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03/07/2015 | FRANCE | N°14/20132

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 2, 03 juillet 2015, 14/20132


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS







Pôle 5 - Chambre 2









ARRET DU 03 JUILLET 2015



(n°119, 12 pages)









Numéro d'inscription au répertoire général : 14/20132





Décision déférée à la Cour : jugement du 19 juin 2014 - Tribunal de grande instance de PARIS - 3ème chambre 1ère section - RG n°13/02849







APPELANTE AU

PRINCIPAL et INTIMEE INCIDENTE





S.A. JABOULEY, agissant en la personne de son président domicilié en cette qualité au siège social situé

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Immatriculée au rcs de Vienne sous le numéro 344 066 378



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Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 2

ARRET DU 03 JUILLET 2015

(n°119, 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 14/20132

Décision déférée à la Cour : jugement du 19 juin 2014 - Tribunal de grande instance de PARIS - 3ème chambre 1ère section - RG n°13/02849

APPELANTE AU PRINCIPAL et INTIMEE INCIDENTE

S.A. JABOULEY, agissant en la personne de son président domicilié en cette qualité au siège social situé

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Immatriculée au rcs de Vienne sous le numéro 344 066 378

Représentée par Me Jean-Loup PEYTAVI, avocat au barreau de PARIS, toque B 1106

Assistée de Me Vanessa BOUCHARA plaidant pour la SELARL CABINET BOUCHARA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque C 594 et substituant Me Jean-Loup PEYTAVI, avocat au barreau de PARIS, toque B 1106

INTIMEE AU PRINCIPAL et APPELANTE INCIDENTE

S.A.S.U. NEDEL, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Immatriculée au rcs de Bobigny sous le numéro 513 014 076

Représentée par Me Marie-Laure BONALDI-NUT, avocat au barreau de PARIS, toque B 936

Assistée de Me Nathalie MATTEODA, avocat au barreau de PARIS, toque C 757

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 5 juin 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Marie-Christine AIMAR, Présidente, chargée d'instruire l'affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport

Mme Marie-Christine AIMAR a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Marie-Christine AIMAR, Présidente

Mme Sylvie NEROT, Conseillère

Mme Véronique RENARD, Conseillère

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Marie-Christine AIMAR, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.

Vu les articles 455 et 954 du code de procédure civile,

Vu le jugement contradictoire du 19 juin 2014 rendu par le tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre 1ère section),

Vu l'appel interjeté le 6 octobre 2014 par la SA Jabouley,

Vu les dernières conclusions de la SA Jabouley appelante, en date du 7 mai 2015,

Vu les dernières conclusions de la SAS Nedel, intimée et incidemment appelante, en date du 27 avril 2015,

Vu l'ordonnance de clôture en date du 21 mai 2015,

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures des parties,

Il sera simplement rappelé que :

La SA Jabouley est une société française de création, fabrication et vente d'étoffe et de dentelle. Elle soutient avoir créé une dentelle référencée 18105. Cette dentelle, issue d'un dessin en date du 20 février 1989, a préalablement été déclinée en une version lycra référencée 19280 en mai 1993, avant d'être créée en version rigide sous la référence 18105 en 1997.

Les droits sur cette dentelle auraient été transmis à la société Jabouley SA lors de la fusion absorption par cette dernière de la société Etablissements Jabouley.

La société Nedel créé des vêtements de prêt à porter pour femme sous la marque co.copine.

La société Jabouley expose qu'elle a pu constater que les magasins à enseigne [Établissement 1], commercialisaient et offraient à la vente, un tee-shirt comportant une dentelle présentant exactement les mêmes caractéristiques que la dentelle n° 18105.

La société Jabouley a fait procéder le 3 décembre 2012 à un procès verbal de constat d'achat de ce tee-shirt au sein de la boutique [Établissement 1] sise [Adresse 1] d'un montant de 109 euros TTC. Ce constat porte sur un tee-shirt référencé Prism.

Suivant autorisation présidentielle du 22 janvier 2013 la SA Jabouley a fait procéder le 30 janvier 2013 à une mesure de saisie-contrefaçon au siège social de la société Nedel sise [Adresse 3].

Il a été présenté à l'huissier instrumentaire le catalogue intitulé 'Cop-Copine-London-Winter 2012/2013" sur lequel figure en page 46 le tee-shirt Prism look 139 composé de la dentelle litigieuse.

L'huissier a procédé à la saisie réelle en deux exemplaires de chaque couleur, vert et bleu, du tee-shirt sur lesquels est reproduite la dentelle litigieuse qui sont commercialisés au prix unitaire de 42 HT et à la saisie en deux exemplaires du catalogue précité.

Sur interpellation de l'huissier la représentante de la société Nedel a précisé que la photographie qui apparaît sur le catalogue figure également sur le site internet de vente en ligne www.eboutique.co-copine.com. Il a été remis à l'huissier des documents comptables faisant apparaître que 6.525 exemplaires de produits litigieux ont été vendus pour un total de 232.947, 89 euros en France et à l'exportation.

Selon acte d'huissier du 26 février 2013 la SA Jabouley a fait assigner la société Nedel devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de ses droits d'auteur et en concurrence déloyale.

Suivant jugement dont appel, le tribunal a essentiellement :

- déclaré valide le procès verbal de saisie-contrefaçon du 30 janvier 2013,

- déclaré la société Jabouley irrecevable à agir en contrefaçon de droits d'auteur de la dentelle florale référencée n° 18105 envers la société Nedel sur le fondement du droit d'auteur,

- débouté la société Jabouley de sa demande au titre de la concurrence déloyale envers la société Nedel,

- débouté la société Nedel de sa demande en procédure abusive,

- condamné la société Jabouley à verser à la société Nedel la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- condamné la société Jabouley aux dépens.

En cause d'appel la SA Jabouley appelante, demande essentiellement dans ses dernières écritures du 7 mai 2015 de :

- réformer le jugement sauf en ce qu'il a dit et jugé que le procès verbal de saisie contrefaçon du 30 janvier 2013 est valable et a dit et jugé que la société Jabouley justifie de la titularité de ses droits sur le modèle de dentelle 18105,

- débouter la société Nedel de l'ensemble de ses demandes,

- statuant de nouveau,

- dire et juger que le modèle 18105 de la SA Jabouley est original, et qu'elle est recevable à agir au titre de ses droits d'auteur sur ce modèle,

- dire et juger que la société Nedel a commis des actes de contrefaçon du modèle référencé 18105 de la société Jabouley,

- condamner la société Nedel à verser à la société Jabouley la somme de 150.000 euros au titre de la contrefaçon de ses droits d'auteur,

- à titre subsidiaire,

- dire que la société Nedel a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la SA Jabouley,

- condamner la société Nedel à payer à la SA Jabouley la somme de 200.000 euros en réparation de son préjudice,

- en tout état de cause,

- ordonner des mesures d'interdiction sous astreinte,

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans la presse écrite et sur la page d'accueil du site [Site Web 1] et sur le site de la société Jabouley.

- condamner la société Nedel à payer à la société Jabouley la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner la société Nedel aux entiers dépens ainsi qu'aux frais du constat d'achat du 3 décembre 2012 et ceux du procès verbal de saisie contrefaçon du 30 janvier 2013.

La société Nedel, intimée s'oppose aux prétentions de l'appelant, et pour l'essentiel, demande dans ses dernières conclusions du 27 avril 2015 de :

- confirmer le jugement,

- à titre subsidiaire,

- dire et juger que l'action en concurrence déloyale et parasitaire engagée par la société Jabouley est mal fondée,

- débouter la société Jabouley de l'ensemble de ses demandes,

- à titre reconventionnel

- dire et juger la présente action abusive et condamner la société Jabouley à payer à la société 'Limonta' la somme de 90.000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner la société Jabouley à payer à la société 'Limonta' la somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société appelante aux entiers dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement au profit de son conseil.

***************

Sur la validité des opérations de saisie contrefaçon en date du 30 janvier 2013,

Pour contester la validité de ces opérations de saisie-contrefaçon la société Nedel soutient que le délai entre la signification de l'ordonnance à la partie saisie et le début des opérations est insuffisant.

Cependant, il ressort du procès verbal de signification d'ordonnance rendue sur requête et du procès verbal de saisie-contrefaçon que l'huissier instrumentaire a laissé un délai de dix sept minutes à monsieur [G] [W], Chef comptable de la société Nedel avant de débuter ses opérations de sorte que ce dernier a disposé d'un délai suffisant pour prendre connaissance de la mission de l'huissier puisque celui-ci avant le début de ses opérations lui a exposé le but de sa mission, lui a lu l'ordonnance à haute voix et a lui demandé s'il avait des questions à lui poser.

Ce délai lui permettait de contacter les représentants légaux de la société et sa qualité de Chef Comptable celle d'appréhender l'objet et l'étendue de la mission de l'huissier comme cela ressort de la remise spontanée par ses soins des éléments intéressants l'huissier.

La société Nedel reproche également à l'huissier de ne pas avoir vérifié si monsieur [W] avait la capacité juridique pour la représenter à cet effet mais celui-ci lui a indiqué qu'il était habilité à recevoir copie de la signification de l'ordonnance et sa qualité de salarié lui permettait de la représenter. De plus lors de l'exécution des opérations de saisie contrefaçon il a été rejoint par madame [T] [I], Directrice artistique et madame [D] [U], responsable de production.

Il en ressort que les opérations de saisie-contrefaçon ne sont affectées d'aucun vice affectant leur validité alors que la société Nedel n'établit l'existence d'aucun grief pouvant résulter des manquements vainement invoqués.

C'est en conséquence à bon droit que le tribunal a rejeté l'exception de nullité de ce chef.

Sur la titularité des droits de la société Jabouley sur le modèle de dentelle référencé 18105

La société Nedel soutient que la société Jabouley ne justifie pas de la titularité des droits sur le modèle de dentelle litigieux et fait valoir à cet effet que la fiche de fabrication communiquée est manuscrite, sans date certaine et sur laquelle figure comme mention 'Etablissements Jabouley' et non la SA Jabouley immatriculée en 1988.

Elle poursuit en faisant valoir que l'on ne connaît pas la chaîne de droits entre ces deux entités juridiques et qu'il n'est pas prouvé que la société Jabouley aurait reçu dans son patrimoine, suite à la fusion absorption intervenue, qui n'a été opposable aux tiers qu'au mois de février 2008, les droits de création spécifiques de cette dentelle.

Elle conteste tout caractère probant aux documents communiqués par la société Jabouley pour justifier de ses droits sur ce modèle de dentelle en indiquant qu'aucun échantillon toute laize du modèle datant de cette époque ou dessin daté de manière certaine attestant de l'identité entre la fiche de fabrication d'octobre 1997 et le modèle de dentelle et sa facture sur laquelle ne figure pas la référence, ne sont communiqués.

Elle ajoute que la SA Jabouley ne rapporte pas la preuve d'avoir commercialisé sous son nom ce modèle de dentelle.

La société Jabouley expose qu'elle est titulaire du modèle de dentelle référencé 18105 qui a été créé en octobre 1997 au sein des Etablissements Jabouley dont la SA Jabouley est issue suite à une fusion absorption avec cette société. Elle ajoute que ce modèle issu d'une esquisse en date du 20 février 1989 a été initialement décliné en une dentelle version Lycra référencée 19280 en mai 1993, avant d'être créée en version rigide sous la référence 18105.

Elle précise que le modèle 18105 est régulièrement commercialisé depuis 1998.

Pour justifier de la titularité des ses droits sur le modèle de dentelle en cause la société Jabouley verse aux débats :

- l'esquisse de la dentelle,

- la facture d'achat de l'esquisse,

- le fax de commande et la facture de la prestation du 'dessinateur technique, monsieur [J] [V] ayant 'mis en carte' le dessin, c'est à dire procédé à la transformation du dessin en données techniques pour permettre la fabrication de la dentelle

- la fiche de fabrication du modèle dentelle dans sa version lycra référencée 19280 d'octobre 1993,

- la fiche de fabrication du modèle dentelle dans sa version lycra référencée 19280 d'octobre 1993,

- la fiche de fabrication du modèle de dentelle dans sa version rigide lycra référencée 18105 d'octobre 1997,

- des photographies du métier, du tissage et d'une partie de la chaîne de programmation ayant servi à sa réalisation,

- l'attestation du dessinateur, monsieur [H] [B], qui certifie avoir créé le dessin en 1989 et avoir cédé l'intégralité de ses droits patrimoniaux d'auteur sur ce dessin à la société Jabouley, accompagnée du fax de commande, du dessin du modèle et de la facture de prestation contresigné par ses soins,

- l'attestation de monsieur [Y] [E] ayant participé à la fabrication de la chaîne de programmation permettant le tricotage de la dentelle, accompagnée de la représentation et des fiches techniques du modèle dans sa version rigide (18105) et élastique (19280) ainsi que des photographies du métier, du tissage et d'une partie de la chaîne de programmation, contresignés par ses soins,

- l'attestation de 'l'aide monteur', monsieur [Z] [I] ayant participé à la fabrication de la chaîne de programmation et à la surveillance du tricotage accompagnée de la représentation et de la fiche technique du modèle dans ses deux versions, ainsi que des photographies du métier, du tissage et d'une partie de la chaîne de programmation, contresignés par ses soins,

- l'attestation du directeur Technique et Responsable de Production expliquant et dirigeant de la société Jabouley expliquant le processus de création de la dentelle dont s'agit, le rôle de chaque intervenant et la déclinaison du modèle sous ses deux versions.

Ceci étant exposé ,la société Nedel conteste la valeur probante de l'attestation monsieur [B] établissant que le modèle a été créé en 1989 car l'esquisse ne serait qu'une photocopie non datée et que sur la facture ne figurerait pas la référence de cette esquisse.

Cependant l'esquisse est signée et référencée et ces éléments sont corroborées par l'attestation de monsieur [B] qui a contresigné l'esquisse et par sa facture du 20 février 1989.

Il est justifié par ailleurs par la fiche de fabrication communiquée et les autres documents relatifs à sa fabrication que la dentelle litigieuse a été créée le 20 février 1989 au sein des Etablissements Jabouley qui en ont acquis les droits qui ont été transmis à la SA Jabouley lors de la fusion par cette dernière de la société Etablissement Jabouley, qui entraîne la transmission universelle de son patrimoine, conformément aux dispositions de l'article L 236-3 du code du commerce.

De plus il est constant que la personne morale qui commercialise de façon non équivoque une oeuvre de l'esprit est présumée à l'égard des tiers recherchés en contrefaçon et en l'absence de toute revendication du ou des auteurs, détenir sur ladite oeuvre les droits patrimoniaux de l'auteur ;

Pour bénéficier de cette présomption simple, il appartient à la personne morale d'identifier précisément l'oeuvre qu'elle revendique et de justifier de la date à laquelle elle a commencé à en assurer la commercialisation ; qu'il lui incombe également d'établir que les caractéristiques de l'oeuvre qu'elle revendique sont identiques à celles dont elle rapporte la preuve de la commercialisation sous son nom ;

Enfin, si les actes d'exploitation propres à justifier l'application de cette présomption s'avèrent équivoques, elle doit préciser les conditions dans lesquelles elle est investie des droits patrimoniaux de l'auteur ;

En l'espèce, il est justifié par la dentelle sur laquelle est agrafé un carton comportant les références du modèle, la première facture de commercialisation en date du 8 octobre 1998 sous le nom Dentelle de Saint André et de deux attestations circonstanciées portant la référence de la dentelle de clients les sociétés Stella Forest et Sonia Rykiel que la SA Jabouley commercialise sous son nom, à tout le moins depuis octobre 1998 , et de façon ininterrompue comme cela ressort de nombreuses autres attestations, la dentelle litigieuse sous son nom depuis qu'elle en a acquis les droits, sans revendication de tiers, de sorte que c'est à bon droit que le tribunal a jugé qu'elle était recevable à agir en contrefaçon de ce chef.

L'allégation par la société Nedel d'une commercialisation antérieure dès 1996 de son modèle par son fournisseur chinois qui en atteste, sans pièce justificative pour corroborer ses dires alors qu'il est impliqué dans le processus de la contrefaçon alléguée, n'est pas de nature justifier de prétendus droits antérieurs chinois alors qu'il est justifié par la société Jabouley d'une création en février 1989 et d'une fabrication en version Lycra dès 1993.

Sur le caractère protégeable de la dentelle référencée n°18105

L'article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial.

Le droit de l'article susmentionné est conféré selon l'article L 112-1 du même code, à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soit le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.

Il s'en déduit le principe de la protection d'une oeuvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale.

La société Jabouley revendique la combinaison des revendications suivantes pour justifier du caractère original de la dentelle référencée 18105 :

- Modèle de dentelle floral sur un fond de type large résille (transparent),

- Les fleurs sont assez volumineuses (cinq à six centimètres de largeur sur cinq centimètres et demi à six centimètres de hauteur) et comportent 11 pétales et une tige à trois feuilles,

- Le c'ur de la fleur est légèrement ouvert et laisse apparaître un rond duquel se dégagent quatre pétales (deux pétales pleins et un divisé en deux),

- Le pétale le plus haut s'apparente à un trois quart de lune. Indépendamment de la fleur et au- dessus de ce pétale, sont représentés trois petits pétales stylisés se dégageant de la fleur,

- Les trois autres pétales partent du bas et semblent remonter vers le pétale du haut. Un des pétales est allongé (ovale) et l'autre a une forme analogue et est partiellement divisé en deux par une petite encoche,

- A l'extérieur de ces trois pétales (partie inférieurede la fleur et comme accolés à eux, sont

représentés les sept autres pétales.

- Trois pétales, rassemblés les uns aux autres, suivent la ligne d'un des pétales du premier contour (celui qu'une encoche divise partiellement en deux). Les quatre autres pétales suivent la ligne du pétale en forme d'ovale présenté au c'ur de la fleur et semblent tomber comme de grosses gouttes. Les deux autres suivent la ligne du pétale en forme d'ovale,

- Entre les trois pétales de la partie externe de la fleur et les quatre pétales de la même partie externe, se dégage une tige (doublée sur le haut) comportant trois feuilles. Celle qui se rapproche le plus des pétales est une feuille ronde, légèrement ovale de taille comparable aux plus petits pétales de la fleur. Les deux autres sont présentés de part et d'autre du milieu de la tige et sont de plus petite taille, Sur le côté où sont représentées les deux feuilles se dégageant de la tige, deux longues feuilles partant d'entre deux fleurs pour échouer sur la plus petite feuille arrondie partant de la tige,

- Les fleurs sont placées les une à la suite des autres sur une ligne régulière et elles apparaissent tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche. Lorsque sur une ligne les fleurs sont tournées vers la droite, sur la ligne du dessous, elles sont tournées vers la gauche et ainsi de suite.

La société Nedel conteste toute originalité à ce modèle de dentelle en faisant valoir qu'il s'agit d'une dentelle florale banale qui fait partie du domaine public comme en atteste madame [R] [X], membre de l'Association Expertex, qui une association d'experts textiles et l'attestation de la société Unfold Industrial Co qui atteste détenir des droits sur la dentelle arguée de contrefaçon depuis 1996 et verse à cet effet six modèles de dentelle datant pour certains de 1861 et 1925.

Elle soutient que le motif central est parfaitement connu avec une présentation de gauche à droite banale qui de surcroît à une fonction utilitaire afin de ne pas perdre du métrage de tissu et permettre des raccords et qui se retrouve ne particulier dans la robe Chanel de 1932.

Mais la personnalité de l'auteur s'exprime lors de la création de cette dentelle, comme mentionné par la société intimée, au travers le choix esthétique d'avoir accolé les motifs floraux les uns aux autres tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche, en laissant très peu d'espace entre les motifs, par la présence de courtes tiges et de petites feuilles, par le choix de forme très ronde tant pour les pétales que les tiges et les feuilles, de tailles et de formes différentes, par le choix de proportionner les fleurs de manière prédominante par rapport aux tiges et aux feuilles, par le choix d'incliner légèrement les fleurs et de les représenter de manière très volumineuse, par le choix de ne représenter que des roses en les apposant sur un fond de type résille de forme arrondie et irrégulière et par la combinaison et l'agencement particulier de ces caractéristiques de sorte que cette dentelle reflète la créativité et la personnalité de son auteur et revêt une physionomie propre.

Les modèles de dentelles à roses communiquées par la société intimée en pièces 11 à 18 et 46 pour contester le caractère original de la dentelle en cause, ne reprennent pas les motifs particuliers et leur combinaison de cette dentelle (l'agencement des roses est différent, sans alternative de gauche et droite, comportent des tiges et feuilles différentes et la plupart de ces dentelles comportent également d'autres motifs ou n'ont ni tiges ni feuilles, certains modèles sont des dessins et non des dentelles ou des tissus ajourés et non des dentelles et peu ont des résilles) pas plus que dans le modèle de robe Chanel divulgué en 1932 dans le magazine Harper's qui présente des tiges, feuilles dans des tailles et densités différentes, plus allongés, sans mouvement alternatif vers la droite et la gauche, qui ne génèrent pas le même impression d'ensemble et ne sont donc pas de nature, comme jugé à bon droit par le tribunal, à détruire l'originalité du modèle de dentelle de la société Jabouley, l'existence d'établissement de protocoles transactionnels évoqués par la société appelante, dans d'autres affaires, étant sans incidence sur le caractère original de cette dentelle telle qu'examinée présentement par la cour.

La société Nedel verse aux débats pour contester l'originalité de la dentelle litigieuse une analyse présentée comme étant celle de madame [A] [X] et signée par madame [A] [F] née [C] qui n'ont pas la qualité d'expert près la cour d'appel qui se rapporte à une analyse comparative entre le modèle de dentelle Jabouley 18105 et une autre intitulée Seteri Argenti 157MEMOLE mais qui ne comporte aucune reproduction ni description et ne fait qu'une présentation générale sous forme de concept inscuceptible de détruire le caractère original de la dentelle dont s'agit.

Les indications de madame [X] qui indique que les exigences techniques du matériel de fabrication (induiraient) une soumission de l'esquisseur et du dessinateur aux capacités restreintes de la machine, sont contredites par la diversité de modèles de dentelles produites par une même machine comme en justifie la société Jabouley.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement à ce titre est de dire que le modèle de dentelle référencé 18105 est éligible à la protection au titre du droit d'auteur.

Sur les actes de contrefaçon

Aux termes de l'article L 122-4 du code de la propriété intellectuelle toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ... est illicite.

La société Nedel expose que dans le cadre de sa collection automne/hiver 2012, elle a créé un modèle de Tee-shirt original référencé Prism décliné en deux couleurs ; qu'il s'agit d'un tee-shirt à manches longues sur lequel se trouve un tee-shirt à manches courtes en dentelle cousu sur le premier tee-shirt au niveau du col et comportant un noeud papillon attaché à l'aide d'une épingle type badge.

Elle ajoute qu'elle a procédé à la commande de la dentelle auprès de son fournisseur habituel la société Argenti, société de droit italien qui l'a elle-même achetée auprès de la société Unfold.co société de droit chinois et qu'il convient de tenir compte de sa bonne foi.

Elle précise qu'il s'agit d'un modèle banal ne bénéficiant d'aucune exclusivité et se retrouvant chez d'autres fabricants et qui est commercialisé sous d'autres marques.

La dentelle apposée sur les modèles de la société Nedel présente les caractéristiques suivantes :

- de la dentelle florale sur un fond de type large résille,

- des fleurs assez volumineuses (cinq à six centimètres de largeur sur cinq centimètres et demi de hauteur) et comportent 11 pétales et une tige à trois feuilles,

- le coeur de la fleur est légèrement ouvert et laisse apparaître un rond duquel se dégagent quatre pétales (deux pétales pleins et deux divisés en deux),

- la pétale le plus haut s'apparente à un trois quarts de lune. Indépendamment de la fleur et au dessus de ce pétale, sont représentés trois petits pétales stylisés se dégageant de la fleur,

- les trois autres pétales partent du bas et semblent remontés vers le pétale du haut. Un des pétales est allongé(ovale) et l'autre a une forme analogue et est partiellement divisé en deux par une petite encoche.

- à l'extérieur de ces trois pétales et comme accolés à eux, sont représentés les sept autres pétales,

- trois pétales, rassemblés les uns aux autres, suivent la ligne d'un des pétales du premier contour. Les quatre autres pétales suivent la ligne du pétale en forme d'ovale présenté au coeur de la fleur et semblent tomber. Les deux autres suivent la ligne du pétale en forme d'ovale.

- entre les trois pétales de la partie externe de la fleur et les quatre pétales de la même partie externe, se dégage une tige comportant trois feuilles; Celle qui se rapproche le plus des pétales est une feuille ronde, légèrement ovale de taille comparable aux plus petits pétales de la fleur. Les deux autres sont présentés de part et d'autre du milieu de la tige et sont de plus petites taille; sur le coté où sont représentées les deux feuilles se dégageant de la tige, deux langues de feuilles partant d'entre deux fleurs pour aboutir sur la plus petite feuille arrondie partant de la tige.

- les fleurs sont placés les unes à la suite des autres sur une ligne régulière et apparaissent alternativement tantôt vers la droite et tantôt vers la gauche.

Madame [K] [H], expert près la cour d'appel de Paris missionnée par la société  Jabouley indique 'nous constatons qu'il n'apparaît aucune différence dans le dessin, le mouvement, le décor et les dimensions qui sont identiques entre les deux dentelles' alors que dans l'analyse versée aux débats par la société intimée il est indiqué 'l'on peut superposer les deux motifs sans trouver de différence qui les distingueraient'.

Il s'ensuit que ce modèle de dentelle qui compose l'intégralité ou la quasi-intégralité du modèle de Top commercialisé par la société Nedel, reprend les mêmes caractéristiques et agencement que celui de la société Jabouley et ce, sans nécessité technique est contrefaisant.

Il s'ensuit que la société Nedel a, en reproduisant le modèle de dentelle 18105 et en la proposant à la vente, sans autorisation de la société Jabouley qui en est titulaire, la société Nedel a commis des actes de contrefaçon, la bonne foi qu'elle invoque étant inopérante pour l'exonérer de sa responsabilité et ce d'autant qu'elle est une spécialiste du textile. Il convient en conséquence de réformer le jugement à ce titre.

Sur les mesures réparatrices

L'article L. 331-1-3du Code de la propriété intellectuelle énonce que :

« Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l'atteinte.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte'.

La société Nedel soutient que la société Jabouley ne démontre pas la réalité de son préjudice car elle ne verse pas aux débats des catalogues de commercialisation de ce modèle et ne communique pas sa marge.

Elle fait valoir le caractère accessoire de la dentelle par rapport au vêtement;

Les actes de contrefaçon ont porté atteinte aux droits patrimoniaux de la société Jabouley sur son modèle de dentelle qui a nécessité un travail de création et des investissements et en le banalisant et ce d'autant que celle-ci recouvre intégralement le modèle et en constitue l'élément principal et qu'il a été largement diffusé au travers des 42 boutiques de la société Nedel, 50 magasins à enseigne et sur internet. La commercialisation licite ou non par des sociétés tiers du même modèle de dentelle n'est pas exclusive du préjudice subi par les actes de contrefaçon propres à la société Nedel.

Il ressort des opérations de saisie-contrefaçon que la société Nedel a acquis 8.657 tee-shirts litigieux le 13 juin 2012 sur lesquels 6.525 exemplaires ont été vendus pour la somme de 232.947,89 euros.

La société Jabouley ne communique aucun document permettant d'établir l'importance de la commercialisation de ce modèle de dentelle et la diminution des ventes résultant de cette contrefaçon.

Il convient en conséquence en regard de l'ensemble de ces éléments de condamner la société Nedel à payer à la société Jabouley la somme de 80.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par les actes de contrefaçon.

La demande subsidiaire de concurrence déloyale et de parasitisme est donc sans objet.

Il convient également d'interdire à la société Nedel de représenter et de vendre la dentelle référencée 18105 sous astreinte de 1.500 euros par infraction constatée passé le délai de 8 jours de la signification de la présente décision.

A titre de dommages et intérêts complémentaires il y a lieu d'ordonner la publication par extraits, de la présente décision dans trois revues ou journaux au choix de la SA Jabouley et aux frais de la société Nedel sans que le coût de chaque insertion ne dépasse la somme de 3.500 euros, le surplus de la demande de publication sur les sites internets respectifs des parties, non fondée doit être rejetée.

La présente procédure ne revêtant pas en regard des circonstances de l'espèce, de caractère manifestement abusif, mais ne constituant que l'exercice normal d'un droit, et ce d'autant qu'il est fait droit à l'action par la société Jabouley la demande en paiement de dommages et intérêts, formée à ce titre, non fondée sera rejetée.

L'équité commande d'allouer à la société appelante la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter la demande formée à ce titre par la société intimée.

Les dépens qui comprendront les frais du procès verbal de saisie contrefaçon du 30 janvier 2013 et celui du constat d'achat du 3 décembre 2012, resteront à la charge de la société intimée qui succombe

PAR CES MOTIFS

Rejette l'ensemble des demandes de la société intimée,

Confirme le jugement en ce qu'il a validé les opérations de saisie-contrefaçon du 30 janvier 2013, et dit que la société Jabouley justifie de la titularité de ses droits patrimoniaux sur le modèle de dentelle référencé 18105,

Le réforme pour le surplus,

Statuant de nouveau,

Dit que le modèle de dentelle référencé 18105 est original et éligible à la protection du droit d'auteur,

Dit que la société Nedel a commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur de ce modèle,

Condamne la société Nedel à payer à la société Jabouley SA la somme de 80.000 euros en réparation du préjudice subi par les actes de contrefaçon,

Interdit à la société Nedel de représenter et de vendre la dentelle référencée 18105 sous astreinte de 1.500 euros par infraction constatée passé le délai de 8 jours de la signification de la présente décision,

Ordonne la publication par extraits de la présente décision dans trois revues ou journaux au choix de la SA Jabouley et aux frais de la société Nedel sans que le coût de chaque insertion ne dépasse la somme de 3.500 euros,

Condamne la société intimée à payer à la société appelante la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette le surplus des demandes de la société appelante,

Condamne la société intimée aux entiers dépens qui comprendront les frais du procès- verbal de saisie contrefaçon du 30 janvier 2013 et celui du constat d'achat du 3 décembre 2012, et seront recouvrés par les avocats de la cause dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 14/20132
Date de la décision : 03/07/2015

Références :

Cour d'appel de Paris I2, arrêt n°14/20132 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-07-03;14.20132 ?
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