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22/10/2015 | FRANCE | N°15/03811

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 22 octobre 2015, 15/03811


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRÊT DU 22 Octobre 2015

(n° 506 , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/03811



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 Mars 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL section industrie RG n° 14/01071





APPELANTE

SA [I] [O]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Sylvie AGOSTINHO MODERNO, avocat a

u barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 325, M. [I] [O] (Employeur)





INTIMEE

Madame [N] [Y]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 1] 1955 à

comparante en personne...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRÊT DU 22 Octobre 2015

(n° 506 , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/03811

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 Mars 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL section industrie RG n° 14/01071

APPELANTE

SA [I] [O]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Sylvie AGOSTINHO MODERNO, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 325, M. [I] [O] (Employeur)

INTIMEE

Madame [N] [Y]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 1] 1955 à

comparante en personne, assistée de Me Aymeric BEAUCHENE, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 095 substitué par Me Aziza BENALI, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 95

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Septembre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Catherine MÉTADIEU, Présidente de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Catherine METADIEU, Présidente

M. Mourad CHENAF, Conseiller

Mme Camille-Julia GUILLERMET, Vice-Présidente placée

Greffier : Madame Véronique FRADIN-BESSERMAN, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile

- signé par Madame Catherine MÉTADIEU, présidente et par Madame Véronique FRADIN-BESSERMAN, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

Exposé du litige

[N] [Y] a été engagée à compter du 5 février 2001 par la Sa [I] [O], en qualité de secrétaire, selon un contrat de travail à durée déterminée puis par un contrat à durée indéterminée en date du 7 mars 2001.

La relation de travail est régie par la convention collective des ouvriers, employés, techniciens et agents de maîtrise des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne.

[N] [Y] a fait l'objet d'un arrêt de travail à compter du 12 décembre 2012.

Le médecin de travail a effectué un premier examen de reprise le 17 décembre 2013 et l'a déclaré inapte à son poste actuel mais apte à un poste extérieur à l'entreprise, télétravail par exemple, lors du second examen en date du 7 janvier 2014.

[N] [Y] a été convoquée le 22 janvier 2014, pour le 4 février suivant à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

Elle a reçu notification de son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre recommandée datée du 7 février 2014.

Estimant que son inaptitude résultait d'un harcèlement moral, [N] [Y] a saisi, le 6 mai 2014 le conseil de prud'hommes de Créteil afin de voir déclarer nul son licenciement et obtenir un rappel d'indemnité de licenciement, des dommages-intérêts pour licenciement nul, des dommages-intérêts pour harcèlement moral, des dommages-intérêts pour remise tardive d'une attestation destinée au pôle emploi, d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 2 mars 2015, le conseil de prud'hommes a :

- dit nul le licenciement de [N] [Y]

- condamné la Sa [I] [O] à lui verser les sommes de :

' 32 500 € de dommages-intérêts pour licenciement nul,

' 10 000 € de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

' 2 700 € de dommages-intérêts pour remise tardive d'une attestation pôle emploi,

' 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile

- ordonné la capitalisation des intérêts à compter du jugement

- condamné [N] [Y] à rembourser les sommes indûment perçues

' 4 724,89 € d'indemnité compensatrice de préavis,

' 609,09 € d'indemnité de licenciement.

Appelante de cette décision, la Sa [I] [O] demande à a cour de la confirmer en ce qu'elle a condamné [N] [Y] au remboursement de 4 724,89 € d'indemnité compensatrice de préavis et 609,09 € d'indemnité de licenciement, de l'infirmer pour le surplus et de condamner la salariée au paiement de la somme de 1 500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

[N] [Y] conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a dit nul son licenciement et à la condamnation de la Sa [I] [O] à :

- lui payer les sommes

' 761,45 € de rappel d'indemnité de licenciement,

avec intérêts au taux légal à compter de la rupture du contrat de travail

' 40 500 € de dommages-intérêts pour licenciement nul,

' 16 200 € de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

' 2 700 € de dommages-intérêts pour remise tardive d'une attestation Pôle emploi conforme, ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du bureau de conciliation,

' 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile

- lui remettre un bulletin de paie et d'une attestation destinée au Pôle emploi conformes, et ce sous astreinte de 15 € par jour de retard et par document.

Elle sollicite en outre la capitalisation des intérêts.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour l'exposé des faits, prétentions et moyens des parties, aux conclusions respectives des parties déposées à l'audience, visées par le greffier et soutenues oralement.

Motivation

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments de prouver, que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, [N] [Y] expose qu'elle a été victime de faits de harcèlements de la part de M. [G], directeur technique et que le dirigeant de la société bien qu'ayant été alerté n'a pas réagi.

Elle invoque les faits suivants :

- elle a été mise en accusation publiquement lors d'une réunion des salariés pour avoir aidé un salarié à gagner son procès,

- M. [G] a voulu lui imposer un changement de son contrat de travail en lui supprimant sa journée de Rtt,

- à compter du 6 novembre 2012, ce dernier lui a imposé de venir de travailler à compter de 8 h 30 pile et de noter l'heure de début et de fins de chacun de ses travaux

- elle a été mise à l'écart, M. [G] interdisant aux salariés de la saluer,

- à son retour au travail, après un arrêt de travail pour dépression du 13 au 23 novembre 2011, elle a constaté que M. [G] avait installé un logiciel gratuit dit «team viewer» pour contrôler à distance son ordinateur,

- il lui a injustement refusé le droit de prendre ses congés payés de fin d'année

- elle n'a eu de cesse d'alerter le Pdg de la société, M. [O], qui n'a pas réagi,

- elle a été arrêtée à compter du 20 décembre 2012 pour dépression liée à son travail, cet arrêt se poursuivant jusqu'au constat de son inaptitude.

Pour étayer ses affirmations, [N] [Y] produit notamment

- une attestation rédigée par M. [W], employé de la société de mai 2007 à juin 2011, qui évoque les abus de M. [G] les contraignant à remplir des fiches de travail détaillées, ses excès verbaux, intimidations notamment à l'égard de [N] [Y], 'je voyais son visage apeuré',

- une attestation émanant de M. [T], licencié pour inaptitude consécutive à un accident du travail qui précise : 'Il m'a été demandé lorsque j'étais encore employé (en cours de ma dernière année d'exercice) dans la société de saluer extrêmement brièvement Madame [Y] et de ne plus engager le dialogue avec cette dernière',

- les fiches de travail particulièrement détaillées qu'elle a dû remplir du 6 novembre au 19 décembre 2012, chaque tâche donnant lieu à un relevé à la minute près,

- divers échanges de courrier avec l'employeur concernant ses difficultés,

- un certificat médical de son médecin traitant, en date du 13 novembre 2012, faisant état d'un 'syndrome anxiodépressif secondaire à un harcèlement dans son lieu de travail',

[N] [Y] établit l'existence de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

L'employeur fait valoir que :

- s'il a proposé à [N] [Y] une modification de son contrat de travail, il a pris note de sa position,

- elle n'a aucun moment sollicité l'inspection du travail ni le médecin du travail pour des agissements de harcèlement moral,

- c'est à la demande du commissaire aux comptes qu'ont été mises en place des fiches de travail,

- en aucun cas il n'a été demandé à [N] [Y] de noter ses temps à la minute près, raison pour laquelle à compter de décembre l'intéressée ne note plus ses tâches de la même manière

- le logiciel teamview a été installé pour permettre à M. [G], en l'absence de la salariée, d'effectuer certaines tâches depuis son domicile,

- si la société n'a pas pu accéder à la demande de congés payés aux dates sollicitées par la salariée, elle lui a néanmoins indiqué quelles étaient les semaines disponibles.

La Sa [I] [O] souligne par ailleurs le fait que M. [W] a quitté la société le 10 juin 2011 alors que les faits dénoncés datent de juillet 2012 et que M. [T] n'indique pas qui lui a demandé de plus saluer [N] [Y].

La Sa [I] [O] produit notamment les fiches de travail remplies par les autres salariés de l'entreprise, établissant ainsi que cette pratique était généralisée dans l'entreprise, ce dont attestent plusieurs salarié, et nullement propre à [N] [Y], ainsi que des fiches renseignées cette dernière postérieurement à celle qu'elle-même communique, observation étant faite que l'intéressée ne justifie pas de ce qui lui a été demandé d'effectuer un relevé détaillé à la minute.

Le commissaire aux comptes de la société précise que l'institution du relevé des temps passées a été mise en oeuvre pour l'ensemble du personnel afin de déterminer les coûts de revient, pour les pièces fabriquées mais aussi pour le service après-vente et l'envoi des pièces détachées, tâches assurées par [N] [Y].

Les échanges entre [N] [Y] et la société mettent en évidence une dégradation des relations entre M. [G] pour de stricts motifs professionnels mais ne permettent pas, quand bien même la salariée n'acceptait pas les remarques qui lui étaient faites, de caractériser de la part de celui-ci un comportement excessif ou injuste à son égard, ce d'autant plus que la réalité des manquements évoqués est établie (retard de facturation d'une machine livrée au magasin Leclerc de [Localité 1], réclamations mises en attente sans motif).

De la même manière, il est justifié de ce que la Sa [I] [O] n'a pas refusé à [N] [Y] de prendre ses congés payés mais que, dans l'exercice de son pouvoir de direction, elle l'a invitée à choisir d'autres dates en lui indiquant les semaines disponibles.

La proposition de modification de son contrat de travail faite à [N] [Y] ne peut constituer de la part de l'employeur dont il y a lieu de relever qu'il s'est incliné devant le refus de la salariée d'y donner suite, un agissement témoignant d'une volonté de harceler la salariée, dès lors que l'employeur lui a fourni les raisons le conduisant à lui faire cette proposition.

De nombreux salariés témoignent de manière concordante d'une bonne ambiance au sein de la société.

M. [S] atteste de ce qu'il n'a jamais été 'témoin d'aucun manque de respect du personnel à son [[N] [Y]] encontre ni d'avoir constaté la persécution dont selon ses dires elle aurait été victime'.

M. [C] décrit M. [G] comme une 'personne droite et juste'

Il est par ailleurs établi que le dirigeant de la Sa [I] [O] n'a pas laissé sans suite les lettres de [N] [Y] auxquelles il a répondu.

L'employeur démontre ainsi que les faits matériellement établis par [N] [Y] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Dès lors les demandes relatives au harcèlement et au licenciement doivent être rejetées.

Le jugement est infirmé sur ces points et confirmé en ce qui concerne la condamnation de [N] [Y] au remboursement de l'indemnité de préavis et du prorata de 13ème mois, des congés payés afférents ainsi que du trop perçu au titre de l'indemnité de licenciement.

Le jugement est également confirmé du chef des dommages-intérêts alloué au titre du retard apporté par la Sa [I] [O] concernant la remise de l'attestation destinée au pôle emploi au regard du préjudice qui en est résulté pour [N] [Y], privée de la possibilité de s'inscrire auprès de cet organisme immédiatement après la rupture de son contrat de travail.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

L'équité ne commande qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'une et l'autre des parties.en cause d'appel, le jugement étant toutefois confirmé en ce qu'il a alloué à [N] [Y] la somme de 1 000 € à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire publiquement ;

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la nullité du licenciement et condamné la Sa [I] [O] au paiement de dommages-intérêts d'une part pour licenciement nul et d'autre par pour harcèlement moral.

Le confirme pour le surplus

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la Sa [I] [O] aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 15/03811
Date de la décision : 22/10/2015

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°15/03811 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-10-22;15.03811 ?
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