Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 3 - Chambre 1
ARRÊT DU 16 DÉCEMBRE 2015
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/17078
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Juillet 2013 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 06/13502
APPELANTS
Monsieur [I] [Y], né le [Date naissance 5] 1964 à [Localité 1]
[Adresse 2]
[Adresse 7]
Madame [O] [Y] épouse [G] née le [Date naissance 6] 1967 à [Localité 1]
[Adresse 4]
[Adresse 8]
Monsieur [N] [Y], né le [Date naissance 4] 1960 à PARIS 14
[Adresse 5]
[Adresse 6]
représentés par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090
assistés de Me Bertrand REPOLT pour Me William BOURDON, avocats au barreau de PARIS, toque : R143
INTIMÉES
Madame [H] [K] épouse [Y], née le [Date naissance 2] 1956 en [Localité 2] (ETATS-UNIS)
[Adresse 12]
[Adresse 10]
Madame [P] [Y], née le [Date naissance 5] 1991 à [Localité 3] (ETATS-UNIS)
[Adresse 12]
[Adresse 10]
Madame [S] [Y], née le [Date naissance 1] 1994 à [Localité 3] (ETATS-UNIS)
[Adresse 12]
[Adresse 10]
représentées par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
assistées de l'AARPI MIGUERES MOULIN, avocats au barreau de PARIS, toque : R016
Madame [M] [Y], née le [Date naissance 2] 1986 à [Localité 3] (ETATS-UNIS)
[Adresse 3]
[Adresse 11]
représentée et assistée par l'AARPI SCHMIDT GOLDGRAB, avocats au barreau de PARIS, toque : P0391
PARTIES INTERVENANTES
Monsieur [B] [F], né le [Date naissance 3] 1948 à [Localité 4]
[Adresse 9]
[Adresse 8]
Madame [L] [F] épouse [T], née le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 3] (ETATS-UNIS)
[Adresse 1]
[Adresse 8]
représentés par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
assistés de Me Nicolas OLSZAKE, avocat au barreau de STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Octobre 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Evelyne DELBÈS, Président de chambre, et Madame Monique MAUMUS, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Evelyne DELBÈS, Président de chambre, chargée du rapport
Madame Monique MAUMUS, Conseiller
Madame Nicolette GUILLAUME, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Emilie POMPON
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Evelyne DELBÈS, Président et par Madame Emilie POMPON, Greffier présent lors du prononcé.
[W] [Y] est décédé le [Date décès 1] 2004 à [Localité 5] (Etats-Unis). Il était l'époux de Mme [H] [K], avec laquelle il s'était marié en troisièmes noces le [Date mariage 1] 1990 et avaient six enfants :
+ M. [N] [Y], né de son premier mariage avec [Z] [J],
+ M. [I] [Y] et Mme [O] [Y] épouse [G], nés de son second mariage avec Mme [R] [X],
+ Mme [M] [Y], née de ses relations avec Mme [C] [A],
+ Mlles [P] et [S] [Y], nées de son union avec Mme [H] [K].
Le 14 février 1999, [W] [Y] avait établi et fait enregistrer aux Etats-Unis un testament aux termes duquel il léguait tous ses biens, de quelque nature qu'ils soient et où qu'ils soient situés, au [Y] Family Trust.
Le 16 février 1999, les époux [Y] ont organisé la gestion de leur patrimoine sous la forme d'un trust commun, l'époux survivant devenant l'unique bénéficiaire de l'intégralité des biens du couple, lesquels devaient revenir, au décès du survivant, à leurs filles [P] et [S].
La succession de [W] [Y] comprend des biens immobiliers situés aux Etats-Unis, des participations dans des sociétés d'édition constituées au Etats-Unis, des avoirs bancaires dans des banques américaines et à la banque privée Saint-Dominique à Paris et un patrimoine mobilier résultant de l'ensemble des droits de représentation et/ou de reproduction attachés à l'oeuvre du défunt, dont les redevances et droits d'auteur sont perçus et détenus par la Sacem et la Sdrm, localisées en France.
Mme [K] veuve [Y], estimant être la seule bénéficiaire de la succession, s'est opposée à plusieurs des enfants du défunt qui se sont prévalus des dispositions de l'article 913 du code civil français et de l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819.
Par acte du 12 septembre 2006, M. [N] [Y], M. [I] [Y] et Mme [O] [Y] épouse [G] ont assigné Mme [K] veuve [Y] devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins, notamment, de voir dire que du fait de l'existence du testament et d'un trust régi par la loi californienne ne leur accordant aucun droit dans la succession de leur père, ils ont vocation à prétendre, en vertu de l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819, à un droit de prélèvement sur une fraction des actifs successoraux localisés en France.
Par acte du 11 juin 2008, Mme [M] [Y] et Mlles Siena et [S] [Y], ces deux dernières, mineures, représentées par leur mère, Mme [K] veuve [Y], sont intervenues volontairement dans l'instance.
Saisi le 10 novembre 2010 par Mme [K] veuve [Y] d'une question prioritaire de constitutionnalité, le tribunal de grande instance de Paris a ordonné la transmission à la Cour de cassation de la question suivante : 'L'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 porte-t-il atteinte aux droits et libertés garanties par les articles 1 et 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, visée par le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et l'article 2 de cette Constitution'.
La Cour de cassation a saisi le Conseil Constitutionnel le 1er juin 2011 et, par décision du 5 août 2011, publiée au Journal Officiel le 6 août 2011, ce dernier a décidé que l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 relative à l'abolition du droit d'aubaine et de rétractation est contraire à la Constitution.
Par jugement du 10 juillet 2013, le tribunal de grande instance de Paris a :
- constaté que par décision du 5 août 2011, le Conseil Constitutionnel a dit que l'article 2 de la loi du 14 juilet 1819 est contraire à la Constitution,
- dit que cette décision est applicable aux procédures en cours dès sa publication au Journal Officiel, soit le 6 août 2011,
- en conséquence,
- débouté les consorts [Y] de leur demande de prélèvement sur la masse mobilière de la succession de [W] [Y], située en France, au titre de leur réserve héréditaire, pour défaut de base légale,
- dit qu'il appartiendra à la partie la plus diligente de communiquer cette décision à la Sacem et à l'Adami,
- rejeté le surplus des demandes,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné in solidum Mme [H] [K] veuve [Y] et Mlles Siena et [S] [Y] aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
MM. [I] et [N] [Y] et Mme [O] [Y] épouse [G] ont interjeté appel de cette décision.
Par arrêt du 17 septembre 2014, la cour a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'estoppel soulevée par Mme [K] veuve [Y], dit M. [I] [Y] et Mme [O] [Y] épouse [G] recevables en leur appel et leurs prétentions, renvoyé l'affaire à la mise en état et réservé l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Dans leurs dernières écritures du 25 septembre 2015, les appelants demandent à la cour de :
- vu les dispositions de la loi américaine,
- vu les articles 912 et suivants du code civil,
- vu le caractère d'ordre public de la réserve héréditaire,
- vu la violation des dispositions de la loi californienne relative au trust,
- infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a constaté que par décision du 5 août 2011, le Conseil Constitutionnel a dit que l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 relatif à l'abolition du droit d'aubaine et de rétractation était contraire à la Constitution et dit cette décision applicable aux procédures en cours dès sa publication au Journal Officiel, soit le 6 août 2011,
- statuant à nouveau sur le surplus,
- dire que la conception française de l'ordre public international s'oppose à l'application de la loi de l'Etat de Californie (Etats-Unis) à la succession de [W] [Y] en ce qu'elle permet à un ressortissant français de faire échapper sa succession au mécanisme de la réserve héréditaire au détriment de ses enfants, les consorts [Y],
- faire application de la réserve héréditaire,
- dire qu'ils sont fondés à exercer l'ensemble des droits que leur attribue leur qualité d'héritiers réservataires sur la succession de [W] [Y],
- en conséquence,
- commettre un notaire en qualité d'expert avec mission de rechercher et d'établir le montant de la masse sur laquelle doit être calculée la part qui leur est réservée, ladite masse devant comprendre tous les biens tant meubles qu'immeubles composant la succession de [W] [Y], quelle que soit leur situation en France ou à l'étranger, conformément aux articles 912 et suivants du code civil,
- condamner Mme [H] [K] veuve [Y], ès qualités d'administrateur du trust, seule, à payer à chacun d'eux la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait de son attitude dolosive et, plus précisément, de la violation des dispositions pertinentes de la loi californienne sur les trusts,
- en toute hypothèse,
- débouter Mme [K] veuve [Y] de toutes ses demandes,
- condamner solidairement Mme [K] veuve [Y] et Mlles Siena et [S] [Y] à payer à chacun d'eux la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans des conclusions aux fins d'intervention volontaire accessoire du 5 mars 2015, M. [B] [F] et Mme [L] [F] épouse [T] demandent à la cour de :
- les déclarer recevables en leur intervention accessoire,
- y faisant droit,
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- dire que la réserve héréditaire et ses instruments de protection tels que l'action en réduction, relèvent de la conception française de l'ordre public international,
- en conséquence,
- écarter la loi étrangère normalement applicable au litige au profit de la loi française,
- constater l'atteinte manifeste portée à la réserve héréditaire d'[O], [I] et [N] [Y],
- statuer ce que de droit sur les demandes des intéressés et sur les dépens.
Dans leurs conclusions du 4 septembre 2015, Mme [H] [K] veuve [Y] et Mlles Siena et [S] [Y] demandent à la cour de :
- vu la décision du Conseil Constitutionnel du 5 août 2011
- vu l'article 62 de la Constitution,
- vu les articles 9, 24, 45, 53 et suivants, 122 et suivants et 132 et suivants du code de procédure civile,
- vu les articles 5, 1094-1 et 1382 du code civil,
- à titre préliminaire,
- déclarer les consorts [F] irrecevables en leur intervention volontaire accessoire,
- condamner M. [B] [F] et Mme [L] [F] à payer à chacune d'elles la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et malicieuse et la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- à titre principal,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a constaté que par décision du 5 août 2011, le Conseil Constitutionnel a dit que l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 relative à l'abolition du droit d'aubaine et de rétractation était contraire à la Constitution et dit que cette décision était applicable aux procédures en cours dès sa publication au Journal Officiel, soit le 6 août 2011, débouté, en conséquence, les consorts [Y] de leur demande de prélèvement sur la masse mobilière de la succession de [W] [Y] située en France au titre de leur réserve héréditaire, pour défaut de base légale, et dit qu'il appartiendra à la partie la plus diligente de communiquer cette décision à la Sacem et à l'Adami,
- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour écarterait la règle selon laquelle une succession mobilière est régie par la loi du dernier domicile du défunt et considérait la réserve héréditaire opposable,
- dire que Mme [H] [K] veuve [Y] recueillera un quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit de la succession française de [W] [Y] composée des oeuvres inscrites à la Sacem et du reliquat de ses droits Adami,
- dire que les six enfants du défunt se partageront en nue-propriété les trois quarts des oeuvres de l'intéressé inscrites à la Sacem et de la part de ses droits Adami,
- réformer le jugement déféré pour le surplus,
- statuant à nouveau de ce chef,
- constater que les attestations irrégulières communiquées par les demandeurs sont dépourvues de valeur probante en ce qu'elles sont établies à partir de ouï-dire,
- constater que les témoignages de Mme [O] [Y] épouse [G] et de MM. [I] et [N] [Y] sont des déclarations faites à eux-mêmes qui ne sont étayées par aucune pièce,
- ordonner la suppression des paragraphes 3 à 6 et 9 à 10 de la page 5 et des paragraphes 1 à 4 de la page 6 de l'acte introductif d'instance du 12 septembre 2006 en application de l'article 24 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les appelants à verser à Mme [H] [K] veuve [Y] la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts, compte tenu de la nature vexatoire et abusive des moyens mis en oeuvre dans le cadre de la présente procédure, et la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les mêmes aux dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions du 10 avril 2015, Mme [M] [Y] demande à la cour de :
- lui donner acte de ce qu'elle s'associe intégralement et sans réserve à l'ensemble de l'argumentation et des demandes formées par Mme [O] [Y] et MM. [I] et [N] [Y] depuis l'origine de la procédure,
- lui donner acte de ce qu'elle fait siennes, compte tenu de l'évolution de la procédure, l'ensemble des demandes telles qu'elles ont été reformulées et adossées à de nouveaux moyens juridiques par les intéressés, et ce au prorata de ses droits,
- infirmer le jugement dont appel,
- dire qu'elle est fondée à exercer l'ensemble des droits que lui attribue sa qualité d'héritier réservataire,
- commettre un notaire en qualité d'expert avec mission de rechercher et d'établir le montant de la masse sur laquelle doit être calculée la part qui lui est réservée, ladite masse devant comprendre tous les biens tant meubles qu'immeubles composant la succession de [W] [Y], quelle que soit leur situation en France ou à l'étranger, conformément aux articles 912 et suivants du code civil,
- condamner Mme [H] [K] veuve [Y] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE
Sur la recevabilité de l'intervention volontaire accessoire des consorts [F]
Considérant que les consorts [F] font plaider que le préjugé favorable que pourrait créer un jugement à l'égard d'une demande identique peut constituer un intérêt de nature à justifier une intervention dans une instance ; qu'ils exposent que leur père, décédé aussi en Californie, a également légué par testament tout son patrimoine, comprenant des biens situés en France, à son épouse et au trust qu'ils avaient créé ensemble en vertu du droit californien, lequel, comme celui des époux [Y], les exclut de la succession de leur père ; qu'ils précisent qu'ils ont aussi exercé leur droit de prélèvement devant le tribunal de grande instance de Paris qui a rejeté leur demande en raison de l'abrogation de l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 par le Conseil Constitutionnel et qu'ils ont relevé appel de cette décision ; qu'ils estiment que, eu égard à la similitude en droit et en fait des deux litiges et à la proximité dans le temps des deux décisions dont appel, l'arrêt à intervenir dans la présente instance est susceptible d'influencer la solution à venir dans celle qui les concerne, de sorte qu'ils ont intérêt à intervenir au soutien des appelants afin de soumettre à la cour des moyens de droit qu'ils estiment fondés ;
Considérant que Mme [K] veuve [Y] et ses deux filles arguent de l'irrecevabilité de l'intervention des consorts [F] au motif que la cour ne peut pas rendre des arrêts de règlement, ce que prohibe l'article 5 du code de procédure civile, et que les intéressés ne justifient d'aucun lien personnel et direct avec la cause ;
Considérant que l'intervention en cause d'appel, fut-elle accessoire, est subordonnée à l'existence d'un intérêt pour celui qui la forme et doit, s'agissant d'une demande incidente, se rattacher au litige d'origine par un lien suffisant ; que l'intérêt s'entend d'un intérêt personnel, né et actuel ; que l'intérêt que peut présenter la décision à rendre par une juridiction pour une personne qui prétend se trouver dans la même situation factuelle et juridique que le demandeur à l'instance concernée, avec lequel elle n'a aucun lien et dont les droits ne la concernent en rien, ne répond pas à cette définition et ne traduit pas le lien suffisant requis avec le litige ; que nul ne peut, en outre, se prévaloir d'un droit acquis à une jurisprudence ;
Considérant que les consorts [F], sans lien aucun avec les consorts [Y] et la succession en cause et qui ont engagé leur propre instance pour faire valoir les droits dont ils prétendent avoir été privés dans la succession de leur père, ne justifient d'aucun intérêt personnel et direct à intervenir dans la présente instance ; qu'ils seront dits irrecevables en leur intervention accessoire ;
Considérant que Mme [K] qui ne démontre pas que cette intervention a procédé d'une intention de lui nuire et lui a causé un préjudice doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et malicieuse ;
Sur le fond
Considérant que le jugement dont appel n'est pas critiqué en ce qu'il a jugé la décision du Conseil Constitutionnel du 5 août 2011, ayant dit l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 contraire à la Constitution, applicable aux procédures en cours dès sa publication au Journal Officiel, soit le 6 août 2011 et dit, en conséquence, que les consorts [Y] ne peuvent se prévaloir du droit de prélèvement ;
Sur l'exception d'ordre public international
Considérant que les appelants font plaider que la conception française de l'ordre public international s'oppose à l'application de la loi de l'Etat de Californie à la succession de [W] [Y] en ce qu'elle permet à un ressortissant français de faire échapper sa succession au mécanisme de la réserve héréditaire au détriment de ses enfants ; qu'ils sollicitent, la loi française étant substituée à la loi californienne, l'application de la réserve héréditaire à leur profit et la désignation d'un expert à l'effet de rechercher et d'établir la masse sur laquelle doit être calculée la part qui leur est réservée ; qu'ils font plaider que l'institution de la réserve héréditaire, traduction d'un devoir moral, reflet de la solidarité familiale, garantie d'un minimum d'égalité entre tous les enfants, protectrice de la liberté individuelle des héritiers contre tout abus d'autorité et des disposants contre les pressions de leur entourage et leurs emportements affectifs relève des principes essentiels du droit français ; qu'ils ajoutent que la situation juridique participe, en l'espèce, d'un ordre public de proximité caractérisé par la nationalité française conservée par le défunt, leur propre nationalité française, leur domiciliation en France et la localisation dans ce pays d'une partie des biens de la succession ;
Considérant que Mme [K] et ses filles, qui indiquent que [W] [Y], installé aux Etats Unis en 1975, n'avait plus aucune attache en France depuis 29 ans, s'opposent à ces prétentions faisant plaider que le principe de liberté testamentaire qui prévaut en droit californien et qui permet, comme en l'espèce, au conjoint survivant et aux deux enfants mineurs du défunt de conserver leurs conditions de vie ne heurte en rien la conception française de l'ordre public international, alors, en outre que la loi de l'Etat de Californie autorise un droit de secours alimentaire au bénéfice, notamment, des enfants du défunt qui seraient en état de dépendance vis à vis de celui-ci ; qu'elles font plaider que l'application de la loi californienne ne place aucun des appelants dans une situation de précarité économique ; qu'elles soutiennent que l'évolution législative connue en France par le droit des successions et celle des normes européennes en la matière ne permettent pas d'exhausser la réserve au rang des principes essentiels du droit français au plan du droit international privé et estiment que la demande des consorts [Y] revient à restaurer le droit de prélèvement abrogé par le Conseil Constitutionnel ;
Considérant que selon la règle française de conflit de lois, le dernier domicile du défunt étant situé en Californie, sa succession mobilière est régie par la loi de l'Etat de Californie ;
Considérant qu'il n'est pas fait état de l'existence d'actifs immobiliers situés en France ;
Considérant qu'il est constant que la loi de l'Etat de Californie ne connaît pas la réserve héréditaire ;
Considérant que le trust institué par les époux [Y] a pour effet de priver les consorts [Y] de toute part dans la succession de leur père ;
Considérant que les dispositions de la loi étrangère applicable ne sont pas contraires à l'ordre public international français par cela seul qu'elles diffèrent des dispositions impératives du droit français, mais uniquement en ce qu'elles contreviennent à des principes essentiels de ce droit ;
Considérant que les modifications apportées en France par la loi du 23 juin 2006 au droit des successions, telles l'exclusion des ascendants du bénéfice de la réserve, la faculté de renoncer de façon anticipée à l'action en réduction, l'exclusion des assurances-vie de la masse successorale, la réduction en valeur et plus en nature, et les mécanismes instaurés par le règlement européen du 4 juillet 2012 marqués par une plus grande liberté de tester et l'anticipation successorale, désormais en vigueur en France, ont fait évoluer le sens de la réserve héréditaire ; que la fonction alimentaire de celle-ci prend désormais le pas sur sa fonction de conservation des biens dans la famille ; qu'elle n'en demeure pas moins l'expression d'un devoir de famille et touche en cela aux fondements de la société ;
Considérant cependant, que les exigences de l'ordre public international doivent être appréciés de manière concrète et ce n'est pas tant l'absence de réserve héréditaire dans la loi étrangère qui doit conduire à déclencher l'exception d'ordre public que le résultat de son application au litige ;
Considérant qu'il n'est ni démontré ni soutenu que l'application de la loi californienne ignorant la réserve héréditaire laisserait l'un ou l'autre des consorts [Y], tous majeurs au jour du décès de leur père, dans une situation de précarité économique ou de besoin ; que s'il est argué du handicap de M. [I] [Y], il n'est en rien établi ni allégué que l'intéressé était économiquement dépendant de son père avant son décès et se trouverait dans un état de précarité financière depuis celui-ci, étant observé que le Code des successions de l'Etat de Californie (sections 6540 et 6541) comporte des dispositions permettant l'octroi par le juge d'une allocation familiale alimentaire de secours sur la succession au profit des enfants adultes du défunt qui étaient effectivement en totalité ou en partie à sa charge ;
Considérant dès lors, que le fait que la loi californienne applicable à sa succession en vertu des règles de conflit de lois, ait permis à [W] [Y], résidant habituellement depuis presque 30 ans en Californie, où sont nés ses trois derniers enfants, et dont tout le patrimoine immobilier et une grande partie du patrimoine mobilier se trouvent aux Etats-Unis, de disposer de tous ses biens en faveur d'un trust bénéficiant à son épouse, mère de ses deux filles mineures, âgées de 11 et 13 ans à son décès, sans en réserver une part à ses enfants issus de précédentes unions, ne heurte pas la conception française de l'ordre public international à un degré tel qu'il doive conduire à déclencher l'exception d'ordre public international ;
Considérant que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté les consorts [Y] de leur demande aux fins de substitution de la loi française à la loi californienne, d'application de la réserve héréditaire à leur profit et de désignation d'un expert à l'effet d'établir la masse de calcul de leur part de réservataires ;
Sur la demande de dommages et intérêts des consorts [Y]
Considérant que [N], [I] et [O] [Y] arguent de diverses irrégularités du [Y] Family Trust au regard de la loi californienne sur les trusts successoraux (California Porbate Code), à savoir le défaut de notification aux héritiers, même non bénéficiaires, le non-respect des mesures concernant les enfants handicapés et le décalage des dates du testament (14 février 1999) et du trust (16 février 1999) ; qu'ils sollicitent la condamnation de Mme [K] à payer à chacun d'eux la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait de son attitude dolosive et, plus particulièrement, de la violation des dispositions pertinentes de la loi californienne sur les trusts ;
Considérant qu'en vertu des articles 14 et 15 du code civil qui ont une portée générale, la juridiction française est compétente pour connaître de l'action en responsabilité ainsi formée par les appelants ;
Considérant que les consorts [Y] ne précisent pas en quoi consisteraient les 'préjudices subis' qu'ils évaluent à 30 000 euros ; que les faits qu'ils dénoncent, dans lesquels ils voient 'la désinvolture absolue avec laquelle Madame [H] [K] veuve [Y] a conduit les opérations successorales aux Etats Unis', ne sont pas de nature à établir, de la part de l'intéressée, la volonté de les évincer et la stratégie visant à s'approprier la totalité de la masse active successorale qu'ils lui prêtent, étant observé que celle-ci a été dévolue par [W] [Y] lui-même au trust et que les appelants n'ont, à ce jour, engagé aucun action aux fins de contestation de la validité ou de l'opposabilité à leur égard de celui-ci ;
Considérant que le trust daté du 16 février 1999 a été enregistré auprès d'un 'public notary' qui a indiqué, aux termes de l'acte d'enregistrement, qu'étaient présents, devant lui, lors de celui-ci le 5 août 1999, [W] [Y] et son épouse lesquels ont certifié avoir signé le document enregistré en pleine connaissance de cause et que les signatures y apposées sont bien les leurs ; qu'enfin, l'article 16061-5 du Californian Probate Code dispose que l'administrateur d'un trust devenu irrévocable à la suite du décès de l'un de ses fondateurs fournit une copie complète du trust à tous héritiers du défunt qui en formulent la demande ;
Considérant que les consorts [Y] doivent, en conséquence, être déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts ;
Sur les demandes reconventionnelles de Mme [H] [K]
Considérant que les demandes de Mme [K] tendant à voir constater l'absence de valeur probante des attestations communiquées par les consorts [Y] et des témoignages que ceux-ci ont eux-mêmes établis, sans incidence sur la solution donnée au litige par la cour, sont dépourvues d'objet ;
Considérant que Mme [K] sollicite, au visa de l'article 24 du code de procédure civile, la suppression des paragraphes 3 à 6 et 9 à 10 de la page 5 et des paragraphes 1 à 4 de la page 6 de l'acte introductif de la présente instance en ce qu'ils imputent au défunt l'oubli d'un enfant décédé dans son testament et à elle-même le recours à des médecines parallèles pour soigner le cancer de son époux et des liens avec une organisation sectaire et en ce qu'ils évoquent l'opportunité d'engager une procédure au Etats-Unis ou en France du chef d'abus de faiblesse et d'escroquerie ; qu'elle réclame paiement d'une somme de 25000 euros à titre de dommages et intérêts 'compte tenu de la nature vexatoire et abusive des moyens mis en oeuvre dans le cadre de la présente procédure'; qu'elle fait grief aux appelants de la production d'une attestation établie par M. [E], qui prête à ses filles une 'jovialité choquante étant donné la situation' de santé de leur père, et de leurs arguments pour tenter d'expliquer leur éloignement du défunt, inutiles à leur démonstration juridique, de leurs affirmations tendant à la présenter comme une mauvaise épouse et une mauvaise mère et de leur menace d'engager une procédure pénale, tous développements qui l'ont affectée dans sa dignité de veuve et de dépositaire de la mémoire du défunt ;
Considérant qu'il n'appartient pas à la cour de déterminer les causes et la responsabilité de l'éloignement de [W] [Y] de ses enfants restés en France ni de juger du bien ou mal fondé du ressenti exprimé par un témoin lors d'une visite au domicile de [W] [Y], au demeurant dépourvu de tout caractère insultant;
Considérant que les passages critiqués de l'assignation ne dépassent pas, dans le contexte extrêmement sensible et conflictuel du litige, de la part d'enfants en proie au chagrin de la perte d'un père et à un sentiment d'abandon, la mesure des propos qui peuvent être échangés dans un débat judiciaire ; que le développement des moyens que les consorts [Y] ont estimés utiles à la défense de leurs intérêts ne saurait constituer un abus ; qu'en conséquence, Mme [K], dont les termes des conclusions sont eux-mêmes très vifs à l'égard des appelants, doit être déboutée de sa demande tendant tant à la suppression de passages de l'assignation qu'à l'octroi de dommages et intérêts;
Considérant qu'aucune considération d'équité ne commande de faire application en l'espèce, au bénéfice de l'une ou l'autre des parties, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Considérant que les consorts [F] conserveront la charge des dépens afférents à leur intervention ; que les consorts [Y] supporteront in solidum tous les autres dépens de première instance et d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Dit les consorts [F] irrecevables en leur intervention volontaire accessoire dans l'instance d'appel,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a jugé sur les dépens,
Rejette toute autre demande,
Laisse aux consorts [F] les dépens de leur intervention volontaire ;
Condamne in solidum Mme [O] [Y] et MM. [I] et [N] [Y] aux dépens de première instance et en tous les autres dépens d'appel,
Dit que les dépens pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT