Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 18 MARS 2016
(n°2016-105, 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/24724
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Octobre 2014 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 12/14322
APPELANTE
Société CLINIQUE [Établissement 1] agissant en la personne de son représentant légal
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assistée de Me Aurélie EUSTACHE, avocat au barreau de PARIS, toque : P 456 substituant Me Vincent BOIZARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P 456
INTIMES
Monsieur [C] [S]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assisté de Me Julien BALENSI, avocat au barreau de PARIS, toque : R 21
CPAM [Localité 2] prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Défaillante. Régulièrement assignée.
CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MÉDECINS DE FRANCE prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Défaillante. Régulièrement assignée.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 4 février 2016, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère faisant fonction de présidente et Madame Isabelle CHESNOT, conseillère, chargée d'instruire l'affaire.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Dominique GREFF-BOHNERT, présidente de chambre
Madame Isabelle CHESNOT, conseillère
Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Malika ARBOUCHE
ARRÊT :
- Réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Dominique GREFF BOHNERT, présidente de chambre et par Monsieur Guillaume LE FORESTIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
******
Monsieur [C] [S], âgé de 56 ans au moment des faits, était médecin neurologue exerçant à titre libéral à [Localité 1]. Le 27 mai 2008, il a été opéré par le docteur [V] pour une tuméfaction du poignet gauche apparue à la suite d'une chute survenue le 17 octobre 2007. Le chirurgien a indiqué dans son compte-rendu opératoire que cette tuméfaction ressemblait beaucoup à une tumeur à cellules géantes et a demandé que la pièce opératoire soit remise au laboratoire pour analyse anatomopathologique. Pour une raison inexpliquée, le laboratoire sera destinataire d'un flacon vide et l'analyse demandée ne pourra pas être réalisée. Le Docteur [V] en a informé Monsieur [S] et l'a revu en consultation le 17 juin 2008. Par précaution, en l'absence de diagnostic anatomopathologique, il lui a conseillé de consulter à l'Institut Gustave Roussy (IGR) pour que soit mise en place une surveillance. Le médecin de l'IGR a noté dans un courrier du 8 juillet 2008 :
« ['] En cas de malignité, la tumeur se manifestera dans les mois qui viennent et en cas de lésion bénigne, elle pourra également récidiver dans les prochaines années. »
Monsieur [S] bénéficiera d'un suivi régulier à l'Institut Gustave Roussysy avec réalisation de bilans d'imagerie (IRM, échographies'). Aux termes d'un certificat daté du 18 septembre 2008, le docteur [G], psychiatre, lui a prescrit un arrêt de travail jusqu'au 2 novembre 2008 faisant état d'un : « syndrome dépressif réactionnel sévère avec anxiété généralisée, troubles du sommeil, troubles du caractère, désintérêt généralisé et altérations des fonctions psychiques supérieures. Il est actuellement incapable d'exercer ses fonctions de médecin ; il nécessite du repos ainsi que de l'aide médicamenteuse et relationnelle ».
C'est dans ces conditions que Monsieur [S] a sollicité auprès du juge des référés qu'une expertise médicale soit ordonnée au contradictoire notamment de la Clinique [Établissement 1]. Le juge des référés près le tribunal de grande instance de Paris a désigné le professeur [J] en qualité d'expert par ordonnance du 28 novembre 2008.
Lorsque le professeur [J] a déposé son rapport le 1er juillet 2009, l'état de Monsieur [S] n'était pas encore consolidé.
Le 17 janvier 2011, le médecin de l'IGR a écrit à Monsieur [S] en ces termes :
« Cher Confrère,
Nous avons bien reçu vos lettres.
En effet, vous pouvez vous considérer comme guéri.
Il ne me semble pas judicieux que vous veniez régulièrement à l'IGR avec une IRM du poignet.
Le mieux est que vous fassiez une IRM du poignet.
Si jamais vous deviez ressentir de nouveau une tuméfaction à ce niveau, vous pourrez toujours à cette date reprendre contact avec nous mais cette hypothèse me paraît peu probable.»
C'est dans ce contexte que Monsieur [S] a saisi le tribunal de grande instance de Paris aux fins de liquidation des préjudices qu'il considérait comme étant en lien avec la faute reprochée à la clinique [Établissement 1], appelant en outre à la cause la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 2] et la caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF).
Par jugement réputé contradictoire rendu le 13 octobre 2014, le tribunal de grande instance de Paris a :
-déclaré la clinique [Établissement 1] responsable de la perte de la pièce opératoire prélevée lors de l'intervention chirurgicale subie par Monsieur [S] le 27 mai 2008 ;
-condamné la clinique [Établissement 1] à réparer l'intégralité du préjudice subi ;
-condamné en conséquence la clinique [Établissement 1] à payer à :
* Monsieur [S], la somme de 191 490,79 € avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;
*à la CARMF la somme de 48 007,78 € avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2013 ;
-déclaré le jugement commun à la CPAM [Localité 2] ;
-condamné la clinique [Établissement 1] à payer à Monsieur [S] la somme de 4 000 € et à la CARMF la somme de 1 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
-condamné la clinique [Établissement 1] aux dépens en ce compris les frais d'expertise, soit 1 500 euros ;
-ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
-rejeté le surplus des demandes plus amples ou contraires.
La clinique [Établissement 1] a fait appel de cette décision par déclaration du 5 décembre 2014.
Selon conclusions signifiées le 29 octobre 2015, M. [S] a sollicité que soit ordonnée une nouvelle mesure d'expertise, faisant principalement valoir que son état de santé s'est aggravé et qu'au demeurant, le rapport déposé par le professeur [J] le 1er juillet 2009 alors qu'il n'était pas encore consolidé ne comporte pas la fixation des préjudices définitifs.
Il a été décidé de joindre l'incident au fond.
Selon dernières conclusions signifiées le 18 janvier 2016, la clinique [Établissement 1] demande à la cour au visa de l'article L 1142-1 I alinéa 1er du code de la santé publique, des articles 564 et suivants du code de procédure civile, de :
- juger la demande d'expertise médico-légale irrecevable comme nouvelle en ce qui concerne les préjudices subis entre le 1er juillet 2009 et le 17 janvier 2011,
- rejeter la demande d'expertise en aggravation,
Sur la période d'incapacité de travail imputable :
- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu une période d'incapacité temporaire totale de travail du 25 juin 2008 au 07 février 2010;
- réformer le jugement en ce qu'il a retenu une période d'incapacité temporaire de travail partielle du 08 février 2010 au 17 janvier 2011 et statuant à nouveau :
- dire qu'il n'existe aucune incapacité de travail au-delà du 7 février 2010, date à laquelle Monsieur [S] a repris son activité de médecin ;
Sur l'évaluation des pertes de gains professionnels actuelles,
-à titre principal, réformer le jugement en ce qu'il a jugé que les demandes formulées au titre des pertes de gains professionnels actuelles pouvaient être évaluées par référence aux seules déclarations n°2035 et statuant à nouveau, rejeter les demandes formulées par Monsieur [S] au titre des pertes de gains professionnels actuelles en l'absence de production de ses avis d'imposition sur les revenus ;
-à titre subsidiaire, réformer le jugement en ce qu'il a évalué les pertes de gains professionnels actuelles à la somme de 170 480,31 € après déduction de la créance de la CARMF et statuant à nouveau, juger que les pertes de gains peuvent tout au plus être évaluées à 46 158,24 € ;
- confirmer le jugement s'agissant des postes de dépenses de santé actuelles, de frais divers, de pertes de gains professionnels futures, de perte de clientèle et de souffrances endurées ;
- sur le poste pertes de gains professionnels futurs, juger en tout état de cause qu'aucune demande ne saurait être accueillie à ce titre en l'absence de production des avis d'imposition ;
- sur le poste d'incidence professionnelle, juger irrecevable la demande formulée à ce titre ; subsidiairement, rejeter cette demande en ce qu'elle est infondée ; encore plus subsidiairement, dire que la perte des droits à retraite sera capitalisée par l'utilisation du barème GP 2013 au taux d'intérêt de 2.35% ;
-réformer le jugement en ce qu'il a alloué à la CARMF la somme de 48 007,78 € en remboursement de sa créance et statuant à nouveau, juger que la CARMF ne peut prétendre qu'au remboursement de la somme de 38 293,76 € ;
-débouter Monsieur [S] de son appel incident ;
-confirmer le jugement de première instance au titre de l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
-débouter Monsieur [S] de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;
-débouter toute partie de toute demande contraire aux présentes ;
-statuer ce que de droit sur les dépens.
Selon conclusions signifiées le 19 janvier 2016, Monsieur [C] [S] demande à la cour de :
-confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que la perte de la pièce opératoire est due à une faute de manipulation de la panseuse présente dans le bloc opératoire lors de l'intervention et salariée de la clinique [Établissement 1] ;
-confirmer le jugement en ce qu'il a dit la clinique [Établissement 1] responsable du fait de sa salariée ;
-déclarer recevables les demandes au titre d'un préjudice d'incidence professionnelle, par application de l'article 565 du code de procédure civile ;
Au titre des préjudices temporaires subis et à titre principal,
-condamner la clinique [Établissement 1] à lui verser les sommes de :
*100 000 euros au titre du préjudice de souffrances morales endurées du fait de la perte de la pièce opératoire,
*5 000 euros au titre des dépenses de santé,
*3 405 euros au titre des frais de déplacement,
*1 500 euros au titre du préjudice patrimonial temporaire de frais d'expertise avancés,
*221 049 euros au titre des pertes de gains professionnels en raison de son arrêt d'activité au cours des années 2008, 2009 et 2010, à laquelle s'ajoute la somme de 48 007,78 euros due au titre des indemnités journalières versées par la CARMF subrogée dans ses droits, soit une somme totale de 269 056,78 euros,
Au titre des préjudices permanents,
-condamner la clinique [Établissement 1] à lui verser les sommes de :
*1.178.381,7 au titre de la perte de gains professionnels à compter du 17 janvier 2011,
*160.233,25 euros au titre de la perte de valeur de sa clientèle,
*33.721,32 euros au titre de l'incidence professionnelle liée à la perte des droits à la retraite,
* 20.000 euros au titre de l'article 700 du code procédure civile,
-condamner la clinique [Établissement 1] aux entiers frais et dépens de l'instance,
-déclarer l'arrêt opposable à la CPAM de Haute Corse et à la CARMF.
La caisse primaire d'assurance maladie [Localité 2] et la caisse autonome de retraite des médecins de France, régulièrement citées en cause d'appel, n'ont pas comparu.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 février 2016 à l'audience de plaidoiries avant l'ouverture des débats.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DECISION :
A titre liminaire, la cour rappelle que l'existence d'une faute ayant entraîné l'impossibilité de faire analyser un prélèvement de cellules tuméfiées excisées du poignet de M. [S] le 27 mai 2008 et son imputabilité à la clinique [Établissement 1] ne sont pas discutées, l'établissement reconnaissant sa responsabilité pleine et entière du fait de la panseuse salariée.
Il appartient alors à Monsieur [S] qui sollicite réparation d'établir les préjudices subis en lien direct avec la faute de la clinique. Ce dernier expose qu'à la suite de la perte du prélèvement, il a été contraint de subir un suivi médical à l'IGS de [Localité 3], qu'il a été plongé dans un état dépressif réactionnel directement lié à l'impossibilité d'établir un diagnostic certain de la pathologie dont il était atteint et qu'il a dû arrêter son activité professionnelle de manière prolongée.
Sur la demande d'expertise :
En application de l'article 144 du code de procédure civile, une demande de nouvelle expertise peut être sollicitée pour la première fois en cause d'appel, le recours à une telle mesure d'instruction relevant du pouvoir souverain des juges du fond et le juge d'appel pouvant l'ordonner d'office.
Il ne sera pas fait droit à la demande d'expertise formée par Monsieur [S] dès lors que celui-ci n'a pas allégué devant les premiers juges qu'il subissait la moindre séquelle fonctionnelle permanente en lien avec les faits, qu'il ne justifie pas d'arrêt de travail après le 10 février 2010, que la production d'un seul certificat médical dressé par le docteur [F] [P], psychiatre, le 25 avril 2015 est insuffisante pour établir une aggravation de son état de santé, qu'enfin, la cour s'estime suffisamment instruite par les pièces produites aux débats sur les préjudices tant temporaires que permanents subis par Monsieur [S].
Dans ces conditions, la demande de nouvelle expertise est recevable mais non fondée.
Sur la recevabilité des demandes nouvelles formulées par Monsieur [S] :
La demande d'indemnisation formée par Monsieur [S] sur appel incident devant la cour, au titre de préjudices subis entre le 1er juillet 2009 et le 17 janvier 2011 n'est pas nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile dès lors qu'elle tend aux mêmes fins que les demandes formées en première instance, à savoir la réparation de l'entier préjudice subi.
Il en est de même pour la demande d'indemnisation formée au titre de l'incidence professionnelle qui ne se confond pas avec la perte économique liée à la diminution des revenus.
Sur les pertes de gains professionnels actuelles :
La clinique [Établissement 1] ne conteste plus, modifiant en cela sa position de première instance, que Monsieur [C] [S] a subi une incapacité temporaire totale de travail imputable à la faute de la panseuse pendant la période retenue par l'expert judiciaire du 25 juin 2008 (afin de tenir compte de la période d'incapacité -1 mois- en lien avec les suites normales de la chirurgie) au 7 février 2010, date à laquelle M. [C] [S] a affirmé avoir repris son activité. En revanche, elle s'oppose à toute indemnisation d'une incapacité partielle pour une période ultérieure à défaut d'éléments attestant de l'existence d'une telle incapacité et de son taux.
Monsieur [S] fait valoir qu'à partir du 8 février 2010 et jusqu'au courrier de l'IGS lui confirmant sa guérison en date du 17 janvier 2011, son état n'était pas consolidé et qu'il a subi une incapacité temporaire partielle de travail.
Toutefois, la période courant jusqu'à la consolidation ne se confond pas nécessairement avec la période d'incapacité temporaire de travail et il appartient à Monsieur [S] d'établir que du 8 février 2010 et jusqu'au 17 janvier 2011, date qu'il convient de retenir pour fixer sa consolidation, il a subi un préjudice économique.
Or, force est de constater que pour la période postérieure au 7 février 2010, Monsieur [S] ne produit ni arrêts de travail, ni certificats médicaux caractérisant une diminution de ses capacités à exercer son activité professionnelle. Par suite, il ne peut solliciter une indemnisation au titre de pertes de gains professionnels même partielles pour cette période.
S'agissant de l'évaluation des pertes, il est constant que malgré des demandes répétées, la clinique [Établissement 1] n'a pu obtenir les avis d'imposition de Monsieur [C] [S] pour les années 2003 à 2011. Toutefois, la cour dispose des comptes de résultats de son activité libérale de 2003 à 2011 inclus tels qu'ils ont été déclarés à l'administration fiscale ('déclarations n°2035'). Or, il n'existe aucun indice ni même présomption que Monsieur [S] ait entrepris pendant la période considérée (du 25 juin 2008 au 10 février 2010) de développer d'autres sources de revenus ne figurant pas dans ces déclarations fiscales 2035, étant rappelé que l'intéressé a souffert d'un 'syndrome dépressif réactionnel sévère avec anxiété généralisée, troubles du sommeil, troubles du caractère, désintérêt généralisé et altérations des fonctions psychiques supérieures' selon les termes contenus dans le certificat médical établi le 14 septembre 2008 par le docteur [G], psychiatre, qui conclut : 'Il est actuellement incapable d'exercer ses fonctions de médecin' et qu'un tel état de santé psychique ayant des répercussions corporelles ne permettait pas à Monsieur [S] de développer une autre activité professionnelle produisant des revenus susceptibles de ne pas figurer sur la déclaration fiscale de son activité libérale.
Il appartient à la cour d'apprécier les pertes en fonction du bénéfice comptable net imposable dégagé par l'activité libérale de Monsieur [S] en tenant compte des indemnités journalières servies par la CARMF. Pour ce faire, il est usuellement retenu une moyenne calculée à partir des revenus dégagés pendant les trois années complètes précédant l'accident (2005,2006,2007) de sorte que doit être accueillie la demande de Monsieur [S] de voir fixer le revenu de référence à la somme annuelle de 203 041 euros, soit 557 € par jour.
Il s'ensuit que durant la période du 25 juin 2008 au 10 février 2010, Monsieur [S] auraient dû percevoir en l'absence d'arrêt de travail un revenu de 331 415 € (557 € x 595 jours). Néanmoins il a perçu au titre des rétrocessions d'honoraires pendant cette même période une somme totale de 211 570 €, soit en 2008 : 89 224 € (172 310 € : 365 x 189 jours), en 2009 : 110 479 € et en 2010 : 11 867 € ( 108 285 : 365 x 40 jours) soit un manque à gagner subi par Monsieur [S] de 119 845 € (331 415 - 211 570).
Sur les pertes de gains professionnelles futures :
C'est par une exacte appréciation des faits et une juste application de la loi, après avoir rappelé que les pertes de gains professionnelles futures correspondent à la perte ou à la diminution des revenus consécutive à l'incapacité permanente à compter de la date de consolidation et que ce poste vise à indemniser les victimes qui, du fait des séquelles qu'elles conservent à la suite d'un accident médical, sont inaptes à poursuivre l'exercice de leur activité antérieure, que les premiers juges ont rejeté toute demande d'indemnisation à ce titre au motif que Monsieur [C] [S] n'a jamais fait état de séquelles permanentes en lien avec les faits litigieux.
Au surplus, la cour relève qu'à la date du rapport d'expertise judiciaire, l'état de Monsieur [S] n'était pas consolidé de sorte que l'expert n'a pu constater d'incapacité permanente ; que toutefois, il a retenu que la consolidation serait décidée par l'institut Gustave Roussy, notamment lorsque le recul clinique sera suffisant ; que de ce fait, la consolidation a pu être fixée à la date du 17 janvier 2011, date du courrier adressé par l'IGR au patient et dénué de tout équivoque ( 'Vous pouvez vous considérer comme guéri') ; qu'à partir de cette date, Monsieur [S] n'établit, ni même n'allègue, avoir subi des séquelles en lien direct avec l'accident médical, le certificat établi par le docteur [F] [P], psychiatre, le 25 avril 2015, qui fait état de l'aggravation des troubles anxieux et de l'humeur subis par Monsieur [S] 'ces derniers mois' ainsi que d'un syndrome post-traumatique 'très handicapant' n'en déduit pas pour autant que son patient est inapte à poursuivre son activité professionnelle, le taux d'IPP invoqué à hauteur de 30%, vraisemblablement destiné à obtenir une nouvelle expertise médicale, n'étant pas caractérisé ; que le préjudice financier allégué par Monsieur [C] [S] pour les années 2015 à 2018, date possible de mise à la retraite, est totalement hypothétique en l'absence de déclaration fiscale pour l'année 2015 et s'agissant de simples prospections pour les années futures.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande au titre des pertes de gains professionnelles futures.
Sur l'incidence professionnelle :
Ce poste de préjudice correspond aux séquelles qui limitent les possibilités professionnelles ou rendent l'activité professionnelle antérieure plus fatigante ou plus pénible. Il a pour objet d'indemniser non la perte de revenus liée à l'invalidité, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle. Il comprend donc, le cas échéant, les pertes de clientèle et de points de retraite.
La clinique [Établissement 1] demande la confirmation du jugement qui a rejeté la demande d'indemnisation au titre de la perte de valeur de la clientèle attachée à Monsieur [S] exerçant son activité à titre libéral, en considérant que le préjudice allégué 'apparaît trop incertain pour justifier une indemnisation.'
Il y a effectivement lieu de constater d'une part que la production aux débats des seules déclarations fiscales 2035 jusqu'en 2014 est insuffisante à établir une baisse réelle de la clientèle, la diminution du bénéfice ne pouvant avoir d'autres causes, parmi d'autres celle d'un choix personnel de travailler moins et d'autre part que Monsieur [S] ne partira à la retraite qu'en 2018 au plus tôt de sorte qu'il dispose encore de temps pour étoffer sa clientèle dans la perspective de la cession de cet élément incorporel à son successeur.
Par ailleurs, il y a lieu de constater au vu du relevé établi par la CARMF le 17 novembre 2014 (pièce n°43) que s'agissant du régime complémentaire, Monsieur [S] qui cumulait 10 points par an au cours des quatre années précédentes (2004 à 2007) ne s'est vu octroyer que 4 points pour chacune des années 2008 et 2009. Dès lors, ce dernier a droit à une indemnisation au titre de la perte de 12 points de retraite du fait des arrêts de travail subi jusqu'au 10 février 2010.
Le point de retraite étant fixé à 78 € selon le décompte précité, Monsieur [S] a perdu la somme de 936 € par an à partir de son départ à la retraite.
Sa perte capitalisée sera calculée en fonction du barème édité par la Gazette du Palais 2013 (taux de 1,20%), soit avec un prix de l'euro de rente viagère pour un homme de 67 ans (âge avancé par Monsieur [S]) s'élevant à 14,287.
Le capital dû à Monsieur [S] est de 13 372,63 €.
La cour confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande formée au titre de la perte de clientèle et accorde à M. [S] une indemnisation de 13 372,63 € au titre des points de retraite.
Sur la créance de la CARMF :
Dès lors que la présente décision arrête l'indemnisation au titre des pertes de revenus à la date du 10 février 2010, la créance de la CARMF qui a versé des indemnités journalières à Monsieur [S] doit être fixée à la somme de 43 824,45 € au vu des avis de paiement adressés par la caisse à ce dernier. Il s'ensuit que le préjudice réellement subi par Monsieur [S] au titre des pertes de gains professionnels actuels s'élève à la somme de 76 020,5 € (119 845 €-43 824,45 € ).
Sur les dépenses de santé actuelles :
Monsieur [S] doit être débouté de sa demande au titre du coût des séances de psychothérapie suivies en région parisienne pour lesquelles il ne produit aucun justificatif.
En l'absence d'appel portant sur la condamnation aux intérêts légaux à partir du 13 avril 2013, le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les frais divers (déplacement et transport, expertise) :
L'indemnisation de ces frais ne peut intervenir qu'in concreto, sur justificatifs.
En conséquence, le jugement déféré qui a retenu la somme de 1010,48 € représentant le coût des billets d'avion dont il est justifié et rejeté le surplus de la demande au titre des frais de transport doit être confirmé.
Les frais d'expertise que les parties s'accordent à fixer à la somme de 1 500 € sont inclus dans les dépens et rejoindront donc la condamnation à ce titre.
Sur les souffrances endurées :
La clinique [Établissement 1] ne conteste pas que la perte de la pièce opératoire et l'incertitude sur le diagnostic qu'elle a générée soient à l'origine de souffrances endurées par Monsieur [S] et que ces souffrances résultent d'un syndrome dépressif réactionnel à l'angoisse d'un pronostic sévère et à la nécessité d'un suivi médical régulier à l'IGR avec examens d'imagerie pendant deux ans. Elle fait cependant observer à juste titre qu'aux termes du rapport d'expertise déposé le 1er juillet 2009, le syndrome dépressif était en cours d'amélioration et que Monsieur [C] [S] avait indiqué à l'expert, lors de la réunion du 13 mai 2009, qu'il avait diminué fortement le Seroplex et le Xanax.
Compte tenu de ces éléments, prenant en considération que les arrêts de travail postérieurs au dépôt du rapport font toujours état d'un état dépressif réactionnel avec anxiété, le jugement déféré qui a accordé à Monsieur [S] la somme de 20 000 € à titre d'indemnisation pour les souffrances endurées pendant 31 mois et qui n'est pas contesté sur ce point par la clinique [Établissement 1] sera confirmé.
Sur les autres demandes :
Les circonstances de la cause et l'équité commande qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des parties qui l'ont demandée.
La clinique [Établissement 1] qui succombe à titre principal supportera les dépens d'appel, étant précisé que les frais d'expertise judiciaire sont compris dans les dépens de première instance lesquels ont été mis à la charge de la clinique.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Dit la demande de nouvelle expertise recevable mais non fondée ;
Dit recevables les demandes formées par Monsieur [C] [S] au titre de l'indemnisation de son entier préjudice ;
Confirme le jugement déféré sauf sur le montant des condamnations mises à la charge de la SAS Clinique [Établissement 1] au titre de l'indemnisation de Monsieur [C] [S] et des prestations servies par la CARMF ;
En conséquence, statuant à nouveau,
Fixe les préjudices subis par Monsieur [C] [S] à la somme de 154 228,11 € représentant les indemnités accordées au titre des pertes de gains professionnels actuels (119 845 €), de l'incidence professionnelle (13 372,63 € ), des souffrances endurées (20 000 €) et des frais divers (1010,48 €) ;
Condamne la SAS Clinique [Établissement 1] à payer :
- à Monsieur [C] [S] la somme globale de 110 403,66 € qui produira intérêts à compter du présent arrêt ;
- à la CARMF la somme de 43 824,45 € au titre des prestations servies à Monsieur [S] avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2013 ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Rejette toutes les autres demandes;
Condamne la SAS Clinique [Établissement 1] aux entiers dépens d'appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE