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24/09/2015 | FRANCE | N°14/12710

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 24 septembre 2015, 14/12710


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRÊT DU 24 Septembre 2015

(n° 404 , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/12710



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Novembre 2014 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS section encadrement RG n° 12/03708





APPELANTE

SNC EUROPE NEWS

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Franck BLIN, avoc

at au barreau de PARIS, toque : K0168







INTIME

Monsieur [D] [E]

[Adresse 2]

[Localité 2]

représenté par Me Séverine HOUARD-BREDON, avocat au barreau de PARIS, toque : E0327...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRÊT DU 24 Septembre 2015

(n° 404 , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/12710

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Novembre 2014 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS section encadrement RG n° 12/03708

APPELANTE

SNC EUROPE NEWS

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Franck BLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : K0168

INTIME

Monsieur [D] [E]

[Adresse 2]

[Localité 2]

représenté par Me Séverine HOUARD-BREDON, avocat au barreau de PARIS, toque : E0327

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Juin 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marthe-Elisabeth OPPELT-RÉVENEAU, Conseillère, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Catherine METADIEU, Présidente

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

Mme Marthe-Elisabeth OPPELT-RÉVENEAU, Conseillère

Greffier : Madame Véronique FRADIN-BESSERMAN, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile

- signé par Madame Catherine MÉTADIEU, présidente et par Madame Véronique FRADIN-BESSERMAN, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

Faits et procédure

M. [D] [E] a été engagé par la SNC Europe News en qualité de journaliste le 9 septembre 1988. Il a animé deux émissions hebdomadaires à compter du 1er janvier 1997, sur l'antenne de Europe 1 intitulées 'c'est arrivé cette semaine' et 'c'est arrivé demain'. Sa rémunération mensuelle brute s'est établie en dernier lieu à 11 180,32 €.

la SNC Europe News est une agence de presse du groupe Lagardère, qui regroupe notamment les journalistes de la radio Europe 1.

Les 4 et 5 février 2012, M. [E] a annoncé à l'antenne qu'il s'agissait de ses dernières émissions.

Par courrier en date du 7 février 2012, adressé à M. [E], la SNC Europe News a regretté sa démission. Par courrier en date du 12 février suivant, M. [E] a indiqué qu'il n'avait pas démissionné, et a pris acte de la rupture. Par courrier en date du 16 février 2012, la SNC Europe News a considéré que son salarié avait démissionné.

Le 6 février 2012, la SNC Europe News a établi les documents de fin de contrat en indiquant, comme motif, la démission de M. [E] .

L'entreprise compte plus de 11 salariés.

La relation de travail est régie par les dispositions de la convention collective nationale des journalistes.

Le 29 mars 2012, M. [E] a saisi le conseil des Prud'Hommes de Paris d'une demande, tendant en dernier lieu à voir imputer la rupture à la SNC Europe News et à lui conférer les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et à obtenir le paiement de diverses indemnités, primes et salaires, outre la remise des documents sociaux conformes, le paiement d'une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, le tout avec exécution provisoire. A titre reconventionnel, la SNC Europe News a demandé le paiement d'une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, relevé la compétence de la commission arbitrale des journalistes pour la part de l'indemnité de licenciement excédant 15 ans d'ancienneté et soulevé la prescription pour une partie des demandes du salarié.

Par décision en date du 4 novembre 2014, le conseil des Prud'Hommes, statuant en sa formation de départage, a qualifié la rupture de licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné la SNC Europe News à payer à M. [E] les sommes suivantes, augmentées des intérêts au taux légal :

- 905,31 € à titre de rappel de salaire

- 90,53 € au titre des congés payés afférents

- 33 336,61 € à titre de rappel de prime d'ancienneté

- 3 336,66 € au titre des congés payés afférents

- 22 360,64 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 2 236,06 € au titre des congés payés afférents

- 150 000 € à titre de provision de l'indemnité de licenciement

- 150 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 60 000 € à titre de dommages et intérêts

Le conseil a, en outre, renvoyé les partie devant la commission arbitrale pour la fixation de l'indemnité de licenciement, ordonné la remise des documents sociaux conformes, ainsi que l'exécution provisoire à hauteur de 300 000 € et condamné la SNC Europe News à payer à M. [E] la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile. Il a débouté M. [E] pour le surplus, ainsi que la SNC Europe News .

L'employeur a fait appel de cette décision dont il sollicite l'infirmation. Il demande à la cour de juger que la rupture s'analyse en une démission de la part de M. [E] et conclut au débouté du salarié, sauf en ce qui concerne la prime d'ancienneté et les congés payés afférents, pour la part non prescrite. Il réclame, en outre, la somme de 4 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [E] conclut à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de la SNC Europe News à lui payer la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier le 19 juin 2015, reprises et complétées à l'audience.

Motivation

- sur la rupture

En application de l'article L1237-1 du code du travail, la démission du salarié ne se présume pas et suppose une volonté claire, sérieuse et non équivoque de démissionner.

Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.

Il est constant que lors de l'émission 'C'est arrivé cette semaine' du 4 février 2012, M. [E] a déclaré que les décisions prises par M. [G] et par Mme [N], respectivement gérant de la SNC Europe News et directrice de l'information de la SNC Europe News , qui lui avaient demandé de ne plus recevoir d'hommes et de femmes politiques ne rendaient 'plus possible' son émission, propos confirmés lors de l'émission 'C'est arrivé demain' du 5 février 2012 en ce termes : ' je répète que j'arrête cette émission parce-que je ne peux plus recevoir d'hommes politiques mais je veux remercier....'.

Il ressort de ce qui précède que M. [E] qui a cessé sa fonction d'animer les émissions en cause a été à l'initiative de la rupture de la relation de travail entre les parties. Cependant, invoquant, au soutien de la rupture, le caractère impossible de son émission du fait du comportement de son employeur, M. [E] énonce une volonté équivoque de rompre, incompatible avec la notion de démission. En revanche, cette rupture s'analyse en une prise d'acte dont les manquements de l'employeur, implicitement invoqués, sont la cause.

Contrairement à ce que prétend le salarié, il revient à la cour d'apprécier les motifs de la rupture qu'il a initiée.

En application de l'article L 1231-1 du code du travail, lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Les faits reprochés à l'employeur doivent être suffisamment graves pour que la prise d'acte s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture ne fixe pas les limites du litige.

Il ressort des débats que la décision du salarié de rompre le contrat de travail est fondée sur l'interdiction d'inviter des invités politiques aux émissions de programmes, parmi lesquelles se classent celles présentées par M. [E], cette décision étant prise par le gérant de la SNC Europe News et sa directrice de l'information, en 2012, dans le contexte de la campagne électorale précédant l'élection présidentielle.

Il ressort des pièces produites aux débats, et en particulier d'un mail, qui n'est pas contesté, adressé par M. [E] à D. [G] le 30 janvier 2012, que M. [E], alors en congé-maladie, a été informé par son assistante de ce que on 'avait demandé à son remplaçant....d'annuler la participation à l'émission de [U] [W] qu'il avait invité au motif qu'il n'y aurait plus d'homme politique dans mes émissions'. En réponse, dans l'heure, D. [G] a confirmé à son salarié la réalité de la décision prise : '...Vous n'êtes pas sans savoir que le CSA, suivant la position du Conseil constitutionnel, a durci fortement les règles de respect de l'égalité de communication des candidats..'. il ajoute que des demandes de dérogation peuvent être présentées à Mme [N], préalablement à toute invitation. Par mail en date du 2 février 2012, Mme [N] a encore confirmé la décision prise. Son courrier du lendemain adressé à M. [E] en confirme à nouveau les termes. En application de cette décision, l'invitation de [A]. [V] pour une émission de M. [E] a été annulée par Mme [N] début février 2012.

Il ressort de ces éléments que la décision critiquée était définitivement adoptée dès la fin du mois de janvier 2012 et qu'elle a été portée à la connaissance de M. [E] de manière informelle en même temps qu'elle a été mise à exécution, conduisant à l'annulation de l'invitation donnée à un homme et une femme politique devant participer à l'émission de M. [E] .

Pour l'avenir, il apparaît que cette décision ne laissait aucune marge de manoeuvre à M. [E], si ce n'est, de solliciter des dérogations à la directrice de l'information, préalablement à l'organisation de ses émissions, en sachant que la directrice de l'information animait elle-même une émission de radio sur la même antenne, ouverte à la participation d'hommes et de femmes politiques.

Ce nouveau procédé, transférant la maîtrise du choix des invités de ses émissions à la directrice de l'information, rompt avec la pleine liberté de choix, y compris pendant les périodes électorales, laissée à M. [E] depuis 15 ans qu'il animait ses deux émissions, comme le souligne D.[G] lui-même, notamment dans son courrier adressé à son salarié le 7 février 2012, à la suite de la rupture de la relation de travail.

La décision du CSA sur laquelle s'appuie la SNC Europe News , datée du 11 janvier 2011, laissait le temps à la direction de l'entreprise de faire connaître aux salariés concernés, les nouvelles méthodes entreprises. Elle ne justifie donc pas la brutalité et l'absence de toute préparation de M. [E] , averti seulement un an plus tard, en 2012, et incidemment par un SMS de son assistante.

Sur le fond, cette même décision du CSA oblige les médias audiovisuels à assurer aux partis et groupements politiques présentant des candidats et leurs soutiens une présentation et un accès équitables à l'antenne. Elle laisse aux responsables d'antenne le soin de garantir cette équité, en procédant à une répartition des invitations d'hommes et de femmes politiques, tenant compte également de l'importance publique de chacun d'entre eux, entre toutes les émissions de l'antenne.

Il ressort des débats qu'à Europe1, cette prérogative a été confiée à la directrice de l'information, laquelle animait également une émission politique à l'antenne.

Indépendamment du fait que le mécanisme ainsi conçu, favorise, par nature la directrice de l'information, ce qui, dans le domaine sensible de l'information et du débat public, mérite d'être relevé, il résulte de l'ensemble de ces éléments, que les méthodes nouvellement adoptées ont impliqué une modification profonde de l'exécution du contrat de travail, dépossédant M. [E] d'une part essentielle de ses prérogatives, le choix de ses invités, perturbant ainsi l'exercice de ses fonctions.

Il revenait à l'employeur la tâche délicate d'assurer de manière loyale et transparente à l'égard des salariés concernés la mise en oeuvre pratique de la décision précitée du CSA.

En imposant brutalement au salarié, sans préparation préalable, une décision modifiant profondément l'exercice de ses fonctions, l'employeur a manqué de loyauté. La soudaineté de cette décision, l'immédiateté de sa mise en oeuvre, son caractère clairement définitif en dépit des protestations émises par le salarié dans son mail du 30 janvier 2012 conduisent à penser que celui-ci n'a pas agi avec précipitation en annonçant la fin de sa collaboration avec la SNC Europe News , contrairement à ce que soutient celle-ci.

Le manquement ainsi relevé est suffisamment grave pour justifier la prise d'acte de la rupture de la relation de travail, laquelle comporte dès lors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Cette situation donne droit à M. [E] à percevoir une indemnité compensatrice de préavis que les premiers juges ont exactement évaluées ; s'agissant de l'indemnité de licenciement, l'article L7112-4 du code du travail donne compétence à une commission arbitrale pour en connaître, dès lors que le journaliste comptait, comme en l'espèce 15 ans d'ancienneté au moins. Il convient donc de se déclarer incompétent et de renvoyer les parties devant la commission arbitrale.

En outre, M. [E] a droit à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que compte-tenu des éléments produits aux débats, notamment sur l'ancienneté, la cour est en mesure d'évaluer à 100 000 €.

Par ailleurs, M. [E] qui ne démontre pas avoir subi un préjudice distinct de celui déjà indemnisé au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne peut qu'être débouté de sa demande de ce chef.

La date de la rupture est le 5 février 2012, date à laquelle M. [E] a annoncé à l'antenne qu'il s'agissait de sa dernière émission. La prise d'acte ainsi formulée a un effet immédiat.

M. [E] , qui prétend, à tort, voir fixer la date de la rupture au 7 février 2012, ne peut donc qu'être débouté de sa demande de rappel de salaire.

S'agissant de la prime d'ancienneté, adoptant les motifs pertinents de premiers juges, la cour confirme leur décision de ce chef. (délai de prescription court à compter de la saisine du conseil, même si la demande a été formulée postérieurement, en l'espèce le 30 avril 2014).

Compte-tenu de ce qui précède, il convient d'ordonner à la SNC Europe News la remise à M. [E] des documents sociaux conformes.

Enfin, compte-tenu de ce qui précède, il convient d' ordonner d'office, en application de l'article L 1235-4 du code du travail, et dans la limite posée par cette disposition, le remboursement par la SNC Europe News de toutes les indemnités de chômage payées à M. [E] .

Par ces motifs, la cour,

- confirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne ses dispositions relatives au rappel de salaire, aux dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, à l'indemnité de licenciement et à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- l'infirme de ces chefs et y ajoutant :

- condamne la SNC Europe News à payer à M. [D] [E] la somme de 100 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- déboute M. [E] de sa demande de rappel de salaire et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire

- se déclare incompétente pour connaître de la demande d'indemnité de licenciement

- ordonne d'office, en application de l'article L 1235-4 du code du travail, et dans la limite posée par cette disposition, le remboursement par la SNC Europe News à Pôle Emploi de toutes les indemnités de chômage payées à M. [E]

- condamne la SNC Europe News aux dépens

Vu l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamne la SNC Europe News à payer à M. [E] la somme de 3 500 €

- la déboute de sa demande de ce chef.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 14/12710
Date de la décision : 24/09/2015

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°14/12710 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-09-24;14.12710 ?
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