Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRET DU 06 MAI 2016
(n° 2016- ,7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/23947
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Novembre 2014 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/06625
APPELANT
LE POLO DE PARIS pris en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée et assisté par Me Paul-Albert IWEINS de la SELAS VALSAMIDIS AMSALLEM JONATH FLAICHER et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS,
toque : J010
INTIME
Monsieur [V] [X] [L]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Alexandre VARAUT, avocat au barreau de PARIS, toque : R019
COMPOSITION DE LA COUR :
Madame Isabelle CHESNOT, conseillère, ayant été préalablement entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Mars 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Dominique GREFF-BOHNERT, présidente de chambre
Madame Isabelle CHESNOT, conseillère
Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Jacqueline BERLAND
ARRET :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Dominique GREFF-BOHNERT, présidente de chambre et par Monsieur Guillaume LE FORESTIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
Le Polo de Paris est une association créée le 1er août 1892 ayant pour objet la pratique d'activités sportives à [Localité 3] sur la pelouse [Localité 2] à la lisière du [Localité 1].
Ses statuts se réfèrent aux règles de savoir vivre et de bienséance et leur article 26 a institué une 'Commission de Discipline' chargée notamment d'instruire les infractions «aux lois de l'honneur, à la bienséance, aux Statuts et au Règlement intérieur ».
Le 30 mai 2013, Monsieur [B] [F], employé saisonnier au Polo de Paris, a fait part à la directrice générale, Madame [W], du comportement de Monsieur [N] [L], membre du Polo de Paris, à son égard.
Le président de l'association du Polo de Paris, Monsieur [Z] [A], informé des faits, a alors saisi, par courrier du 24 juin 2013, la commission de discipline conformément aux dispositions des articles 26 des statuts et 11 du règlement intérieur, d'une procédure disciplinaire à l'encontre de Monsieur [L] pour infraction aux règles de la bienséance.
Par décision du 17 décembre 2013 notifiée à Monsieur [L] le 17 janvier 2014, la commission a retenu à l'encontre de celui-ci la sanction de radiation à vie.
Par lettre en date du 15 janvier 2014, le président ayant eu connaissance d'autres faits a saisi une seconde fois la commission de discipline et le 27 mars suivant, une nouvelle décision de radiation a été notifiée à Monsieur [L].
Lors de l'assemblée générale de l'association tenue le 10 avril 2014, les membres de l'association saisis des deux propositions de radiation de Monsieur [L] ont voté leur ratification.
Contestant les faits à l'origine des deux procédures disciplinaires, Monsieur [L] a fait citer l'association Le Polo de Paris aux fins de voir annuler les décisions de radiation, d'obtenir sa réintégration dans l'association et de se voir accorder des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis.
Par jugement rendu le 18 novembre 2014, le tribunal de grande instance de Paris a :
- annulé la décision de radiation prononcée par l'association Le Polo de Paris, le 17 décembre 2013, à l'encontre de Monsieur [L],
- annulé la décision de radiation prononcée par l'association Le Polo de Paris, le 25 mars 2014, contre Monsieur [L],
- ordonné la réintégration de Monsieur [L] au sein de l'association Le Polo de Paris,
- condamné l'association Le Polo de Paris à verser à Monsieur [L] la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'agrément,
- débouté Monsieur [L] du surplus de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- rejeté les demandes articulées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné l'association Le Polo de Paris aux dépens.
Pour l'essentiel, le tribunal a considéré que la décision prononcée le 17 décembre 2013 avait été prise au mépris des droits de la défense en ce que des mesures d'instruction (visionnage des cassettes de surveillance par le responsable des vestiaires et le responsable des services généraux qui ont alors établi des attestations écrites produites aux débats) se sont poursuivies après que Monsieur [C] a pris connaissance des éléments du dossier et que ces investigations n'ont été portées à sa connaissance que le jour même de l'audience.
Il a annulé la décision du 25 mars 2014 en raison du fait que la seconde procédure disciplinaire a été engagée alors que la première n'avait pas encore été soumise à l'assemblée générale pour ratification, le tribunal considérant qu'il aurait convenu d'attendre l'issue de la première procédure avant d'intenter la seconde qui dans l'hypothèse où la proposition de radiation était ratifiée par l'assemblée générale, devenait sans objet.
Le tribunal a retenu un préjudice résultant de la privation de l'accès au Polo de Paris mais a rejeté les autres demandes de dommages et intérêts, Monsieur [C] ne justifiant pas de ses autres préjudices et la procédure ayant été annulée pour des motifs tenant à l'irrégularité de celle-ci.
L'association Le Polo de Paris a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 27 novembre 2014.
L'appelante, en l'état de ses conclusions signifiées le 08 juin 2015, demande à la cour de :
-infirmer le jugement rendu le 18 novembre 2014 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Monsieur [L] de ses demandes au titre du préjudice moral et de réputation,
Et statuant à nouveau :
-débouter Monsieur [L] de toutes ses demandes, fins, prétentions et conclusions en ce incluse sa demande d'annulation des décisions des 17 décembre 2013 et 25 mars 2014 ainsi que sa demande de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice d'agrément,
-condamner Monsieur [L] à lui payer la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
-condamner Monsieur [L] aux entiers dépens dont distraction au bénéfice de la SELAS Valsamidis, Amsallem, Jonath, Flaicher et associés, avocats au barreau de Paris, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'association Le Polo de Paris expose que Monsieur [L] a adopté à plusieurs reprises dans les vestiaires un comportement déplacé à l'égard d'autres membres et de salariés de l'association et qu'il a été révélé que de tels faits étaient commis depuis plusieurs années.
Elle soutient que s'agissant de la première procédure disciplinaire, elle a été menée dans le respect des statuts associatifs et du règlement intérieur, des règles de procédure et des droits de la défense, que l'instruction de l'affaire ré-ouverte après la première audience a été faite à charge et à décharge, qu'au demeurant, l'imputation des faits était suffisamment précise pour que M. [C] prépare sa défense.
Elle affirme que la seconde procédure est exempte de critiques dès lors que la première décision de radiation n'est devenue définitive qu'au jour de sa ratification par l'assemblée générale, qu'elle portait sur des faits nouveaux, distincts de ceux retenus dans la première instance et commis antérieurement à la mesure de radiation.
Enfin, l'association Le Polo de Paris considère que la preuve des préjudices allégués par Monsieur [L] n'est pas rapportée.
Selon ordonnance rendue le 2 juillet 2015, les conclusions signifiées le 15 avril 2015 pour Monsieur [L] ont été déclarées irrecevables comme tardives au regard du délai institué par l'article 909 du code de procédure civile. Cette ordonnance n'a pas été déférée devant la cour.
L'ordonnance clôturant l'instruction de l'affaire a été rendue le 20 janvier 2016.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DECISION :
Il appartient au juge saisi par Monsieur [L] d'une demande d'annulation de deux sanctions prises à son encontre par l'instance disciplinaire de l'association Le Polo de Paris de vérifier si ces décisions ont été prises régulièrement, si elles sont fondées et si les sanctions prononcées sont proportionnées au regard des faits retenus.
Sur la décision du 17 décembre 2014 :
Si l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen (CEDH) qui consacre l'existence d'un droit à un procès équitable ne s'applique pas à la procédure disciplinaire diligentée au sein d'une association afin d'examiner des faits pouvant constituer une violation de son règlement intérieur, toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief à celle-ci doit respecter les droits de la défense, parmi lesquels le principe du contradictoire.
Ainsi Monsieur [L], convoqué devant la commission de discipline de l'association Le Polo de Paris afin de répondre de faits allégués à son encontre, avait droit à ce que sa cause soit entendue contradictoirement ce qui entraînait la faculté de prendre connaissance et de discuter de toute pièce ou observation présentée à la commission et susceptible d'influencer sa décision.
S'agissant de la décision prise par la commission de discipline le 17 décembre 2013, force est de constater que :
- Monsieur [L] a été régulièrement convoqué devant la commission se réunissant le 7 novembre 2013 ;
- invité à prendre préalablement connaissance du dossier d'instruction, Monsieur [L] a sollicité un renvoi afin de préparer sa défense ; ce renvoi lui a été immédiatement accordé, la séance de la commission étant reportée à la date du 19 novembre 2013 ;
-à cette date, Monsieur [L] a régulièrement comparu devant la commission ; il a contesté les faits qui lui étaient reprochés et a sollicité de la commission qu'elle entende des témoins de moralité ;
- l'affaire a été contradictoirement renvoyée à la date du 17 décembre 2013 pour complément d'information ;
- après qu'ont été entendus les témoins désignés par Monsieur [L] mais aussi un nouveau plaignant, la commission a siégé le 17 décembre 2013 ; Monsieur [L] indique avoir été avisé de cette date par appel téléphonique de la directrice générale de l'association ;
- lors de cette séance, des attestations établies par Monsieur [U] [S] et Monsieur [O] [P], salariés de l'association, après qu'ils ont visionné la cassette de vidéo surveillance placée dans les vestiaires, ont été produites aux débats ; il en a été de même d'une dernière audition (Monsieur [D] [Y]) faite le jour même par la commission ; aux termes du procès-verbal de la séance, il a été 'proposé à Monsieur [L] de prendre le temps de lire seul cette nouvelle déposition' à la suite de quoi 'Monsieur [L] dit que ce n'est pas nécessaire et la lit rapidement. Il la réfute immédiatement....'.
Il résulte de ces circonstances que Monsieur [L] a pu avoir connaissance des éléments de la poursuite dans des conditions lui permettant de préparer sa défense, que les critiques formées à l'encontre de la procédure ne peuvent donc aboutir étant observé que le renvoi du 7 au 19 novembre 2013 a été prononcé sur demande expresse de Monsieur [L] lequel a bien comparu à la date de renvoi, que si la convocation pour la seconde séance du 17 décembre 2013 a été faite par téléphone alors que ce mode de convocation n'est pas prévu par le règlement intérieur, Monsieur [L] a bien comparu et n'a formulé aucune réserve devant la commission sur les conditions de sa convocation, qu'enfin, Monsieur [L] a renoncé au temps qui lui était proposé par la commission pour consulter un dernier témoignage recueilli le jour même de la séance et n'a pas demandé de renvoi afin d'étudier ce document.
La procédure menée par la commission de discipline est donc exempte de vices susceptibles d'affecter sa validité.
La décision prise par la commission est ainsi libellée :
'-Vu l'article 26 des Statuts du Polo de Paris,
-Vu l'article 11 du Règlement Intérieur,
-vu l'instruction menée par la Présidente de la Commission d'Ethique et Discipline,
Statuant sur la réclamation de Messieurs [B] [K] [J] [Q] [E] [M] [I] [T]
Dit que Monsieur [N] [L] a eu un comportement contraire à la bienséance à l'égard notamment de monsieur [F] et a porté atteinte à son intimité le jeudi 30 mai 2013 dans les vestiaires tennis/piscine du Polo de Paris, fait prévu et réprimé par les Statuts du Polo de Paris ; que l'instruction menée démontre que ces faits ne sont pas isolés ni uniques ;
En conséquence prononce la radiation à vie de Monsieur [N] [L].'
Ce libellé est inexact dès lors qu'en application des articles 26 des statuts de l'association et 11 du règlement intérieur, la commission décide de la sanction à prononcer et que ' les sanctions sont : la lettre de mise en garde, l'avertissement, le blâme, l'exclusion temporaire de trois mois à trois ans, la proposition de radiation à l'assemblée et l'exclusion immédiate pour les non-membres.' Il en résulte que la commission peut se prononcer pour une proposition de radiation à l'assemblée mais non prononcer elle-même la radiation d'un membre.
Monsieur [L] conteste à la fois le principe et la rigueur de la sanction qui a été prononcée à son encontre par la commission.
Il ressort cependant des attestations produites aux débats que Monsieur [L] a adopté à de nombreuses reprises et depuis des années un comportement contraire à la bienséance. En effet, si les sportifs s'accommodent d'une certaine promiscuité dans les vestiaires non mixtes, la bienséance interdit les attitudes ambiguës qui mettent mal à l'aise comme pouvant être mal interprétées ou choquent la pudeur. Or, s'agissant de Monsieur [L], des faits objectifs ont pu être établis pour la date du 30 mai 2013, les témoignages recueillis par la présidente de la commission de discipline établissant que Monsieur [F] s'étant laissé convaincre de prendre une douche par Monsieur [L], ce dernier a quitté le box de douche individuelle sans être mouillé pour rejoindre Monsieur [F] dans la douche collective et a entrepris une conversation tout en le regardant de sorte que Monsieur [F] en a été vivement troublé et que Monsieur [T] constatant ce trouble a fait immédiatement le lien avec la présence de Monsieur [L], se rappelant avoir lui-même subi des agissements identiques lorsqu'il était plus jeune de la part du même homme.
Les autres témoignages des membres du club ayant été entendus dans le cadre de cette procédure disciplinaire s'accordent pour dénoncer le caractère ambigü des attitudes et de certains propos de Monsieur [L], pour décrire le sentiment de fort malaise à connotation sexuelle qu'ils ressentaient en présence de Monsieur [L], l'un d'entre eux évoquant même un 'viol psychologique' et pour affirmer que la présence de Monsieur [L] dans les vestiaires sportifs était inquiétante et insécurisante pour les jeunes garçons fréquentant les lieux.
Ainsi, il est suffisamment établi à l'encontre de M. [L] de nombreux faits contraires à la bienséance.
La gravité de ces faits, qui se sont déroulés pendant de nombreuses années et qui, compte-tenu de leur nature, ne pourraient pas cesser avec certitude après une simple mise en garde ou même une exclusion temporaire, a entraîné à juste titre la sanction la plus sévère qui consiste pour la commission de discipline à proposer à l'assemblée générale des membres de prononcer la radiation à vie.
Sur la décision en date du 25 mars 2014 :
La procédure diligentée par la commission de discipline saisie le 15 janvier 2014 par le président du Polo de Paris de nouveaux faits à l'encontre de Monsieur [L] est régulière en la forme.
A la date de cette saisine, aucune décision de radiation n'avait été prise à l'encontre de Monsieur [L] étant rappelé que la commission statuant le 17 décembre 2013 avait seulement le pouvoir de proposer la radiation à l'assemblée générale de l'association et que cette assemblée générale ne s'est tenue que le 10 avril 2014.
Dans ces conditions, le président de l'association n'excédait pas ses pouvoirs en saisissant à nouveau la commission de discipline pour des faits différents concernant Monsieur [L], à cette date membre du Polo, ni la commission en prononçant le 25 mars 2014 une sanction prévue par l'article 11 du règlement intérieur en répression de nouveaux faits établis.
En effet, il ressort des trois témoignages recueillis par la présidente de la commission que des faits identiques anciens de quelques années ont été relevés à l'encontre de Monsieur [L], que sa conduite a profondément marqué les jeunes garçons qui en ont été témoins alors même qu'ils n'ont eu à en connaître que de façon isolée, que notamment ce comportement notoirement connu des membres fréquentant le vestiaire a pu décider le portier du Polo à prendre les mesures appropriées pour interdire à un adolescent de monter dans le véhicule de Monsieur [L] à la sortie du club.
Ces faits constituent des manquements particulièrement graves au règlement du Polo de Paris en ce qu'ils sont contraires à la bienséance et justifient la sanction prise par la commission lors de sa séance du 25 mars 2014, à savoir la proposition de radiation.
Sur les autres demandes :
Monsieur [L] qui succombe supportera les dépens de l'entière instance.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'association Le Polo de Paris les frais irrépétibles engagés pour la présente procédure. Il lui sera accordé la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
En conséquence, statuant à nouveau,
Déboute M. [V] [X] [L] de toutes ses demandes ;
Condamne M. [V] [X] [L] à verser à l'association Le Polo de Paris la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [V] [X] [L] aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au bénéfice de la SELAS Valsamidis, Amsallem, Jonath, Flaicher et Associés, avocats au barreau de Paris, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Dit sans objet la demande d'exécution provisoire.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE