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30/10/2015 | FRANCE | N°14/02846

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 30 octobre 2015, 14/02846


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRET DU 30 OCTOBRE 2015



(n° 2015-274, 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 14/02846



Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Décembre 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 12/02012





APPELANT



Monsieur [A] [L] Dit [M]

Né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 2]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 4]



Représenté par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assisté de Me François AMELI, avocat...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2

ARRET DU 30 OCTOBRE 2015

(n° 2015-274, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 14/02846

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Décembre 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 12/02012

APPELANT

Monsieur [A] [L] Dit [M]

Né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 2]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représenté par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assisté de Me François AMELI, avocat au barreau de PARIS, toque T02 et Me Marie-Alix CANU-BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque D1821

INTIMES

Monsieur [X] [N] [C] [Z]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représenté par Me Kamal SEFRIOUI, avocat au barreau de PARIS, toque : A0825

Assisté de Me Abdurazek BALLOW, avocat au barreau de PARIS, toque : A0825

MINISTERE DES AFFAIRES PRESIDENTIELLES D'ABOU DHABI pris en la personne de son représentant légal

Ambassade des Emirats Arabes Unis en France,

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Kamal SEFRIOUI, avocat au barreau de PARIS, toque : A0825

Assisté de Me Abdurazek BALLOW, avocat au barreau de PARIS, toque : A0825

[Établissement 1] pris en la personne de son représentant légal

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par Me Kamal SEFRIOUI, avocat au barreau de PARIS, toque : A0825

Assisté de Me Abdurazek BALLOW, avocat au barreau de PARIS, toque : A0825

UNIVERSITÉ dite '[Établissement 3]' prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Kamal SEFRIOUI, avocat au barreau de PARIS, toque : A0825

Assistée de Me Abdurazek BALLOW, avocat au barreau de PARIS, toque : A0825

COMPOSITION DE LA COUR :

Madame Dominique GREFF-BOHNERT, présidente de chambre ayant été préalablement entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Septembre 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Dominique GREFF-BOHNERT, présidente de chambre

Madame Isabelle CHESNOT, conseillère

Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Monsieur Guillaume LE FORESTIER

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Dominique GREFF-BOHNERT, présidente de chambre et par Monsieur Guillaume LE FORESTIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

******

Monsieur [A] [L], de nationalité française, travaille en qualité de conseiller en relations internationales et gérant d'affaire sous le nom de [M] . Dans le cadre de cette profession, il se prévaut d'un mandat verbal de droit privé émanant des autorités émiriennes datant de 2005 et dont l'objectif était de convaincre les responsables politiques et les dirigeants de l'Université [Établissement 3] d'implanter une extension de cette université française à Abu Dhabi. Il se plaint du non-paiement de ses services nonobstant le succès de sa mission et de la création de l'université dite [Établissement 3].

Par acte du 20 janvier 2012, Monsieur [L] a assigné devant le tribunal de grande instance de Paris Monsieur [X] [D], le Ministère des affaires présidentielles d'Abou Dhabi à [Localité 3], [Établissement 1]) et l'Université dite [Établissement 3]) en paiement de la somme de 2 000 000 € au titre de la rémunération de ses services, de la somme de 1 800 000 € au titre du préjudice moral ainsi que de la somme de 50 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement réputé contradictoire du 19 décembre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré irrecevable les demandes de Monsieur [L] dirigées à l'encontre du Ministère des affaires présidentielles d'Abou Dhabi, débouté Monsieur [L] de l'ensemble de ses demandes et débouté Monsieur [Z], le Ministère des affaires présidentielles des Émirats Arabes Unis, [Établissement 1] et l'Université dite [Établissement 3]  de leur demande de dommages intérêts. Le tribunal a, en outre, condamné Monsieur [L] à payer à Monsieur [Z], au Ministère des affaires présidentielles des Émirats Arabes Unis, à [Établissement 1] et à l'Université dite [Établissement 3], ensemble, la somme de 5 000 € au titre de l' article 700 du code de procédure civile et enfin condamné Monsieur [L] aux dépens.

Le tribunal de grande instance de Paris a retenu pour l'essentiel que les États étrangers et les organisations qui en constituent l'émanation ne bénéficient de l'immunité de juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige participe à l'exercice de la souveraineté de ces États et n'est pas un acte de gestion ; que selon les articles 120 et 121 de la Constitution de l'État fédéral des Émirats Arabes Unis modifiée en 1996, le domaine de l'éducation est assigné aux autorités fédérales ; que l'acte litigieux dont la nature ne peut être modifiée au seul motif du caractère onéreux de l'inscription à cette université, n'est pas un acte de gestion administrative mais un acte accompli dans l'intérêt du service public permettant à un étranger ou son émanation, de se prévaloir du bénéfice de l'immunité de juridiction. Il souligne, en outre que Monsieur [L] ne dispose pas d'un mandat écrit lui permettant de prouver que Monsieur [Z], à titre personnel, s'est porté garant du paiement de sa commission, que l'impossibilité matérielle et morale de le prouver lui permet de l'obtenir par tous moyens, que cette preuve n'est pas rapportée, que le mandat litigieux n'a pas pour objet le paiement de la commission d'intermédiaire mais bien celui de lobbying, que le mandat prouvant qu'une commission serait due à Monsieur [L] au titre de ses services n'est pas rapportée et que sa demande à l'encontre de Monsieur [Z], bien que recevable, n'est pas fondée. Les demandes dirigées à l'égard d'[Établissement 1] et l'Université dite [Établissement 3], entités créées postérieurement à l'accord d'implantation consacrant la réussite du projet en date du 19 février 2006, ont été déclarées recevables mais non fondées.

Monsieur [L] a interjeté appel de cette décision en intimant Monsieur [X] [D], le Ministère des affaires présidentielles d'Abou Dhabi, [Établissement 1] et l'Université dite [Établissement 3].

Dans ses dernières conclusions signifiées le 5 juin 2015, Monsieur [L] sollicite la confirmation du rejet de la fin de non-recevoir fondée sur l'immunité des États étrangers à l'égard de Monsieur [X] [D], [Établissement 1] et l'Université dite [Établissement 3] mais l'infirmation de celle retenue à l'égard du Ministère des affaires présidentielles des Émirats Arabes Unis. Pour le surplus, il conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de :

- rejeter la fin de non-recevoir fondée sur l'immunité des États étrangers à l'égard du Ministère des affaires présidentielles des Émirats Arabes Unis;

- dire qu'il a été formé entre Monsieur [L] et le Ministère des affaires présidentielles des Émirats Arabes Unis un contrat de mandat octroyant au mandataire une rémunération de   2 000 000 € en contrepartie de la réalisation du projet de l'implantation à Abou Dhabi de l'antenne délocalisée de [Établissement 3];

- dire que l'ensemble des intimés est tenu solidairement des conséquences de l'inexécution de ce contrat.

En conséquence, il sollicite la condamnation solidaire du Ministère des affaires présidentielles des Émirats Arabes Unis, [Établissement 1], l'Université dite  [Établissement 3] à lui payer la somme de 2 000 000 €, pour les trois premiers en exécution du contrat conclu entre les parties, pour le dernier au titre de sa responsabilité délictuelle et à la somme de 1 800 000 € en réparation de son préjudice moral avec les intérêts au taux légal à compter de la lettre de mise en demeure adressée le 30 octobre 2010. Il réclame en outre une somme de 100 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation des intimés aux entiers dépens.

Monsieur [L] fait valoir que le contrat dont il est demandé l'exécution n'entre pas dans la catégorie des actes mettant en cause la souveraineté de l'État dans la mesure où la finalité de ce contrat était l'utilisation de son propre réseau de relations, de sa connaissance personnelle des hommes et des circuits de décision en France et dont le but était notamment de négocier le bénéfice d'une exclusivité régionale sur le nom 'La [Établissement 3]'; que dès lors il ne fait pas entrer en jeu la souveraineté des Émirats Arabes Unis ; qu'il n'a jamais bénéficié de délégation de puissance publique de la part de l'État émirien et que sa mission était d'accompagner les décideurs français, pour l'essentiel implantés sur le territoire français dans la conception et la mise au point d'un projet d'implantation de l'université [Établissement 3] à Abou Dhabi. Il ajoute que cette immunité le priverait d'un droit d'accès à un tribunal indépendant et impartial ; que l'activité d'enseignement de la [Établissement 3] à Abou Dhabi ne relève pas du domaine de l'immunité de juridiction et qu'il n'est nullement démontré que son activité de lobbying constitue une activité de puissance publique ni d'un exercice de souveraineté d'Etat.

Il souligne encore que le climat de confiance et l'ancienneté des relations qu'il entretenait avec les Émirats Arabes Unis pour des interventions professionnelles n'a jamais donné lieu à un contrat écrit et que ces services étaient rémunérés, que cette situation correspond aux usages en cours dans le domaine du conseil international et des relations publiques, qu'il existe une impossibilité morale pour lui de se procurer un écrit au sens de l'article 1348 du code civil, et que son mandat avait toutes les caractéristiques du mandat commercial dont la preuve peut rapportée par tous moyens. Il ajoute qu'il n'a nullement été mandaté par la partie française et que les Émirats Arabes Unis n'auraient pu envisager dans un tel cas une relation de proximité avec l'ambassade des affaires présidentielles d'Abou Dhabi et de Monsieur [Z]. S'agissant de la rémunération de sa prestation, il fait valoir qu'un mandat délivré à un professionel est réputé fait à titre onéreux et que le montant est conforme au prix du marché et correspond à la nature du travail accompli. Enfin, il ajoute que Monsieur [Z] est directement à l'origine de son préjudice dans la mesure où celui-ci lui a indiqué à plusieurs reprises qu'il était officiellement mandaté par le Ministère des affaires présidentielles selon les modalités contractuelles habituellement pratiquées entre les parties. Pour justifier sa demande au titre du préjudice moral, il fait valoir qu'il a subi une grave perte de crédibilité, ses interlocuteurs habituels supposant que le non paiement de ses honoraires était imputable à un manquement à ses obligations, qu'il en a résulté une diminution de la qualité de ses contacts professionnels et une baisse de son chiffre d'affaires.

Par conclusions n°2 signifiées le 9 septembre 2015, Monsieur [X] [D], le Ministère des affaires présidentielles des Émirats Arabes Unis, [Établissement 1] et l'Université dite [Établissement 3] sollicitent à titre principal au visa de l'article 122 du code de procédure civile de:

- confirmer le jugement en ce qu'il a relevé que l'acte donnant lieux au litige, serait s'il avait existé, un acte de puissance publique s'inscrivant dans la mission de service public éducatif de l'État fédéral des Émirats Arabes Unis ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de Monsieur [L] à l'encontre du Ministère des affaires présidentielles et de Monsieur [Z] en sa qualité officielle ;

- dire que Monsieur [Z] n'a agi qu'en sa qualité de Secrétaire Général avec rang de ministre du Ministère des affaires présidentielles et que Monsieur [L] est infondé à le poursuivre à son nom personnel;

- déclarer irrecevables les demandes de Monsieur [L] à l'encontre de l'ADEC et de l'UPSAD, bien fondés à se prévaloir de la fin de non-recevoir tirée de l'immunité de juridiction en tant qu'émanation de l'État fédéral des Émirats Arabes Unis ;

A titre subsidiaire, au visa de l'article 1341 et suivants du code civil, de confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris en ce qu'il a déclaré la nature civile du mandat allégué,

qu'il a relevé que Monsieur [L] ne rapportait aucune preuve ou commencement de preuve du mandat qu'il prétend avoir reçu des Émirats Arabes Unis et dont il demande l'exécution, ne justifie d'aucune impossibilité de se procurer une preuve littérale, qu'il n'a agi qu'en qualité de consultant de l'Université [Établissement 2] ; qu'il est infondé à prétendre à une rémunération ou à des dommages-intérêts du Ministère des affaires présidentielles et d'aucun des intimés.

En conséquence, de débouter Monsieur [L] de toutes ses demandes et de condamner Monsieur [L] aux entiers dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 100 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de leurs conclusions, les intimés font valoir que les articles 120 et 121 de la Constitution des Émirats Arabes Unis donne compétence exclusive à l'État fédéral en matière d'éducation et que le 'memorandum of understanding' du 17 juillet 2005 a été signé par le Ministère des affaires présidentielles des Émirats Arabes Unis représenté par son secretaire général avec rang de ministre Monsieur [Z] et que l'accord final du 19 février 2006 a été signé par le Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique représenté par son sous-secrétaire d'État, le Dr. [O] et qu'en conséquence l'implantation de l'Université a été concrétisée par la constitution de l'UPSAD sous la forme d'un établissement public administratif de droit émirien par une loi du 26 mai 2006 ; que la finalité du mandat invoquée par Monsieur [L] ne pouvait que s'inscrire dans l'exercice de la mission de service public d'éducation. Ils ajoutent que Monsieur [L] peut saisir les juridictions des Émirats Arabes Unis et qu'il ne rapporte pas la preuve que la mise en oeuvre de l'immunité de juridiction par les tribunaux français conduirait à un déni de justice ou à une privation de son droit d'accès à un tribunal.

S'agissant du Ministère des affaires présidentielles, ils admettent que les demandes de Monsieur [L] ne sont dirigées qu'à l'encontre du Ministère des affaires présidentielles des Émirats Arabes Unis et non d'Abou Dhabi; que la mise en cause personnelle de Monsieur [Z] n'est aucunement justifiée dans la mesure où il n'a agi que pour le compte de l'État et qu'il est pleinement en droit de revendiquer le bénéfice de l'immunité de juridiction ; qu'il n'est pas établi que celui-ci se soit porté garant personnel du paiement de la commission.

S'agissant d'[Établissement 1] et de l'Université [Établissement 3], ils mentionnent qu'ils sont, par leur statut d'organismes de droit public exerçant une mission régalienne s'inscrivant dans le cadre du service public éducatif, fondés à invoquer le bénéfice de l'immunité de juridiction en tant qu'émanation de l'État des Émirats Arabes Unis et qu'en tout état de cause ils n'ont pu entretenir aucun lien de droit avec

Monsieur [L], ces organismes ayant été créés postérieurement à l'implantation de l'université et après le mandat invoqué par celui-ci.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 juillet 2015.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.

Ceci étant exposé, la Cour:

Sur la recevabilité de l'action

Considérant qu'il n'est plus contesté à hauteur de cour la recevabilité de l'action en tant qu'elle est dirigée contre le Ministère des affaires présidentielles 'd'Abou Dhabi', le Ministère des affaires présidentielles étant exclusivement une émanation de l'État fédéral des Émirats Arabes Unis et non de l'émirat d'Abou Dhabi ;

Considérant que dans le cadre de son activité de relations internationales et de gérant d'affaires, Monsieur [L] était en lien depuis plusieurs années avec Monsieur [X] [D] et le Ministère des affaires présidentielles d'Abou Dhabi à [Localité 3]; qu'à cet égard, il bénéficiait depuis 1994 d'un laissez-passer protocolaire permanent à l'aéroport de [Localité 3] pour accueillir les délégations des Émirats Arabes Unis et bénéficiait de l'usage, dans le cadre des missions et activités qu'il exerçait pour le compte de l'ambassade, d'un véhicule appartenant à l'ambassade des Émirats Arabes Unis à [Localité 3] avec franchise diplomatique ; qu'il a ainsi accompli pour le compte des Émirats Arabes Unis plusieurs missions pour lesquelles il a été largement rétribué ;

Considérant qu'en sa qualité de lobbyiste, Monsieur [L] a suggéré aux Émirats Arabes Unis un projet de création d'une antenne de l'université [Établissement 3] à Abou Dhabi en juin 2004; qu'il n'est pas contesté que cette idée a été approuvée par les autorités princières de l'émirat d'Abou Dhabi et qu'en décembre 2004, dans le cadre de ce projet, les Émirats Arabes Unis ont invité à leurs frais une délégation française dont faisait partie le président de l'Université [Établissement 3] aux fins de créer une extension de l'université française à Abou Dhabi;

Qu'il n'est pas contesté que Monsieur [L] a été chargé de l'organisation de ce voyage et du suivi de la délégation ; que suite à deux années de négociations, le projet a été réalisé et une antenne de l'université [Établissement 3] a été inaugurée à Abou Dhabi le 18 novembre 2006;

Considérant que Monsieur [L] mentionne sans être contredit qu'il a, durant les deux années, en marge des négociation diplomatiques, organisé aux côtés des autorités émiriennes, la visite en France de son Altesse le Cheikh [U] Ben Zayed Al NAHYAN en juin 2005, la préparation avec Monsieur [Z] de l'organisation matérielle de la cérémonie de signature le 17 juillet 2005 d'un 'memorandum of unterstanding' entre l'université [Établissement 3] et le Ministère des affaires présidentielles d'Abou Dhabi dans lequel les parties se sont engagées à mettre en oeuvre l'ensemble des moyens nécessaires pour parvenir à un accord définitif, le déplacement à Abou Dhabi de Monsieur [Y] [R], ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et d'une délégation pour la fixation des conditions de création et de fonctionnement de la nouvelle université à Abou Dhabi et l'inauguration de l'antenne de [Établissement 3] le 18 novembre 2008 ;

Considérant que Monsieur [L] établit, que pour l'ensemble de ces démarches, il n'a pas été employé par l'université [Établissement 3] ; qu'au demeurant, les intimés ne démontrent pas que celui-ci a été missionné par les autorités françaises pour aider à la faisabilité du projet ;

Que dès lors, il convient d'admettre que l'intervention de Monsieur [L] dans ce projet ne pouvait que se faire avec l'accord des autorités des Émirats Arabes Unis et que ses interventions étaient souhaitées par ces dernières et faites à leur profit ;

Considérant que le caractère verbal du contrat de mandat invoqué par Monsieur [L] s'explique aisément par la qualité des relations entretenues par celui-ci avec les autorités émiriennes et notamment avec Monsieur [Z], secrétaire général à rang de ministre, et du Ministère des affaires présidentielles des Émirats Arabes Unis et par la relation de confiance qui s'est établie suite aux diverses prestations fournies par le passé par Monsieur [L] pour le compte des autorités émiriennes et n'ayant occassioné aucune difficulté notamment au regard du règlement financier de celle-ci ;

Considérant que le mandat doit être présumé rémunéré lorqu'il est donné à une personne faisant profession de s'occuper des affaires d'autri ; que tel est le cas en l'espèce, Monsieur [L] étant un gérant d'affaires international reconnu intervenant moyennant rétribution et ayant déjà bénéficié par le passé de rémunérations substantielles des autorités émiriennes pour ses interventions ;

Sur l'immunité de juridiction

Considérant que Monsieur [L] ne justifie pas qu'il serait privé d'une action en justice et au bénéfice d'un juge indépendant et impartial devant les juridictions compétentes émiriennes en cas d'immunité de juridiction ; que toutefois, il est recevable à agir devant les juridictions françaises en sa qualité de ressortissant français par application de l'article 14 du code civil ;

Considérant que les Etats étrangers et les organisations, qui en constituent l'émanation, ne bénéficient de l'immunité de juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige participe par sa nature et sa finalité à l'exercice de la souveraineté de ces États et ne constitue pas un acte de gestion ;

Considérant que la participation de Monsieur [L] dans le cadre d'un contrat de 'lobbying' tendant à favoriser l'implantation d'une université privée à Abou Dhabi avec le label de [Établissement 3] et avec l'enseignement de matières traitées par l'université française en langue française ou anglaise, ne peut s'analyser ni comme une activité de puissance publique ou un exercice de la souverainté de l'État ni comme un acte de gestion administrative ou un acte accompli dans l'intérêt du service public de l'éducation tel que défini à l'article 120 de la Constitution des Émirats Arabes Unis ;

Que dès lors, la cour rejette la fin de non-recevoir fondée sur l'immunité des États étrangers tant à l'égard du Ministère des affaires présidentielles que de son secretaire général Monsieur [X] [D] et infirme le jugement déféré sur ces chefs de demandes;

Considérant que c'est à bon droit que le premier juge a déclaré recevables les demandes de Monsieur [L] en ce qu'elles sont également dirigées contre [Établissement 1] et l'Université dite [Établissement 3] s'agissant de personnes morales de droit émirien ;

Considérant que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [L] de son action à leur égard, ces établissements ayant été créés à la suite de l'accord du 19 février 2006 portant sur l'implantation d'une antenne de l'université [Établissement 3] à Abou Dhabi et n'étant pas intervenu dans la relation contractuelle avec Monsieur [L];

Sur les montants réclamés

Considérant que pour fonder sa demande de rémunération à hauteur de 2 000 000 €, Monsieur [L] fait valoir qu'il ne s'agit pas d'une rémunération nette mais d'un chiffre d'affaires et invoque ses charges fixes et l'importance des frais exposés pour mener à bien sa mission et notamment les nombreux déplacements nécessités par ce travail ; qu'il ajoute que le montant de la demande n'a jamais été contesté par les intimés lors de ses demandes de règlement amiable et qu'il est en parfaite cohérence tant avec l'importance du travail accompli qu'avec une rémunération par référence au montant du marché réalisé ;

Considérant la durée de la prestation de lobbying, l'importance des frais de déplacements et de réception engagés, la nature particulière du travail accompli et la brillante réussite au regard des enjeux économiques et stratégiques, la cour retient le montant non sérieusement contesté de 2 000 000€, somme qui sera augmentée du paiement des intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2010, date de la mise en demeure;

Considérant que Monsieur [L] cherche depuis plus de huit ans à obtenir paiement de sa créance ; que ce litige financier connu de la profession et évoqué dans la presse a incontestablement occasionné à celui-ci un préjudice moral ; qu'au regard du contexte socio-économique et de la nature des relations entretenues par les parties, il lui sera alloué la somme de 500 000€ à titre de dommages et intérêts ;

Considérant que l'équité justifie que les frais irrépétibles exposés par Monsieur [L] soient supportés par les intimés qui succombent en leurs demandes à hauteur de 50 000€ ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 19 décembre 2013 en ce qu'il a débouté Monsieur [A] [L] de ses demandes en tant qu'elles sont dirigées contre [Établissement 1] et l'Université dite [Établissement 3] et l'infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau :

Déclare recevable les demandes de Monsieur [A] [L] ;

Déboute le Ministère des affaires présidentielles des Émirats Arabes Unis et Monsieur [X] [D]

, [Établissement 1] et l'Université dite [Établissement 3] de leur demande de fin de non recevoir fondée sur l'immunité de juridiction des Etats ;

Condamne solidairement le Ministère des affaires présidentielles des Émirats Arabes Unis et Monsieur [X] [D] à payer à Monsieur [A] [L] la somme de 2 000 000€ avec les intérêts légaux à compter du 30 octobre 2010 au titre de ses honoraires ;

Condamne solidairement le Ministère des affaires présidentielles des Émirats Arabes Unis et Monsieur [X] [D] à payer à Monsieur [A] [L] la somme de 500 000€ à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral et la somme de 10 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de toutes autres demandes ;

Condamne solidairement le Ministère des affaires présidentielles des Émirats Arabes Unis, Monsieur [X] [D], [Établissement 1] et l'Université dite [Établissement 3] aux entiers dépens.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 14/02846
Date de la décision : 30/10/2015

Références :

Cour d'appel de Paris C2, arrêt n°14/02846 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-10-30;14.02846 ?
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