisseurs d'un autre programme de la société Résidéa à [Localité 5], le transfert de la trésorerie de Résidea vers les sociétés dirigées par M [O] s'élevant à 1 465 000 euros.

M [O] fait observer que ces opérations sont intervenues deux ans et demi avant la cessation des paiements, sans les contester.

Ces flux de trésorerie, non causés et non justifiés, ont privé la société de la possibilité de financer son activité et d'effectuer le programme de réhabilitation prévu, de sorte que c'est à bon droit que le tribunal a considéré que M [O] avait disposé des biens sociaux dans un intérêt contraire à celui de l'entreprise et ainsi contribué à l'insuffisance d'actif, peu important qu'ils aient été commis plusieurs mois avant la date de cessation des paiements, dès lors qu'ils ont contribué à l'aggravation du passif.

Enfin la Selarl EMJ fait grief à M [O] d'avoir préalablement à son départ de la direction de la société Résidea fait procéder au remboursement du compte courant d'associé de la société Probono grâce à un virement de 35000 euros et à plusieurs compensations avec des cessions de créance, de sorte que la société Probono présentait un compte courant d'associé d'un montant de 922 027,88 euros au 30 juin 2010 et de 81000 euros au 21 octobre 2010.

M [O] ne conteste ni l'existence de ces flux, ni leur montant, mais fait valoir que le remboursement a été légitime car il est normal qu'un compte courant soit remboursé.

Toutefois, le remboursement d'un compte courant d'associés alors que la société rencontre de graves difficultés financières et a fortiori lorsqu'elle est en état de cessation des paiements, constitue une faute de gestion qui a contribué à l'insuffisance d'actif en privant la société de ressources, au profit des intérêts, directs ou indirects de son dirigeant.

Il n'est pas contesté que la société a été ainsi privée de trésorerie à hauteur de

619 000 euros, ce qui constitue une faute de gestion imputable à M [O].

Le jugement (n° 2014034224) sera, à ces motifs, confirmé sur l'existence des fautes de gestion commise par M [O].

-Sur la condamnation de M [O]

Les fautes de gestion de M [O] ont contribué à la totalité de l'insuffisance d'actif.

La cour, usant de son pouvoir de modération ramènera toutefois la condamnation de première instance à de plus justes proportions et condamnera M [O] à payer à la Selarl EMJ, prise en la personne de Maître [G] [X], à la somme de 1 000 000 d'euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision, tandis que la Selarl EMJ sera débouté sera débouté de son appel incident.

Le jugement ( (n° 2014034224) sera en conséquence infirmé de ce chef.

La capitalisation des intérêts pourra intervenir dans les conditions de l'article 1154 du code civil.

Aucune demande indemnitaire n'étant formulée contre M [P] devant la cour, celle ci confirmera le jugement en ce qu'il n'a prononcé aucune condamnation à son égard.

-Sur les sanctions personnelles

Dans sa requête en sanction devant le tribunal de commerce, le procureur de la République de Paris vise les manquements suivants :

-à l'encontre de MM [P] et [O]: ne pas avoir déclaré la cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours (article L 653-8 al 3 du code de commerce),

-à l'encontre de M [O] seul: avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement (article L 653-4 3°), avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale (article L 653-5 3° du code de commerce), avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice d'autres créanciers (article L 653-5 4° du code de commerce), outre l'interdiction formulée à l'article L 225-216 du code de commerce selon lequel, par renvoi de l'article L 227-1, une société ne peut avancer des fonds, accorder des prêts ou consentir une sureté en vue de la souscription ou de l'achat de ses propres actions par un tiers.

S'agissant de la déclaration tardive de cessation des paiements, ainsi que la cour l'a précisé dans les développements relatifs aux fautes de gestion, ce manquement est établi à l'encontre de MM [P] et [O] successivement dirigeants de la société au cours de la période allant du 30 avril 2010 au 1er juin 2011, et a généré, un passif de 299 108 euros, lequel représente 6 % de l'insuffisance d'actif, M [O] et M [P] soutenant de manière inopérante qu'aucune démonstration n'est faite de ce que ce retard a aggravé le passif.

S'agissant de l'usage des biens ou du crédit de la personne morale contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personnes morale, la requête du procureur vise l'opération de 2009 à l'occasion de laquelle la société Residéa a cédé 15 maisons afin de financer un programme de réhabilitation.

La faute de gestion déjà retenue de ce chef par la cour est sanctionnable au titre de ce manquement puisque les flux financiers opérés ont bénéficié à des sociétés détenues par M [O] à l'égard duquel le manquement visé à l'article L 653-4 3° est donc constitué.

Cette opération financière a eu par ailleurs pour conséquence l'impossibilité pour Résidea de financer la poursuite de son programme. Les transferts de fonds réalisés sans contrepartie au bénéfice des sociétés de M [O] ont constitué des engagements trop importants au regard des besoins de trésorerie requis par les projets de la société Résidea laquelle était par ailleurs redevable envers sa filiale de la somme de 2 100 000 euros.

Il en va de même de l'acquisition par Résidéa de la totalité des parts d'Holihome, opérée dans les conditions ci dessus rappelées, constitutives d'une faute de gestion et réalisée en contravention avec les dispositions de l'article L 225-216 du code de commerce.

Dès lors, le grief de l'article L 653-5 3° du code de commerce est établi à l'égard de M [O].

Enfin, la faute de gestion retenue par la cour au titre du remboursement du compte courant d'associé de la société Probono avant le départ de la direction de la société Résidéa de M [O] constitue en outre le manquement visé à l'article L 653-5 ° du code de commerce, puisque M [O] en procédant postérieurement à la cessation des paiements (30 avril 2010) au remboursement de la créance de Probono a payé un de ses créanciers au détriment d'autres créanciers, l'opération ayant permis à Probono de ne pas figurer parmi les créanciers inscrits au passif de la liquidation judiciaire.

Ce grief sera par conséquent retenu à l'encontre de M [O].

A ces motif le jugement (RG 2014045963) sera confirmé en ce qu'il a dit recevable la requête du procureur de la République en date du 17 septembre 2014 et retenu les griefs visés dans celle-ci.

C'est en outre par une juste appréciation des faits de la cause et des responsabilités de chacun des dirigeants de Résidea que le tribunal a prononcé une interdiction de gérer de 5 ans à l'égard de M [P] et une mesure de faillite personnelle de 12 ans à l'égard de M [O] de sorte que le jugement sera également confirmé sur la nature et la durée des sanctions personnelles.

-Sur les autres demandes

M [P] sera condamné à verser à la Selarl EMJ la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure tandis que M [O] sera condamné à lui payer la somme de 5000 euros au titre de l'instance d'appel, le jugement étant confirmé du chef des frais irrépétibles.

Monsieur [O] sera condamné aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

Ordonne la jonction des instances 15/14684 et 15/14697,

Dit que l'intervention volontaire de la Selarl EMJ dans l'instance n° 15/14684 est recevable et bien fondée,

Confirme le jugement n° RG 2014045963 en toutes ses dispositions,

Confirme le jugement n° RG 2014034224 en ce qu'il a dit que les demandes de la Selarl EMJ sont recevables, que M [O] a commis des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif, en ce qu'il a débouté la Selarl EMJ de ses demandes à l'encontre de M [P], et en ce qu'il a condamné M [O] à la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles,

L'infirme sur le montant de la condamnation de M [O] au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif,

Statuant à nouveau du chef infirmé,

Condamne M [O] à payer à la Selarl EMJ, prise en la personne de Maître [G] [X], es qualités, la somme de 1 000 000 d'euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

Déboute la Selarl EMJ de son appel incident,

Dit que la capitalisation des intérêts pourra intervenir dans les conditions de l'article 1154 du code civil,

Condamne M [P] à payer la somme de 1500 euros et M [O] la somme de

5000 euros, à la Selarl EMJ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M [O] aux dépens et dit qu'il pourra être fait application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Naboudet Hatet.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Mariam ELGARNI-BESSA Marie -Christine HÉBERT-PAGEOT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 15/14684
Date de la décision : 20/09/2016

Références :

Cour d'appel de Paris I8, arrêt n°15/14684 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-09-20;15.14684 ?
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