RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 1
ARRÊT DU 09 Septembre 2015
(n° 260, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/06842
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Juin 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 12/10930
APPELANT
Monsieur [F] [S]
[Adresse 2]
[Localité 1]
comparant en personne, assisté de Me François BOULO, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE
SA SOCIETE MOULINS SOUFFLET
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Bertrand SALMON, avocat au barreau de NANTES
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 03 Juin 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Irène CARBONNIER, Président de chambre
Madame Véronique SLOVE, Conseillère
Madame Isabelle DELAQUYS, Conseillère
qui en ont délibéré
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de
Madame Irène CARBONNIER, Président de chambre
Greffier : Madame Chantal HUTEAU, lors des débats et Marine CARION lors de la mise à disposition.
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, conformément à l'avis donné après les débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme CARBONNIER, Présidente, et par Madame Marine CARION, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * *
Vu le jugement rendu le 6 juin 2013 par le conseil de prud'hommes de Paris qui a condamné la société Moulins Soufflet à payer à M. [F] [S] les sommes suivantes :
- 1.200 euros au titre de rappel de salaires et120 euros au titre des congés payés afférents,
- 17.500 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3.102 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- 5.809 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 580,90 euros au titre des congés payés afférents,
- 1.500 au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
Vu les conclusions soutenues oralement par lesquelles M. [S] demande à la Cour de réformer en toutes ses dispositions le jugement déféré et de condamner la société Moulins Soufflet au paiement des sommes suivantes:
- 9.182,11 euros à titre de rappel de salaires sur la période de juillet 2012 jusqu'au 8 janvier 2013 et 918,21 € au titres des congés payés afférents,
- 60.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 5.240,69 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 9.826,30 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 982,63 € au titre des congés payés y afférents,
- 10.000 euros au titre du préjudice moral consécutif au harcèlement moral subi,
- 23.616,61 euros à titre de rappel de salaires pour les heures contractuellement prévues au-delà de la durée légale,
- 4.801,59 euros à titre de rappel de salaires pour les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée contractuelle ;
- 29.478,90 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour dissimulation d'emploi salarié,
- 3.000 euros au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions développées à l'audience de la société Moulins Soufflet tendant à voir réformer le jugement entrepris, débouter M. [S] de l'ensemble de ses demandes et condamner ce dernier à lui payer une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Considérant que M. [S] a été engagé par la société Moulins Soufflet par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 7 juillet 2008,en qualité de responsable de secteur, statut agent de maîtrise, coefficient 235, selon les dispositions de la convention collective de la meunerie ; qu'en dernier lieu la rémunération mensuelle brute du salarié était composée d'un salaire fixe mensuel brut de 2 907,69 euros ;
Considérant que le 4 octobre 2012, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris d'une demande de résiliation de son contrat de travail aux torts de son employeur; que par lettre recommandée avec accusé réception du 7 janvier 2013, M. [S] a été licencié pour faute grave ;
Considérant que M. [S] sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux motifs que la société Moulins Soufflet a modifié unilatéralement sa rémunération, lui a fait subir un harcèlement moral, n'a pas payé les heures supplémentaires réalisées et s'est rendue coupable de travail dissimulé ;
Sur la modification unilatérale de la rémunération :
Considérant qu'en juin 2012, la société Moulins Soufflet a décidé de mettre en 'uvre de nouvelles conditions de rémunération des commerciaux, avec une part fixe réduite de 40% et une part variable, conditions qui ont reçu le 19 juin 2012, un avis favorable du comité central d'entreprise ;
Qu'il résulte des pièces versées aux débats par les partie que M. [C], directeur délégué Ile de France, a reçu le 25 juin 2012, M. [S] accompagné de son responsable direct pour un entretien individuel au cours duquel il lui a été exposé les nouvelles conditions de rémunération fixe et variable mises en oeuvre à compter du 1er juillet 2012 et projeté un document expliquant les conditions de rémunération (fixe et variable) avant et après la mise en place du nouveau système ; que le 29 juin 2012, M. [S] a seulement signé l'avenant concernant la partie variable ; que bien que M. [S] n'ait pas signé l'avenant concernant la partie fixe de sa rémunération, ce nouveau système a été appliqué au salarié dès le premier juillet 2012 ; que dès le mois d'août 2012, M. [S] a contesté sa nouvelle rémunération ; que par la suite ce dernier a refusé de signer l'avenant relatif à la partie fixe de son salaire ;
Considérant que le mode de rémunération contractuel d'un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord ; qu'en l'espèce, M. [S] ne peut être considéré comme ayant implicitement accepté les conditions modifiées du calcul de la partie fixe de son salaire au motif qu'il en avait été informé et qu'il a signé l'avenant concernant la partie variable ; que l'employeur ne peut se prévaloir de la clause figurant au contrat initial du 7 juillet 2008 prévoyant 'après une période d'un an, et en fonction de l'évolution de vos résultats, votre rémunération sera modifiée et composée d'une part fixe réduite et d'une part variable dont les conditions seront fixées avec votre responsable hiérarchique' dès lors que la baisse de la rémunération de M. [S] n'a pas procédé de la mise en oeuvre de cette clause ;
Qu'en conséquence, l'employeur ne pouvait appliquer les nouvelles règles de rémunération prévoyant une baisse substantielle de la partie fixe du salaire (- 40 %) sans l'accord du salarié ; que ce manquement aux règles contractuelles rendait impossible la poursuite de leurs relations ; que la résiliation qui prend effet à la date du licenciement pour faute grave de M. [S] le 7 janvier 2013 produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'il n'y a donc pas lieu de se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.
Sur le harcèlement :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que l'article L. 1154-1 du même code énonce qu'en cas de litige relatif à l'application de l'article L. 1152-1, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Considérant que le courriel adressé à M. [S] concernant l'avenant à son contrat de travail ainsi rédigé : 'bonjour, merci de m'indiquer par retour votre réponse concernant la signature de l'avenant à votre contrat de travail' est neutre et ne contient aucun terme révélant des pressions pour obliger le salarié à signer ledit avenant ; que les attestations produites ne font état d'aucun fait précis (pressions, menaces...) dont ce dernier aurait été victime ; que M. [Y] ne fait que porter une appréciation générale sur la mise en 'uvre du nouveau système de rémunération des commerciaux ; que Mmes et M. [K], [G] et [O] ne font état que de leur situation personnelle ; que de la même manière, les courriels et courriers de deux autres salariés, de l'équipe commerciale d'Ile de France et du syndicat CGT ne relatent pas de faits concernant la situation personnelle de M. [S] ; que la réponse faite par M. [C] aux délégués du personnel et au comité d'entreprise ne contient aucune menace de licenciement à l'égard ni de M. [S] ni à l'égard des autres salariés ; que le certificat du psychiatre qui suit M. [S] depuis 2011, soit bien avant les faits de harcèlement allégués, indique qu'il est établi sur la seule base des déclarations de ce dernier ; que le courrier de l'inspectrice du travail ne peut être retenu dès lors qu'il ne repose pas sur ses constatations mais s'appuie sur les seules déclarations du salarié ;
Qu'en conséquence, M. [S] n'établit aucun fait permettant de présumer de l'existence d'un harcèlement à son encontre ;
Sur les heures supplémentaires :
Considérant que M. [S] soutient que 233 heures supplémentaires annuelles lui sont dues en vertu de l'article 3 de son contrat de travail qui prévoit : 'Vous vous conformerez à l'horaire de votre service qui vous sera indiqué par votre supérieur hiérarchique ; la réduction du temps de travail sera appliquée par l'attribution de 10 jours de congés supplémentaires limitant ainsi la durée du travail à 1840 heures travaillées par an'; que, si cette clause n'est pas claire et précise, il convient de constater que le nombre de 1840 heures correspond au nombre totale d'heures payées dans l'année, c'est-à -dire, congés et jours fériés inclus, ce que d'ailleurs M. [S] n'a jamais contesté en quatre ans de présence ;
Considérant que M. [S] fait valoir qu'il a effectué bien plus d'heures supplémentaires que celles qui étaient contractuellement prévues ; que cependant, le salarié produit des rapports d'activité sur lesquels apparaissent les mentions manuscrites des horaires de début et de fin de journée, rajoutées en marge du tableau a posteriori comme l'a reconnu le salarié devant le conseil de prud'hommes ; que ces rapports permettent seulement de déterminer les jours travaillés par M. [S] mais n'ont pas de valeur probante quant à l'exécution d'heures supplémentaires ; que les attestations qu'il verse aux débats de clients sont imprécises, contenant des formules approximatives, ne mentionnant aucune date et sont souvent en contradiction avec les rapports d'activité quand aux heures de passages de M. [S] ; qu'ainsi la demande n'est étayée par aucun élément suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre ; que l'absence de preuve des heures supplémentaires entraîne le rejet de la demande d'indemnité pour travail dissimulé ;
Sur le rappel de salaire :
Considérant que M. [S] qui n'a pas signé l'avenant sur la modification de la partie fixe de son salaire ne peut se prévaloir de l'avenant concernant la partie variable ; que seules les conditions de rémunération antérieures au 1er juillet 2012 lui sont applicables ; qu'au vu des bulletins de salaires produits, la société Moulins Soufflet sera condamnée à payer la somme de 1.200 euros à titre de rappel de salaire et celle de120 euros de congés payés afférents comme l'a déterminé le conseil de prud'hommes ;
Sur les indemnité de licenciement :
Considérant que la résiliation prononcée produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu de confirmer les montants des indemnités allouées à ce titre par le conseil de prud'hommes qui a tenu compte du salaire de référence du salarié, des textes applicables et de l'ancienneté de celui-ci dans l'entreprise ;
Considérant que l'équité commande de condamner la société Moulins Soufflet, tenue aux dépens, à payer à M. [S], la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ; que la société Moulins Soufflet doit être déboutée de cette même demande ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de résiliation judiciaire de M. [S] ;
Et statuant à nouveau : prononce la résiliation du contrat de travail de M. [S] aux torts de la société Moulins Soufflet à compter du 7 janvier 2013 ;
Confirme le jugement pour le surplus,
Condamne la société Moulins Soufflet à payer à M. [F] [S] la somme supplémentaire de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société Moulins Soufflet de ses demandes,
Condamne que la société Moulins Soufflet aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT