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18/03/2016 | FRANCE | N°14/19437

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 18 mars 2016, 14/19437


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRÊT DU 18 MARS 2016



(n° 2016-95, 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 14/19437



Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Septembre 2014 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/08920





APPELANTS



Monsieur [V] [Q]

Né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 1]

[Adresse

1]

[Localité 2]



Représenté et assisté par Me Emmanuel MERCINIER-PANTALACCI de l'AARPI VIGO, avocat au barreau de PARIS, toque : G0190



Monsieur [R] [O]

Né le [Date naissance 2] 1967 à [Local...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2

ARRÊT DU 18 MARS 2016

(n° 2016-95, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 14/19437

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Septembre 2014 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/08920

APPELANTS

Monsieur [V] [Q]

Né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté et assisté par Me Emmanuel MERCINIER-PANTALACCI de l'AARPI VIGO, avocat au barreau de PARIS, toque : G0190

Monsieur [R] [O]

Né le [Date naissance 2] 1967 à [Localité 3]

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représenté et assisté par Me Emmanuel MERCINIER-PANTALACCI de l'AARPI VIGO, avocat au barreau de PARIS, toque : G0190

Monsieur [E] [P]

Né le [Date naissance 3] 1979 à [Localité 4]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté et assisté par Me Emmanuel MERCINIER-PANTALACCI de l'AARPI VIGO, avocat au barreau de PARIS, toque : G0190

INTIMES

Monsieur [Q] [W]

chez Me Barone

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté et assisté par Me Laurent BARONE, avocat au barreau de PARIS, toque : C0197

Société [W] PATRIMOINE prise en la personne de son représentant légal

RCS [W]

chez Me Barone

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée et assistée par Me Laurent BARONE, avocat au barreau de PARIS, toque : C0197

Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES venant aux droits de la société COVEA RISKS en sa qualité de co-assureur

RCS 775 652 126

[Adresse 5]

[Localité 5]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assistée de Me Guillaume REGNAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : P 90

Société MMA IARD venant aux droits de la société COVEA RISKS qu'elle a absorbée et en sa qualité de co-assureur

RCS 440 048 882

[Adresse 5]

[Localité 5]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assistée de Me Guillaume REGNAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : P 90

COMPOSITION DE LA COUR :

Madame Annick HECQ CAUQUIL, conseillère, ayant été entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 janvier 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Dominique GREFF-BOHNERT, présidente de chambre

Madame Isabelle CHESNOT, conseillère

Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Madame Malika ARBOUCHE

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Dominique GREFF-BOHNERT, présidente de chambre et par Monsieur Guillaume LE FORESTIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

Le 23 avril 2010, [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] ont donné mandat à la société de conseil en gestion [W] PATRIMOINE de rechercher pour leur compte et de leur proposer un investissement direct ou indirect entrant dans le champ d'application des articles 199 undecies et 127 undecies du code général des impôts ». En exécution de ce mandat, la société [W] PATRIMOINE leur a proposé d'investir dans des sociétés en participation du groupe DOM-TOM DEFISCALISATION. Cet investissement était relatif à un programme d'installation de centrales photovoltaïques en Martinique.

Sur les conseils de la société, le 7 mai 2010, [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] ont respectivement investi dans ce programme de défiscalisation les sommes de 19 000 €, 25 000 € et 18 000 €.

Le 18 juillet 2012, l'administration fiscale a adressé à chacun des investisseurs précités une proposition de rectification pour des montants de 30 400 €, 40000 € et 28 800 € aux motifs que l'investissement souscrit n'entrait pas dans le champ d'application de l'article 199 undecies B du code général des impôts, et ne permettait pas une réduction d'impôt au titre de l'année 2010.

Par un courrier du 10 juin 2013, l'administration fiscale a adressé à [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] une proposition de transaction, laquelle maintenait le principe du redressement mais accordait une remise de pénalité de 10% de l'article 1758 A du code général des impôts et de 30% des intérêts de retard. Cette offre a été acceptée par [V] [Q], [R] [O] et [E] [P], qui ont alors payé respectivement les sommes de 31.506 €, 30.578 € et 24.313 € à l'administration fiscale.

Estimant que ces redressements sont la conséquence directe de manquements de la société [W] PATRIMOINE et de son gérant dans leurs obligations de compétence, de précaution et de moyens pour assurer la sécurité des produits de défiscalisation conseillés à l'investissement, [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] ont assigné le 11 juin 2013 la SARL [W] PATRIMOINE, [Q] [W] et la compagnie COVEA RISKS devant le tribunal de grande instance de Paris pour obtenir leur condamnation au paiement du montant des sommes payées à l'administration fiscale.

Par un jugement rendu le 17 septembre 2014, le tribunal de grande instance de Paris a débouté [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] de leurs demandes d'indemnisations aux motifs qu'il n'était pas établi qu'à la date du 23 avril 2010, la société [W] PATRIMOINE ou Monsieur [Q] [W] avaient été avisés d'un risque officiel affectant le produit DOM-TOM DÉFISCALISATION qui aurait dû les conduire à s'abstenir de le proposer à ses mandants et qu'il comportait un risque tel qu'ils n'auraient pas dû être proposés, dans la mesure où il ne permettait pas aux souscripteurs de bénéficier du dispositif de défiscalisation [C] Industriel. Ils ont en conséquence été condamnés aux entiers dépens et à verser à chacun des intimés la somme de 1500 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens.

Le 24 septembre 2014, [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] ont interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées par voie électronique le 17 novembre 2015 et signifiées le 5 novembre 2015, Messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] demandent à la cour au visa des articles 1149, 1191 et 1192 du code civil, L.124-3 du code des assurances et L.223-22 du code de commerce, de:

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, rendu le 17 septembre 2014;

Statuant à nouveau :

- condamner in solidum la SARL [W] PATRIMOINE, [Q] [W] et la société COVEA RISKS à payer :

1)

* à Monsieur [V] [Q] la somme de 358,80 € au titre des honoraires de Me [F] [V] ;

* à Monsieur [R] [O] la somme de 358,80 € au titre des honoraires de Me [F] [V] ;

* à Monsieur [E] [P] la somme de 358,80 € au titre des honoraires de Me [F] [V] ;

2)

* à Monsieur [V] [Q] la somme de 19.000 € au titre de la perte de l'investissement, à tout le moins 18 999 € au titre de la perte de chance de ne pas réaliser cet investissement, assortie d'intérêts calculés au taux légal majoré de 3 points à compter du 7 mai 2010 ;

* à Monsieur [R] [O] la somme de 25.000 € au titre de la perte de l'investissement, à tout le moins 24.999 € au titre de la perte de chance de ne pas réaliser cet investissement, assortie d'intérêts calculés au taux légal majoré de 3 points à compter du 7 mai 2010 ;

* à Monsieur [E] [P] la somme de 18.000 € au titre de la perte de l'investissement, à tout le moins 17.999 € au titre de la perte de chance de ne pas réaliser cet investissement, assortie d'intérêts calculés au taux légal majoré de 3 points à compter du 7 mai 2010 ;

3)

* à Monsieur [V] [Q] la somme de 3 800 € au titre de la perte de chance de réaliser un gain tiré d'un investissement dans un autre programme de défiscalisation, assortie d'intérêts calculés au taux légal majoré de 3 points à compter du 7 mai 2010 ;

* à Monsieur [R] [O] la somme de 5 000 € au même titre, assortie d'intérêts calculés au taux légal majoré de 3 points à compter du 7 mai 2010 ;

* à Monsieur [E] [P] la somme de 2 880 € au même titre, assortie d'intérêts calculés au taux légal majoré de 3 points à compter du 7 mai 2010 ;

- débouter la société [W] PATRIMOINE, Monsieur [Q] [W] et la société COVEA RISKS de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

Vu l'article 1382 du code civil

- condamner la société COVEA RISKS à payer la somme de 1 000 € chacun à Messieurs [V] [Q], [R] [O] et la [E] [P] en réparation du préjudice que leur cause la résistance abusive qu'elle leur oppose dans le cadre du présent litige ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société [W] PATRIMOINE, Monsieur [Q] [W] et la société COVEA RISKS à payer à Messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] la somme de 7 598,61 € HT, soit 9.487,42 € TTC chacun ;

Vu l'article 699 du code de procédure civile,

- condamner la société [W] PATRIMOINE, Monsieur [Q] [W] et la société COVEA RISKS aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Emmanuel MERCINIER, avocat au barreau de Paris ;

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées par voie électronique le 1er décembre 2015, la SARL [W] PATRIMOINE et [Q] [W] demandent à la cour, au visa des articles 1147 du code civil de :

- confirmer la décision attaquée ;

- dire et juger que [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] ne rapportent pas la preuve d'un préjudice né, actuel et certain,

- dire et juger que [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] ne rapportent pas la preuve d'une faute commise par la SARL [W] PATRIMOINE ou par [Q] [W],

En conséquence, les débouter de l'ensemble de leurs demandes ;

Subsidiairement;

- condamner la société COVEA RISKS à les indemniser ;

- condamner en tous les dépens [V] [Q], [R] [O] et [E] [P],

- condamner solidairement [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] à verser 2 500 € à la SARL [W] PARTIMOINE et 2 500 € à [Q] [W] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 23 novembre 2015, la société COVEA RISKS demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1147 du code civil et L112-6 du code des assurances de :

à titre principal:

- confirmer le jugement du 17 septembre 2014;

- dire et juger que [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] ne rapportent pas la preuve d'un préjudice né, actuel et certain ni d'une faute causale qui aurait été commise par la SARL [W] PATRIMOINE ;

- les dire et juger mal fondés en l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la SARL [W] PATRIMOINE ;

- les en débouter ;

- dire et juger sans objet la demande de condamnation in solidum formée à l'encontre de la société COVEA RISKS es-qualité d'assureur de la SARL [W] PATRIMOINE.

A titre subsidiaire, si par impossible, le tribunal retenait la responsabilité de la SARL [W] PATRIMOINE vis-à-vis de messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P], faisant droit à la thèse développée dans les écritures des demandeurs,

- dire et juger que les conséquences du non-respect d'une obligation de résultat sont exclues de la garantie ;

- dire et juger que les conséquences d'un engagement exorbitant en droit commun sont également exclues de la garantie ;

- dire et juger que les conséquences d'une faute intentionnelle ou dolosive sont exclues de la garantie ;

Par conséquent :

- débouter messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] de toute demande de condamnation formée à l'encontre de la société COVEA RISKS ;

A titre très subsidiaire, si par impossible, le tribunal retenait non seulement la responsabilité de la SARL [W] PATRIMOINE mais en application de la garantie de COVEA RISKS :

- dire et juger, en faisant application de la franchise contractuelle, que la somme de 15 000€ doit être déduite de toute condamnation qui pourrait être prononcée, à l'encontre de la société COVEA RISKS, au profit de chacun des investisseurs,

Subsidiairement et si la cour entendait globalement les trois sinistres, il serait en tout état de cause fait application d'une franchise de 15 000 € pour l'ensemble des condamnations prononcées ;

En tout état de cause :

- condamner in solidum messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P], ou tout succombant, au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] aux entiers dépens de la présente instance avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de maître Patrimonio.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 21 janvier 2016, la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD Assurances Mutuelles demandent à la cour de prendre acte de ce qu'elles viennent désormais aux droits de la société COVEA RISKS en suite du transfert par voie de fusions absorption des portefeuilles de cette dernière.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 janvier 2016.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.

SUR CE, LA COUR

Sur la responsabilité de la société [W] PATRIMOINE

Considérant que Messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] recherchent la responsabilité de la société de conseil en patrimoine gérée par Monsieur [Q] [W] suite au rejet par l'administration fiscale de l'investissement proposé par la société [W] PATRIMOINE dans le cadre du dispositif de la loi [C] Industriel ;

Que dans le cadre de la procédure de vérification du dispositif, l'administration fiscale a procédé à un redressement fiscal suite aux déductions faites par Messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] dans le cadre de leur déclaration fiscale 2010 en estimant notamment que les achats de matériels photovoltaïques par la société DTD n'ont permis de couvrir que 11,9 % du volume total des fonds collectés auprès des souscripteurs, que les quelques centrales installées n'étaient pas prêtes ni raccordés au 7 février 2011, que dispositif [C] souscrit ne pouvait trouver application dans la mesure où les matériels photovoltaïques importés par le groupe LYNX sont fongibles et ne peuvent être affectés ni à une SEP ni à un programme d'investissement avant leur installation ;

Que suite à ce redressement, elle a réclamé à Messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] les droits en principal, augmentés des intérêts de retard et de majorations d'assiettes pour des montants respectifs de 35 021€, 34 023€ et de 27 025 € ; que suite à une transaction avec l'administration fiscale, cette dernière a accepté de réduire les intérêts de retard et de supprimer les majorations d'assiette pour au final réclamer paiement des montants de 31 506 € à Monsieur [Q], de 30 609 € à Monsieur [O] et de 24 313 € à Monsieur [P] ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1991 du code civil le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il demeure et répond des dommages et intérêts qui pourrait résulter de son inexécution ; qu'en application de l'article 1992 du même code il répond non seulement du dol mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion ;

Considérant qu'en l'espèce la société [W] PATRIMOINE s'était engagée à proposer et garantir à ses trois clients une opération qui réponde effectivement à l'objet pour lequel il était mandaté, à savoir une opération d'acquisition de biens éligibles aux dispositions des articles 199 undecies et 127 undecies du code général des impôts ;

Considérant qu'en sa qualité de professionnel du conseil en gestion de patrimoine, la société [W] PATRIMOINE était tenue à une obligation de conseil et d'information au bénéfice de ses clients ; que dans le cadre de son obligation, il appartenait à cette société de fournir à ses clients tous renseignements leur permettant de connaître les conditions dans lesquelles ils s'engageaient, de les mettre en garde sur les risques éventuels de l'opération proposée et de les conseiller sur l'opportunité du placement ;

Que dès lors, il lui incombait de vérifier par tous moyens que l'investissement proposé portait bien sur des biens permettant d'obtenir effectivement les résultats fiscaux et l'enrichissement annoncé ; qu'elle devait en outre s'assurer du sérieux de l'opération qu'elle commercialisait et de la solvabilité des cocontractants qu'elle proposait à ses clients sous peine d'engager sa responsabilité contractuelle ;

Qu'au final, l'obligation pesant sur le conseiller en gestion de patrimoine doit être analysée en une obligation de prudence en ce qu'il était tenu de rechercher et accomplir les diligences nécessaires à la vérification du sérieux et de la régularité de l'opération proposée en fonction de ses moyens ;

Considérant que s'agissant d'une obligation de moyens, il ne peut être fait grief à la société [W] PATRIMOINE de n'avoir pas contrôlé l'ensemble des mécanismes techniques et juridiques du programme d'investissement dans les DOM-TOM qui s'est déroulé sur plusieurs mois voire années ;

Que toutefois, il doit lui être fait grief de n'avoir pas recherché ni vérifié si les informations transmisses par l'opérateur et notamment du sérieux de l'opération réalisée, au regard de ses structures juridiques et financières avant de proposer le placement et de n'avoir pas tiré les conséquences qui s'imposaient suite à l'alerte du ministère des finances du 29 novembre 2009 qui a été diffusée à l'ensemble de la profession et qui déconseillait l'investissement DOM-TOM DÉFISCALISATION et mentionnait qu'elle ne pourrait bénéficier des dispositions de la loi [C] Industriel, avis qui a été rapidement relayé par l'ensemble la presse spécialisée et diffusé sur internet;

Qu'enfin, la faute commise par la société [W] PATRIMOINE ne peut être excusée par le fait que les trois souscripteurs exercent la profession d'analyste financier et étaient en mesure de comprendre ou de rechercher par eux-mêmes des éléments financiers sur la société dans laquelle on leur conseillait d'investir ; qu'en conséquence, ce moyen est inopérant, l'acquis professionnel de la société [W] PATRIMOINE devant en toute hypothèse lui permettre de mettre en garde ses clients contre les risques élevés de tels placements au lieu de se laisser emporter sans discernement par des rendements prometteurs ;

Sur le préjudice de messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P]

Considérant que Messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] soutiennent avoir subi plusieurs préjudices en ce qu'ils ont été contraints de consulter un avocat fiscaliste pour analyser la proposition de rectification de l'administration fiscale, de payer au trésor public les sommes respectives de 31 506 €, 30 578€ et 24 313 € après conclusion d'un accord et d'avoir perdu le bénéfice de la défiscalisation ; que dès lors ils sollicitent la condamnation des intimés à les indemniser de leur investissement totalement perdu et à tout le moins d'une perte de chance et en toute hypothèse de la perte d'une chance de réaliser un gain tiré d'un investissement dans un autre programme de défiscalisation, outre les intérêts au taux légal majoré de 3 points à compter du 7 mai 2010 ;

Considérant que la société [W] PATRIMOINE allègue que Messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] n'ont souffert d'aucun préjudice au motif d'une part que le redressement fiscal n'était pas absolument certain, et d'autre part, que le paiement d'un impôt n'est jamais considéré comme un préjudice ;

Considérant que la société COVEA RISKS conteste l'existence d'un préjudice certain né et actuel au motif que le redressement fiscal a eu pour effet de remettre Messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] dans la situation normale qui aurait dû être la leur vis-à-vis de l'impôt puisque ces derniers ne pouvaient pas bénéficier de la réduction d'impôt qu'ils avaient déjà opérée ; qu'au demeurant, la société COVEA RISKS rappelle également le principe selon lequel un impôt ne constitue pas un préjudice ; que les appelants ne rapportent pas la preuve de l'existence d'autres dispositifs entrant dans le champ d'application de la loi [C] ; qu'en tout état de cause, les transactions fiscales concluent par les parties ne lui sont pas opposables au motif que l'accord susvisé est le fruit de la seule volonté des signataires précités ;

Considérant qu'il convient de relever que les appelants ont sollicité la société COVEA RISKS sur l'opportunité de la contestation de la proposition de rectification adressée par l'administration fiscale par courrier du 23 novembre 2012 et lors de la procédure en référé ;

Que n'ayant pris position, elle ne peut valablement soutenir que l'accord intervenu entre les appelants et l'administration fiscale lui est inopposable ;

Considérant que la perte d'un abattement fiscal ou du bénéfice d'une défiscalisation est un préjudice indemnisable ; que par ailleurs, si la société [W] PATRIMOINE avait correctement exécuté son mandat, Messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] auraient bénéficié d'une défiscalisation supérieure au montant investi du fait de leur investissement à fonds perdus, le gain final pour eux étant la différence entre la somme investie et la défiscalisation pour un montant supérieur; qu'en conséquence, l'accord conclu entre le trésor public et Messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] n'a pu avoir pour effet de placer les appelants dans la situation qui aurait dû être la leur vis-à-vis de l'impôt pour l'année 2010 ;

Considérant que le manquement de la société [W] PATRIMOINE à son obligation de conseil a entraîné pour Messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P], une perte de chance de bénéficier d'une défiscalisation ;

Que cette perte de chance devra être évaluée à hauteur de 70% de l'avantage fiscal espéré ;

Qu'à cet égard, le préjudice de Monsieur [Q]' sera fixé à la somme de 21 638,80€ soit : (30 400€ montant du crédit réel d'impôt perdu du fait du rejet de l'avantage fiscal x 70%) augmentée des honoraires d'avocat pour la négociation fiscale de 358,80 € ;

Que le préjudice de Monsieur [O]' sera fixé à la somme de 21 032,60 € soit: (29 534 € montant du crédit réel d'impôt perdu du fait du rejet de l'avantage fiscal x 70%) augmentée des honoraires d'avocat pour la négociation fiscale de 358,80 € ;

Que le préjudice de Monsieur [P] sera fixé à 'la somme de 16 780,10 € soit (23 459€ montant du crédit réel d'impôt perdu du fait du rejet de l'avantage fiscal x70 % ) augmentée des honoraires d'avocat pour la négociation fiscale de 358,80€ ;

Sur la garantie de l'assureur de la société [W] PATRIMOINE

Considérant que pour échapper à son obligation de garantie, la société COVEA RISKS fait valoir qu'au chapitre II « responsabilité civile professionnelle » du contrat, page 7, sont exclues : «les réclamations et dommages découlant d'une obligation de résultat ou de performance financière, fiscale ou commerciale, des produits ou services rendus, sur laquelle l'assuré se serait engagé expressément»;

Considérant qu'en l'espèce, la société [W] PATRIMOINE a manqué à son devoir de conseil et d'information qui constitue une obligation de moyen ; qu'aucune obligation de résultat ou performance financière et fiscale n'ayant été retenue à son encontre, la présente exclusion n'a pas vocation à s'appliquer ;

Considérant que la société COVEA RISKS énonce encore qu'au titre de l'article 19 des conditions générales du contrat d'assurances de responsabilité civile : «les conséquences d'engagements ayant pour objet de mettre à la charge de l'assuré la réparation de dommages qui ne lui auraient pas incombé en vertu du droit commun» ;

Que toutefois les engagements pris par la société [W] PATRIMOINE de prendre toutes dispositions pour protéger le capital et les droits de ses clients ne dispense pas la société COVEA RISKS d'être tenue à sa garantie suite à l'établissement judiciaire de la faute de son assuré à l'égard de tiers ; qu'en conséquence, la présente exclusion ne peut être appliquée ;

Considérant que la société COVEA RISKS relève qu'aux termes du chapitre II, paragraphe B «exclusions» des conditions particulières du contrat, que sont exclus de la garantie : «les dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré»;

Que ce moyen d'exclusion de garantie ne saurait être retenu, aucune faute intentionnelle ou dolosive n'étant retenue à l'encontre de la société [W] PATRIMOINE à qui il fait uniquement grief d'un manquement à un devoir de conseil et d'information ;

Qu'en conséquence, la société COVEA RISKS est tenue de garantir la société [W] PATRIMOINE dans le cadre du présent litige ;

Considérant que l'article L112-6 du code des assurances dispose que : «l'assureur peut opposer au porteur de la police ou au tiers qui en invoque le bénéfice, les exceptions opposables au souscripteur originaire»;

Considérant qu'aux termes des dispositions particulières du contrat d'assurances, figure en page 5 dans le paragraphe relatif aux sinistres : «lors de la présence de réclamations multiples, formulées à l'encontre d'un même assuré et provenant d'un même fait dommageable, il sera considéré qu'il y a un seul montant de garantie et une seule franchise» ;

Considérant qu'en l'espèce, le fait dommageable consiste en un manquement à une obligation de prudence et de conseil commis par la société [W] PATRIMOINE, celle-ci ayant conseillé à messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] d'investir dans le produit DOM-TOM DEFISCALISATION sans avoir vérifié la nature et le sérieux de l'opération envisagée ;

Que les réclamations de messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] ont toutes été formulées à l'encontre de la société [W] PATRIMOINE, assurée auprès de la compagnie COVEA RISKS ;

Que force est de constater que le présent litige porte sur un même fait dommageable, lequel a fait l'objet de plusieurs réclamations formulées à l'encontre d'un même assuré ; que l'absence d'erreur technique n'a pas à être caractérisée puisque celle-ci ne figure pas dans les exigences contractuelles fixées entre la compagnie COVEA RISKS et son assuré, la SARL [W] PATRIMOINE ; que dès lors, et, par application des dispositions particulières conclues entre la société COVEA RISKS et la société [W] PATRIMOINE, il doit être fait application que d'un seul montant de garantie et que d'une seule franchise ;

Considérant qu'il existe deux franchises contractuelles pour les années 2009 et 2012 s'élevant respectivement à 6 000 € et 15 000 €.

Considérant que s'agissant de la franchise de 15 000€, l'attestation d'assurance produite par la société COVEA RISKS indique en bas de page être valable du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2012 ; qu'en l'espèce, les faits se sont produits en 2010, soit avant la période de validité de l'attestation d'assurances susvisée ; qu'en conséquence, il y a lieu d'appliquer la franchise en vigueur au moment des faits, soit celle de 2009 s'élevant à un montant de 6 000 € ;

Considérant que la SA MMA IARD venant aux droits de la société COVEA RISKS qu'elle a absorbée sera condamnée à la garantie des préjudices subis par les appelants en lieu et place de la société COVEA RISKS ;

Sur la responsabilité personnelle de Monsieur [Q] [W]

Considérant que messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] ne recherchent que la responsabilité personnelle de Monsieur [Q] [W] en ce qu'il aurait exercé sa profession sans bénéficier d'une assurance responsabilité civile professionnelle obligatoire ;

Considérant que la responsabilité civile de Monsieur [W] ne peut être retenue à ce titre, la garantie responsabilité professionnelle de souscrite par la société [W] PATRIMOINE auprès de la société COVEA RISKS étant acquise au présent litige ;

Sur la résistance abusive de la compagnie COVEA RISKS

Considérant que messieurs [V] [Q], [R] [O] et [E] [P] demandent à la cour de constater une résistance abusive de la compagnie COVEA RISKS,

Considérant que le fait de faire valoir ses droits en justice n'est pas constitutif d'une résistance abusive en l'absence de faits et arguments équipollent au dol ; qu'il convient en conséquence de débouter les appelants de la demande présentées à ce titre ;

Sur les frais et dépens

Considérant que l'équité justifie que la société [W] PATRIMOINE soit condamnée à payer à chacun des appelants la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

PAR CES MOTIFS

La cour,

Reçoit la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD Assurances Mutuelles en leur intervention volontaire,

Prend acte que la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD Assurances Mutuelles viennent désormais aux droits de la société COVEA RISKS en suite du transfert par voie de fusions absorption des portefeuilles de cette dernière,

Infirme le jugement du 17 septembre 2014 rendu par le tribunal de grande instance de Paris en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

Condamne la société [W] PATRIMOINE à verser à :

- Monsieur [V] [Q], la somme de 21 638,80 € à titre de dommages et intérêts et la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Monsieur [R] [O], la somme de 21 032,60 € à titre de dommages et intérêts et la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Monsieur [E] [P], la somme de 16 780,10 € à titre de dommages et intérêts et la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les montants alloués porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt ;

Dit que la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD Assurances Mutuelles, intervenant dans les droits de la société COVEA RISKS, sont tenues de garantir la société [W] PATRIMOINE après déduction d'une franchise de 6 000 € pour l'ensemble du litige,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société [W] PATRIMOINE aux entiers dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 14/19437
Date de la décision : 18/03/2016

Références :

Cour d'appel de Paris C2, arrêt n°14/19437 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-18;14.19437 ?
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