Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRET DU 18 DECEMBRE 2015
(n° 2015-343, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/09779
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Avril 2014 -Tribunal de Grande Instance de MEAUX - RG n° 11/05885
APPELANTE
Madame [W] [Q]
Née le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 2]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée et assistée par Me Audrey DUCHENE, avocat au barreau de MEAUX
INTIME
Monsieur [Y] [R]
Né le [Date naissance 2] 1975 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Marie-Laure BONALDI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0936
Assistée de Me Isabelle VAREILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : B977
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Novembre 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Dominique GREFF-BOHNERT, présidente de chambre chargée d'instruire le dossier et Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Dominique GREFF-BOHNERT, présidente de chambre
Madame Isabelle CHESNOT, conseillère
Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère
Greffier, lors des débats : Monsieur Guillaume LE FORESTIER
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Dominique GREFF-BOHNERT, présidente de chambre et par Monsieur Guillaume LE FORESTIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Madame [W] [Q] a partagé l'existence de Monsieur [Y] [R] de janvier 2002 à mars 2010. Estimant avoir engagé pendant leur vie commune des dépenses qui avaient accru le patrimoine de son concubin, notamment en participant à la rénovation d'un bien immobilier acquis par celui-ci en février 2003, elle a introduit le 14 octobre 2011 une action en paiement fondée sur l'enrichissement sans cause ainsi que sur l'article 1382 du code civil.
Par jugement du 17 avril 2014, le tribunal de grande instance de Meaux a condamné M. [R] à payer à Mme [Q] les sommes de 15 000 euros pour sa participation financière aux travaux avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, ainsi que celle de 10 000 euros pour sa participation en nature à ces mêmes travaux, mais l'a déboutée de toutes ses autres demandes. Le tribunal a retenu que chacun devait supporter les dépenses de la vie courante qu'il avait exposées mais que le recours à l'emprunt pour les besoins des travaux de rénovation de l'immeuble de son concubin excédait cependant la contribution normale de Madame [Q], justifiant de l'indemniser partiellement au titre de sa participation financière, et qu'elle établissait une implication personnelle dans la réalisation des travaux. Le même jugement a écarté la demande fondée sur l'article 1382 du code civil en l'absence de circonstances particulières pouvant caractériser un comportement fautif de M. [R] à l'occasion de la rupture.
Madame [Q] a relevé appel de cette décision et, dans ses dernières conclusions notifiées le 3 novembre 2015, elle reprend l'intégralité des prétentions présentées en première instance, entendant faire prononcer au visa des articles 1371, 1146 et suivants et 1382 du code civil la condamnation de Monsieur [R] à lui payer la somme de 136 210 euros avec intérêts calculés au taux légal à compter de l'assignation et capitalisés au titre des charges inhérentes à Monsieur [R] supportées par elle, celle de 50 000 euros au titre de son apport en industrie, celle de 400 000 euros à titre de dommages et intérêts, et celle 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens. Elle expose qu'elle a contracté plusieurs crédits et participé à titre exclusif pendant près de huit ans aux dépenses du couple demeurant dans son appartement, ainsi qu'à la rénovation du bien propre de Monsieur [R], alors que ses revenus étaient moitié moins importants que ceux de son concubin et qu'elle n'a vécu que cinq mois dans la maison réhabilitée. Elle estime avoir ainsi contribué de manière disproportionnée à l'entretien du ménage, et s'être appauvrie sans en tirer de quelconque avantage personnel, tandis que corrélativement Monsieur [R] s'enrichissait par la plus value de sa maison et l'absence de contribution aux charges. Elle chiffre à 80 589 euros ses dépenses de 2002 à 2010 incluant une indemnité d'occupation, et à 38 071 euros les charges supportées au titre des matériaux nécessaires à la remise en état et à l'aménagement de la maison et des crédits, outre 17 550 euros d'agios afférents à la souscription de prêts bancaires et familiaux. Elle ajoute qu'elle a passé tout son temps libre à rénover la maison, ainsi que sa famille et ses amis, pendant près de sept ans, négligeant ainsi sa vie personnelle et professionnelle, et travaillant à l'amélioration substantielle de l'immeuble, d'une valeur d'environ 150 000 euros lors de l'achat et de plus de 1 200 000 euros à ce jour. Enfin, elle invoque un comportement fautif de Monsieur [R] à l'origine d'un préjudice économique, se retrouvant en situation d'endettement maximum, contrainte de vendre son propre bien immobilier, et en grande difficulté pour en acquérir un autre compte tenu des crédits contractés.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 6 octobre 2015, Monsieur [R] demande de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Madame [Q] de ses demandes de contribution aux dépenses du ménage et de dommages et intérêts, ainsi que celle présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Mais, formant appel incident, il poursuit l'infirmation des condamnations prononcées à son encontre. En conséquence, il conclut au débouté de l'ensemble des prétentions de Madame [Q], et sollicite sa condamnation à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel. Il expose que le couple s'est installé en 2002 dans l'appartement dont Madame [Q] était propriétaire, qu'en février 2003 il a lui-même fait l'achat d'une maison située à [Localité 1] au prix de 137 204 euros pour lequel il a contracté un emprunt, que le couple avait projeté d'habiter ensemble cette maison après une rénovation dont il a effectué une grande partie des travaux pendant sept années à l'aide d'un second emprunt, et qu'ils ont emménagé dans cette maison en août 2009, jusqu'à ce que Madame [Q] quitte le domicile commun. Il fait valoir qu'en l'absence de volonté exprimée par les concubins quant aux charges de la vie commune chacun doit conserver la charge des dépenses de la vie courante qu'il a exposées, et que Madame [Q] pouvait si nécessaire agir en contribution aux charges du ménage, l'action de in rem verso n'étant que subsidiaire. Il conteste toute véritable implication physique de Madame [Q] dans les travaux de rénovation du bien, auxquels elle était au demeurant intéressée s'agissant d'un projet commun. Il observe encore que Madame [Q], propriétaire de son appartement, n'a subi aucun appauvrissement du fait de son hébergement chez elle, et qu'il a lui-même contribué aux dépenses courantes ainsi qu'à des travaux dans ce logement. Enfin, il relève sur la demande de dommages et intérêts que Madame [Q] ne démontre pas en quoi son comportement aurait été fautif, pas plus que le préjudice qui aurait pu en résulter.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'action exercée par Madame [Q] sur le fondement de l'enrichissement sans cause en application de l'article 1371 du code civil suppose qu'elle administre la preuve d'un appauvrissement de son patrimoine ayant profité sans cause légitime à celui de Monsieur [R]. Pour être sans cause, les dépenses qu'elle indique avoir engagées doivent être dépourvues d'intention libérale, sans intérêt pour elle-même, ni excéder sa participation normale aux dépenses de la vie commune. En outre, cette action à caractère subsidiaire ne lui est ouverte qu'à défaut de toute autre action
Madame [Q] présente un état détaillé de la somme de 80 589 euros qu'elle réclame au titre des frais de la vie courante supportés par elle de janvier 2002 à avril 2010 et imputés pour moitié à Monsieur [R] (33 414 euros) outre une indemnité d'occupation à la charge de celui-ci pour les années 2002 à 2009 (47 175 euros). Mais, les dépenses ainsi exposées sur une durée de huit années n'ont fait que répondre aux besoins de leur vie commune. Sa contribution, de l'ordre de 700 euros par mois pour un salaire de 2 000 euros, n'a pas excédé ses capacités financières. Elle ne peut prétendre avoir seule pourvu aux besoins du couple alors que Monsieur [R] produit des factures et des relevés de compte bancaire qui, même non exhaustifs, témoignent de dépenses régulières de la vie quotidienne. L'hébergement du couple dans l'appartement de Madame [Q] jusqu'en août 2009 est lui-même inhérent à leur volonté de vivre ensemble. L'appelante ne démontre pas, au surplus, avoir supporté pour ce bien un loyer dont elle prétend pourtant partager la charge. En l'absence de toute convention réglant la contribution des concubins, le tribunal a justement retenu que chacun devait supporter les dépenses de la vie courante qu'il avait engagées.
L'état des factures ensuite présenté à hauteur de 38 071 euros au titre de la réhabilitation et de l'aménagement de la maison acquise par Monsieur [R] comprend des dépenses de matériel de bricolage et d'équipement ménager exposées entre 2004 et 2010, dont l'affectation au bien ne peut être vérifiée. Seules les factures d'achat d'une baignoire le 28 juillet 2007 et d'un réfrigérateur le 7 septembre 2009 précisent l'adresse de livraison de la maison de [Localité 1], sans que Madame [Q] justifie cependant en avoir supporté le paiement, non retracé au débit de son compte bancaire. La même réclamation comprend trois virements de 5 000 euros chacun opérés en faveur de Monsieur [R] les 20 mars et 4 et 20 mai 2009, que Madame [Q] qualifie de prêts et qu'elle rapporte à un crédit personnel de 25 000 euros qu'elle a souscrit le 10 mars 2009 auprès de son établissement bancaire en remplacement d'un précédent crédit de 20 000 euros souscrit en 2008, outre des agios. Or, Madame [Q] dispose en matière de prêt d'une action gouvernée par les règles de preuve édictées par les articles 1326 et 1341 et suivants du code civil, de sorte que l'action subsidiaire fondée sur l'enrichissement sans cause ne peut être admise pour le recouvrement de telles sommes et des intérêts qui leur sont accessoires. Aucun élément ne permet au demeurant de déterminer la destination exacte des fonds virés et leur utilisation au bénéfice exclusif de Monsieur [R], lequel justifie avoir lui-même souscrit le 16 novembre 2005 un emprunt de 162 831 euros pour la mise en état d'habitabilité du bien. Les courriels échangés entre les parties le 1er juillet 2010, dans lesquels M. [R] indiquait : «A titre informatif, je suis curieux de connaître ton point de vue sur l'argent que je t'ai versé. Trouves-tu normal qu'on ne l'intègre pas '», ainsi que ses propos rapportés dans un procès-verbal de constat du 26 juin 2010 en ces termes : «Je reconnais que je dois de l'argent. Mais, il faut savoir qui doit quoi. C'est débit crédit.», rapprochés des virements opérés par lui en faveur de Madame [Q] et retracés dans les propres relevés bancaires de celle-ci, ne font que traduire des mouvements réciproques de fonds entre les concubins sans caractériser l'appauvrissement de l'un par rapport à l'autre. C'est donc à tort que le tribunal a pris en compte une participation financière de Madame [Q] constitutive d'un enrichissement sans cause de son concubin.
Au soutien de l'indemnisation réclamée à hauteur de 50 000 euros au titre de son apport en industrie, Madame [Q] produit des planches photographiques la présentant sur le chantier parmi d'autres acteurs, des attestations relatant son implication pendant son temps libre dans la réalisation de travaux et de démarches, et des échanges de courriels avec des entrepreneurs. Mais, ainsi que l'a énoncé le tribunal, ces seuls éléments ne permettent pas de déterminer l'étendue exacte de sa participation. Ils ne sont pas, en tout cas, significatifs d'un investissement d'une ampleur excédant la participation normale de Madame [Q] à un projet de réhabilitation qui répondait à l'intention du couple de vivre ensemble dans le bien rénové. La plus-value immobilière à laquelle l'appelante prétend avoir contribué ne peut être prise en compte sans un appauvrissement corrélatif, non démontré en l'espèce. L'estimation du bien invoquée au prix de 1 200 000 euros repose au demeurant sur des informations qui ne sont ni précises ni objectives, puisque le courrier du 29 janvier 2011 de l'agence immobilière du [Localité 4] mentionne cette valeur précise : «cette estimation n'a pu être faite par une visite intérieure, nous sommes juste passé devant le bien et nous avons eu un descriptif détaillé du bien, des travaux effectués et il nous a été présenté un dossier photo». C'est donc encore à tort que le tribunal a accordé à Madame [Q] une indemnisation fondée sur l'enrichissement sans cause au titre de sa participation en nature aux travaux.
Enfin, il appartient à Madame [Q] qui entend mettre en jeu la responsabilité de Monsieur [R] sur le fondement de l'article 1382 du code civil de prouver la faute commise par celui-ci et son lien de causalité direct et certain avec le préjudice économique dont elle demande réparation. Elle lui impute un comportement déloyal et mensonger en partie responsable de leur séparation, fait «de captation chronique et sournoise, de travaux jamais terminés, d'aménagements toujours à refaire, de projets communs repoussés sans cesse». Mais, elle ne démontre en rien les circonstances qu'elle allègue à l'origine de la rupture. Les pièces qu'elle vise concernent la reprise de ses biens laissés sur place, ayant généré des frais de déménagement et donné lieu à des échanges de courriels ainsi qu'à un procès-verbal de constat d'huissier le 26 juin 2010, qui concernent les suites de la séparation déjà intervenue et sont inhérents au règlement de ses conséquences. Le constat reflète un différend quant au déménagement des meubles, objets et effets personnels de Madame [Q], subordonné par Monsieur [R] à la signature d'un protocole sur lequel les parties sont demeurées opposées, sans que le contenu du mobilier à reprendre soit davantage indiqué, et alors qu'une liste d'objets effectivement récupérés a été mentionnée dans le procès-verbal. Le jugement qui a rejeté la demande de dommages et intérêts sera en conséquence confirmé.
Dès lors, Mme [Q] devra être déboutée de l'intégralité de ses prétentions.
Il est équitable de compenser à hauteur de 1 500 euros les frais non compris dans les dépens que l'intimé a été contraint d'exposer.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a condamné Monsieur [Y] [R] sur le fondement de l'enrichissement sans cause à payer à Madame [W] [Q] les sommes de 15 000 euros pour sa participation financière et 10 000 euros pour sa participation en nature, et laissé à chaque partie la charge de ses dépens et frais irrépétibles,
Et, statuant à nouveau de ces chefs,
Déboute Madame [W] [Q] de toutes ses demandes,
La condamne aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et à verser à Monsieur [Y] [R] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du même code.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE